Chapitre 20. Du vécu
"Le poids des années te rend souvent seul, t'es rieur
Oui, mais d'vant la foule, tu refoules tes souffrances intérieures
Hier, j'aimais pas les corvées mais j'y allais quand maman m'disais
Mon premier pote mort, j'ai chialé comme un môme
17 ans, j'étais un SDF, moi qui pourtant détestais perdre
J'ai eu de l'aide et j'oublie pas les gestes des frères"
Deux mois plus tard
Ma mère a tué un garçon pour me sauver la vie.
Involontairement, mais elle l'a tué.
Quand Cheikh m'a mis le troisième coup de shlass, elle s'est jetée sur lui pour le pousser, sa nuque a heurté le rebord de la table basse en métal. Il est mort sur le coup.
Elle sera jugée d'ici six ou sept mois, quand l'enquête pour déterminer s'il s'agit ou non de légitime défense aura pris fin.
Son avocate a bon espoir. Non seulement il y avait pas d'intention de tuer, mais en plus elle l'a fait pour m'éviter la mort.
J'ai été opéré en urgence et passé quinze jours à l'hôpital. Une fois sortis de garde à vue, mes parents sont venus tous les jours.
Je crois que mon daron est fier de moi, même s'il dit que j'ai été très con.
Le mois dernier, Prince, Moussa et le cousin de Cheikh, ont été retrouvés pendus dans une cave. Mes parents ont été auditionnés, mais Dieu merci, leur alibi était en béton. De toutes façons c'est pas eux.
Ilona a quitté Paris. Elle vit en banlieue Sud et a trouvé du travail dans un magasin de vêtements. On s'appelle parfois. Elle dit rien mais on sait tous les deux que c'est son père qui a buté les trois gars.
Mon daron m'a enfin expliqué comment ils se connaissaient, ils travaillaient au black sur le même chantier quand ils étaient jeunes et ils se sont recroisés plusieurs fois depuis, rendus quelques services de temps à autre.
J'ai été jugé pour "menace avec arme" contre Cheikh, j'ai eu de la chance que ce soit considéré comme tel. J'ai pris un mois de sursis et d'après l'avocat, je m'en sors bien. L'amende en revanche, elle était pas avec sursis.
On s'est un peu repliés sur nous mêmes ces derniers temps, juste nous cinq. Comme ma mère a une vie de famille et qu'elle se comporte bien, elle peut être libre jusqu'au procès, mais du coup mon daron a un peu mis en pause toutes ses activités au label. Ma mère forme à mort ses employées à l'école, au cas où elle devrait finir en taule. Ils passent beaucoup de temps ensemble en ce moment, mes parents.
Bientôt j'espère, je pourrai reprendre mon travail chez Tom, mais je suis pas trop pressé non plus, parce que j'ai vraiment envie de rester avec ma mif. Même si on parle pas vraiment plus qu'avant, on a juste besoin d'être dans la même pièce pendant des heures.
Ma mère, on dirait pas qu'elle a brisé la nuque d'un type à peine majeur, elle reste archi forte. Mais parfois je les entends parler à voix basse, je crois quand même que ça lui fait un truc. Je la comprends, parce que je peux pas m'empêcher de me dire que si quatre types sont morts, c'est à cause de moi.
Même si c'est eux qui ont voulu jouer aux cons, c'est eux qui ont violé Ilona, je me dis qu'ils l'auraient peut-être jamais fait s'ils avaient pas croisé mon chemin.
Ça fait vraiment bizarre d'avoir échappé de peu à la mort, un peu comme si subitement, je me trouvais face à une nouvelle responsabilité. Un peu comme si la vie me laissait une nouvelle chance en me demandant de pas la manquer, cette fois.
En vrai, toute cette histoire, ça a un peu fait du drama dans la famille, Lucie en a mis plein la gueule de ma mère en disant qu'elle aurait jamais dû y aller. Même si en soi elle a pas tort, je pense qu'on avait pas besoin d'elle pour le savoir. Elles se sont fait la tronche pendant presque un mois, mon père allait seul chez son frère. Maintenant ça va mieux mais ça reste un peu tendu.
