Chapitre 3. Les cours des lycées

« Les salles de classe qui se répètent
des profs qui ont tous l'air défoncés
Y'a des Matrix sur des tableaux
Trop d'inconnues dans l'équation
Dans le bus, le tramway. .
Dans Les cours des lycées. .
Dans les fabriques à chomeurs. .
Oui Dans les salles des professeurs. »

Trois mois plus tard

Je déteste le lycée.

J'y suis toujours allée avec la sensation d'avoir des boulets aux chevilles et ces derniers temps, c'est encore pire, parce que je ne sèche plus.

C'est le mois de mai, il fait beau, vraiment beau, et je me retrouve enfermée dans une classe toute la journée avec une armée de cons. Si je n'avais pas redoublé ma seconde, tout ce ceci ne serait qu'un lointain et mauvais souvenir. Quand je vois Naël qui va avoir dix-neuf ans dans deux jours, et qui vient de terminer les épreuves écrites de son concours à l'ENS, je me dis que j'ai quand même perdu énormément de temps.

Mais bon, je ne travaille pas, j'ai des notes plus que moyennes et si j'ai mon bac ce sera certainement grâce à la philo.

Et après ?

Après je ne sais pas, c'est le trou noir. Pas de passion, pas d'ambition, rien. Je risque de m'inscrire dans une fac lambda pour donner l'illusion que je fais quelque chose, histoire que mes parents ne me coupent pas les vivres. Même si je doute un peu qu'ils le fassent.

— Iris ? Tu peux répéter ce que viens de dire ton camarade ?

Allez, le prof a repéré que j'étais en train de dormir au fond de la classe. Je fais comme si je ne l'avais pas entendu. Au pire des cas qu'est-ce qu'il peut faire ? Me sortir de cours ? Mon Dieu, j'ai très peur.

— Iris.

Je continue d'ignorer cet abruti de prof d'histoire, qui pense avoir la science infuse parce qu'il sait que Marie-Antoinette n'a jamais dit « Qu'ils mangent de la brioche ». C'est son grand truc ça, « les phrases qu'ils n'ont jamais dites ». Chaque cours commence par ce petit rituel où il croit démasquer des « fakes facts » de l'histoire.

Nul à chier.

— Iris, apporte-moi ton carnet, tiens-toi correctement sur ta chaise.

Je relève la tête, il me tend la perche.

— Faut savoir, si vous voulez que je reste assise correctement, c'est à vous devenir chercher mon carnet.

Il y a des murmures autour de moi. Ils adorent ça, les cons de ma classe. Ils prennent des mines offusquées ou des sourires amusés, je leur fais leur animation de la journée. Grâce à moi ils auront des trucs à raconter à leurs amis minables à la pause.

Putain j'ai hâte de voir Ilyes, je sature là.

— Ça suffit, tu vas voir le CPE.

— Ok, je réponds d'un air blasé.

Les chuchotements persistent pendant que le prof roule les yeux d'un air outré, je prends mon sac et quitte la pièce en trainant des pieds.

— Iris, ton billet d'expulsion.

Je me retourne, cet abruti me tend le papier vert d'un air sévère. S'il savait à quel point je m'en bats les reins.

J'atterris dans la salle d'attente du CPE, qui a très certainement autre chose à foutre que me voir pour la troisième fois de la semaine dans son bureau.

En ce moment c'est vraiment n'importe quoi, j'y passe ma vie. C'est d'ailleurs la première chose qu'il me dit quand la secrétaire me fait enfin entrer dans son bureau.

— Iris Samaras, c'est fou je vous vois plus que ma femme, elle va commencer à être jalouse.

M. Berthier, le vieux CPE de Paul Bert, travaille ici depuis trente ans. Il me connaît bien. Devinez qui figure parmi les premiers élèves qu'il a fait passer en conseil de discipline...

Oui, mon père.

— Alors c'est quoi cette fois ? fait-il en saisissant le billet que je lui rends, « Iris se permet de dormir en cours et de ne pas répondre lorsque le professeur lui pose une question. » Ah tiens il parle de lui à la troisième personne, c'est un peu rétro.

Vous comprenez pourquoi un petit voyage chez le CPE n'est clairement pas la pire sanction que je puisse subir.

— Alors, pourquoi dormiez-vous ? demande-t-il en me faisant signe de m'assoir en face de lui.

— Parce que j'étais fatiguée, et que M. Levy est soporifique.

Berthier me dévisage avec un air un peu amusé, je crois qu'il est d'accord avec moi.

