Chapitre 2. J'encaisse

Refermant la porte derrière moi je détaille d'un peu plus près le visage d'Iris. Ses joues paraissent un peu plus rondes qu'avant. Mais c'est peut être dû au changement le plus notable, ce sont ses longs cheveux bruns qui sont désormais coupés à la garçonne. Une grosse mèche lui tombe sur le front. C'est surprenant mais ça lui va bien.

Elle n'est pas maquillée et sourit, ce qui accentue encore le changement avec celle que j'ai connue.

Je remarque alors qu'un motif dessiné à l'encre noire dépasse de l'encolure de son t-shirt. Elle a dû se faire tatouer. Je me demande ce que c'est.

— Salut... je murmure, J'aime bien tes cheveux comme ça.

— L'encourage pas, grogne Ilyes.

Ça m'étonne pas de lui qu'il n'aime pas. Il est très primaire parfois. "Fille" est égale à "cheveux longs".

— Merci, Papa déteste. Et Ilyes aussi.

— Ça fait lesbienne.

Je lève les yeux au ciel, il est chiant quand il s'y met.

— Garde tes clichés de merde pour toi, lui dis-je en lui tapant dans le bras.

Iris se marre derrière l'écran.

— Je m'attendais à cette réaction t'inquiète pas, me dit-elle, Je connais Ilyes.

Comme toujours Iris m'intimide, même derrière un écran.

— Alors comme ça vous êtes potes vous deux ?

On échange un regard avec Ilyes, ne sachant si on peut se qualifier de « potes ».

— Ouais on va dire ça, répond-il finalement, Mais bon on n'est pas là pour discuter de ça.

La surprise du changement d'Iris m'a fait oublier pendant quelques secondes la raison de cet appel.

— Ah oui, c'est vrai, dit-elle, Écoute Jade je ne sais rien de précis sur cette histoire. Mais je peux peut-être te donner des pistes. En sachant que ça reste des souvenirs de gamine et des impressions.

Je hoche la tête pendant que mes mains se mettent à trembler. Quel sentiment étrange de vouloir à la fois tout oublier et tout savoir.

— Quand j'étais petite il me semble avoir entendu parler ton père du fait « d'avoir perdu un gosse ». C'était un peu après la naissance de Romy.

— J'ai entendu ça aussi.

Je me retourne brusquement vers Ilyes, qu'est-ce qu'il raconte ?

— Désolé, fait-il, j'avais zappé. À Toulon ton daron il était au tel avec ma mère et il a dit qu'il avait perdu une gosse.

Deux témoignages en plus des lettres. Ça commence à faire beaucoup de preuves que tout ça n'est pas un rêve.

— Ensuite, dit Iris, J'ai entendu plusieurs fois des conversations étranges entre les parents. Moh a fait des allusions aussi. Je suis sûre qu'il sait des choses d'ailleurs. Si vous voulez je peux l'appeler.

— T'inquiète, on ira le voir ce con. Continue, ordonne Ilyes.

— J'ai toujours entendu dire que t'es parents avaient traversé des trucs vraiment chauds avant de se marier. Papa avait l'air de dire que ça allait bien au-delà de la différence d'âge.

Oui ça j'en ai toujours plus ou moins entendu parler aussi. D'ailleurs je crois que Ken ne les a pas vraiment aidé.

— Une fois Maman a dit « Sans Violette il aurait jamais pu se reconstruire » Arthur avait demandé « se reconstruire de quoi ? » elle n'a jamais répondu. Mon père une fois aussi il a fait une allusion au fait que votre famille était une sorte de revanche. J'ai toujours senti qu'il y avait quelque chose tu vois. Mais le plus gros truc dont je me souvienne c'est une dispute entre Moh, ta mère et mon père.

Au point où j'en suis...

Ilyes me fait signe de m'assoir à côté de lui sur le lit et grogne un « reste pas plantée là ».

Je m'exécute pendant qu'Iris continue son histoire.

— Ils savaient pas que je les entendais. Mon père trouvait que « Violette était débile d'accepter ça ». Sneazz la défendait je crois il disait que Papa était mal placé pour donner des conseils éducatifs. Violette expliquait que la décision appartenait à Deen et qu'elle avait pas à le forcer. Mais elle espérait quand même qu'il finisse par changer d'avis. Je suis absolument sûre qu'il était question de vous parler de quelque chose ou non.

Donc Maman sait. Et Maman voulait nous en parler. Papa non.

Et comme ils ne prennent jamais une décision importante nous concernant sans être d'accord... Mais d'habitude c'est toujours elle qui gagne.

— Je vois, finis-je par dire d'une voix tremblante.

— Demandez à Naël, finit par dire Iris, C'est le plus vieux il doit se souvenir de choses.

