Chapitre 18. Le temps de l'amour
"C'est le temps de l'amour
Le temps des copains
Et de l'aventure
Quand le temps va et vient
On ne pense à rien
Malgré ses blessures"
J'ai eu mon bac.
Finalement j'ai préféré réviser sans Naël, mes parents m'ont un peu aidée. Mais j'ai fait la plupart du travail seule.
Mes notes ont été assez moyennes dans l'ensemble, sauf un dix-huit en philo qui m'a permis d'atteindre la mention. Pour la première fois je me suis sentie fière de moi.
Berthier était ému un peu, j'ai presque eu envie de lui faire un câlin. C'est aussi grâce à lui que je me suis accrochée.
Mon père était tellement content qu'il a invité tout le monde au restaurant pour fêter ça. Je lui ai dit qu'il en faisait trop, il a dit qu'un Samaras qui avait son bac, c'était toujours une victoire de plus sur système scolaire.
Durant le mois de juillet j'ai vu une psy deux fois par semaine. Il y a eu quelques séances avec mes parents, même une avec mon frère, ça nous a fait du bien à tous.
Mohamed n'est plus à la clinique maintenant, nous lui avons trouvé un appartement au rez de chaussé d'un immeuble, tout près de chez nous, il a des soins infirmiers à domicile et poursuit sa rééducation plusieurs fois par semaine.
Devinez qui a quitté la clinique pour s'occuper de lui ?
Clémence.
Incroyable mais vrai, la jeune infirmière ne le lâche plus. Évidemment, elle ne le fait pas gratuitement, mais Moh est ravi d'avoir une personne de confiance près de lui. Maman a juste un peu peur qu'il s'attache trop. Il faut dire qu'elle est assez exceptionnelle. Passionnée de littérature, elle lui fait travailler sa mémoire en lui faisant apprendre des poèmes, mais aussi des passages entiers de certains classiques. Lui de son côté, lui apprend des couplets de rap. Il dit même qu'elle a un sacré flow.
J'aime bien leur amitié, elle soulage Maman qui réussit à un peu plus profiter de la vie et ne pas sans cesse s'inquiéter pour Mohamed. Cet été elle va enfin pouvoir repartir en vacances.
En parlant de vacances.
J'ai accepté de partir en famille. C'est la première fois que je repars en vacances avec eux, depuis que je suis en troisième. À chaque fois je restais à Paris et trouvais le moyen de squatter chez les Akrour ou chez l'une de mes Grand-mères.
Mais là tout est différent. Premièrement parce que Lucie et Idriss viennent avec nous, ce qui fait que Naël sera là avec Ania. Deuxièmement parce que je me suis remise à la photo.
*****
Nous venons de retrouver les Akrour et leurs têtes mal réveillées sur le parking de Roissy. Mon père est de très bonne humeur. Trop. C'est assez fatigant de bon matin.
Ania tire la tronche, Arthur a déjà retrouvé Naël, je reste un peu en retrait pour le moment.
Après avoir passé la sécurité, avoir eu un bon coup de stress lorsque mon frère a cru avoir oublié son passeport, nous avons fini par embarquer pour les trois heures de vol qui nous séparent d'Athènes.
Mon père a déjà prévu tout un programme de visites, de randonnées, Idriss voudrait juste profiter, je crois qu'il y aura souvent des équipes différentes. Je les entends déjà se disputer sur la rangée derrière nous.
Je suis assise entre Naël et Ania, qui a déjà retrouvé les bras de Morphée. Arthur parle depuis une heure, je n'arrive pas à dormir. Puis, soudain, mon voisin décide de me porter un peu d'attention.
— Tu as prévu de faire quoi toi ? demande-t-il d'une voix douce.
— Des photos, réponds-je.
Il me sourit, je baisse un peu les yeux, j'ignore si nous aurons des moments seul à seul, mais en trois semaines, ça devrait être possible. Mohamed m'a recommandé d'être prudente afin de ne rien dire ou faire que je pourrais regretter, ça me stresse un peu je l'avoue.
