Chapitre 3. Lost

"Pourras-tu le faire I'm lost
Pourras-tu le dire I'm lost
Tu dois tout essayer I'm lost
Tu dois revenir I'm lost
Tu dois voir plus loin I'm lost
Tu dois revenir I'm lost
Egaré en chemin I'm lost
Tu verras le pire I'm lost
Pour trouver le sud I'm lost
Sans perdre le nord I'm lost
Après les certitudes I'm lost
Au-delà des bords I'm lost
I'm lost but I'm not stranded yet
I'm lost but I'm not stranded yet"

Le réveil chez les Akrour est un peu compliqué. Il me faut à peine quelques secondes pour que mes souvenirs me reviennent de plein fouet.

Aïe.

— Ilyes... je murmure en tentant de bouger.

Sa tête pèse contre ma clavicule, et son bras serre toujours ma nuque. J'ai le nez dans ses cheveux bruns qui bouclent un peu en haut de son crâne. Il a l'air d'avoir un sommeil de plomb car il ne réagit pas à mes mouvements.

— Ilyes ! Tu me baves dessus.

Ça fonctionne.

Il se redresse brusquement, me donnant au passage un violent coup de tête dans le menton. Ma mâchoire claque et un grognement de douleur échappe au jeune homme qui pousse un juron.

— Oh non trop dommage, pourquoi vous avez bougé ? c'était hnine ! lance alors la voix de Nejma derrière nous.

— Beleh fouhmek, répond aussitôt Ilyes d'une voix éraillée, Dégage de là où j't'en mets une.

Sa petite soeur rigole et fait le tour du canapé pour se planter devant nous. Elle tient dans ses mains un bol de céréales et une cuillère. Je commence à avoir peur pour le tapis de Maya.

— Fais pas cette tête, je savais que t'étais un nounours au fond. Grâce à vous je vais percer sur Instagram. Hashtag Relationshipgoal, hashtag cutecouple, hashtag postbadracailleaucoeurtendre, on va vous retrouver en photo dans des chroniques de la tess.

Ilyes se lève brusquement et même si je vois sa main se poser brièvement sur son ventre, il se rapproche de sa soeur.

— Je vais te niquer ta race, t'as pris des photos ?

Il est vraiment naïf parfois. Nejma le fait marcher, c'est évident. Elle sait beaucoup trop bien comment le faire marcher.

Il ne faut pas trois minutes pour que le bol vole à l'autre bout de la pièce, que Nejma parte en courant poursuivie par son frère qui semble soudainement beaucoup moins convalescent

D'ailleurs il ne faut pas beaucoup plus de temps pour que Maya débarque et remette chacun à sa place.

Eh bah... Quel réveil.

Au moins il aura eu le mérite de me faire oublier le sentiment de malaise qui m'a pris au moment où j'ai ouvert les yeux.

Amir finit par débarquer à son tour vêtu d'un simple bas de survêtement. Je connais un paquet de filles de notre classe qui paieraient cher pour être assise à ma place à cet instant.

Maya dévisage son fils, les poings sur les hanche et un sourcil haussé.

— Amir, t-shirt. Ça fait combien d'années que je te répète que mon salon n'est pas ta plage privée ?

— Cheh ! lance Nejma en voyant son frère faire demi tour, Ça t'apprendra à faire le mec.

Quand je pense qu'Ilyes disait qu'on était tous fous dans ma famille. Il n'a pas bien regardé la sienne.

*****

— Comment tu te sens ? me demande Amir un peu plus tard.

Ilyes est parti à la clinique pour sa rééducation, je profite un peu d'un moment seule avec mon meilleur ami, ça fait du bien.

— Ça va, réponds-je avec mon sourire le plus convaincant.

Il me lance un regard dubitatif.

— Jadou. Crari en une nuit tout va mieux.

Je pousse un soupir et ramène mes jambes contre moi pour poser mon menton sur mes genoux.

— J'essaie de pas trop y penser jusqu'à cet aprem, Ilyes veut qu'on aille voir Sneazz.

