Chapitre 19. Gros poissons dans une petite mare

« Un gros poisson dans une petite mare
Le roi des fourmis, le prince des sous-fifres
Un gros poisson dans une petite mare
J'te parle de bluff, d'excès d'orgueil, d'abus de pouvoir
Un gros poisson dans une petite mare
Le roi des fourmis, le prince des sous-fifres
Un gros poisson dans une petite mare
On trouve toujours plus fort que soi, c'est ça la morale de l'histoire »

Le daron d'Ilona n'est pas chez lui.

Évidemment.

On a pas de nouvelles du mien. J'ai un mauvais pressentiment.

— Il a dit 22h, dis-je à ma mère qui pianote nerveusement sur son portable.

C'est autant moi qu'elle que j'essaie de rassurer. Il n'est que 20h30.

On est au fond d'un PMU moisi et je dois fusiller du regard des tas de vieux mecs qui reluquent ma daronne et Ilona depuis vingt minutes.

— Rappelle Samir, il aura peut-être du nouveau.

J'obéis à l'ordre maternel, Samir décroche au bout de quelques sonneries.

— Y'a du neuf ? je demande directement.

— Ouais. Askip' y'a deux mecs chez Cheikh, mais son cousin va y aller. T'façon au premier coup de feu les porcs vont se ramener et vont embarquer tout le monde.

Je lui raccroche limite au nez.

— Ils sont chez Cheikh. Ça va mal finir.

Ma mère se lève d'un bond.

— J'y vais, dis moi où c'est. Vous restez là.

Alors là. Si elle pense sérieusement que je vais la laisser y aller seule.

On échange un regard, je crois qu'elle a la flemme de se battre. Je crois qu'elle capte aussi que cette fois elle me fera pas changer d'avis.

— Bien. Ilona rentre chez toi. Ilyes t'appellera.

Elle parait hésiter quelques secondes puis finit par hocher la tête.

On sort du PMU, quelques mecs font une ou deux réflexions à ma daronne. Elle se retourne et les foudroie d'un regard glacé.

— C'est sûr qu'à force de mater des juments toutes la journée, ça doit vous faire bizarre de vous rappeler à quoi ressemble une femme. Malheureusement pour vous, nous, on ne rapplique pas quand on nous siffle. Bonne soirée Messieurs, trouvez vous du travail.

Elle nous pousse hors de l'établissement, les yeux levés au ciel pendant que derrière, les remarques salaces sur le fait que c'est une femme de caractère me donnent envie de fracasser des têtes contre des murs.

On se sépare d'Ilona, puis on se dépêche de rejoindre le bloc de Cheikh.

Je me sens mal, pas pour moi, j'ai ni peur de mourir, ni peur d'aller au hebs, mais pour ma mère. Je sens des regards sur nous, j'entends les remarques quand on traverse le hall.

Elle a rien à faire là.

Même si elle est plus forte que n'importe qui, ici c'est pas pour elle. Et avec toute la force du monde, on peut rien faire contre un pétard sur la tempe.

Quand on monte pour enfin arriver chez Cheikh, j'ai qu'une envie, faire demi tour. Mais la porte est entrouverte et ma mère la pousse sans ménagement.

Je la suis à l'intérieur.

— Haks, appelle-t-elle de sa voix cassée.

À peine une seconde après qu'elle ait prononcé ce mot, je sens un poids lourd me fracasser le crâne et j'ai juste le temps de voir une main se plaquer sur les lèvres rouge de ma mère pour la tirer en arrière. Puis je perds connaissance.

*****

Une claque de forain me réveille, mais mon esprit brumeux met du temps à capter ce qui se passe.

Je me retrouve face à un homme basané, chauve et barbu.

Portugais 100%, il a une croix représentative tatouée sur le cou.

J'ai pas besoin de réfléchir longtemps pour deviner que c'est le daron d'Ilona.

— Réveille toi p'tite pédale, j'ai pas que ça à foutre de te regarder dormir.

La bouche pâteuse, je pose ma main sur mon crâne pour sentir une douleur fulgurante au niveau de la bosse qui s'y est formée.

— Ma mère, je grogne, Elle est où ma mère ?

Le mec se marre et je grimace en voyant l'état de ses chicots. Sah, ça devrait être interdits par la loi d'avoir une dent sur deux.

Enfin clairement ce gars est pas de ceux qui respectent les lois.

— Qu'est-ce j'en sais où elle est ta mère. Je veux savoir où sont les enculés finis à la pisse qu'ont osé toucher ma fille. Et toi t'as intérêt à collaborer ou j'te bute avec eux.

Si il sait pas où est ma mère, c'est que c'est pas lui qui m'a assommé.