— Et toi ?
— Beaucoup de visites, dit-il, Je pense plutôt suivre ton père.
Évidemment, quand il s'agit d'apprendre de nouvelles choses, Naël est au premier rang. J'en connais un qui sera ravi d'avoir un disciple. Lucie devrait aussi faire partie des leurs.
— Je suis content que tu sois venue, murmure-t-il.
Il vient de poser son bras sur l'accoudoir à côté du mien et son pouce caresse brièvement le dos de ma main. Je lis alors dans son regard que rien n'a vraiment changé, malgré notre distance depuis un mois.
— Je crois que je vais dormir un peu, fais-je avant d'étouffer un bâillement.
Alors je laisse aller ma tête contre son épaule, je crois que Naël sourit, ses boucles brunes se collent à mon crâne.
Cette fois je devrais arriver à trouver le sommeil.
*****
Maman est en train d'ouvrir la maison, ça fait des années que je ne suis plus revenue ici. Pourtant Dieu sait qu'enfant, j'ai passé des semaines et des semaines à jouer près de la piscine, ou dans le grand salon quand il faisait trop chaud dehors.
Ils l'ont achetée après la naissance d'Arthur, ils voulaient un endroit où nous puissions partir régulièrement, seuls ou avec plein d'amis. Elle est belle, spacieuse, fraîche et très simple. Rien de superflu, sauf peut-être la piscine, mais ce qu'il faut de confort.
Idriss et mon père sont partis faire des courses, j'ai l'impression d'avoir treize ans à nouveau. Comme si revenir ici gommait toutes les choses néfastes qui ont pourri mon adolescence.
La même sensation me retourne l'estomac quand je redécouvre ma chambre. J'avais fait des caprices et des caprices pour absolument chaque meuble, chaque couleur sur les murs.
Quelle petite peste.
— Ça fait bizarre hein ? fait une voix derrière moi.
Je me retourne vers ma mère, ses yeux parcourent la chambre avec tendresse.
— Je me demandais si tu reviendrais ici un jour, murmure-t-elle en entrant pour ouvrir la porte vitrée qui donne sur le balcon communiquant.
Le chant assourdissant des cigales emplit aussitôt l'espace. Mon Dieu, ça m'a manqué. Je m'assieds sur le lit blanc en laissant tomber mon sac sur le sol. Quel endroit paisible. C'est d'ailleurs pour cela que mes parents ont eu un coup de coeur pour la villa, elle est isolée sans être loin de tout, elle est ancienne, elle respire la paix.
— Je suis contente d'être là, réponds-je alors, J'aurais dû venir les années précédentes.
— Elle m'avait manquée aussi, avec le coma de Moh je ne suis pas revenue depuis deux ans.
Je me lève pour la rejoindre sur le balcon et comme chaque fois, je suis époustouflée par la vue. Quel pays, vraiment.
— Je me suis pas trompée en épousant un grec, dit encore ma mère comme si elle avait entendu mes pensées.
Des éclats de rires provenant du jardin me font quitter quelques instants la mer des yeux pour voir que Naël et Arthur sont déjà en train de jeter cette pauvre Ania dans l'eau de la piscine.
— Je te laisse t'installer.
Elle caresse doucement mes cheveux dans un geste un peu timide puis quitte le balcon et ma chambre. Je rentre à mon tour en refermant volets et porte pour empêcher la chaleur étouffante d'entrer dans la pièce.
Après presque une heure à réfléchir allongée sur mon lit, je finis par enfiler un maillot de bain. Je n'en ai plus porté depuis quatre ans.
Les yeux dans la grande psyché qui orne l'un des angles de ma chambre, je me rends compte que jamais je ne pourrai me baigner ainsi devant les autres.
Si le maillot une pièce cache les grande cicatrices sur mon ventre, les longes lignes blanches sur la peau matte entre mes cuisses, elles, apparaissent très nettement. Raison pour laquelle je porte toujours des collants lorsque je mets une robe, raison pour laquelle mes shorts sont toujours un peu plus long que les autres.
