Chapitre 2. Princesse
"Mais t'es qu'une enfant qui déguise sa peine, et ton visage angélique change quand tu mélanges des liqueurs..."
Ma sœur est totalement pétée, je crois que c'est la première fois qu'elle boit. Enfin j'espère. Elle raconte n'importe quoi, ne tient plus debout, et je comprends qu'il est grand temps de rentrer. Le problème, c'est que si je la ramène, je laisse Iris a ses conneries et Dieu sait comment cette soirée peut se terminer.
— Jade, est-ce que tu crois qu'Ania peut dormir chez toi ? Je viendrai la chercher demain matin, il faut que je reste ici pour empêcher que ça dégénère.
La jeune fille hoche la tête et sort son portable pour appeler son père. Ma sœur rigole, assise par terre, les yeux dans le vague. Je vais me faire défoncer, j'aurais dû être là pour la surveiller, pas être en train de me laisser manipuler par Iris et ses mains baladeuses.
— Allô Papa ? Tu peux venir me chercher ? Est-ce qu'Ania peut dormir à la maison ?... D'accord merci... Oui.
Je reste une bonne demi-heure sur le parking avec les deux filles et Amir qui enchaine les cigarettes en râlant contre sa cousine.
— Sah à quoi ça sert de boire comme ça ? T'as zéro endurance ma pauvre fille, va falloir t'entraîner avant de te mettre des grandes doses.
— Va falloir rien du tout, le reprends-je, Elle vient de prouver qu'elle était pas capable de se maîtriser, elle boira plus, c'est tout.
Deen finit par arriver, j'ai un peu peur de sa réaction en voyant l'état d'Ania. Mais il se contente de secouer la tête de droite à gauche.
— Eh baaah, les chiens font pas des chats, lance-t-il, c'est fou c'que tu ressembles à ton père, gamine. T'as pas intérêt à béger dans ma caisse, sinon tu marches jusqu'à Auber j'te préviens. Chérie, emmène la dans la voiture, faut que je parle à Naël et Amir.
Jade soutient Ania jusqu'à la voiture de Deen et se retourne vers nous pour nous sourire timidement, je lui réponds par un clin d'œil et elle se dépêche de disparaître derrière la portière. J'ai un peu peur de me faire engueuler mais il n'en est rien.
— Je veux pas savoir ce qu'il se passe là-dedans, mais si vous arrivez pas à gérer, appelez vos darons.
J'aimerais éviter d'en arriver là, ce serait perdre pour toujours la confiance d'Iris et j'ai besoin qu'elle me fasse un minimum confiance pour pouvoir continuer de la protéger d'elle-même et des voyous qui l'entourent.
— T'inquiète on se débrouille, réponds-je, ça ira mieux en sachant que Jade et Ania sont plus là.
— Elle est où Aby ? demande-t-il.
Je lui indique que 2zer est venu la chercher une petite heure auparavant et qu'il était déjà bien énervé.
— Parfait, bon allez, je me tire, Violette et Romy t'embrassent, et on t'attend pour dîner lundi soir, comme d'hab ?
C'est le rituel depuis que je suis en prépa, après mes cours du lundi soir, je dîne chez les Castelle, pour mon plus grand bonheur. Je suis fan des trois enfants, Jade que vous connaissez, Romy, jeune boule de nerfs complètement adorable, et le petit Léonard qui aime raconter à tout le monde des histoires complètement fantasmagoriques. Et puis je peux voir Violette, et ça c'est bien.
— Allez, passez le Salam à vos darons. Ciao les jeunes, et toi Amir, arrête de fumer c'est un truc de victime.
Deen disparaît et je me tourne vers mon cousin qui lève les yeux au ciel devant le manque de crédibilité de notre oncle adoptif.
— Wesh sa femme c'est limite si elle fume pas plus que oim, et il dit que c'est un truc de victime.
Je ne lui dis pas que ça fait des années qu'il lui demande d'arrêter de fumer et que Violette n'y arrive pas.
— T'as seize ans, Amir.
Il plie les lèvres et jette son mégot d'une pichenette avant de retourner à l'intérieur.
— Il est où Arthur ? je demande en cherchant mon meilleur ami du regard.
La réponse arrive très vite quand les cris d'Iris nous parviennent à travers la musique. Amir et moi poussons un soupir en chœur et nous rapprochons des toilettes, que la jeune fille a apparemment rejoint.
