Chapitre 19. Lullaby

"How long do you wanna be loved
Is forever enough, is forever enough
How long do you wanna be loved
Is forever enough
'Cause I'm never, never giving you up"

Maman nous a rejoint aussi rapidement que possible avec Romy et Léo. Nous avons eu une grande discussion familiale, Mamie et Papy étaient là aussi. Papa a tout raconté. 

J'avais vraiment peur de la réaction de mes petits frères et soeurs. Romy a concentré sa colère sur Nora, elle était vraiment hors d'elle à l'idée qu'on ait pu autant faire souffrir les parents. Léo n'a pas vraiment tout compris je crois, il a juste demandé si ça allait changer quelque chose entre nous tous. Papa lui a juré que non.

Après il a fallut prendre une décision, chacun d'entre nous pouvait comprendre que notre père avait besoin de passer du temps avec Ines. Mais on avait peur.

Moi surtout, j'avais peur que Nora nous le prenne d'une façon ou d'une autre. Le problème c'est qu'elle refusait catégoriquement que Maman s'approche de sa fille, donc ils ne pouvaient pas y aller tous les deux.

Alors Mamie a proposé à Papa de rester à Toulon le temps qu'il fallait pour régler tout ça, elle a aussi dit qu'elle l'accompagnerait à chaque visite. Papa a payé une chambre dans une clinique spécialisée pour Inès, tout a été acté. 

Mamie aime Maman comme une fille, jamais elle ne tolérerait que cette histoire lui nuise, tout comme à nous. J'avoue que ça m'a énormément rassurée de savoir qu'elle serait là.

Ni Romy, ni Léo, ni moi, n'avons envie de rencontrer Nora ou même Ines, peut-être que je le regretterai plus tard, peut-être que c'est un peu égoïste, mais depuis que nous connaissons toute l'histoire, on veut vraiment se tenir éloignés de tout cela.

Mon père a donc passé tout le mois d'août à Toulon, nous ne sommes pas partis en Grèce, mais Maman nous a emmenés en Suisse.

Je me fais du souci pour elle, j'ai peur qu'elle souffre de la réaparition de Nora et de la réouverture de certaines blessures cicatrisées depuis si longtemps. Je ne veux pas lui en parler devant Romy et Léo, alors j'attends le moment propice.

Nous sommes le 31 août, allongée sur mon lit, je peine à m'endormir. Mon père me manque, la nuit je rêve qu'il nous quitte tous pour retourner avec Nora. C'est irrationel, mais depuis que je sais ce dont elle est capable, ça me stresse.

Un message d'Amir me donne des nouvelles, il profite du soleil à Bejaïa, apparemment Idriss et son père passent leur temps à se chamailler et ses grandes tantes profitent de l'absence de sa mère pour la critiquer d'une façon qui l'agace beaucoup. Ce sera toujours tendu entre Maya et sa belle famille... Heureusement que Maman n'a pas ce problème.

J'hésite à écrire à Ilyes, lui pour le coup est resté avec sa mère à Paris, il travaille tous les jours, on n'a échangé que quelques messages depuis qu'on a quitté Toulon.

Mon coeur se soulève un peu dans ma poitrine et je sens quelques lépidoptères enragés s'éveiller dans mon estomac quand je pense à la façon dont il m'a dit :

« On aura des trucs à se dire à Paname. Fais belek à toi, tu peux m'appeler si t'as besoin. »

Je souris bêtement en songeant qu'il a refusé que je lui rembourse cette stupide fausse bague de fiançailles.

« T'as qu'à la mettre à la main droite »

Mon Dieu je suis gravement atteinte...

Evidemment je ne résiste pas à l'envie de lui téléphoner. Saisissant mon portable, je sors dans le jardin. Hier Maman nous a raconté que c'est ici qu'elle a entendu « Codéine » pour la première fois.

— Ouais.

Mon sourire s'étire en entendant la voix grave que j'aime beaucoup trop.

— Salut, je murmure.

Après quelques questions-réponses un peu conventionnelles et gênées, on aborde vite les sujets serieux qui nous occupent l'esprit.