Ne croyez pas que cet homme n'est pas sévère, si vous voyiez les colères qu'il est capable de piquer certaines fois. Mais moi, je crois qu'il m'aime bien.

— Alors pourquoi n'avez vous pas répondu quand il s'est adressé à vous ?

— Parce que je dormais, réponds-je comme si c'était évident.

Le proviseur jette un coup d'œil sur le billet vert, puis reporte de nouveau son attention sur moi.

— Effectivement ça fait sens.

J'ai hâte qu'il m'envoie finir l'heure en étude. Mais il n'a pas l'air pressé.

— Si je fais le bilan sur cette semaine, nous avons une sortie de cours pour refus de travailler, une autre pour insolence et là ce sont les deux en même temps.

— Oui, réponds-je.

Il hoche la tête.

— Vous savez que les professeurs veulent un nouveau conseil de discipline ? Ils pensent que trois jours de renvoi n'ont pas suffi. Pourtant vous vous étiez calmée en février, qu'est-ce qui se passe ?

Je n'ai pas envie de répondre. Certes, être viré du lycée ne serait pas une bonne nouvelle, pas à quelques semaines du bac.

— J'attends une réponse, jeune fille. J'aimerais comprendre ce qui vous arrive en ce moment. Croyez-moi, je sais très bien que convoquer vos parents une nouvelle fois ne sera absolument pas une solution utile.

Tu l'as dit.

Ça ne changerait absolument rien.

— Alors, reprend-Il, qu'est-ce qu'il se passe ?

— Je sais pas.

Berthier secoue la tête comme si j'avais donné une mauvaise réponse.

— Si, vous savez. Nous allons passer un contrat vous et moi. Je vous promets de vous laisser tranquille jusqu'au bac, si vous m'expliquez ce qu'il se passe. Je vous connais bien Iris, ça fait quatre ans que vous êtes là et c'est un miracle que vous ayez tenu tout ce temps dans ce lycée. Croyez bien que c'est parce que j'ai souvent fermé les yeux sur votre comportement. Cela m'attristerait beaucoup d'avoir à vous renvoyer à quelques semaines du bac.

Mais moi je n'ai absolument aucune envie de lui livrer ma vie. On m'a déjà envoyé voir la psychologue scolaire, des psys tout court, je n'ai jamais rien lâché, alors à Berthier, sûrement pas.

— Iris, je ne vous demande pas de me raconter votre intimité, simplement m'éclairer quelques peu sur ce qui fait qu'en ce moment vous êtes aussi insupportable pour vos professeurs.

J'hésite un peu, je pourrais le baratiner un petit moment, me mettre à pleurer, attirer l'attention sur ma faiblesse d'adolescence brisée, inventer un chagrin d'amour ou un décès dans ma famille.

Mais au fond, la raison qui me pousse à me désintéresser de tout est bien plus basique.

— Vous savez ces derniers mois je n'étais plus chez mes parents.

Il hoche la tête.

— Je vais sûrement y retourner. Dès le week-end prochain.

Berthier ne répond pas, il attend que je continue, même si je n'ai rien à ajouter, pour moi ça suffit à tout expliquer.

— Pourquoi y retournez-vous, si ce n'est pas ce que vous voulez ?

— Parce que Naël a une copine.

La réponse est sortie toute seule, beaucoup trop vite. Je plaque ma main sur ma bouche comme si je venais de faire la gaffe de ma vie.

Berthier sourit, ma spontanéité semble l'avoir amusé.

Il connaît très bien Naël, c'est l'une des plus grande fierté de cet établissement ces dernières années.

— Oh, je vois.

Il ne voit rien. Il croit tout comprendre mais il ne sait pas ce que ça représente pour moi.

Naël ne me disait presque jamais non, même quand il était furieux contre moi, il savait qu'il était mon seul repère.

Et maintenant... maintenant il refuse de dormir avec moi, il ne m'approche jamais de trop près, il dit toujours qu'il n'a pas le temps, pour rien. Je sens que ma présence dérange.

Alors après son anniversaire, je vais retourner chez mes parents, parce que c'est mieux pour Sofia et lui. Il ne me l'a pas demandé, mais c'est tout comme.

— Vous savez Iris, tout à l'heure, quand j'ai dit que c'était grâce à moi que vous n'aviez pas été renvoyé une bonne fois pour toutes de Paul Bert ?

J'acquiesce et il s'accoude à son bureau en me détaillant avec bienveillance.

— J'ai un peu exagéré. La première personne qui m'a convaincu de tout faire pour vous garder ici, c'est votre mère. Il y a trois ans.

