Chapitre 2. Pillowtalk

« Pillow talk
My enemy, my ally
Prisoners
Then we're free, it's a thriller »

Les cris d'un enfant me percent les tympans.

Le voilà contre moi, mon bébé.

Je ne l'ai pas voulu, mais maintenant je suis si heureuse qu'il soit là.

Même si je suis toute seule. Même s'il n'a pas de père.

Mais pourquoi hurle-t-il si fort ?

Ça me fait mal au crâne, vraiment.

Chut tais toi, je suis ta maman. On va vivre ensemble.

Mais il ne s'arrête pas ! C'est assourdissant, de plus en plus fort.

Les décibels augmentent.

Tais toi. Tais toi je t'en supplie, ce n'est pas ma faute.

Il hurle, il hurle. Il ne s'arrête plus.

Je le serre contre moi, de toutes mes forces.

S'il te plaît arrête, ce n'est pas ma faute. Moh l'a dit, je n'y suis pour rien.

Le nouveau-né continue de hurler, toujours plus fort, je vais mourir.

La colère et l'impatience me gagnent. Arrête.

Je l'attrape furieusement sous les aisselles.

Tu ne devrais pas hurler ce n'est pas ma faute.

Un cri surpuissant traverse l'enfant et ses yeux se révulsent. Il est si rouge.

Il me hait déjà, il sait que c'est ma faute, il me juge.

Je ne pourrai jamais être sa mère.

Mes oreilles bourdonnent, il me juge, il me hait. Je ne supporte plus ses cris. C'est inhumain.

Arrête de hurler, arrête.

L'intensité monte, je n'en peux plus, je le lâche pour coller mes mains à mes oreilles.

Les cris s'arrêtent brusquement, je baisse les yeux.

Cette fois c'est moi qui hurle.

Mon bébé. Il gît sur le sol, inerte. Sa minuscule tête fracassée en mille morceaux.

Je me précipite, je me jette, je pleure, je cris.

Mais trop tard. J'ai tué mon bébé. Mon tout petit bébé.

Il me faut Naël vite, il n'y a que lui qui peut tout sauver. Il sauve toujours tout. Il va nous sauver encore.

Je cours dans l'appartement pour appeler Naël, il ne répond pas. Où est-il.

Naël.

Mais oui. Lui aussi.

Il n'y a plus mon bébé, il y a le corps inerte de Naël couvert de sang. Et le sang, le sang, partout. Sur mes mains.

J'ai tué Naël.

J'ai tué Naël.

Naël.

Iris !

En sueur, complètement tremblante je me redresse violemment dans un lit qui n'est pas le mien. Mon souffle est saccadé, mon cœur bat la chamade et je sens mon sang bouillonner dans mes veines.

Ça va ?

Je me tourne vers la voix. Putain c'est Joël. Ouf.

De tous les plus immondes connards avec lesquels j'ai pu coucher, Jo est le plus gentil.
Je suffoque et le garçon me tend un verre d'eau.

Il a vingt-deux ans, ne veut pas d'attaches et pas de copine. Moi non plus. En tant que coach sportif il a un succès conséquent et les filles défilent dans son lit. Il les revoit rarement. Moi si.

Même si la crise d'angoisse me guette, je suis soulagée d'être chez lui et non pas n'importe où.

— Je vais rentrer, je murmure en séchant mes larmes avant de me rhabiller.

— Je vais te ramener.

Je hoche la tête pendant qu'il sort son mètre quatre-vingt-dix du lit.

Le pauvre. Ce n'est pas la première fois que ça arrive.

Mais il ne pose pas de question. C'est Jo.

Le jeune homme me détaille en frottant ses cheveux crépus coupés très courts.

— Dépêche, fait-il, je dois aller courir ensuite.

J'acquiesce et il me tend un sweat que j'enfile, toujours tremblante. Puis je le suis jusqu'à sa nouvelle voiture dont il est super fier. Un jolie petite BM.

Il faut dire que quand je l'ai rencontré, il débarquait d'Abidjan sans un sou en poche, avec pour seuls atouts une persévérance hors du commun et une grande maîtrise du sport. Pour démarrer à Paris ça n'a pas été très facile, mais Joël est un bosseur, il a passé rapidement le concours qu'il fallait tout en enchaînant les boulots de merde. Et on peut dire que ça a payé car il entraîne maintenant des boxeurs professionnels.

— Je suis venue quand chez toi ? je demande sur le chemin.

— T'es pas venue, je t'ai récupérée vers le champ de mars, complètement défoncée hein.

Ah oui.

Je ne me souviens de rien.

— Tu m'as sauté dessus, comme si tu m'attendais depuis des années.