Poussant un soupir, je récupère justement mon short sur le sol et l'enfile par dessus mon maillot. Puis je saisis mon appareil photo et descend en direction du jardin.
— Qu'est-ce que tu es belle, me fait Lucie alors que je traverse le salon, Ton maillot est magnifique.
Je lui adresse un sourire un peu crispé et rabat mes lunettes de soleil sur mes yeux.
Ils sont déjà tous dans l'eau, Ania pousse des cris de vierge effarouchée quand Arthur ou Naël s'approche d'elle pour la couler.
— Oh Iris ! me lance l'énergumène agité qui me sert de petit frère, T'es prête à finir à la flotte ?
Levant les yeux au ciel, je lui désigne l'appareil que j'ai autour du cou.
— Tu noies ça, tu le rachètes.
— Tu parles, Papa t'en repaye un dans les cinq minutes.
— Exact, mais je me servirai dans ton compte en banque.
Nous nous retournons vers l'intéressé qui, les bras croisé sur son torse, nous dévisage avec amusement. Il est pieds nus et porte son maillot de bain.
— T'as pas des courses à débarrasser ? demande Arthur.
— Non, répond mon père, Mais toi oui, allez file, ta mère t'attend.
Je ne sais quelle bonne intuition me fait poser mon appareil photo sur un transat, mais une seconde plus tard, un cri de hyène retentit derrière moi.
— Banzaaaaaaaï !
Propulsée en avant, j'atterris dans l'eau tiède de la piscine sans avoir eu le temps de prendre mon souffle.
Alors que toussant et protestant, j'émerge péniblement, je me retrouve face au visage hilare d'Idriss qui semble tout à fait fier de son coup.
Quarante ans ça ?
— T'es vraiment un gamin c'est pas possible.
Je jette un regard à mon père qui contient à grand peine son fou rire, j'ai l'impression qu'il a peur que je lui en veuille s'il se moque de moi. Il faut dire que je reste assez susceptible avec lui. Mais ces derniers temps les choses s'améliorent, je lui souris et il semble un peu soulagé.
Il s'approche même pour me tendre la main afin de me tirer hors de l'eau.
Quelle erreur.
Evidemment, je tire de tout mon poids sur son bras pour le faire basculer à son tour dans la piscine. Mon frère se jette aussitôt sur lui pour le couler.
C'est alors que je sens deux mains se poser sur mes épaules et faire pression sur moi, j'ai juste le temps de prendre une grande inspiration avant de retrouver le font de la piscine. J'en sors quelques secondes plus tard, tirée par Naël. Une drôle de sensation se fait ressentir au creux de mon estomac quand ses bras se referment autour de moi, je tourne mon visage vers le sien, il rit et je sens mon coeur s'emballer.
J'avais oublié ces émotions, elles me font mal, elles me font peur.
— Ça va ? demande-t-il en me tenant toujours contre lui, Tu gardes ton short dans la piscine ?
Mal à l'aise, je hoche la tête et il ne pose pas plus de questions, je lui en suis reconnaissante.
— Eh Naël, lâche ma fille, elle sait nager, pas besoin de la tripoter !
L'expression de mon père est un peu bizarre, je n'aime pas ça. C'est mal venu de sa part de jouer les darons protecteurs avec Naël alors qu'il n'a jamais été une menace pour moi, bien au contraire. Malgré tout, le garçon obéit et je jette un regard assassin dans la direction de mon père.
Enervée, je sors de la piscine, il vient de gâcher un moment plutôt agréable, une des rares fois où j'arrivais à me détendre complètement en sa présence. Récupérant une serviette, je rentre dans la maison où Lucie et ma mère discutent en prenant un café.
— Eh bah ma pauvre Iris, qu'est-ce qui t'arrive ? demande Lucie.
Maman fronce les sourcils, elle comprend aussitôt que ça ne va pas, c'est toujours comme ça depuis un mois, quand il me blesse. Je sais que je suis trop sensible avec lui, mais il me faut du temps.