— On a eu la date du jugement de ma mère, normalement c'est le 30 septembre.

Je perçois l'angoisse dans sa voix, j'oublie trop souvent à quel point ceci l'affecte. Malheureusement je connais aussi Ilyes et il m'en parlera pas s'il n'a pas choisi de le faire.

— Tu le sens comment ?

— Bah... c'est putain de stressant. L'avocate est confiante, ma daronne aussi ça va. Si elle a pas la légitime défense et que ça passe en homicide involontaire... elle peut prendre trois piges facile.

Il le vivrait tellement mal... Premièrement parce qu'il adore sa mère, deuxièmement parce qu'il se sentira forcément coupable.

— Sah je comprends pas pourquoi ils sont partis au bled cet année, si ça se trouve dans un mois elle sera enfermé au hebs et on pourra la voir une fois par semaine, et eux ils se cassent.

Je pousse un soupir, cette année m'a appris à ne pas juger les actions de nos parents quand on ne les comprend pas. Il y a des choses qu'ils décident parce qu'ils pensent que c'est le mieux et c'est tout. 

— Le week-end dernier je l'ai emmenée passer le week-end en Normandie, c'était archi bien, je crois que j'ai jamais parlé comme ça avec ma mère avant.

Oh Ilyes...

— On a parlé de toi, un peu.

Mon coeur s'arrête un instant, j'ai besoin de reconnecter rapidement mon cerveau pour analyser cette phrase.

— Ah bon ?

— Ouais.

C'est tout ? Comment je réagis à ça moi ? Qu'est-ce que j'en fais, qu'est-ce que je comprends ?

— J'ai vraiment merdé à Pâques hein ?

Après une déglutition difficile je parviens à produire un son qui ne veut strictement rien dire. Je m'attendais à tout sauf à ce qu'il me parle de ça.

Et puis entendre Ilyes Akrour reconnaître ses torts, ça paraît tellement fou.

— T'sais je voulais pas te faire souffrir.

Faut qu'il arrête là, mon coeur va exploser.

Ce qui me fascine avec lui, c'est qu'il peut s'ouvrir de façon subite, sans qu'on comprenne pourquoi il a soudainement envie ou besoin de se livrer. La plupart du temps c'est la nuit.

— Je sais.

Au fond j'en ai jamais vraiment douté, même quand Iris a évoqué la possibilité d'une volonté pure et simple de me briser le coeur, je n'y ai pas cru.

— Quand t'en as parlé avec mon reuf à Toulon, t'sais quand on se parlait plus ? Bah je vous ai entendus. Je pensais pas que tu ressentais tout ça.

Il a tout entendu ? Même quand j'ai dit que j'étais amoureuse de lui et que j'avais passé des nuits à pleurer ?

Oh merde.

J'ai honte et n'ose plus rien dire.

Il y a un très long silence, je me dis que si Ilyes a choisi de revenir vers moi après avoir entendu tout ça, c'est peut-être parce qu'il ressent plus ou moins la même chose.

— Toi et moi on est un peu pareil, on arrive pas trop à dire les choses comme ça, dit-il.

C'est vrai.

Je suis timide, il est fier, ça n'aide pas.

— Je.. je vais devoir te laisser, dit-il en baillant, Je charbonne comme un malade en ce moment.

— D'accord, réponds-je, bonne nuit.

— Bonne nuit.

Je vais pour raccrocher quand mon prénom s'échappe du haut parleur.

— Oui ?

— Tu viendras pour l'audience de ma mère ?

— Oui, bien sûr si tu veux.

— Merci.

C'est lui qui raccroche et je me sens remplie d'un nouvel espoir. C'est lent mais j'ai l'impression que les choses avancent entre nous. Peut-être d'une meilleure façon que la dernière fois.

En me levant pour regagner ma chambre, je passe devant celle de ma mère et entend sa voix de l'autre côté de la porte. Elle est au téléphone et elle pleure.

Mon sang se glace aussitôt dans mon corps. Je colle mon oreille contre la porte, terrifiée.