Tu m'étonnes.

Vu les courbatures que j'ai, il n'a pas du se priver.

Le reste du trajet se passe sans que nous échangions un seul mot. Le jour se lève, avec un peu de chance les Akrour ne seront pas réveillés et personne ne saura que j'ai découché.

— C'est là.

Joël se gare et j'entrouvre la portière en lui disant au revoir.

— On s'appelle.

— Fais attention à toi d'ici-là, ma belle.

Conseil inutile, je me fiche pas mal de faire attention à moi.

Quand j'ouvre la porte de l'appartement, je fais très attention à ne pas faire de bruit, malgré mes mains qui tremblent.

Tout est plongé dans le noir, parfait, ils dorment encore. Je ne regrette pas d'avoir laissé mon portable ici, ça m'a évité d'appeler Naël au moment où j'avais besoin de lui.

Un flash de mon cauchemar me revient aussitôt, le sang sur mes mains, le corps de Naël...

J'ai une furieuse envie de le rejoindre dans sa chambre, il est forcément là.

Mais je me retiens, parce qu'il va sentir que je suis stone. Il sent toujours ce genre de choses.

À pas de loup, je gagne ma chambre et referme la porte avec précipitation derrière moi, comme si j'avais peur que quelqu'un m'ait suivi.

Je pose mes affaires dans un coin, et jette un regard en direction de mon lit. C'est là que je vois que Naël est endormi dessus, mon cœur se serre, il est tout habillé et il tient mon portable dans ses mains.

J'ai un peu honte de moi je l'avoue, mais je suis touchée de le voir là.

Après avoir enfilé des vêtements adaptés pour dormir, je me glisse dans le lit à côté de lui. Il ne réagit pas tout de suite, profondément endormi. J'observe son profil délicat qui se détache dans la pénombre de la chambre, tellement soulagée de le voir bien vivant à côté de moi.

Ce n'est qu'au moment où je me blottis contre lui qu'il se réveille en se redressant brusquement.

— Iris !

Sa voix est fébrile et paniquée, ses yeux s'écarquillent en me voyant.

— Oui, je suis là, réponds-je alors dans un chuchotement.

La surprise sur son visage laisse soudainement place à de la colère, il fallait s'y attendre.

— J'ai tourné pendant quatre heures en voiture dans Paris pour essayer de te trouver.

Il parle à voix basse, mais sans douceur.

— Je suis rentré vers minuit, j'ai voulu aller voir si tout allait bien, je ne t'ai pas trouvée, mais j'ai trouvé tes médicaments et ton portable, ça m'a suffi. Pourquoi tu m'as fait ça ce soir Iris ? C'était ta vengeance ? Je ne peux pas passer un soir loin de toi sans que tu me le fasses payer en faisant des conneries ?

Mais moi... Je ne voulais pas lui faire de mal. Je voulais juste oublier que j'avais mal.

— C'était pas une vengeance... Je voulais pas que tu t'occupes de moi ce soir, c'est pour ça que j'ai laissé mon portable. C'est juste... j'ai craqué c'est tout.

Il s'assoit en tailleur sur le lit et me regarde avec aigreur, je m'en veux vraiment de lui avoir fait passer une mauvaise nuit... Mais je n'imaginais pas qu'il s'inquièterait pour moi. Il devait simplement profiter de sa soirée avec Sofia.

— Pourquoi tu m'as rien dit hier soir ? Je sentais que t'étais mal, t'aurais dû me le dire clairement. On aurait pu trouver une solution.

Mais pour une fois... Je voulais juste ne pas être un poids pour lui... Le laisser libre après la journée qu'il avait passé avec moi. Résultat, je crois qu'il est encore plus en colère que si je l'avais empêché d'y aller hier soir.

— C'était bien ? Avec Sofia ? je demande à mi-voix.

Naël écarquille les yeux, l'air outré que j'ose changer de sujet.

— Tu te fous de ma gueule ?

Ah oui, quand même, il est très énervé. Je baisse les yeux et sans y prendre garde, gratte fébrilement mon avant-bras. L'une des mains du jeune homme enferme alors mon poignet et l'autre attrape mon menton pour me forcer à le regarder.

— Tu me demandes si c'était bien, alors que j'ai passé la soirée à m'inquiéter pour toi, j'arrivais pas à être concentré sur ce qu'il se passait, je t'ai envoyé trois messages, je n'aurais pas dû, ça m'a angoissé encore plus. Résultat je suis sûr qu'elle a passé une soirée de merde elle aussi. Même si...

Même si quoi ?

Naël, me lâche, il paraît hésiter, comme si la colère lui avait fait en dire trop.

— Elle m'a embrassé en partant.

