Chapitre 3. Question d'honneur
"Question d'honneur, hors de question de se donner
Même question monnaie, la question ne peut pas se poser
Question suivante, question de se connaître
Les réponses sont des questions pour ça qu'faut pas s'en poser"
Je suis surpris de voir Ken en arrivant à la maison. Il a l'air épuisé et ses joues sont creusées. Je me demande si Iris est rentrée aussi.
Ma mère est assise à côté de lui sur le canapé et me fait signe de venir. Le daron est installé dans un fauteuil, un verre à la main.
— Qui t'a déposé ? demande-t-il alors avec un regard suspicieux, Depuis quand tu te fais ramener en voiture ?
— Deen, réponds-je, Jade avait une réunion parents-prof, je les ai croisés vers Paul Bert, il m'a proposé de me ramener.
Mes deux parents hochent la tête, l'air confiant, je pense alors pouvoir m'échapper tranquillement dans la cuisine pour manger un truc. Quand la voix de mon père interrompt mon mouvement.
— Ilyes, reviens ici.
Dans ce genre de cas, la meilleure chose à faire c'est rester bien calme, pour qu'il pense que j'ai rien à me reprocher.
— Ouais ?
— Qu'est-ce que tu foutais vers Paul Bert alors que le foot c'est à la porte d'Orléans ?
Il a plissé les yeux en posant sa question, mon daron, c'est pire que la CIA.
Je réfléchis en quatre secondes à l'excuse la plus logique.
— Je voulais voir un shab.
J'ai pensé rapidement à dire que j'avais eu envie de rentrer à pieds, mais ça ferait v'la le détour et ce serait pas crédible venant de moi.
— Qui ?
Je sais pas comment il fait, mais je crois qu'il a compris que je mentais. Heureusement, je connais le nom du iencli en question. Pour bien mentir, il faut dire le plus de vérités possibles. C'est pareil avec les condés.
— Il s'appelle Thibaud
Les sourcils de mon daron rejoignent presque ses veuchs. S'il continue je vais juste finir par arrêter de parler. Et la soirée va être très longue.
— Depuis quand tu traînes avec des mecs qui s'appellent Thibaud ?
— Hakim, c'est bon, si il y avait un blem Deen serait venu te le dire, fait Ken, Fous lui la paix si ça se trouve il voyait une nana et il a pas envie d'en parler.
Mon père me dévisage quelques secondes avant de poser une nouvelle question.
— Si je demande à Deen, il va me dire que c'est lui qui t'a ramené ?
Mais il se fout de ma gueule ? Il pense vraiment que je suis assez con pour inventer un mytho pareil ?
— Haks, intervient ma mère, Laisse-le.
Il finit par lâcher l'affaire et je file à la cuisine. J'entends alors clairement la voix de mon père dire :
— Vous faites trop confiance. Il cachait un truc c'est sûr.
Un peu plus tard dans ma chambre, je me dépêche d'envoyer un message à Cheikh pour le prévenir que ça s'est bien passé. Ensuite je me dépêche de planquer le bif dans mon placard.
À peine une heure plus tard ma mère vient toquer à ma porte. Qu'est-ce qui lui prend en ce moment de s'intéresser autant à moi ?
— Cet après-midi, j'ai eu un mail du proviseur, dit-elle
Fronçant les sourcils, je me demande ce que j'ai fait de mal. Pour l'instant j'ai même pas séché. Et en cours j'emmerde personne et je fais ma vie.
— Ils voulaient savoir si j'étais au courant de ce qu'il se passe dans ta classe. Apparement il y a des soucis avec la prof de français.
Ah.
Moi j'ai rien à me reprocher, je dis même vite-fait aux mecs qu'ils abusent.
— Qu'est-ce que t'es censée faire pour elle ? je demande.
— Ils disent que nous devons discuter avec nos enfants du respect de la femme et du harcèlement sexuel pour que la situation puisse s'améliorer. Ils précisent aussi qu'un professeur a tout à fait le droit de porter plainte contre un élève. En gros, le topos c'est « éduquez vos gosses ou on les dénonce ».
Je hoche la tête, c'est vraiment terrifiant.
— Est-ce que tu participes à ça ? Soit en te taisant, soit en en rajoutant, soit en incitant les autres à le faire ?
Elle est pas énervée, mais elle est pas douce non plus. Les bras croisés, elle me fixe avec son regard bien flippant.
— Euh bah, je dis pas grand chose, mais zahma quand ça va trop loin je dis à mes potes de se calmer.
— Imaginons qu'à l'école, j'ai une classe de mecs, dit-elle, Oui je sais, dans le monde des Akrour les hommes ne peuvent pas faire de ballet, mais imaginons. Admettons maintenant que ces garçons me parlent comme tes copains parlent à ta prof, tu fais quoi ?
La situation est beaucoup trop insensée pour être réelle, déjà parce que jamais ma mère se laisserait faire comme la prof de français. Elle essayait de se défendre au début, mais qui maintenant commence à même plus réagir.