Ilyes est assis par terre sur le carrelage, ses yeux transparents fixent un point qui n'existe pas, je comprends qu'il est K.O pour le reste de la soirée, ce qui n'est pas plus mal. Arthur tient sa sœur par la taille, elle hurle en tentant de se débattre pour atteindre un sachet posé dans le lavabo.
Les deux autres de tout à l'heure ont disparu.
— C'est quoi encore ce bordel ? demande Amir.
Ilyes lève vaguement les yeux vers son jumeau et un sourire pâle flotte sur ses lèvres avant qu'il ne renverse la tête contre le mur.
— J'suis tellement foncedé, fait-il d'une voix faible...
Amir le relève vigoureusement.
— J'vais le faire marcher, on va rentrer à pied, indique-t-il, tu gères Iris ?
J'opine de la tête, de toutes façons c'est toujours pareil.
Au même moment, elle est prise d'une violente quinte de toux et son frère la lâche alors qu'elle se jette sur le lavabo pour vomir.
— Allez-y tous les trois, je murmure, Je m'en occupe.
Je saisis les boucles brunes d'Iris et dégage sa nuque et son visage pendant que mes cousins et Arthur sortent en faisant connaître leur dégout. J'ai l'impression de passer ma vie dans cette situation.
— Allez, ça ira mieux après, fais-je en m'efforçant de supporter les bruits épouvantables qu'elle produit.
Au bout de quelques minutes, la crise se calme et après lui avoir fait rincer la bouche et passé le visage sous l'eau, je lui tends du papier pour qu'elle se sèche.
Pour le coup, je la trouve affreuse, son maquillage a coulé sur ses joues, elle est pâle comme la mort et ses yeux sont si rouges qu'on dirait une pub anti-drogue.
— Est-ce qu'un jour tu vas t'arrêter, je souffle en repoussant ses cheveux collés à son visage.
Mais elle secoue la tête de droite à gauche et laisse retomber son front sur mon épaule. Je suis épuisé de passer ma vie à la récupérer dans cet état.
— Tu peux dire à tout le monde de partir ? l'entends-je murmurer, je peux pas les laisser me voir dans cet état, je suis affreuse.
Effectivement. Je suis tenté de la forcer à aller leur dire elle-même, ça lui ferait les pieds de montrer aux gens son vrai visage. Mais Iris est une princesse, et une princesse obtient toujours ce qu'elle veut.
— S'il te plaît Naël, après je rentre avec toi, c'est promis.
Je pousse un soupir et m'apprête, comme toujours, à jouer le rôle du parfait rabat-joie. Je rejoins la salle où les gens dansent toujours, vais voir le DJ et lui demande couper la musique. Il le fait, les gens râlent, je leur demande de partir, ils m'insultent, je leur ordonne de partir. La salle finit par se vider et après avoir récupéré les clés, vérifié qu'il n'y a plus personne hormis Iris et moi, j'éteins les lumières sur le désastre et vais récupérer la reine de la soirée.
— Allez, on dégage.
Elle ne me remercie pas, je n'attends pas de remerciements de sa part, parce que je crois que c'est un mot que je n'ai jamais entendu dans sa bouche.
Je la soutiens jusqu'à ma voiture avant de l'aider à s'assoir sur le siège passager. Elle ferme aussitôt les yeux et à peine ai-je rejoint ma place que sa tête tombe lourdement contre la vitre.
Parfait, si elle dort, elle ne devrait pas revomir pendant le trajet.
Je la réveille quand je me gare devant l'immeuble des Samaras.
— Iris, on est chez toi.
Elle entrouvre les paupières sur ses prunelles sombres et me lance un regard implorant. Putain ça me saoule, je déteste quand elle fait ça, c'est toujours le même cirque.
— S'il te plaît... chuchote-t-elle.
— Descend, j'ordonne d'une voix qui se veut ferme.
Iris continue de me fixer et je regarde ailleurs pour ne pas me laisser amadouer par son regard de chienne battue.
— Naël... me laisse pas avec eux...
Je serre mon volant si fort que les articulations de mes mains blanchissent. Les doigts d'Iris glissent sur ma cuisse et je sursaute.
— Ne me touche pas, ou je te jure que je te laisse sur le trottoir, vue ta tenue, ça t'ira bien comme décor.
Elle ricane, mais enlève tout de même sa main. Je me tourne vers elle en poussant un soupir.
— Tu sais, tu pourras pas toujours compter sur les autres pour réparer tes conneries, Iris.