Putain Samir ce sale traitre. Qu'il nique bien sa race.

Je comprends aussitôt le piège. Ils savaient très bien que c'était mon daron qui cherchait Cheikh. Samir m'a laissé entendre qu'il était en danger pour que je rapplique.

Malgré la douleur insoutenable dans mon crâne, je me lève le plus rapidement possible et commence à pousser chaque porte pour essayer de trouver ma mère.

Si elle a une seule égratignure à cause de moi, je réponds plus de rien.

— Maman ! j'appelle comme un gosse dans l'appart.

Mais le daron d'Ilona me laisse pas le temps de poursuivre mon inspection, il attrape le col de mon sweat et me plaque contre le mur.

— Écoute moi bien petite merde, t'as de la chance d'être encore en vie, alors dépêche toi de me dire tout ce que tu sais où je repeins ce mur avec ton sang.

Je m'en branle complètement de ses menaces. Ma mère est plus là et je me sens complètement partir en vrille.

— Lâche moi tout de suite, je dois trouver ma mère ! Ils ont ma mère putain !!!

Mon cri me déchire littéralement la gorge et donne l'impulsion au coup de boule que je mets en pleine gueule au daron d'Ilona.

Putain ça fait mal.

J'ai tellement peur que ça décuple ma force. Il produit un râle de douleur, recule rapidement, puis me lâche deux secondes pour se tenir le nez. J'amorce aussitôt un départ en courant, mais me heurte à une jambe qu'il a eu le temps de tendre pour me faire m'affaler à plat ventre sur le carrelage.

Dans la seconde, il m'a retourné et s'est assis sur moi et me fout une putain de droite dans l'œil gauche, ouvrant mon arcade aussitôt.

Je me débats de toutes mes forces, poussé par une rage inconnue, mais une deuxième patate m'arrive dans la mâchoire. Il veut me tuer.

Il irait plus vite avec un coup de shlass bien placé.

Je vois plus rien avec le sang qui me coule sur la paupière, mais j'entends une porte claquer. Puis des pas précipités, puis un :

— Sale shlag tu touches encore une fois mon fils, j'te pète le crâne en deux.

Putain c'est mon daron.

Dieu est grand.

Le père d'Ilona ricane, mais se lève pour le rejoindre.

— Hakim, c'est toujours un plaisir.

Hein ?

Je me redresse difficilement en crachant et essuyant le sang qui ruisselle sur mon visage.

Mon père et celui d'Ilona se toisent, le regard du premier finit par se poser sur moi.

— Qu'est-ce que tu fous là, où est ta mère ? T'étais censé rester avec elle.

C'est pourtant ce que j'ai fait, c'est elle qui a voulu venir ici.

J'ouvre la bouche pour répondre mais le daron d'Ilona parle avant moi.

— Il était tout seul ici, il a pas voulu coopérer quand j'ai demandé où étaient les sales merdes qui ont fait du mal à ma fille. Maintenant que je vois que c'est ton fils, je comprends mieux pourquoi.

— Vous vous connaissez ? je demande.

C'est pas le moment de poser des questions mais celle-ci me perturbe beaucoup trop.

— Ouais, répond mon père sans s'étaler sur le sujet, Où est ta mère ?

Le portugais ricane.

— Vous avez que cette question à la bouche.

— Je sais pas, fais-je en l'ignorant, Elle a voulu venir, ils m'ont assommé quand je suis rentré, c'est lui qui m'a réveillé, elle était plus là.

La mâchoire de mon père se contracte et son regard s'assombrit soudainement.

— Lève toi, fait-il, Doums est en bas. Bruno je pense qu'on cherche les mêmes chiens.

Mais comment ils se connaissent putain ?

Sans leur montrer que tout mon corps est douloureux, je me lève le plus rapidement possible.

— Il peuvent être où ?

— N'importe où, mais ils ont pas pris Maman pour rien, ils veulent des thunes encore. Ou je sais pas... Putain je comprends pas ce qui attendent.

Le père d'Ilona rigole grassement.

— Ils ont peur de mourir c'est tout. Mais faut vite les trouver si tu veux retrouver ta femme dans l'état où tu l'as laissée avant de partir, fait-il à mon daron.

J'ai une idée.

— On va chez Samir, même s'ils sont pas chez lui, il saura tout ce fils de chien.

D'un même mouvement on sort tous les trois de l'appartement. Mon père a posé sa main sur la base de ma nuque, mais pour une fois je sens que c'est pas pour être autoritaire, zahma on dirait plus du soutien.