— Tu as fait tout ce que t'as pu. S'il te plaît ne t'accuse pas...

Est-ce qu'elle parle à Papa ?

— Viens ce week-end, les enfants ne rentrent que mardi en cours, on sera tous les cinq, t'en as besoin.

Oui elle parle à Papa.

— Oui mon amour.

Euh là j'ai un doute. Jamais de toute ma vie je ne l'ai entendue appeler mon père ainsi. Maman est très très affectueuse dans ses gestes, mais les surnoms mignons elle les garde pour ses enfants.

En même temps j'ai rarement surpris leurs discussions privées.

— Mikaël on a eu dix-sept années quasi parfaites depuis qu'on a Jade, c'était presque indécent à quel point on était heureux. Pourtant deux ans avant, personne n'aurait parié dix euros sur notre bonheur. Alors on va traverser cette épreuve comme on a traversé les autres, parce qu'on est encore plus forts depuis qu'on est une famille.

Mon coeur se gonfle d'amour et de tristesse mêlées, ça doit être si dur pour Papa.

Quand je suis certaine qu'elle a raccroché, je toque à la porte. Lorsqu'elle m'autorise à rentrer elle a séché ses larmes en vitesses, mais ses yeux restent très rouges.

— Maman...

Je me précipite pour la prendre dans mes bras. Ça ne doit vraiment pas être facile pour elle d'être toute seule depuis un mois en sachant ce qu'il se passe.

— Comment va Papa ?

— C'est très très dur pour lui, Ines... c'est la fin tu sais. Il a discuté avec le médecin qui gère maintenant son cas, il lui a clairement dit qu'il y avait eu des négligences dans son enfance et que si son cas avait été mieux traité il se pourrait qu'il ne se soit pas autant aggravé. Elle est née avec de graves malformations congénitales mais il pense qu'elle a été mal gérée par la suite. 

Mon Dieu... Je comprends pourquoi elle disait à Papa de ne pas s'accuser, évidemment il doit se sentir coupable. Même s'il n'y est pour rien.

— Même la mère de Nora admet désormais les graves erreurs de sa fille. Nora... c'est plus compliqué, Papa trouve qu'elle traite tout ça avec beaucoup de superficialité, comme si elle ne voulait pas se confronter directement à la réalité. Et ce soir... Il se sont violemment disputés, elle lui a dit que c'était sa faute que s'il l'avait aimée elle ne serait pas tombée dans la drogue... Bref. Papa allait vraiment mal, il faudra beaucoup l'entourer.

— Et toi Maman, comment tu vas ?

Elle me sourit et caresse doucement mes cheveux.

— Ça va, ça me fait mal de voir ton père ainsi, mais tu sais des souffrances tout le monde en vit, on en vivra surement d'autres, il faut être prêt et s'aimer très fort.

Ma main se lie à la sienne et son pouce fait des mouvement réguliers sur le mien. Je suis contente d'être là pour la réconforter.

— Comment tu fais pour tenir ? Et Papa ?

— Grâce à vous trois, ma chérie. On ne peut que tenir. D'ailleurs ton père va venir ce week-end, il a besoin de vous voir.

Je pense soudainement à la discussion que j'ai eu un peu plus tôt avec Ilyes.

— Tu crois que Maya a besoin de ses enfants en ce moment et qu'Hakim n'aurait pas dû partir en Algérie avec Nej et Amir ?

Elle paraît un peu surprise par ma question.

— Je crois que Maya a besoin de son mari et de ses enfants, mais c'est elle qui a voulu se retrouver seule avec Ilyes ce mois-ci. Elle sait très bien qu'il s'en veut et je crois qu'elle essaie de réparer ça.

Oh.

Son pouce et son index font tourner le faux diamant à ma main droite.

— Elle est jolie cette bague. C'est marrant elle ressemble à celle de Maya, en plus petite.

Je dois être littéralement cramoisie.

Comment puis-je être aussi grillée, sans cesse.