Oh.

Je crois que le fait de savoir que je ne suis plus la seule fille avoir posé mes lèvres sur celles de Naël me fait un peu plus de mal que je ne voudrais bien l'admettre.

Je suis vraiment trop possessive c'est hallucinant.

— Ça veut dire que vous êtes ensemble ?

— Je ne sais pas, répond-il précipitemment, On en a pas discuté. Je me sens pas du tout prêt...

Traduction : Nous ne sommes pas ensemble mais ça ne saurait tarder.

Il a l'air en pleine réflexion, je comprends que ce geste a vraiment dû le perturber mais qu'il n'a pas eu le temps d'y repenser, parce qu'il s'inquiétait pour moi.

D'ailleurs son visage se ferme de nouveau.

— Mais ce n'est pas le moment de parler de ça. T'étais où ? Et qu'est-ce que t'as pri ?

Je pousse de nouveau un soupir en baissant les yeux.

— Je... suis sortie et j'ai fini par dormir chez un ami.

Naël lève les yeux au ciel, il n'est pas idiot, il sait très bien qui sont mes « amis », il les déteste tous. Je ne crois pas qu'il ait déjà vu Jo, ou peut-être à mon anniversaire, c'était le seul invité.

— T'as pris quoi ? répète-t-il, Et comment t'es rentrée.

— Juste des anxiolytiques et un ou deux joints, j'ai pas bu. Je suis rentrée en voiture, il m'a ramenée.

— Il était sobre ?

Joël est toujours sobre, les bails à consommer et le sport, ça ne va pas ensemble, il ne boit ni ne fume. J'acquiesce et vois le jeune homme un peu soulagé.

— J'ai fait un cauchemar, c'est pour ça que je suis rentrée si tôt.

Les images me reviennent, c'était si réel.

Pourtant mon bébé n'a jamais vu le jour.

Pourtant Naël est bien vivant devant moi.

— Toujours les mêmes cauchemars ? demdande-t-il, Où tu tues tout le monde ?

Je réponds par l'affirmative, son expression s'adoucit un peu. Il finit même par se rallonger sur le dos. J'enfonce ma tête dans mon oreiller pour détailler son profil en même temps que mes lèvres tentent de mettre des mots sur ce que je vis en rêve.

— Ça commence toujours pareil, mon bébé pleure, c'est insupportable, puis je le lâche pour me boucher les oreilles. Et puis il est mort. Je te cherche ou je cherche Moh, et après je sais pas ce qu'il se passe mais le bébé n'y est plus. À la place il y a toi ou lui, et du sang partout. Sur mes mains.

Il se tourne vers moi, l'air vraiment triste. Chacun sur un coussin, nous nous fixons pendant de longues minutes, sans rien dire.

Mes paupières sont un peu lourdes, je sens que le sommeil me gagne de nouveau, ça ne m'angoisse pas quand il est là.

— Pourquoi c'est toujours Moh ou moi ? chuchote le jeune homme.

— Parce que c'était Moh et toi.

Ce sont eux qui sont venus me chercher, enfin, c'est Naël qui a donné l'alerte. C'est Moh qui est venu nous récupérer. C'est eux qui ont failli mourir. Et évidemment, tout est lié au bébé.

— Je me souviens même pas du film que j'ai vu avec Sofia, murmure-t-il, C'était épouvantable, j'étais trop inquiet.

J'aimerais lui demander pardon, mais tout comme « merci » , ce sont des mots qui ne sortent jamais de ma bouche.

— Tu culpabilises ? je demande, Pour Sofia je veux dire.

Un sourire aigre nait sur ses lèvre et il ricane à voix basse.

— J'ai culpabilisé de t'avoir laissé seule après ce qu'il s'est passé avec Sneazz, j'ai culpabilisé de ne pas être assez concentré sur Sofia pendant la soirée, j'ai culpabilisé de l'avoir l'aissée m'embrasser alors que je pensais complètement à autre chose et que ça ne m'a rien fait de particulier. J'ai passé ma nuit à culpabiliser en me disant que c'était ma faute s'il t'arrivait quelque chose, et maintenant je culpabilise d'être dans ton lit, alors que je devrais continuer d'être furieux contre toi.

Mon regard s'est perdu dans ses orbes sombres, il ne m'en veut pas vraiment. Pourtant je le fais souffrir, tout le temps.

Mais je ne sais rien faire d'autre...

— Tu as culpabilisé de m'avoir embrassée la dernière fois ? je demande.

Alors que je m'attends à ce qu'il baisse les yeux par gêne de me voir aborder ce sujet. Il se contente au contraire de me fixer plus intensément en réfléchissant.

— Non.