Comme si Iris avait invoqué un esprit, trois coups sont frappés contre la porte, avant qu'elle ne s'entrebâille sur le visage du jeune homme.

— Eh j't'ai pas dit d'entrer, proteste Ilyes.

Le regard de Naël passe de son cousin à moi, avant de se figer sur Iris. Il est pâle comme la mort, je vois son prénom se former sur ses lèvres.

— Salut, fait alors Iris d'une voix étrange.

Moi qui pensais ne pas pouvoir me sentir plus mal...

— Vous... Euh.... tu... qu'est-ce que vous faites ?

— Ça te regarde pas.

Ilyes se lève avec difficulté pour se rapprocher de la porte dans le but de la claquer au nez de son cousin, mais au même moment la porte s'ouvre carrément sur Amir et Arthur.

— Oh Iris ! fait le deuxième jumeau, wesh c'est quoi cette pe-cou !

C'est vraiment génial, j'étais venue trouver un peu de paix et ça devient encore davantage le chaos...

N'y tenant plus, je me lève et jette un regard implorant à Ilyes.

— Explique leur, j'en peux plus.

Puis, je me faufile entre les trois garçons et quitte la chambre. M'affalant dans le canapé, je cache ma tête dans mes mains et sent une nouvelle tempête de sanglots me soulever.

Au début, la réalité me revenait par vague, maintenant elle me submerge de façon continue, je crois réellement que je vais me noyer.

Alors que j'essuie mes larmes, mon regard se pose sur le paquet de cigarette qu'Amir a oublié sur la table basse. Sans réfléchir, je m'en saisis et sors dans le jardin.

J'ai jamais eu « envie de fumer ». Maman a eu tellement de mal à s'arrêter, il y a encore quelques mois elle ne pouvait pas commencer une journée de travail sans une cigarette.

C'est une réaction idiote, immature, mais je sais plus à quoi m'accrocher pour essayer d'effacer ce sentiment, ce malaise qui gagne progressivement tout mon être. Je crois que j'ai envie de vomir.

Quelques quintes de toux, une odeur que je n'aime pas particulièrement, puis ma tête tourne un peu. Ça me fait même pas de bien.

Je ferme les yeux par intermittence en murmurant mentalement « oublie, oublie, oublie, oublie... ».

— Jadou...

Je ne me retourne pas vers Naël et écrase le reste de la cigarette dans le cendrier.

« Oublie, oublie, oublie.... »

Il passe son bras autour de mes épaules et je me retrouve plaquée contre son torse.

— Je suis sûr qu'il y a une explication, murmure-t-il.

Pas plus tard qu'hier, j'aurais manqué de m'évanouir si Naël m'avait serrée contre lui de cette façon. Ce soir, le sentiment de trahison, de déception qui m'emplit est bien plus fort que mon ridicule amour à sens unique pour lui.

Et dire que je pensais avoir une relation privilégiée avec mon père...

— Jade...

Naël attrape mon menton pour relever mon visage vers le sien, je remarque alors que lui aussi est un peu bouleversé. Peut-être à cause d'Iris, ou peut-être parce qu'il voue un culte à ma mère et qu'il a du mal à admettre qu'elle ait pu mal faire les choses.

Même à moi, ça me paraît impensable. Maman prend toujours les bonnes décisions, elle est réfléchie, intelligente, pense d'abord aux autres avant de chercher son propre intérêt... Comment elle aurait pu mentir à ses propres enfants ?

Elle a toujours dit que les secrets avaient détruit sa famille. On ne voit quasiment pas nos grands-parents de son côté, c'est très tendu. De toute façon ma grand-mère déteste Papa et fait des séjours fréquents en hôpital psychiatrique.

Alors je ne comprends pas qu'en ayant vécu tout ça, elle décide sciemment de nous cacher quelque chose d'aussi énorme. Même par amour pour Papa.

— On ne sait rien de toute l'histoire, murmure Naël, Il ne faut pas que tu leur en veuilles tant que tu ne leur as pas laissé la chance de s'expliquer.

Je ne sais même pas si je veux savoir toute l'histoire. J'ai peur.

Bien sûr, je suis consciente que mon père a eu une vie bien remplie avant Maman, il a connu d'autres femmes, eu d'autres histoires d'amour, c'était certainement pas un modèle de vertu. Mais je n'aime pas quand il en parle, ni quand mes oncles plaisantent là-dessus, ça me met profondément mal à l'aise. C'est comme lorsque les filles de l'athlétisme avaient cherché des paroles de chansons de mon père pour me dire que c'était un pervers.

Rien qu'en y pensant un frisson désagréable me parcourt le dos.

Je n'imagine même pas ce que doivent ressentir Iris et Arthur certaines fois.

— Jade tu m'écoutes ?

Et dire qu'habituellement, quand Naël me parle, je ne peux pas détacher mon attention de lui... Oui vraiment je suis en train de devenir complètement folle.