D'ailleurs, avant de monter dans la bagnole il me chope par la mâchoire et me regarde droit dans les yeux pour me dire :

— S'il se passe quoi que ce soit ce soir, c'est pas ta faute, ok ? T'es pas responsable des agissements de ces keboun. Et puis ta mère était censée rester à la maison, elle a voulu faire la ouf tu sais très bien que t'aurais jamais pu l'en empêcher.

C'est con mais même si je sais que je me sentirai quand même coupable pour le restant de ma vie s'il se passe un truc. Le fait de savoir que mon daron me tiendra pas pour responsable me soulage un peu.

Quand on arrive devant le bloc de Samir, je vois avec une certaine peur, mon père ouvrir la boite à gants pour sortir un glock.

— Laisse ça là.

Il jette un regard au Portugais qui vient de lui donner cet ordre.

— Si les condés se ramènent et que ça tourne mal, si t'as une arme illégale sur toi ils vont même pas chercher à comprendre et tu vas prendre du ferme. Laisse ça là. C'est des gamins, on va les niquer sans glock.

Pour le coup je suis d'accord avec lui. On aura peut-être pas l'avantage en terme d'armes, mais on risquera moins si les keufs se ramènent.

— Ils ont quel âge ? me demande-t-il alors en se tournant vers moi, c'est très important. Lesquels sont mineurs ?

— Y'a que Samir qui a dix-sept ans. Tous les autres sont majeurs.

J'ai l'impression que ce mec sait très bien ce qu'on risque et comment fonctionne la justice. En même temps s'il sort de prison...

— Ses darons, ils sont là ? demande mon père.

Qu'est-ce que j'en sais moi...

*****

On saura jamais si les parents de Samir étaient là ou pas. Et pour cause, en traversant son étage, une voix qu'on connaît par cœur retentit en provenance d'un autre appart.

Je sens un frisson me parcourir le dos, avec mon père on se jette en même temps sur la porte.

« Tu vas me lâcher espèce de petit puceau de merde ? »

— Ça c'est Maya, fait Doums.

Jure WAllah.

On débarque à quatre dans l'appart' je crois que j'ai jamais eu autant d'adrénaline dans le corps.

Je vois presque rien à part Cheikh qui tient ma mère par les cheveux. Elle lui hurle dessus, mais pourquoi elle se débat pas ?

Quand je me jette sur lui, j'entends vaguement un :

— Ilyes ! Non !

C'est seulement quand une lame me perfore l'abdomen que je comprends.

Ma respiration se coupe un instant. Je rencontre le regard paniqué de ma mère. Puis ma main se referme sur le cou de Cheikh et malgré le deuxième coup de shlass qui m'arrive dans le ventre, j'arrive à le pousser et je sens qu'il la lâche.

À partir de là je capte plus trop ce qui se passe, j'entends la voix de Cheikh celle de mon père qui gueule. Je crois qu'une nouvelle fois une lame s'enfonce dans mon ventre.

Un hurlement de ma mère me perfore les oreilles. jamais je l'ai entendue hurler de cette façon.

On me lâche, je tombe à plat ventre. Quelqu'un tombe à côté de moi.

Entrouvrant les paupières je vois que c'est Cheikh, ses yeux sont ouverts, vitreux, vides, morts.

Un grand moment de silence, de flottement même. Je referme les yeux.

Puis ça gueule à nouveau de partout, mon pull est trempé par le sang chaud qui s'échappe de mon abdomen. Je vais sûrement mourir, mais c'est pas grave parce que j'entends la voix de ma mère. Je sens ses lèvres contre mon oreille, et ses doigts dans mes cheveux, elle n'a rien.

J'arrive presque à sourire quand elle dit qu'elle m'aime et que je vais m'en sortir.

Quand les sirènes retentissent, la seule chose qui m'inquiète c'est que ce soit pour embarquer mes parents.

Y'a plein de voix que je connais pas maintenant. On me manipule. On me parle, demande si je ressens quelque chose. Mais je crois que la seule sensation que j'ai, ce sont les doigts fins qui serrent les miens.

Je veux pas qu'elle me lâche.

Elle va être triste si je meurs.

Parmi toutes les voix qui tournent autour de moi, j'entends celle de mon père.

— Mais putain, laissez la aller avec lui, vous pouvez pas l'embarquer maintenant !

Embarquer qui ? Ma mère ?

Des lèvres se posent sur mon front, elle dit encore qu'elle m'aime et que tout va bien aller, puis ses doigts abandonnent les mien.

Maintenant j'ai froid et peur.

Bientôt j'entends même plus la voix de mon père, plus que celles d'inconnus.

On m'emmène sur une civière et je crois que c'est à partir du moment où je suis dans l'ambulance que ma conscience disparaît complètement.

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