Chapitre 17. Avion
"Les drogués baratinent, de janvier à décembre aux amphètes
Ils disent que c'est drôle comme un toboggan au paradis
Mais un toboggan au paradis, c'est la descente aux enfers
J'ai des frissons, je vois les règles sacrées que nous brisons »
Il a été un peu compliqué d'expliquer aux parents qu'il fallait absolument que je sois à Toulon la deuxième quinzaine de juillet. Je leur ai dit que c'était le seul moment où Amir était libre dans l'été, il part en Algérie seul avec son père et sa sœur en Août, Maya n'a pas le droit de quitter le territoire et Ilyes bosse.
Alors j'ai passé le début du mois de juillet aux Sables d'Olonne avec Romy, Arthur, Amir et Nejma dans l'appart d'Idriss et Lucie, c'était génial, Naël est venu avec Sofia et je m'entends plutôt bien avec elle finalement. En plus Ania était au Mexique avec Abygaëlle et ses parents.
Ken et Clem nous ont proposé de passer le mois d'août en Grèce. Papa et Maman vont accepter je pense. Léo était super motivé.
Cette fois on descend dans le Sud en voiture, Amir a eu son permis et il a mis dans une golf, toutes ses économies depuis l'âge de huit ans je crois, et puis ses parents ont participé pour son anniversaire.
Papa et Maman ont longuement hésité à me laisser partir avec lui, mais je leur ai juré qu'il sera prudent.
— Ouais ouais, je sais comment conduit son père, et ne parlons pas de sa mère, ce gosse a tout pour être un danger public.
Mais ils ont fini par accepter. Et me voilà, toute prête, en train d'attendre que mon meilleur ami vienne me chercher.
Les parents sont un peu tendus. Enfin surtout Papa.
— Deen à son âge tu partais avec des potes non ? demande Maman.
— Ouais mais à son âge j'étais con et irresponsable. Ne sois pas conne et irresponsable Jadou.
Je lui souris et le rassure une énième fois :
— Amir était en conduite accompagnée avec Hakim, imagine comment il a appris à faire gaffe, son père était hyper stressé il avait trop peur pour sa voiture.
Quand la sonnette retentit enfin, je file ouvrir à Amir et le trouve un poil stressé lui aussi. J'imagine que c'est parce que c'est son premier grand voyage.
— Je te préviens Gamin, fait la voix grave de mon père derrière moi, Si elle a un ongle pété à cause de ta conduite, tu vas travailler toute ta vie pour payer les dommages et intérêts que tu lui devras après ton procès.
Mais n'importe quoi lui. Même ma mère lève les yeux au ciel et plaque sa main sur sa bouche pour l'empêcher de dire plus de bêtises.
— Amusez vous bien et soyez gentils avec Papy et Mamie, ils ne sont plus tout jeunes et ils ont besoin de repos. Appelez quand vous êtes arrivés. On vous rejoint dans une semaine.
— Promis, réponds-je en les embrassant tous les deux.
Puis je m'élance dans les escaliers à la suite d'Amir. Je suis surexcitée. Lui moins.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu stresses pour le voyage ?
— C'est pas ça.
— Un problème avec Ilham ? Je pensais que ça s'arrangeait ? Ta mère a dit à Papa qu'elle était venue chez vous et que ça s'était super bien passé.
Apparement Hakim et Maya l'ont adorée. C'était pas gagné parce que Maya peut avoir un petit côté mère possessive quand elle s'y met.
— C'est pas ça non plus. Écoute je voulais t'en parler mais je savais pas comment te le dire. On a commencé cette enquête à trois et je trouvais ça trop con de...
Il s'interrompt quand on arrive devant sa voiture. Et je comprends aussitôt pourquoi en voyant que le siège passager est occupé.
— Amir t'es pas sérieux.
— Jade, on aura besoin d'être trois, j'ai mis un mois à le convaincre alors s'te plaît gâche pas tout.
Il se fiche de moi ? Depuis des semaines il me dit « oublie mon frère » et il le ramène à Toulon, l'endroit même où tout a dégénéré entre lui et moi.