Mon attention se porte sur la baie vitrée derrière lui, elle est ouverte sur les jumeaux qui nous détaillent avec un regard sombre. Je sais très bien ce que pense Amir, il n'aime pas quand Naël m'approche trop, parce qu'il sait que ça entretient mes sentiments.

— Je sais pas quoi faire, dis-je brusquement, Je voudrais juste retirer mon cerveau, devenir amnésique, revenir en arrière. Ne rien savoir jusqu'au restant de mes jours.

« Oublie, oublie, oublie... »

— Tu dois leur en parler.

Mais je secoue la tête et la main de Naël quitte mon menton.

— Je veux pas leur dire.

— Jade... C'est la seule chose à faire.

Une nouvelle fois je réponds par la négative et je sens que Naël s'agace. Mais il est absolument hors de question que je leur en parle. Jamais.

— Écoute-moi, fait le jeune homme en replaçant sa main sur ma mâchoire, Écoute s'il te plaît. Si tu n'en parles pas maintenant, tu vas être malheureuse avec ton secret, tu vas le faire payer à tes parents, ça va être invivable pour toi comme pour eux, et un jour tu vas péter un câble et tout leur envoyer dans la tronche. Sauf que ce jour là les dégâts seront bien plus important que si tu avais parlé tout de suite. Jade, pense à Romy et Léo...

Mais Naël ne me fera pas changer d'avis cette fois. C'est à peine si j'entends ses avertissements.

— Je ne dirai rien et n'essaie plus de me faire changer d'avis.

— Alors je le ferai, dit-il.

Une vague de terreur s'empare de moi... Et si ? Et s'il était capable de leur dire ? Naël a toujours gardé les secrets d'Iris, parce qu'il l'aime. Mais moi ? Qu'est-ce que je représente ?

— Jure que tu diras rien.

Il refuse à son tour et je sens que la peur cède progressivement sa place à la colère. Il a vraiment pas le droit de décider pour moi.

— Naël... Jure.

— Jade c'est pour ton bien... Tu dois le dire.

Je n'ai pas entendu Ilyes s'approcher, mais sa voix derrière Naël nous fait tous les deux sursauter :

— Lâche-la et jure, aboie-t-il.

Son cousin se retourne et obéit à la première partie de l'ordre, pour mieux refuser la deuxième.

— On t'a pas demandé ton avis. Laisse nous discuter.

Je n'ai vraiment pas besoin d'une dispute de ces deux là pour terminer cette horrible soirée.

— Si c'était chez toi qu'elle avait sonné, tu pourrais te permettre de me balancer ça. Sauf que c'est pas du tout le cas, Jade m'a demandé mon avis, par contre elle t'a jamais demandé le tien. Donc tu fermes ta grande gueule de fils à papa et tu jures que tu diras rien.

— Ilyes arrête, ne lui parle pas comme ça.

Un sourcil se hausse sur le visage du jeune homme, comme s'il était surpris que je lui demande de se calmer.

— Dis que j'ai tort alors, fait-il avec un mouvement d'épaules.

— Tu as raison, réponds-je, Mais pas la peine d'être méchant.

Naël et lui ouvrent la bouche en même temps pour répliquer, mais c'est Amir qui parle le premier.

— Arrêtez tous les deux, vous cassez la tête. Naël pour le coup je suis cor-da avec mon reuf, si Jade veut pas en parler à ses darons pour l'instant, c'est son choix. Vaudrait mieux qu'elle en parle c'est sûr, mais c'est elle qui décide. En tout cas c'est pas vous mettre sur la gueule qui va arranger quoi que ce soit. Tout le monde est choqué, mais faut se serrer les coudes merde.

— Il est où Arthur ? je demande alors en me rendant compte de son absence.

Amir désigne la fenêtre de la chambre d'Ilyes à l'étage du dessus.

— Il parle avec sa reus.

Une ombre passe sur le visage de Naël. Ça me fait mal pour lui. Iris a l'air d'aller mieux, d'être plus épanouie. Lui en revanche, semble avoir réellement du mal à supporter son absence.

Je pense que c'est parce qu'il est toujours à Paris, qu'il fréquente chaque jour des endroits qui la rappellent à son esprit. Ça doit vraiment être difficile.

Si seulement il m'aimait moi...

— Je vais rentrer, murmure-t-il, T'inquiète pas Jadou... Je dirai rien. Mais je maintiens que tu devrais tout de même leur en parler, tu as besoin de savoir la vérité.

Mon cœur se brise avec sa voix sur la fin de sa phrase, il va mal, c'est évident.

Et pourtant j'ai tout cet amour à lui donner, si seulement il en voulait...

