Chapitre 17. Fit but you know it
"I'm not trying to pull you
Even though I would like to
I think you are really fit
You're fit, but my gosh, don't you know it ?"
Une main qui tape mon épaule me fait brusquement ouvrir les yeux. Il fait à peine jour, je suis congelé, mon épaule est complètement ankylosée.
— Bah alors les jeunes, fait une voix d'homme au-dessus de moi, On a trop picolé cette nuit ?
C'est alors que je prends pleinement conscience de mon environnement. La rue.
Nous sommes sur un banc, au beau milieu de la rue, Iris dort sur mon épaule. Je me souviens alors que nous nous sommes posés là quelques heures plus tôt pour discuter. Je réponds au passant qui m'a réveillé par un regard incrédule, il sourit et me dit que je ferais bien de ramener ma copine chez elle.
— C'est pas ma copine, je grommèle.
La tête d'Iris bouge un peu et elle ouvre les yeux à son tour.
— On est loin de la maison ? murmure-t-elle comme si c'était une habitude pour elle de dormir dans la rue.
Le type s'en va et il me faut à peine quelques secondes pour analyser l'endroit où nous sommes. Je suis soulagé, Paris Sud, je connais. Notre « walk of shame » sera de courte durée.
— On est vers Vavin.
— Tu commandes un taxi ?
J'aimerais bien qu'elle quitte mon épaule, j'ai mal partout et suis vraiment frigorifié. Et puis mon crâne est vraiment très douloureux.
— On peut prendre le métro.
Il est sept heures et demi, je n'aime pas l'idée d'être un gosse de riche qui appelle des taxis pour faire à peine trois kilomètres. Je me lève difficilement en me dégageant de la jeune fille. Puis je lui tends la main pour qu'elle me suive. C'est là que je vois à quel point c'est une loque. Ses cheveux sont dans tous les sens, il ne reste que quelques traces noires sur son visage et ses collants sont filés sur toute leur longueur.
— Tu ressembles à rien, je grogne en oubliant que je ne dois guère être dans un état plus glorieux.
Elle me présente son majeur dans un geste un peu trop mou pour qu'il traduise une réelle revanche.
— Ferme ta gueule t'es putain de moche toi aussi, me répond-t-elle.
Je la crois sur parole. Elle glisse néanmoins sa main dans la mienne et je la tire doucement pour l'aider à se mettre debout.
— C'était marrant, lâche-t-elle en me suivant en direction du métro, Je t'avais jamais vu bourré, t'es beaucoup moins chiant quand tu bois.
— J'étais pas bourré.
Avouer que l'alcool a réellement eu de l'effet sur moi cette nuit, c'est reconnaître que je ne tiens absolument pas. J'ai bu deux pintes de bière et concédé deux shots de vodka à Iris qui m'a harcelé jusqu'à ce que je les boive.
Habituellement, c'est tout juste si je prends un fond de champagne quand il faut fêter un évènement, je n'aime pas l'alcool, mais plus que tout, l'alcool ne m'aime pas. Il me monte systématiquement au crâne et je me trouve aussitôt affreusement idiot. Alors je ne bois pas, c'est plus simple. Mon oncle conseille d'ailleurs souvent à mon père de faire un test de paternité.
Comme si mon patrimoine capillaire ne traduisait pas assez ma génétique.
— Si, t'étais bourré Naël, tu m'as dit des trucs gentils.
Je grimace en repensant à l'attitude un peu trop sympathique j'avais eu avec Iris cette nuit. Nous sommes désormais dans le métro et les quelques personnes présentes dans la rame nous regardent de travers.
— Vous avez un problème ? fait Iris a une dame qui détaille ses collants filés.
Gênée, elle détourne les yeux en les écarquillant légèrement. Je ne maitrise pas mon sourire, Iris est si bien élevée et si malpolie en même temps. Un peu comme ma tante Maya.
Mais enfin qu'est-ce qui t'arrive mon pauvre Naël ? Tu es censé lui dire de se calmer.
Je ravale aussitôt mon sourire et fronce les sourcils alors qu'elle continue de fixer la pauvre dame qui a eu le malheur de constater son état.
— C'est bon Iris, elle t'a rien fait.
— T'es décidément beaucoup moins chiant quand t'es bourré.
Pour la deuxième fois, je plaide non coupable.
— J'étais pas bourré.
Iris éclate de rire et sa main glacée attrape ma mâchoire tandis qu'elle plante ses yeux chocolat dans les miens.