Deen avait grave envie de lui faire la morale aussi, mais il a senti que le plus important c'était de la soutenir. Finalement je crois qu'ils sont encore plus proches qu'avant. D'ailleurs les Castelle sont venus me voir un nombre incalculable de fois quand j'étais à l'hôpital. Léo m'a fait une bonne quinzaine de dessins, toujours de moi en train de défoncer des mecs. Il me prend pour un super-héros alors que je suis exactement l'inverse.
Pour l'instant je retourne pas trop chez eux, bizarrement ça me rend un peu... Je sais pas. Quand je pense aux Castelle, j'ai une sorte de cafard zahma... Ça me manque. Pourtant je suis bien chez moi et j'ai pas du tout envie de partir.
Un jour je trouverai peut-être un moyen de les remercier de ce qu'ils ont fait pour moi.
*****
Je suis affalé sur le canapé avec Nej', ça fait vingt minutes qu'on se dispute pour la télécommande. C'est vraiment histoire de passer le temps parce qu'il y a que de la merde.
— Sah pourquoi tu mates ça ? lui dis-je, Tu vas finir aussi conne que ces vieilles meufs en string archi refaites.
Elle lève les yeux au ciel, mais vraiment je comprends pas comment elle peut être divertie par ce genre de conneries où tout le monde gueule et baise h24.
— Tu crois que c'est mieux de regarder des mecs décortiquer les match de football pendant des heures ?
— Bah ouais. Au moins ça donne pas un mauvais exemple aux filles comme toi, après vous finissez à foutre des photos à moitié à poil sur les réseaux pour faire comme ces tchoins. Téma le Instagram d'Ania, on voit la moitié de ses eins sur toutes les photos. Le jour où je vois que tu fais ça, j'te nique ta race.
Nejma ricane et me lance un coussin dessus.
— Déjà c'est pas toi qui m'éduque. Et ensuite, le foot c'est pas mieux, à cause de ce genre d'émissions vous croyez trop que vous allez percer dans le football. Du coup vous foutez rien en cours et vous finissez au chômage à regarder le foot à la télé et à vous prendre pour des pros à juger les performances de ceux qui ont réussi.
Oui bon c'est pas faux. "Je devais passer pro mais je me suis blessé, ligaments croisés, mon frère." Combien de fois j'ai entendu ça.
La porte d'entrée claque et un bruit de pattes qui courent sur le parquet se fait aussitôt entendre. Dans la seconde, Draxler nous saute dessus comme un fou.
— Raaah mais casse-toi avec ta langue pleine de bave, se plaint ma reus en repoussant le staff qui se met à geindre et à tourner dans tous les sens.
Je le pousse avec le bout de mon pied mais il saute sur le canapé pour venir me faire chier avec ses léchouilles affectueuses.
— Drax ! Canapé ! fait fermement la voix de mon daron.
Il descend aussitôt pour se jeter dans les jambes de son maître, qui grogne à l'intention de ma mère qui le suit :
— Maya tu gâtes beaucoup trop ce clebs, regarde ça.
En ce moment ils sortent tout le temps le chien ensemble, je sais pas si c'est parce que ça leur permet de parler ou quoi, mais depuis ils se disputent un peu moins.
— Qu'est-ce que vous regardez encore comme merde à la télé ? Nejma éteins ça c'est un ramassis de conneries.
— Mais Papa....
Un sourcil se hausse sur le visage de mon père. Va falloir qu'il soit prêt parce que la tipeu est en train de rentrer dans la crise d'ado. Ça va lui faire tout drôle.
— Éteins ça j'ai dit, il est où Amir ?
— À la boxe, réponds-je, Il devrait pas tarder.
Ma mère se penche vers moi pour embrasser mon front puis fait de même avec ma soeur avant de se laisser tomber à côté de moi, étendant ses longues jambes sur la table basse. J'ai un instant de panique en me disant que peut-être, dans quelques mois, elle ne pourra plus faire ce genre de gestes.
Mais non, légitime défense, ça va passer...
Mon frère rentre à son tour, il a l'air un peu bizarre depuis quelques jours, faudra que je le cuisine, je suis sûr à 300% que c'est une histoire de meuf.