Naël s'approche de moi pour embrasser ma tempe, mais cette fois je n'ai pas droit à l'un de ses clins d'œil qui me font toujours rougir. Il ignore ensuite Ilyes et frappe dans la paume de son cousin avant de lui donner une légère accolade.

— Arthur ! appelle-t-il en rentrant dans le salon, J'y vais, salut !

Le départ de Naël est suivi de près par celui de son meilleur ami, je me retrouve enfin seule avec les jumeaux. Ce que je voulais.

— Je vais te raccompagner, fait Amir en attrapant sa veste.

Mais je n'ai pas très envie de rentrer.

— Elle voulait rester je crois, dit Ilyes comme s'il avait lu dans mes pensées.

Amir hoche sombrement la tête avant de se passer la main sur la barbe. Il n'a pas l'air très content que je reste.

— Tu préfères que je parte ?

— C'est pas ça... C'est juste...

Il a un coup d'œil en direction de son jumeau qui me laisse comprendre qu'il ne veut pas en parler devant lui.

Je n'ai pas besoin qu'il en dise plus pour comprendre.

Il a énormément de mal à conquérir le cœur d'Ilham et il sait très bien qu'elle n'apprécierait pas que je partage la même chambre que lui. Même s'il n'est pas obligé de lui dire, je crois qu'il essaie de bien faire les choses.

— Je peux dormir sur le canapé, t'inquiète pas.

— T'es sûre ?

Je hoche vigoureusement la tête et Amir paraît un peu soulagé. C'est vraiment marrant comme il change quand il est amoureux.

On reste à discuter un long moment dans le salon, jusqu'à ce qu'Hakim, Maya et Nejma rentrent et s'étonnent un peu de me voir là. Mais Maya m'apporte tout ce qu'il faut pour dormir sur le canapé, Nejma me raconte son spectacle et Hakim se sert un whisky en me demandant des nouvelles des parents, ce qui me fait un peu grimacer.

Amir quitte la pièce en dernier et quand je me retrouve seule, je suis à nouveau assaillie par les questionnements, les craintes, la déception. Jamais je n'aurais pensé qu'une telle nouvelle puisse me faire aussi mal.

Mon esprit ne cesse de travailler et je ne parviens pas à trouver le sommeil. J'alterne entre colère, tristesse, envie dehurler. Les heures défilent et je rejoue toute ma vie en essayant de connecter les souvenirs pour comprendre. Mais rien n'y fait.

— J'étais sûr que tu pionçais pas.

Je sursaute brusquement en me redressant. Que fait Ilyes ici à presque 4 h 30 du matin ?

— T'inquiète, dit-il, Je suis pas venu te mater dans ton sommeil, j'avais juste la dalle.

Il traverse le salon et je vois une faible lumière éclairer la cuisine, signe qu'il a ouvert le frigo. Il revient quelques minutes plus tard avec une assiette pleine.

— T'en veux ? demande-t-il.

Je détaille dans la pénombre ce qui ressemble à une sorte de crêpe très épaisse.

— C'est quoi ?

— Des msemmens, grogne-t-il en haussant les épaules, T'as jamais goûté ?

Je secoue la tête et il partage. C'est un peu gras et il a mis une tonne de miel dessus, mais c'est bon. On mange en silence et je me demande pourquoi il reste avec moi.

— Sah t'as pas envie de connaître toute la vérité ? fait-il en déposant l'assiette vide sur la table basse, Ça m'intrigue de ouf cette putain d'histoire.

— Si, avoué-je, Mais je veux pas leur en parler...

Il me répond par un hochement de tête et frotte son visage en réfléchissant.

— J'pense qu'Iris a raison, on peut en parler à cet enfoiré de Sneazz.

— Je ne suis pas très proche de lui...

Ça me mettrait un peu mal à l'aise de confier tout ça à Mohamed, d'autant plus que j'ignore s'il le garderait pour lui.

— T'inquiète, je viendrai avec toi, j'en peux plus de rester ici. Dans l'aprem s'tu veux.

— D'accord, concédé-je.

Il semble satisfait par ma réponse et finit par se lever.

— Ilyes, dis-je alors brusquement, J'ai pas trop envie d'être seule.

— Tranquille, j'allais juste mettre l'assiette dans le lave-vaisselle.

Je jurerais voir un sourire un peu amusé étirer le coin de ses lèvres. C'est fou ce que les hommes aiment se sentir indispensable. Son attitude me met un peu mal à l'aise et heureusement qu'il fait presque noir, parce que je dois être rouge comme une tomate.

Effectivement, quelques secondes plus tard, il me rejoint et s'affale à côté de moi, alors je cale ma tête sur son épaule.

— Vas-y j'suis pas ton doudou.

Mais il ne bronche pas plus et je sens son bras glisser derrière ma nuque pour l'entourer. Deux minutes plus tard, je suis enfin endormie. 

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