Ma mère ?

Si quelqu'un en a bien rien à foutre que je me fasse virer c'est elle. Elle a démissionné de ma scolarité depuis le début du lycée, lorsque je l'ai insultée devant tout le monde après mon premier conseil de discipline.

Avec du recul je regrette un peu ce moment, mais c'était dans ma période la plus rebelle, je voyais Romain tout le temps, il me retournait le cerveau. Je crois aussi que c'est ça qui a fait rechuter ma mère.

Quand je vous dis que je ne sers qu'à semer le malheur dans cette famille...

— Quand vous étiez en seconde, elle m'a envoyé une lettre.

Surprise, je le vois ouvrir un tiroir de son bureau, fouiller un peu et sortir une enveloppe.

Je reconnais aussitôt l'écriture de ma mère. Mon estomac se noue violemment. Je n'ai pas envie de rester ici.

— Si je vous la donne, vous n'allez pas la lire, n'est-ce pas ?

Évidemment. Je la brûlerai aussitôt.

— Si.

— Vous mentez. Je le sais très bien. Alors voilà ce qu'on va faire. Je vais vous la donner, vous allez la lire, et vous allez être obligée de la lire, parce que c'est la condition pour que vous restiez dans cet établissement.

Il ne peut pas avoir de preuve que je l'ai lue.

— Je vous donne jusqu'à 16h. Sinon c'est moi qui vous la lirai. Je vais la photocopier, comme ça même si vous la déchirez j'aurai l'originale. Allez ! En permanence, Mademoiselle Samaras !

Je suis coincée, je rejoins la salle d'étude la mort dans l'âme. À peine suis-je assise, qu'une surveillante se pointe pour déposer deux feuilles photocopiées devant moi.

Il me suffit juste de jeter un œil à l'en-tête et au « Monsieur, » qui commence la lettre pour savoir que je n'ai pas envie de la lire. Après tout, elle ne m'est pas adressée.

Je finis par m'endormir sur la feuille, pendant une bonne demi-heure.

****

— Eh, tu fais quoi ? T'es pas en cours ?

La voix de mon meilleur ami me réveille et je me tourne vers Ilyes, dans son jogging intégral du PSG, ses yeux transparents me fixant avec inquiétude.

— Non Lévy m'a tej', j'explique d'une voix brumeuse.

Il me répond par un léger mouvement de lèvres vers le bas, puis pointe du doigt les feuilles sur ma table.

— C'est quoi ça ?

Mon réflexe est aussitôt de les cacher, si je ne les lis pas, ce n'est pas pour que quelqu'un le fasse à ma place.

— C'est rien, tu fais quoi ici ?

Ilyes tire la chaise à côté de moi et s'installe, lâchant son sac à dos bruyamment sur la table.

Le pion fronce les sourcils en jetant un regard dans notre direction.

—Fais moins de bruit, il va nous séparer, je murmure.

Mais mon ami répond par un regard genre « tu veux quoi toi ? » au surveillant, qui pousse un soupir en levant les yeux au ciel.

Ce besoin d'être en rapport de force tout le temps. C'est épuisant.

— La prof d'espagnol est pas là, fait-il, Ça tombe bien on devait avoir un contrôle. Mon daron me lâche pas avec les notes en ce moment, ça me les brise. Alors que lui il a même pas le bac, t'sais.

J'ai l'impression d'entendre Ania, la petite sœur de Naël, qui répète ça à longueur de journée.

— Pourquoi il t'a tej Lévy ?

Il ne me faut qu'une poignée de secondes pour lui expliquer la situation, Ilyes se marre.

— Quel fils de pute ce mec, la dernière fois il m'a sorti que mon cousin n'avait pas laissé suffisamment de neurones au reste de sa famille.

Ça aurait pu me faire sourire si ce n'était pas complètement faux. Ilyes a toujours mésestimé ses capacités intellectuelles et je sais qu'il fait semblant de ne s'intéresser à rien.

— Ilyes ! Tu changes de place ! Viens là.

La voix du pion nous fait sursauter tous les deux.

Il proteste cinq bonnes minutes, s'énerve, jette sa chaise, et fini par être envoyé à son tour dans le bureau de Berthier.

Lui, pour le coup, le proviseur ne lui fera pas de cadeau. Ilyes va être viré d'ici peu, tout le monde le sait très bien, ça fait un moment que ça couve.

Hakim et Maya vont péter un câble.

Je me retrouve de nouveau face à ma lettre, je jette un œil à la pendule, il me reste un quart d'heure.