On se retrouve tous à table ce soir là, et encore une fois ça me fait un effet chelou. Avant que mon père me tej de la maison, quand il y avait pas d'invités, le soir chacun mangeait un peu dans son coin, ma mère laissait des trucs dans le frigo et on se démerdait.
— Comment tu te sens ? me demande cette dernière en me voyant étouffer une grimace quand je tends le bras pour attraper le sel, Tu as mal ?
J'ai passé un mois entre mon lit et le canapé. J'avais des soins infirmiers tous les jours pour changer les pansements. Comme on m'a retiré une partie des intestins et que j'ai perdu une quantité assez impressionnante de sang, je pouvais presque rien faire sans souffrir ou me mettre à trembler. C'était horrible je me sentais tellement faible, ça me faisait enrager. Le pire, c'était le traitement bourré de codéine qui me donnait un peu l'impression de planer toute la journée. Mais pas planer comme avec la beuh, c'était plus comater allongé à attendre que ça passe. En fait j'étais pas capable du moindre effort physique, il a fallu plusieurs semaines pour que je récupère la totalité de mon sang. Rien que monter les escaliers c'était un calvaire.
— Ça va, réponds-je.
C'est devenu un refrain quotidien.
"Ça va t'inquiète."
"Ouais ouais ça va."
"Nan j'ai pas mal."
C'est pas comme si le fait de me plaindre allait améliorer mon état. Mais ça me fait enrager, j'ai envie d'aller courir, de taper un foot, de me remettre au sport.
Au lieu de ça je dois me coltiner des séances de rééducation douloureuses à faire du gainage pour retrouver mes abdominaux.
J'ai trop maigri avec les régimes spéciaux et mon absence d'activité physique. J'ai jamais aussi peu ressemblé à mon reuf. On dirait qu'il est une version ultra pimpée de moi.
— Maman, demande Nejma, je peux poser une question qui fâche ?
Tous les regards se tournent vers elle, chacun retient un peu sa respiration quand ma mère hoche la tête.
— Si tu vas en prison, vous allez quand même rester mariés hein ? Papa va pas trouver une nouvelle femme ? Je veux pas de belle-mère...
Les parents échangent un regard, mon père se racle la gorge, Amir a l'air passionné par le pois chiche qu'il triture avec le bout de sa fourchette.
— Nej, ta mère va pas aller au hebs. Dis pas des choses comme ça tu vas nous porter l'oeil.
Il devient de plus en plus superstitieux avec l'âge c'est ouf. Mais pour autant, il poursuit :
— Et si ça arrivait, je vois pas pourquoi j'irais chercher une autre femme.
On sait tous qu'il en dira pas plus, mais y'a tellement de fermeté dans sa voix que sa suffit à nous rassurer.
Et en même temps je viens de capter un truc que j'avais pas remarqué jusqu'à maintenant. Sa main s'est un peu mise à trembler et il serre beaucoup trop fort le manche de sa fourchette.
Putain il flippe.
J'arrive pas à y croire, mon daron a peur.
— Je ne vais pas aller en prison.
Elle l'a dit autant pour lui que pour nous.
Un silence un peu pesant s'installe à table et chacun finit son assiette sans rien dire. J'ai plus vraiment faim.
Puis soudain un reniflement de la part de ma mère nous fait tous écarquiller les yeux. Putain je pourrai pas supporter si elle chiale.
Il leur arrive quoi ce soir ?
Avec mon frère, on échange un coup d'oeil tendu, ça me fait grave flipper cette attitude.
Puis mon regard dévie sur mes parents, elle a pris sa main, j'ai la sensation de voir leur faiblesse pour la première fois et pourtant... Je les ai jamais trouvé aussi solides. On dirait un concentré de force, un bloc, un putain de bunker.
— Si Papa est parti, murmure alors ma mère à voix presque inaudible, C'est parce que je lui ai demandé de le faire... Il n'a jamais voulu nous quitter. J'avais besoin de temps.
Je crois que personne a vraiment envie d'en parler.
T'façon, elle a pas tellement besoin d'en dire plus. Avec cette phrase, on comprend facilement.
Il voulait un quatrième enfant, elle était pas trop pour parce qu'elle voulait vraiment développer l'école de danse. Et puis ma mère, on va pas se mentir, elle a beau être une vraie louve avec ses gosses, c'est pas la femme avec l'instinct maternel le plus développé au monde. Pas comme Violette qu'aurait pu avoir cinq ou six enfants facile si Deen avait pas été aussi vieux.