Je monte en courant dans les escaliers et j'entends les pas de ma mère qui me suivent.
— Qu'est-ce qu'il a fait encore ?
Beaucoup diraient que c'est rien et que ça ne vaut vraiment pas le coup de s'énerver pour si peu. Ils ont raison, mais je peine à contrôler l'énervement profond qui me gagne depuis la phrase en soi assez anodine de mon père.
Il a brisé un instant où j'étais vraiment bien.
Maman s'est assise sur le fauteuil de ma chambre, elle attend pendant que, comme la psy me l'a appris, je tente de contrôler ma respiration. Je ne vais pas pleurer pour si peu, ni crier, ni même casser quoi que ce soit. C'est moi qui maîtrise mes émotions, ce ne sont pas elles qui me dominent.
Allez Iris...
Mes nerfs me brûlent et voyant que j'ai vraiment du mal à m'apaiser, ma mère finit par se rapprocher, sa main se pose sur ma nuque et se met à décrire de petits cercles. Dans un premier temps, j'ai envie de la repousser violemment, puis je me force à le supporter, et petit à petit, cela devient moins insoutenable, voire carrément apaisant.
Je finis par lui raconter ce qu'il s'est passé. Elle pousse un soupir.
— C'est vrai que c'était pas très malin, je lui dirai de garder ses remarques pour lui quand il s'agit de Naël. Il est respectueux et c'est quelqu'un de bien, ce n'est vraiment pas le genre de garçon qui a besoin que ton père le remette à sa place.
— Je ne veux pas qu'il cherche à se rattraper maintenant... Surtout pas avec lui.
Ma tête tombe contre l'épaule de Maman.
— C'est plus fort que lui... Tu sais lui aussi il est un peu traumatisé. Te voir avec un garçon, après ce qu'il s'est passé, ça lui fait peur.
— Je ne suis pas avec Naël... On a toujours été proches. Papa m'a laissé dormir avec lui des dizaines de fois. Pourquoi il commence maintenant ?
Je sens les doigts fins de ma mère peigner doucement mes cheveux, j'aime bien ce contact, je m'en veux de m'en être privée pendant tant de temps.
— Parce que je crois que tout le monde sent que c'est un peu différent entre vous maintenant. Mais vous êtes adultes, tous les deux. On n'a pas le droit de s'en mêler, même si on se doit de vous protéger.
Ils sentent que c'est différent ?
C'est possible, Mohamed l'a vu tout de suite.
Quelqu'un toque à la porte qui est restée ouverte, nous relevons toutes deux les yeux vers mon père qui se tient dans l'encadrement. Il a l'air penaud.
— Ma puce je suis désolé. J'aurais pas dû faire de remarque, au moment même où je l'ai dit je me suis senti con.
— C'est bon, je lâche, Si tu me laisses un peu d'espace ce soir, ça ira mieux demain.
Communiquer, poser les limites, demander de la distance si on en a besoin, a dit la psy.
Il hoche la tête et ma mère me lâche pour le rejoindre.
— Vous n'avez toujours pas rangé les courses, dit-elle.
Je les regarde sortir pendant qu'il proteste en disant que c'est à Arthur et Naël de s'en occuper. Refermant la porte derrière eux, je me dépêche de retirer mon short et mon maillot pour me rhabiller. Je vais sortir faire un tour, prendre des photos, ça me fera du bien.
*****
Après cet incident dans la piscine, mon père a fait tout les efforts du monde pour se contenir, malheureusement je crois que Naël est mal à l'aise depuis. Non pas qu'il me fuit, mais il reste distant et évite tout contact physique dès que mon père est à moins d'1km. D'autant plus que mon frère aime bien faire des remarques lui aussi.
Naël réussit à me manquer alors que nous sommes dans la même maison. Et ça m'agace.
Deux semaines de frustration avant que je ne décide d'enfin prendre les choses en main.
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