Amir hoche la tête et se frotte la barbe, comme toujours quand il réfléchit. Il est toujours calme, nonchalant, j'aime vraiment ce côté de sa personnalité.

— Tu veux qu'on aille faire du sport ? propose-t-il, Ça va te vider la tête.

— J'ai pas mes baskets.

Celles qu'Ilyes et Romy m'ont offertes pour Noël, je les adore.

— T'inquiète, Nej elle a des palmes à la place des iep', elle peut te passer les siennes.

Il disparait quelques secondes pour revenir avec une paire, puis il fouille dans son placard et me tend un maillot du Real et un short de boxe.

— Tiens ça t'ira, je les mettais quand j'avais douze piges, t'as plus d'excuses. On va faire du sport.

De toute façon Amir est têtu comme une mule, il serait capable de faire l'aller-retour chez moi pour récupérer mes affaires juste pour que j'aille courir avec lui.

Quelques minutes plus tard, alors que je l'attend dans le couloir, Hakim passe et me détaille des pieds à la tête.

— Tu vas où comme ça ? Maya va râler en disant que les garçons te "beaufisent".

J'ai bien conscience que ce n'est pas mon style habituel. Mais je le rassure très vite en lui expliquant la raison de mon accoutrement. Amir débarque deux secondes plus tard, et hoche la tête avec un sourire satisfait en contemplant ma dégaine. Il n'y a vraiment que lui pour apprécier.

— Allez, on y va cousine.

Je m'attendais à une bonne session de course, mais c'est un véritable entraînement militaire qu'Amir a prévu de me faire faire. Pourtant l'endurance est ma spécialité, mais là il a décidé de m'achever. Course, burpees, abdos, exercices au poids du corps le tout à un rythme acharné. Pire que mon père quand il se prend pour mon coach personnel.

— Tu me veux du mal ou quoi ? finis-je par demander en haletant.

Mes poumons brulent, je suis en sueur et sans doute cramoisie. Mais Amir se marre. Ah il peut rire, c'est son domaine. Mais en course de fond je lui mets la misère, c'est certain.

— Ça fait du bien non ?

Oui, c'est vrai, bien plus que la cigarette que j'ai essayée de fumer hier soir. Qu'est-ce qui m'a pris sérieusement ? Comme si ça pouvait régler quoi que ce soit.

— Tu devrais t'y remettre, je comprends toujours pas pourquoi t'as arrêté l'athlé.

Un jour il faudra quand même que je lui en parle. Mais Amir... Il est trop "grand frère" avec moi, si je lui explique tout ça, il va vouloir régler des comptes et ce n'est pas utile.

— Amir... Je t'ai dit que je ne voulais pas en parler.

— Ouais, mais moi je veux en parler. Les trois quart des meufs que je connais elles seraient mortes depuis longtemps après la séance qu'on vient de faire. T'es archi endurante, sah c'est du gâchis. Regarde toi, t'es musclée, légère, t'as tout pour faire des performances.

Ça me touche qu'il veuille me motiver, au fond j'ai envie de reprendre l'athlétisme. Mais pour l'instant... Je crois que je préfère me tenir un peu éloignée de tout ça, surtout après le foin que mon père a fait.

— Je vais y réfléchir.

Mon meilleur ami s'approche de moi et pose ses paumes des deux côtés de mon crâne pour incliner ma tête vers lui.

— Tu vas pas y réfléchir, j'te connais, tu dis ça quand tu veux que j'arrête de te faire chier.

C'est vrai. Mais je lève quand même les yeux au ciel.

— Je vais vraiment y réfléchir.

— Ok, bah moi j'arrêterai pas de te faire chier.

Croyez moi il ne ment pas. Il ne va pas me lâcher, c'est certain.

Sur le chemin du retour, le sujet de discussion dévie sur Ilham.

— Ça me saoule, elle veut jamais qu'on parle que tous les deux, tout le temps y'a ses potes autour là...