Mais finalement elle a accepté et, peut-être parce qu'elle l'a pas vraiment voulu, ou alors parce qu'elle en faisait beaucoup trop, elle est tombée dans les escaliers à l'école, s'est pété le poignet et a perdu le bébé à cinq mois et demi de grossesse.
Après ça y'a eu un froid de malade pendant presque un mois à la maison. Puis ils ont commencé à se disputer. Tous les jours, toutes les heures.
Et un jour après une dispute d'une violence qui me glace encore le sang, il est parti en nous demandant de veiller sur elle.
Maintenant je comprends juste qu'il l'a pas abandonnée dans sa peine, c'est elle qui l'a écarté parce qu'elle arrivait pas à lui pardonner.
— Je ne vais pas aller en prison. Et personne ne quittera plus personne. On est beaucoup plus fort que ça chez les Akrour.
*****
Comme souvent, je suis tout seul à la maison, en bon petit convalescent. Sah j'en ai vraiment pire que marre, j'ai tellement hâte d'être en état de refaire du sport et de pouvoir retravailler.
Quand la sonnette retentit et que Drax aboie je pousse un grognement de mécontentement. J'ai pas envie de voir du monde, je me suis vraiment levé du mauvais pied ce matin. Mais j'y vais quand même, parce que ça peut être important.
À ma grande surprise, je tombe sur Jade.
Sur Jade en larmes.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Amir est pas là.
— Ilyes je...
Elle finit pas sa phrase et se jette contre moi.
Aïe.
Ma respiration se bloque un instant, peut-être à cause de la douleur, peut-être à cause du contact physique, j'en sais rien.
Puis comme elle pleure vraiment comme un bébé, je referme maladroitement mes bras autour d'elle, allant même jusqu'à caresser un peu la pointe de ses cheveux.
J'ai aucune idée de ce qu'elle a, si c'est à cause de Naël ou complètement autre chose. Mais elle a l'air vraiment bouleversée.
Il faut presque un quart d'heure avant qu'elle se détache de moi pour frotter ses yeux et renifler.
— Tu veux monter ? je lui demande, Pour parler au calme.
Elle hoche la tête et me suit jusqu'à ma chambre. Je m'allonge à moitié et elle se pelotonne dans l'angle formé par le lit et le mur, ramenant ses jambes contre sa poitrine.
J'attends qu'elle parle, je suis pas pressé. T'façon j'ai rien d'autre à faire de ma journée.
— Papa est en voyage en ce moment et... J'ai voulu lui faire la surprise de faire le ménage à fond dans son bureau... J'ai tout nettoyé...
Jade s'interrompt pour s'essuyer les yeux encore une fois.
— J'ai trouvé des lettres de lui, il y en a des centaines. Pour sa fille. Pas moi, pas Romy. Une autre. Plus vieille... D'une autre femme...
Putain de merde.
La conversation entendue à Toulon me revient aussitôt en mémoire. Jade éclate une nouvelle fois en sanglot et pour le coup je la comprends. Si j'avais appris un truc comme ça à sa place j'aurais déjà niqué toute la baraque.
Je sais pas trop quoi dire pour le moment. Alors je me tais. Mais ma main vient trouver la sienne et je tire un peu dessus pour lui faire comprendre que je veux bien faire un nouvel effort de proximité dans ce cas si exceptionnel.
Jade se réfugie dans mes bras et pendant quelques secondes, je pense à Iris, la seule avec laquelle j'avais pas de problème à être tactile. Elle me manque putain. Il faudra que je l'appelle. Et puis peut-être qu'elle sait des choses sur tout ça.
Je crois qu'on arrive au moment où je vous dis au revoir, Jade racontera mieux que moi la suite des évènements. Sûrement qu'elle sera un peu plus fragile, mais je serai dans le coin, alors ça relèvera le niveau.
C'est assez ouf parce que je m'attache pas à grand chose ni à grand monde, mais vous voyez, à force de vous avoir dans ma tête, je crois que je me suis un peu attaché à vous.
Enfin bref, croyez pas qu'on est potes non plus.
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