— J'ai pas envie de le voir, dis-je d'un ton dur.
— Lui non plus il a pas envie de te voir. Mais on doit terminer ce qu'on a commencé. Alors tu fais pas la gamine et tu y mets du tien.
Furieuse qu'il ne m'en ait pas parlé, je me dirige vers le coffre de la voiture pour mettre ma valise dedans. Puis monte dans la voiture dans un regard pour aucun des jumeaux.
Le voyage va être long.
Je n'ai pas vu Ilyes depuis le vernissage de l'expo d'Iris. Ou plutôt je l'ai entr'aperçu chez les Akrour en le croisant entre deux portes. Mais nous n'avons pas échangé un seul mot depuis le fatidique échange trois mois plus tôt.
Trois mois, c'est bien plus long qu'une semaine passée à s'embrasser dès qu'on avait un instant de libre.
Je crois pouvoir dire que j'ai tiré un trait sur tout ça. Même si encore quelques fois il m'arrive d'y repenser avec une pointe de rage.
Bon j'avoue, j'ai pleuré la semaine dernière parce que j'ai rêvé de lui.
Mais j'essaye réellement d'avancer et ça m'agace profondément qu'Amir me mette des bâtons dans les roues.
Mais finalement, est-ce que ça n'aurait pas été pire ? De me retrouver à Toulon seulement avec Amir ?
Au moins là, la colère remplacera la déprime.
*******
— Concentre toi Jade, s'énerve Amir, C'est pour toi qu'on fait tout ça.
Nous sommes en train de préparer notre première escapade du lendemain. Cela fait trois jours que nous sommes arrivés chez mes grands-parents, trois jours que c'est tendu entre nous.
Amir m'a prise entre quatre yeux et tente de me faire une leçon de morale pour essayer d'arranger les choses. Je suis à peu près sûre qu'il a fait le même cinéma avec son frère.
— Écoute, Ilyes pouvait prendre que deux semaines de vacances cet été, il les a donné pour toi. Je sais qu'il a fait le con et que t'as des raisons de lui en vouloir. Mais t'as aussi tes torts, et tu oublies vite tout ce qu'il a fait pour t'aider.
Je sais que c'est difficile pour Amir de se retrouver au milieu de tout ça, il ne veut pas prendre partie dans cette guerre froide qui m'oppose à Ilyes depuis des mois, ça lui pèse et je sens bien qu'il aimerait qu'on arrive au moins à se parler sans se fusiller du regard. Le pire ce sont les conversations indirectes qui se jouent parfois. Encore à midi chacun se servait des réponses données à ma grand mère pour attaquer l'autre. Amir en peut plus et ça peut se comprendre.
— Demain on va peut-être trouver ta soeur et si ça continue vous allez tout gâcher. C'est ça la mission principale, c'est pour ta famille qu'on le fait. Alors arrête d'être aussi égoïste. Je sais que ça se voit pas forcément, mais il va pas super bien depuis les vacances de Pâques, et ça c'est ta faute parce que t'étais une des rares meufs en qui il avait confiance.
Je n'en reviens pas.
Amir n'a vraiment rien compris.
— "Ilyes va pas super bien depuis les vacances de Pâques" ? Tu crois que je le vis bien moi ?
— Mieux que lui je pense, c'était moins important pour toi.
Formidable.
En fait, ce n'est pas qu'il ne veut pas prendre partie, c'est qu'il est carrément du côté d'Ilyes mais qu'il ne sait pas comment me le dire.
— Ça fait trois mois que tu me dis de lâcher l'affaire quand j'essaye de t'en parler. Mais en fait tu n'as rien écouté. Je suis tombée bêtement amoureuse de ton frère, il m'a laissé penser qu'il y avait peut-être moyen qu'il le soit aussi, puis du jour au lendemain il a complètement déserté ma vie. Tu veux que je te montre les dizaines de messages que je lui ai envoyé ? En essayant de comprendre, en lui demandant pardon si je l'avais blessé d'une quelconque manière. J'ai passé des nuits à pleurer comme une idiote parce qu'il me manquait et que je ne comprenais pas ce que j'avais fait pour mériter une telle punition de sa part. Je ne cherche pas à dire que je suis la victime dans l'histoire, mais Amir, je ne suis vraiment pas le bourreau.