Si seulement il pouvait comprendre qu'elle se protège, pour les filles comme elle, Amir n'a pas du tout une bonne réputation. Elle a peur qu'il lui retourne le cerveau et puis la laisse tomber une fois obtenu ce qu'il voulait obtenir.

— Faut que tu sois exemplaire Amir, que tu lui prouves que tu veux vraiment changer pour elle. Crois moi elle te pardonnera pas si tu lui promets des trucs et qu'elle apprend que t'as fait l'inverse deux jours après. Cette fois tu pourras pas demander à tes potes de mentir pour toi.

Il pousse un soupir, c'est pas une situation facile, mais au moins ça va lui apprendre à se maîtriser. Ilham est peut-être exigeante, mais c'est une fille en or avec beaucoup de coeur, je pense que si Amir arrive a faire les chose bien, il aura vraiment quelqu'un de formidable à ses côtés.

*****

En arrivant chez Mohamed, je sens un stress important me gagner, j'ai peur. Je crois que ce qui m'angoisse le plus c'est de connaître les circonstances de la naissance de cet enfant. Si Papa avait trompé Maman ? Si il avait abandonné une mère et son enfant ? Si il avait aimé quelqu'un d'autre au point d'avoir envie de fonder une famille ?

— T'inquiète, fait Ilyes pour la huitième fois depuis qu'on est partis.

Il sonne et quelques secondes plus tard, une tête rousse nous ouvre, ce qui arrache un sourire amusé à Ilyes.

— T'es encore là toi ? fait-il, Il paye bien le Sneazz ?

Clémence lui adresse une grimace moqueuse en nous faisant entrer.

— Fais pas le guignol, t'es pas en état, fait-elle, Salut Jade, c'est la première fois que tu viens sans tes parents non ?

Je lui fais la bise et acquiesce, on la suit jusqu'au salon où Mohamed n'est malheureusement pas seul. Alpha, Shanelle, Antoine, Amanda.

Bon.

Nous tombons en pleine réunion de couple du dimanche après-midi.

Face à ce constat, à peine avons nous salué tout le monde que je tire Ilyes par la manche pour lui chuchoter :

— Tu pouvais pas prévenir qu'on voulait lui parler seul à seul ?

— Laisse moi gérer, fait-il.

Je le vois s'approcher de Clemence, se pencher vers elle pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Cette dernière hoche la tête en faisant tout de même semblant de rire à une blague de Moh.

Ilyes revient ensuite vers moi, et me glisse à voix basse :

— C'est bon, elle va nous débarrasser des vieux.

Effectivement, cinq minutes plus tard, après avoir répondu à quelques questions sur nos parents, d'autres sur l'état de santé d'Ilyes, nous observons Clémence faire comprendre à Sneazz que les autres doivent partir. Il se trouve que cet homme est assez perspicace.

— Bon les gars, fait-il soudainement, c'est pas que je me fais chier avec vous, mais faut que j'aide les mioches à taffer leurs cours d'arabe.

C'est quoi cette excuse pourrie ? Je ne prends pas de cours d'arabe et Ilyes est déscolarisé, tout le monde le sait. En plus s'il a besoin de cours il peut demander à ses parents.

D'ailleurs Amanda n'est absolument pas dupe.

— Mais Ilyes, tu es retourné au lycée ? demande-t-elle, Dans ton état ?

Ce dernier foudroie Mohamed du regard et semble chercher rapidement une issue.

— Non, fait-il, mais je...

— Il prend des cours avec le CNED, dis-je à tout allure, Pour pouvoir entrer en apprentissage l'année prochaine.

Je dois être littéralement écarlate, déjà que parler devant tout le monde me met super mal à l'aise, alors en plus, mentir...

— Voilà, dit-il.

Il me chuchote un "merci" pendant qu'Amanda s'extasie sur son courage. Alpha s'en moque éperdument, sa femme aussi, elle discute avec Clémence.

Finalement, ils finissent tous par enfin partir et je le regrette presque. Parce que maintenant, il va falloir entrer dans le vif du sujet.