Mais je sais ce qu'elle veut entendre et évidement, si un truc comme ça pouvait exister, c'est ce que je ferais.
— Je leurs niquerais leurs grands morts.
— Pourquoi tu fais pas ça pour ta prof ?
La réponse est pourtant évidente.
— Bah parce que c'est pas ma mère.
Elle sourit un peu puis retrouve vite son air sévère.
— Donc il y a que ta mère qui mérite qu'on la respecte ?
Je vais pas dire oui parce qu'elle va me hagar, mais on est pas loin de ce que je pense.
— Ilyes, c'est important de savoir être un homme quand tous les autres sont des animaux. Je te demande pas de leur casser la gueule, ni de faire le fayot, juste d'essayer de calmer un peu ces connards.
Quand elle me demande des trucs comme ça, j'arrive pas à refuser. Surtout que je culpabilise un peu de lui mentir. Et en même temps je crois qu'elle s'imagine pas comment est ma classe. Peut-être que si elle les voyait à l'oeuvre, elle me dirait de surtout pas intervenir. Quoique. Pour ma daronne se prendre une balle dans le crâne pour avoir niqué un fils de pute, c'est limite une bonne chose.
— Je verrai, réponds-je.
— Non, tu ne verras pas, promets moi que si ça se reproduit tu interviendras. T'as peur de personne non ?
Ses yeux ne sont plus sévères, elle cherche au contraire à m'attendrir. Je l'ai vue faire je sais pas combien de fois ce genre de regard au daron, quand elle veut qu'il fasse un truc qu'il a pas du tout envie de faire. C'est sa spécialité.
Si elle pense que ça va marcher avec moi...
Elle a entièrement raison.
— Maman... je grogne.
Un léger sourire apparaît sur ses lèvres et ses sourcils se haussent. Le pire c'est qu'elle a même pas besoin de passer par du chantage quand elle fait ça.
— Ok, j'te promets de faire un truc si y'a besoin. Mais tu fais...
— Je fais quoi ?
Je me tais avant de laisser sortir la fin de ma phrase. Un peu amusée, elle se penche pour embrasser mon front, la main sur ma joue.
— Je savais que mon fils n'était pas une baltringue.
Ce genre de phrases, dans mes veines.
Puis je me rappelle que j'ai menti en regardant mon daron droit dans les yeux un peu plus tôt dans la soirée. J'ai encore du taff pour être un homme.
J'espère n'avoir surtout aucune occasion de tenir la promesse que je viens de faire à ma mère.
C'est beau l'espoir.
*****
Comme d'hab, ça braille dans tous les sens dans la salle, Océane et Ilona gloussent dans leur coin, Ilona me jette des regards de biche toutes les deux secondes, c'est putain de chiant. Je vais devoir la remballer vite fait avant qu'elle se fasse des films.
— Guette comme elle te téma Ilona, me fait Prince en s'installant à côté de moi, Elle veut ta teub Igo.
— Bah moi j'veux pas de son cul, réponds-je.
Il tchip et Samir, qui est juste devant se retourne pour ricaner. Au même moment la prof de français entre et tout part complètement en couille.
Les dix mecs qui passent leur temps à la faire chier, se lèvent brusquement et se mettent à frapper sur les tables.
— La poucave, la poucave, la poucave ! scandent-ils.
Oh putain.
Maman je t'aime, mais tu fais chier.
Un des gars se jette sur la porte pour la refermer derrière la prof.
— Alors ? Ça t'a fait plaisir de nous balancer sale pute ?
— C'était bien d'aller chouiner chez le proviseur ? T'en as profité pour passer sous le bureau ?
Ils sont trois autour d'elle. J'hésite un peu.
— Sah ils sont trop cons, je lâche.
Prince hausse les sourcils, surpris par ma phrase.
— Tu la kiffes ou quoi ? Chaque fois tu la défends.
En voulant pas passer pour une baltringue aux yeux de ma daronne, c'est comme ça que je vais être vu par les trois quart des mecs de ma classe. Un des gars est debout face à la prof il l'a fait reculer contre le mur et lui gueule dessus un concentré de menaces complètement débiles.
Quand il lui chope le bras, je vois qu'elle panique complètement, elle est terrifiée. Les filles se mettent à gueuler en disant au mec de la lâcher, mais elles ont peur elles aussi.
"Ilyes, c'est important de savoir être un homme quand tous les autres sont des animaux."
Que ferait mon daron ?
Je me lève d'un bond et fonce dans le tas.
— Oh c'est bon, je gueule, Lâche-la mec !
Tous les regards se braquent sur moi. Putain j'ai l'impression d'être Naël à jouer les justiciers. C'est tellement pas mon genre.
— Bah alors, il est amoureux le petit kabyle ?
Par contre s'il cherche à m'humilier ça va bien me zehef, je vais pas le louper.