Je la regarde fixer le pare-brise avec un air cynique. Comment peut-on être aussi jeune et désabusé à la fois.
— Je m'en fous, j'ai l'intention de vivre tout ce qu'il y a à vivre, et caner le plus tôt possible.
C'est pas la première fois que je l'entends dire ça. Mais je suis persuadé que c'est pour se rendre intéressante et que dans dix ans elle se foutra de sa propre gueule.
— Allez, descend.
— Naël, s'il te plaît... Arthur a déjà dû tout balancer... me laisse pas avec eux.
Iris sait parfaitement que je vais craquer. Parce qu'à chaque fois c'est le même délire, elle me traite comme une merde, elle se met minable, je la récupère, elle a besoin de moi, et puis elle me traite de nouveau comme une merde. Un long cycle sans fin, parce que même si je la déteste, je tiens trop à elle pour la laisser se détruire.
Et puis s'il lui arrivait quelque chose... Mon Dieu dans quel état serait la famille après ça.
— Naël...
Je rends les armes et redémarre la voiture en m'insultant mentalement, je perçois un sourire victorieux sur les lèvres de l'adolescente et l'en déteste d'autant plus. Quelques minutes plus tard je me gare dans le garage de notre immeuble et Iris manque de s'écraser sur le sol en sortant. Je fais le tour de la voiture pour la récupérer.
— Ils sont là tes parents ? demande-t-elle.
— Oui, et ils dorment alors tu vas rester discrète.
Je la tire vers l'ascenseur et elle se colle à moi, je soupire et entoure ses épaules en espérant qu'elle va finir par se ranger.
À peine arrivé chez moi, elle se précipite vers les toilettes pour vomir de nouveau, je prie pour que mon père ne se réveille pas et je la suis pour l'aider. Puis je l'entraîne à la salle de bain pour la mettre, habillée (enfin si on peut considérer sa robe comme un vêtement), dans la baignoire et l'arroser avec de l'eau tiède.
Elle hoquète un moment, je chasse les dernières traces de maquillage sur son visage et tout de suite, je la trouve beaucoup mieux. C'est fou comme ce masque la rend à la fois moins belle et plus dangereuse.
Après l'avoir enroulée dans une grande serviette, je pars chercher un pull et un short que je lui tend. Elle se déshabille et je détourne les yeux, on se connait depuis qu'elle est née, on prenait notre bain ensemble jusqu'à quatre ans, mais j'ai aucune envie de la voir nue maintenant.
Mon regard se pose sur le miroir et je me rends compte que j'ai une sale tête, machinalement je passe ma main dans ma tignasse bouclée, seule témoin physique de mes origines algériennes. On n'a pas un patrimoine capillaire facile chez les Akrour : ça boucle ou ça tombe. Mon oncle était tellement complexé par sa calvitie qu'il a fait mettre des implants, c'est étrange de le voir à nouveau avec des cheveux. Grisonnants certes, mais des cheveux.
— T'as fini de te mater comme si t'étais la huitième merveille du monde, me nargue Iris.
Je me retourne vers elle, rassuré de voir qu'elle s'est habillée.
— Allez, au lit. T'as la chambre d'Ania si tu veux.
Même si nous savons tous les deux qu'elle n'y dormira pas et qu'il ne reste plus que le clou du spectacle pour cocher la dernière case de la check-list des soirées d'Iris.
Un
deux
trois
Elle fond en larmes en tombant assise sur le carrelage de la salle de bain.
Et voilà, c'est parti pour la redescente. Je la récupère sur le sol et elle se cache entre mes bras pendant que je l'emmène dans ma chambre.
Ne croyez pas que ce sont des fausses larmes, les fausses larmes d'Iris, je les connais par coeur, elle les garde pour son père. Il n'y a que deux personnes qui l'ont déjà vue dans cet état. Mohammed, et moi. À croire que nous sommes les seuls à savoir qui elle est vraiment derrière sa carapace de merde.
Je m'assoie sur mon lit et elle pleure pendant vingt minutes, je vous jure que c'est très long quand quelqu'un sanglote dans vos bras.
— Pourquoi faut toujours que ça finisse comme ça, je demande en soupirant.
— Parce que t'es le seul qui me connaisse vraiment...
C'est la vérité, je sais absolument tout d'elle, parce que c'est toujours quand elle est dans cet état qu'elle se met à parler. À dire tout ce qu'elle a vraiment sur le coeur, et je peux vous dire que c'est pas joli joli.
Elle a tellement de secrets.
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