Je ne sais pas comment amener ça et je suis très gênée, parce que même si je connais Mohamed depuis que je suis née, ce n'est pas quelqu'un dont je suis particulièrement proche. Pas comme de mon oncle Ken ou Max par exemple, avec lesquels je ne suis pas intimidée.

Et Mohamed n'a pas l'air décidé à me faciliter la tâche.

Heureusement Ilyes s'empresse de parler pour moi, malgré les railleries de notre oncle sur ma présence ici.

— On voulait te poser des question parce que tu sais toujours tout sur tout le monde.

— C'est vrai, répond Mohamed avec un sourire satisfait.

Au même moment Clémence traverse la pièce et il la suit du regard avant de reporter son attention sur nous.

— Faut que tu jures de rien dire, fait Ilyes.

Mohamed me fixe quelques secondes, semblant comprendre que c'est principalement de moi qu'il s'agit.

— Je trahirai pas Violette, dit-il brutalement, C'est comme ma reus. Y'a des trucs que je sais mais je peux pas vous en parler.

— Jade a trouvé des trucs chelou de ouf, reprend Ilyes, Elle a le droit de connaître la vérité.

Il me détaille toujours et semble hésiter sur ce qu'il peut dire ou non. Mon coeur bat un peu trop rapidement sous l'angoisse et la curiosité. Je veux savoir, mais j'ai peur de ce que je peux apprendre.

— T'as trouvé quoi exactement ? t'inquiète je leur dirai pas, c'est à toi de le faire.

Bégayante, rougissante et frottant mes mains l'une contre l'autre, je lui explique brièvement les lettres.

Quand j'ai fini, il me pose une simple question :

— Elles dataient de quand les dernières lettres ?

— Un peu après ma naissance.

Mohamed se frotte les cheveux et pose ses coudes sur ses genoux pour se pencher vers nous.

— T'as la réponse à une de tes questions. Pourquoi ils en ont pas parlé. Quand t'es née ton daron a décidé de tirer un trait sur tout ça. Il voulait plus en parler parce que ça a apporté que des mauvaises choses dans sa vie. Il a décrété qu'il repartait de zéro, tu captes ? Sa famille c'est vous quatre et je pense sérieusement que ta naissance guéri pas mal de trucs chez lui. Donc il a enterré cette histoire.

Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

Mais si Moh a raison, pourquoi papa a gardé les lettres ? Non pas que je le lui reproche, mais on ne peut pas dire qu'on soit sur un oubli total...

— Mais visiblement ça a été plus compliqué que prévu, commente mon oncle comme s'il lisait dans mes pensées.

Je pousse un soupir, ça ne nous avance pas vraiment, si ce n'est pour confirmer encore une fois qu'effectivement, tout ceci est réel.

— Donc tu nous diras rien de plus, fait Ilyes.

Mohamed souffle à son tour, ça se voit qu'il aimerait nous dire la vérité, mais je comprends aussi qu'il a fait une promesse et que pour le coup, il n'a aucune intention de la trahir. Quelque part je trouve ça louable.

— Tu devrais en parler à tes darons Jade.

Je m'apprête à répondre, mais il poursuit :

— Mais j'peux comprendre que tu sois pas trop prête pour l'instant. Du coup bah tout ce que je peux te dire, c'est qu'il reste toujours des traces de ce genre de choses sur internet, peut-être que tu peux en savoir plus. Après je te conseille quand même de faire belek à tout ce que t'apprends sur les gens qui sort pas directement de leur bouche. Limite si vous découvrez des nouveaux trucs, revenez me voir, je vous dirai direct si c'est de la merde.

Ilyes et moi échangeons un regard. Il pense à la même chose que moi. On se dépêche de retrouver Amir et on commence les recherches.

Même si après, il va falloir que je rentre chez moi... Parce que demain j'ai cours. Rien que d'y penser je sens de nouveau l'angoisse m'étreindre la poitrine.

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