— Lâche-la, je répète.
J'ai pas besoin de me justifier sur les raisons qui me poussent à défendre une putain de prof. Le pire c'est que j'ai HORREUR des profs.
Maman, vraiment...
Y'a que pour elle que je peux faire un truc pareil.
Le gars rigole. Autour de nous les autres commencent à se rassembler, les filles supplient toujours Moussa, comme il s'appelle, d'arrêter son délire.
— Mec c'est quoi que t'as pas compris ? je demande, T'as été traumatisé par une note en français quand t'avais 7 ans ou quoi ? Lâche-la putain ! Pourquoi tu fais le pédé à t'attaquer à une femme ?
Trois groupes se forment, ceux qui se foutent de ma gueule et encouragent Moussa, ceux qui ont trop peur pour prendre parti, ceux, enfin surtout celles, qui sont de mon côté.
Ma street cred est morte à tout jamais.
La prof me fixe comme si elle me voyait pour la première fois, elle me prend pour un sauveur.
Garde tes yeux brillants, connasse, tu peux remercier ma mère.
— Tu la veux ? demande Moussa, Viens la chercher !
Il la tire et la repousse contre le mur, elle se cogne la tête et tombe assise par terre. Avec un peu de chance les cris que poussent les meufs vont alerter le prof de la salle voisine.
Je m'approche un peu de la prof, mais aussitôt je me prends une putain de patate dans la gueule. Elle me surprend juste assez pour que je manque de m'étaler comme une merde. Tous les cons se marrent, il en faut pas beaucoup plus pour me rendre fou.
Une décharge d'adrénaline se diffuse dans mon corps et je me jette sur Moussa, perdant alors toute notion de ce qui m'entoure, les hurlements des filles, les têtes de putes des autres. Ça cogne des deux côtés, je ressens même pas la douleur tellement ma seule réalité, c'est le visage en face de moi sur lequel je veux déverser le plus de haine possible.
Non, je suis pas une putain de baltringue.
*****
Ils sont là tous les deux quand je sors du bureau dans lequel je viens de répondre aux questions d'un keuf.
Ma mère se précipite aussitôt vers moi et attrape mon visage dans ses paumes.
— Oh mon Dieu. Dans quel état tu es...
Son pouce contourne les quelques contusions que j'ai sur la gueule.
— Fais pas ta mère poule, grogne mon daron, on va parler d'abord.
Il me chope par la capuche de ma veste et me pousse dans le couloir. C'est alors qu'on croise ma prof.
Manquait plus qu'elle.
— Ilyes je suis désolée, dit-elle aussitôt, Ce n'était pas à toi de me défendre, mais je dois te remercier.
Je fixe un point derrière elle, c'est insupportable d'avoir l'air d'un sauveur. Vite qu'on se casse d'ici.
— Votre fils est très courageux, annonce-t-elle à mes ieuv.
C'est limite moi qui tire sur ma capuche pour entrainer mon père derrière moi. Aucune envie de discuter avec cette pauvre prof. C'est pas pour elle que j'ai fait ça.
Alors je sens la main fraiche de ma daronne se poser sur ma nuque, son ongle va et viens le long de la racine de mes veuchs.
— Je suis très fière de lui, dit-elle simplement.
La prof va encore parler alors c'est moi qui la coupe :
— C'est bon, Croyez pas que j'vous kiffe pour autant.
Je me tourne vers mon père.
— On peut se tirer de là, s'te plaît.
Ses sourcils se fronce, j'ai l'impression qu'il comprend walou à la situation. Mais pour une fois il m'écoute et me pousse de nouveau vers la sortie.
Dans la voiture, c'est le silence total, finalement je crois que personne a envie de parler. Mon portable arrête pas de vibrer. Je me demande comment Prince et les autres vont réagir à tout ça. En plus j'ai oublié de donner son oseille à Cheikh du coup.
— Ilyes ! m'appelle mon daron alors que je monte direct dans ma chambre en arrivant.
Je redescends aussitôt, il m'attrape par le col et me tire dans la cuisine, refermant la porte derrière nous.
Il se sert un verre de whisky et me dévisage pendant presque trois minutes avant de finir par parler.
— Ta mère c'est un djinn, dit-il finalement, Si on la laisse un peu trop faire, on peut vite finir au hebs pour ses beaux yeux.
Je le regarde se passer la main sur la barbe, il a l'air à la fois contrarié et bizarrement... attendri. Puis soudain, il me lance un regard sévère.
— Ecoute moi bien, si y'a encore heja avec l'autre connard, s'il te menace ou je ne sais quelle merde. Tu règles pas ça seul. Tu viens m'en parler.
C'est ça oui, je vais appeler mon papa pour qu'il vienne me défendre.
T'façon je pense avoir a peu près retrouvé ma street cred avec le tarif que j'ai mis à Moussa. Mon portable vibre toujours dans ma poche, je saurai bien vite ce que les gens pensent de tout ça.
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