Je n'avais pas fait le rapprochement avec le diamant énorme qui orne l'annulaire de Maya. Elle répète toujours que sa bague de fiançailles est trop grosse et voyante, mais je la soupçonne sérieusement d'en être en réalité particulièrement fière. C'est tellement typique d'Hakim d'acheter une bague énorme à sa fiancée pour que tout le monde la voit bien.

Sans vraiment savoir pourquoi, je raconte à ma mère l'histoire un peu idiote de cette bague, elle éclate de rire quand j'ai fini.

— Il est mignon cet Ilyes...

Il détesterait entendre cette phrase. Mais elle a raison. Il est mignon.

— Tu sais, il faut pas qu'on entre en compte dans ce qui ce joue entre vous. Je me doute que le fait d'avoir des parents qui sont proches peut influencer d'une façon ou d'une autre ce que vous vivez, mais c'est important que vous vous sentiez libre par rapport à tout ça. Vous êtes très jeunes, prenez votre temps. Évidemment tout le monde sera content si ça fonctionne, mais personne ne vous en voudra si ce n'est pas le cas. 

C'est bête mais ça me rassure un peu ce qu'elle dit. Mais j'ai vu que pour Naël et Iris, personne n'avait interféré, que chacun avait respecté leurs choix. Et ce malgré le fait que depuis qu'ils sont tout petits, on entend des blagues sur le fait qu'ils vont se marier. 

— Autre chose, j'ai confiance en Ilyes, mais parfois on peut se tromper sur les gens. Je te dis ça de mère à fille, parce que c'est extrêmement important, et cela fonctionne pour tous les garçons que tu seras amenée à fréquenter. Tu ne dois jamais accepter la violence, même verbale, ni qu'on te rabaisse ou t'humilie, il en va de même pour la manipulation et tout ce qui peut nuire à ta liberté. Un homme qui t'aime ne te menace pas, un homme qui t'aime n'est pas violent, un homme qui t'aime ne t'empêche pas de t'épanouir. C'est clair ? 

— Oui Maman. 

— C'est la même chose pour les relations sexuelles, un homme qui t'aime et te respecte ne doit pas te forcer ou insister à outrance si tu lui dis non. Et tu ne dois surtout pas avoir peur de refuser de coucher avec quelqu'un si tu n'en as pas envie. Ça ne doit jamais être une contrainte, compris ? 

Elle me dit tout ça avec beaucoup de douceur, mais je sens à quel point c'est important pour elle. Papa m'a déjà dit une partie de ces choses, mais il est toujours bon de les réentendre. 

— D'accord Maman. Tu sais Ilyes il est impulsif parfois, mais je crois pas qu'il veuille me faire du mal. 

— Parfois les hommes peuvent être maladroits et dire des choses qui les dépassent un peu, je ne te dis pas de quitter le garçon que tu aimes à la première crise de jalousie. Mais si vous mettez les choses au clair ensuite et que tu exprimes clairement ne plus vouloir subir cela, s'il n'en tient pas compte, c'est mauvais signe. Tout est une affaire de bon sens et de jugement, mais c'est difficile à ton âge. Crois moi au fond de soi on sait toujours quand une relation est saine ou ne l'est pas. 

On discute encore un long moment toutes les deux, ça me fait du bien, je crois qu'à elle aussi. Quelques minutes après être enfin allée me coucher, je découvre un SMS de mon père qui me remplit de tristesse. Et je comprends que Maman ne m'a rien dit parce qu'il voulait le faire lui-même.

"Ma chérie, 

Inès est décédée ce soir, Maman l'expliquera demain à Romy et Léonard. Merci pour tout ce que tu as fait pour notre famille, merci de soutenir ta mère avec autant d'amour. Comme je te l'ai dit, je n'ai qu'une fille ainée et j'en suis foutrement fier. Je t'aime et je rentre vite. Papa. "

Je ne retiens pas mes larmes et ce n'est pas très grave, car je suis seule avec le noir de ma chambre. Il se passe tant de choses dans ma vie, tant de sentiments qui se mélangent, c'est beau, c'est triste, ça m'apprend l'humilité et la réalité. 



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