— Je te cite « Si t'étais moins nocive, je crois que je t'aimerais. », murmure-t-elle.
J'ai sorti tout un tas de phrases de ce genre cette nuit.
****
Elle me regardait comme si j'étais le dernier des puceaux, ce qui n'était pas totalement faux en soi, mais peu importe. Le nez au-dessus de sa bière, elle riait de ma réaction un peu froide à l'allusion sexuelle qu'elle venait encore de faire. Pourquoi ce besoin d'être vulgaire pour être drôle ?
Moi j'avais les yeux fixés sur les petites pattes d'oie qui se formaient de part et d'autre de ses paupières quand elle souriait. C'était tout à fait charmant. Une mèche tombait sans cesse sur son front, elle la chassait avec ses longs doigts fins, j'observai leur course sur sa peau mate, l'esprit embrumé par l'alcool.
Elle était magnifique, quand elle oubliait d'être malheureuse.
— Pourquoi tu me regardes comme ça Nayel ?
— J'aimerais bien te dire que t'es belle, mais tu le sais déjà. À quoi ça sert de t'apprendre quelque chose que tu sais déjà ?
Le sourire d'Iris prit une allure plus mutine, elle aimait la flatterie, c'était sa seule source de confiance en elle.
— Je sais que je suis belle, répondit-elle, mais je ne savais pas que TU me trouvais belle. Donc j'apprends quand même quelque chose.
****
— Naël, on sort, redescend de ta planète, on dirait mon frère.
La voix de la jeune fille me tire de mes souvenirs récents, elle a saisi ma main et m'entraine hors de la rame. J'ai hâte d'être chez moi et de récupérer le sommeil qui me manque.
Malheureusement j'ai omis un détail de taille.
L'accueil parental.
Et plus généralement, familial.
Qu'est-ce que mon oncle et ma tante, Ken et Clem, Amir, Ilyes, Arthur et Nejma font ici ? À 8h du matin ? Un dimanche ?
Ils sont tous assis soit sur des chaises, sur le canapé, par terre, en train de prendre un copieux petit déjeuner.
— Ahhhh ! lance ma mère lorsqu'elle nous voit apparaître, Mon Dieu dans quel état êtes-vous ?
Le premier regard que je capte, c'est celui d'Amir, il est chargé d'incompréhension. Je lui fais signe que nous en parlerons plus tard.
— Euh... Je murmure, on est allés voir Moh hier... et...
— C'est ma faute, me coupe Iris à la surprise générale, J'avais pas envie de rentrer après... Naël n'a pas voulu me laisser seule alors on est allé boire un coup, pas beaucoup, juste quelques verres. Et puis on a discuté et on s'est endormis sur un banc.
Je suis totalement stupéfait, jamais en temps normal elle n'aurait pris sur elle la responsabilité d'une potentielle bêtise, même si en soi, nous n'avons strictement rien à nous reprocher. Tout ce que nous avons fait était cent pour cent légal et mes principes n'ont pas trop souffert de cette nuit.
— T'es retournée voir Sneazz ? demande Ken visiblement mal à l'aise, Je pensais pas que...
La main de Clem se glisse sur la cuisse de son mari, il y joint aussitôt ses doigts. Iris n'a pas perdu une miette de ce geste et je la sens soudainement agacée.
— Si, répond-t-elle froidement.
— Bon ! lance alors mon père qui a perçu la tension, Je pense que vous avez la dalle, allez vous laver et venez à table.
J'obéis aussitôt, pressé de quitter l'ambiance un peu pesante qui règne dans la pièce et les regards insistants de mes cousins et de ma sœur.
Iris m'emboîte le pas et s'enferme rapidement dans sa chambre pendant que je file à la salle de bain.
Quelques minutes plus tard, alors que je finis de m'habiller je repense de nouveau à nos conversations de cette nuit.
Nous n'avons évoqué aucun sujet « sensible », ni Mohammed, ni Romain, ni ses parents, ni même ses conneries. Comme s'ils n'existaient pas. C'était un peu comme si ce n'était pas moi, comme si ce n'était pas elle.
****
— Pourquoi tu sors pas avec ta copine Sara ? me demanda-t-elle en agitant sa paille dans son cocktail, Ta mère a raison, elle est jolie et en plus elle kiffe les mêmes trucs que toi.
— Sofia, corrigeai-je pour le principe, Et je ne sors pas avec une fille simplement parce qu'elle est jolie et que nous avons des centres d'intérêt communs.