Je sais déjà que je vais le regretter, mais craque et commence ma lecture.

Monsieur,

Comme vous le savez, ma fille Iris, est passée hier après-midi en conseil de discipline pour son comportement exaspérant au lycée.

J'ignore s'il est légitime d'écrire une telle lettre, je ne cherche pas à nier les faits, simplement, je crois qu'il n'y a guère meilleur avocat qu'une mère.

Après la scène qu'elle a fait hier, et les mots si durs qu'elle a eu envers moi, vous devez vous demander pourquoi je prends la peine de la défendre. J'avoue que moi-même, il m'arrive de rester interdite devant la puissance de l'amour maternel, je crois que pour elle, j'endurerais n'importe quoi.

Depuis qu'elle est bébé, Iris n'a toujours accepté qu'un nombre très réduit de personnes dans son petit monde à elle. Je n'en ai jamais fait partie, c'était dur au début, je me suis battue pour qu'elle m'aime, et puis j'ai compris que cela ne servait à rien.

Tout ce que je pouvais faire, c'était la regarder grandir avec amour, veiller sur elle de loin, et guider un peu son père, qui lui, avait la chance de pouvoir l'approcher.

Je ne vous écris pas pour vous raconter ma vie, simplement, je voulais vous faire comprendre que celui qui gagne la confiance d'Iris, gagne un cadeau magnifique. C'est une adolescente pleine de talents en tout genre. Elle est intelligente, vivace, artiste, si vous savez l'intéresser, elle est capable de se donner à fond pour travailler. J'ai toujours été émerveillée qu'une telle enfant soit née d'une femme comme moi.

Pour une raison qui m'échappe, elle ne voit pas tout cela, elle se croit mauvaise, elle se persuade qu'elle n'est bonne à rien et que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue.

Pourquoi ne lui dites-vous pas ? me répondrez vous.

Parce qu'elle ne m'entend pas. Elle n'entendra jamais rien venant de moi.

Je crois que l'école peut faire beaucoup de mal aux enfants quand ils ne sont pas à la bonne place, mais je crois aussi qu'elle peut leur apprendre à se révéler quand elle leur donne la chance de le faire.

Si Iris est renvoyée, elle aura gagné. Vous lui prouverez qu'elle a raison, qu'elle ne vaut rien, qu'elle est mauvaise et ce sera fini à tout jamais pour sa scolarité.

Elle fréquente de mauvaises personnes, qui la conseillent très mal et qui se feraient une joie de la savoir renvoyée. Je vous en supplie ne leur donnez pas gain de cause.

Je dois avouer que je me fais énormément de souci pour ma fille ces derniers temps, elle change, c'est normal à l'adolescence certes, mais je sens qu'elle perd son innocence, de façon abrupte. Étrangement, Ken a confiance en vous, vous l'avez connu adolescent, je crois que cela peut vous aider à comprendre sa fille. Peu de CPE pourraient mieux la comprendre finalement.

J'ai peut-être l'air d'une mère qui ne veut pas voir les défauts de sa fille et qui est aveuglée par un amour possessif, mais tant pis. Ce n'est pas important.

Le fait de ne pouvoir discuter avec elle m'a permis de beaucoup l'observer. Elle et moi avons un grand ami en commun, je lui ai fait lire cette lettre et il m'a dit qu'il n'y changerait rien.

Alors voilà, je vous supplie avec mon cœur de mère, c'est un peu pathétique, mais c'est tout ce que j'ai.

Gardez ma fille, parce que si vous n'avez pas besoin d'elle, elle a besoin de vous. Même si elle jurera le contraire.

Gardez la parce que c'est une perle qui se cache sous un coquillage bien fermé. Aidez-la à se révéler. Aidez-la à s'aimer.

Bien sûr si vous jugez qu'elle est néfaste pour le reste du lycée, je comprendrai que l'intérêt d'une seule élève ne peut pas passer avant celui du plus grand nombre. Là dessus je ne pourrai que m'incliner.

Pardonnez-moi pour cette lettre peut-être trop intime, peut-être trop intrusive, mais la seule chose que je peux faire pour ma fille, c'est agir dans l'ombre.

Je vous remercie d'avance de l'attention que vous porterez à ma requête.

Recevez Monsieur, l'expression de mes respectueuses salutations,

Clémentine  Samaras

Mes mains froissent fébrilement la feuille de papier que j'ai entre les mains.
Sous les regards de toute la salle de perm' je me précipite à l'extérieur avant que les larmes ne franchissent mes paupières.

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