— Pourquoi ?

Naël frotte ses yeux et lorsqu'il repose sa main sur la couette elle frôle la mienne. Il commence alors à l'éloigner, puis se ravise et ses doigts retrouvent les miens.

— Parce qu'on n'a rien fait de mal, répond-il.

Sa voix est toute douce dans la pénombre, je ne le lâche pas des yeux, mon pouce s'est mis à faire des petits cercles sur le dos de sa main.

— Je sais pas si je te l'ai déjà dit, mais t'es beaucoup plus belle sans tout ce noir sur tes yeux.

Si j'étais moins blasée, brisée, fatiguée, son compliment m'aurait peut-être fait rougir.Mais là, il m'attriste un peu, comme s'il était adressé à une autre que moi, une fille que je ne suis pas et que je ne serai jamais. Une fille qu'il aurait pu aimer.

— T'as couché avec un mec qui t'aime pas cette nuit. Et moi, une fille pour laquelle je ne suis pas sûr d'avoir un jour des sentiments m'a embrassé. On dirait que c'est toi qui a fait le truc le plus grave, pourtant je crois que c'est moi.

Il se sent vraiment coupable, je crois qu'il ne va pas très bien.

— On peut dire qu'on est à égalité pour une fois, je murmure.

— Je n'aime pas l'idée d'être à égalité avec tes conneries, répond-Il.

— J'aime bien l'idée d'être à égalité avec les tiennes.

Un fin sourire étire brièvement ses lèvres. Je m'approche doucement. Nos nez se touchent presque.

— Tu veux que ce soit encore pire ? demande-t-il.

Quelle idée de me poser cette question !

Évidemment c'est ma vie ça, je saute à pieds joints dans des flaques de « pire » et éclabousse tout le monde autour de moi.

— Oui.

Ses lèvres rejoignent les miennes avec douceur. Je ne sais pas si c'est un test pour lui, s'il veut comparer avec ce qu'il a vécu plus tôt.

Mais moi, ça me fait peur.

Sa main a glissé sur ma joue, il me laisse un peu mener l'intensité du baiser que nous échangeons. Aucun garçon ne m'embrasse jamais avec tant de respect, c'est vraiment perturbant. Je suis presque frustrée de ne pas sentir ses mains se balader sur mon corps.

Mais en même temps c'est Naël, c'est bizarre d'embrasser Naël. Même si j'aime jouer avec le feu avec lui, je crois que je n'ai jamais pensé aux conséquences d'un rapprochement plus poussé que quelques baisers d'adolescents.

Je sens doucement mon souffle se raccourcir quand il prend appui sur son coude pour se placer un peu au dessus de moi.

Est-ce que j'ai envie de... ? Avec Naël ?

Je ne sais pas. C'est très étrange ce qu'il se passe, c'est le flou total dans ma tête. Pourtant il m'embrasse encore, de façon moins mesurée qu'au début.

Tester ses limites c'est mon truc, mais là j'ai l'impression d'être celle qu'il teste, enfin je n'en sais rien. Est-ce que je veux que ça s'arrête ?

Ses lèvres ont glissé vers ma mâchoire. Il est un peu fébrile.

Je crois que je le respecte trop pour lui offrir un corps sur lequel tant d'autres sont passés. Lui, il est pur, il est droit, vertueux, respectueux. Il ne peux pas perdre tout ça avec une fille comme moi.

Alors pourquoi je ne le repousse pas ?

Pourquoi mes doigts déboutonnent-ils sa chemise blanche froissée par la nuit ? Pourquoi mes lèvres cherchent-elles de nouveau à s'unir aux siennes ?

Parce qu'il me donne l'illusion du Salut. Et même si je sais que je vais tomber de très haut, j'ai besoin de croire, pendant ces quelques minutes volées à la réalité, que les putes peuvent devenir des filles bien quand elles croisent un gentleman.

— Iris, chuchote Naël entre deux baisers, Il faut qu'on se calme.

La peau de son dos est brûlante sous mes doigts, ça doit lui demander un effort surhumain d'abandonner enfin mes lèvres pour glisser son visage dans mon cou après un bref baiser.

— Je ne sais pas ce qui m'a pris, chuchote-t-il, pardonne moi, je te promets que je te respecte et que je ne cherche pas à profiter de ton corps.

Je le crois sur parole, pourtant je fonds en larmes et trouve bien vite refuge au creux de ses bras.

— On ne recommencera pas ne t'en fais pas, je suis désolé, dit-il encore contre mon oreille.

Sa main caresse doucement mes cheveux, il culpabilise. Encore.

— Pardon Naël, pour cette nuit. Pour tout. Rien n'est ta faute.

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