Un petit rictus étira ses lèvres et elle se pencha pour tirer sur sa paille, gardant les yeux fixés sur moi.
— T'as jamais eu de copine, pas vrai ? Ça te fait flipper.
Ce n'était pas une question de peur.
— Raconte pas de mythos Naël, t'as peur des femmes.
J'étais entouré de femmes, si j'en avais peur, ma vie jusqu'alors aurait été un enfer.
— Peut-être que c'est parce que tu les connais trop bien que tu en as peur en fait, tu sais de quoi elles sont capables, tu sais aussi ce qui les fait souffrir. Tu te sens pas à la hauteur.
Un sentiment de malaise m'emplit soudainement, j'avais horreur que l'on cherche à connaître mes faiblesses. Comme tout le monde en fait.
— On peut parler d'autre chose ? demandai-je.
Les lèvres d'Iris s'étirèrent plus largement.
— Tu sais... Je pourrais t'aider à avoir moins peur.
Vu le ton lubrique de sa voix, elle ne parlait pas de faire du shopping. J'avais toujours du mal à mesurer à quel point elle était sérieuse quand elle tentait de m'allumer.
— C'est vraiment touchant que tu me proposes ton aide, lui répondis-je sur le ton de la plaisanterie, Mais je m'en passerai.
Elle glissa sa main sur mon bras, et battit doucement des paupières, un rire nerveux m'échappa.
— Tu sais que ça n'arrivera pas. Je ne comprends pas pourquoi tu forces.
— Parce que c'est drôle, répondit-elle, Dis-moi Naël, quand je t'ai embrassé la dernière fois, c'était la première fois ? Pas vrai ?
J'aurais aimé lui répondre que non. Mais à moins que je ne me souvienne pas de baisers échangés à l'école primaire, oui. C'était la première fois qu'une fille m'embrassait.
Et au fond, c'était logique que ce soit elle.
****
Mes pensées sont interrompues par deux coups brefs contre la porte de ma chambre, Iris apparait, les cheveux mouillés, elle porte un jogging et un t-shirt à l'effigie d'un groupe de rock dont elle ne peut sans doute pas citer une seule chanson.
— Merci d'avoir dit la vérité tout à l'heure, je souffle pendant qu'elle entre dans la pièce.
Contre toute attente, elle ne répond pas et se glisse simplement entre mes bras. Je suis de plus en plus surpris par son attitude, mais qu'est-ce qui lui prend depuis quelques jours ?
— C'était bien, murmure-t-elle.
Un peu raide, je tapote maladroitement son dos.
— On va les rejoindre ?
Iris hoche la tête mais ne s'éloigne pas pour autant. J'ai un peu peur que quelqu'un décide de venir voir ce qu'on fabrique et nous trouve ainsi. Ce serait vraiment gênant à expliquer.
— Iris...
Elle finit par décoller sa tête de moi, ses cheveux ont laissé des traces humides sur mon polo. J'ai un peu peur quand elle approche son visage du mien mais pousse un soupir de soulagement en sentant ses lèvres dans le creux de ma joue.
— Merci Naël.
Je mets quelques secondes à réaliser ce qu'elle vient de dire.
« Merci Naël ».
Iris m'a remercié.
Complètement sonné, c'est comme un automate que je la suis jusqu'au salon dans lequel l'ambiance est un peu plus joyeuse qu'auparavant. Iris part aussitôt s'assoir à côté d'Ilyes qui passe son bras autour de ses épaules et embrasse sa tempe. C'est la seule personne avec qui mon cousin a parfois des gestes d'affection, sinon il reste froid comme un glaçon.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? me chuchote Arthur, On dirait que t'as vu un fantôme.
Il n'est pas loin de la vérité, j'hallucine complètement.
— Ta sœur vient de me dire « merci », je lâche à mi-voix.
Mais Amir a entendu aussi, il embêtait Nejma jusqu'alors et retourne brusquement son visage vers moi.
— Attends quoi ? T'es sah ? Iris t'a remercié ? Elle a pris quoi cette nuit ?
Je fronce les sourcils, qu'il fasse au moins un effort pour être discret.
— Désolé, fait-il à voix plus basse en vérifiant du coin de l'œil que son frère et Iris ne l'ont pas entendu, Raconte.
Après avoir attrapé un croissant et une tasse de café sur la table basse, je fais rapidement part à mon cousin et Arthur des évènements de la nuit. En omettant bien entendu quelques détails, pour notre honneur à tous les deux.
— Wah, fait Arthur, J'ai l'impression que tu m'as raconté une histoire cool, et ça c'est vraiment chelou parce que ma sœur n'est jamais impliquée dans des histoires cool.
— J'avoue, répond Amir, On dirait pas que tu parles d'elle.
C'est exactement l'impression que j'ai eu toute la nuit. Et j'ai vraiment de plus en plus peur que tout cela ne débouche sur une énorme déception.
****
Nous nous étions assis sur un banc, simplement histoire de faire une pause parce qu'Iris était essoufflée par la vitesse de mon rythme de marche. Il n'y avait plus de métro, il nous restait une bonne trentaine de minutes avant d'arriver chez moi.
— C'est chelou ce que je vais dire, murmura Iris en posant sa tête contre mon épaule, Mais je passe une bonne soirée. Je pensais pas que ça m'arriverait un jour avec toi. Sans bails à consommer.
Je ris, c'était à la fois méchant et gentil, sans vraiment que je prenne conscience de mon geste, je saisis ses doigts entre les miens, et jouai avec, nonchalamment.
— T'es mignon quand t'es bourré Naël, chuchota-t-elle en relevant les yeux vers moi.
— Je suis pas bourré, répondis-je.
Mais le fait que je n'aie absolument pas froid alors qu'il faisait moins de dix degrés, venait largement contredire mes propos. D'autre part un sentiment assez euphorique habitait mon organisme.
— T'es totalement bourré, rit elle en passant ses bras autour de mon cou.
Elle était tellement différente, pendant ces quelques heures j'avais l'impression d'être avec une fille que je découvrais totalement, et je devais le reconnaître, elle me plaisait. Peut-être que c'était l'alcool.
Son pouce suivit la ligne de ma mâchoire, elle me fixait avec intensité. Sans que je ne les contrôle mes yeux se posèrent sur ses lèvres et je ne pus m'empêcher de penser que je les avais déjà senties contre les miennes.
— T'as envie de m'embrasser, chuchota Iris.
Pouvais-je le nier ?
Fermant quelques secondes les paupières, je tentai de chasser cette envie passagère et irraisonnée.
— Tu peux le faire si tu veux.
— Non, murmurai-je en rouvrant les yeux.
Mauvaise idée Naël, son visage était toujours aussi près.
— Je veux le faire, mais... Tu sais c'est mal, on ne s'aime pas et... Demain.
Mes principes, mes limites, mes sentiments, l'alcool, cette soirée irréelle, tout se mélangeait dans ma tête.
— Faut que t'apprenne à faire ce que t'as envie au moment où t'en as envie Naël. Arrête de toujours te brider.
Je savais qu'elle avait tort, et dans un autre contexte je lui aurais servi un tas d'arguments pour le lui prouver.
— Ça changera rien, chuchota-t-elle, On aura oublié demain.
Parce que pour elle, embrasser un garçon, ce n'était rien. Ça aussi dans un sens, ça me déplaisait.
Mais Iris décida visiblement de prendre les devants, car ses lèvres glacées effleurèrent doucement les miennes, si doucement que je me demandai si je n'avais pas imaginé ce geste. Il fut pourtant suffisant pour briser mes dernières barrières.
Mes doigts glissèrent dans ses cheveux pour ramener délicatement son visage contre le mien. Je ne savais pas faire, mais ça ne m'inquiétait pas beaucoup, ces choses là étaient naturelles.
Et bien évidemment, elle guida les mouvements de nos lèvres entremêlées, je sentis mon souffle se raccourcir, d'autant plus lorsqu'elle approfondit davantage le baiser.
Je maîtrisai à grand peine les envies qui naissaient dans mon corps et ma main libre pressa sa cuisse, peut-être un peu fortement. C'était la meilleure façon pour moi de l'empêcher de se balader à la découverte de son corps.
Finalement, sentant que j'avais de plus en plus de mal à me contrôler, je reculai doucement mon visage pour rencontrer son regard percutant.
Elle n'avait pas fermé les yeux.
Son pouce suivit mes lèvres quelques secondes et elle me sourit.
— C'est fou, fit-elle à mi-voix, tu t'y prends très bien, mais on sent que même là, tu luttes encore contre toi-même. T'es un mec bien Naël. J'espère que tu vas trouver une fille bien.
Je déglutis avec difficulté, ayant vraiment du mal à me remettre de cet instant. Iris se blottit contre moi et je me laissai aller contre le dossier du banc, pour attendre que la tension passe.
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