Les larmes ont franchi mes paupières et ça me tue de me rendre compte que finalement, la seule personne qui m'a comprise, c'est Iris.
Amir a l'air complètement décontenancé.
— Pourquoi tu m'as pas dit que t'étais amoureuse de lui ?
— Parce que je suis pas comme toi qui crie sur tous les toits ton amour inconditionnel pour Ilham. Je suis timide, surtout avec mes sentiments, tu devrais le savoir. Et puis c'est difficile c'est ton frère...
— Mais Jadou tu dois pas être timide avec moi...
Il attrape mes poignets pour me ramener contre lui.
— Je suis désolé, murmure-t-il, t'es pas égoïste.
Je pousse un soupir en entourant sa taille, peut-être que cette discussion avec Amir va permettre à la suite de ces vacances de se passer d'une meilleure façon.
— Tu l'aimes encore ?
Mon coeur se gonfle dans ma poitrine et un sanglot me submerge quand je hoche la tête contre le torse de mon meilleur ami.
— Finalement Ania avait raison, t'as un problème avec les mecs de sa famille.
Oh il est fort d'arriver à me faire rire dans un moment pareil.
Si vous êtes attirés par les hommes, fuyez les Akrour, réellement, ils aiment trop commettre des attentats dans le coeur des autres.
Enfin d'après ce que j'ai compris, dans le cas d'Ilyes, c'était clairement un acte kamikaze.
*******
La chaleur étouffante et la conversation avec Amir tournant en boucle dans ma tête m'ont empêchée de dormir jusqu'à deux heures. Alors je suis sortie me baigner, c'est incroyable comme la pleine lune éclaire le jardin. J'adore faire ça la nuit, sortir pour faire quelques brasses et retourner me coucher encore mouillée. Les cigales se sont calmées et les diverses grenouilles et crapauds ont pris le relais pour animer le silence nocturne.
Sans les moustiques, ce serait presque parfait.
Alors que je m'enveloppe dans une serviette, je sursaute en entendant une baie vitrée s'ouvrir.
Je fronce les sourcils en voyant Ilyes sortir en trombe. Sa respiration haletante me parvient d'ici.
Qu'est-ce qui lui arrive ?
Au début je me décide à continuer de l'ignorer, puis je comprends qu'il n'est réellement pas dans son état normal. Il tourne en rond en poussant des jurons et peine à retrouver son souffle.
On dirait qu'il est complètement terrifié.
Alors je m'approche de lui doucement.
— Ilyes ?
Il se retourne brusquement vers moi et j'ai un haut le cœur en voyant son visage, la pleine lune me permet de voir à quel point ses yeux sont rouges et baignés de larmes. Il tremble de tout son corps et il respire si fort, son torse est luisant de sueur, tout comme son front.
Je l'ai réellement jamais vu dans cet état.
— Ilyes qu'est-ce qu'il y a ?
— Il... Il... faut... que... je rentre à Paris, articule-t-il en haletant.
Mon Dieu qu'est-ce qu'il raconte ?
Sa respiration est vraiment en déroute, il faut qu'il se calme.
— Pourquoi tu veux rentrer ? Qu'est-ce qui se passe ?
— Ils vont... ils vont... la-la trouver !... Ma mère... Ils vont la tuer.
Mais de quoi parle-t-il, il paraît complètement fou.
Il s'éloigne de moi d'un pas rapide semblant chercher quelque chose, toujours dans cet état fébrile de panique.
Je me souviens alors d'une histoire racontée par Ken, lorsqu'il m'avait expliqué les raisons qui l'avaient poussé à arrêter de fumer.
Je commence à comprendre ce qu'il se passe. Ilyes est en train de faire une crise de paranoïa. J'hésite sérieusement à aller chercher son frère.
Mais d'abord je le rattrape pour lui faire face.
— Calme toi, je murmure, Ilyes tout va bien. Personne ne va tuer personne.
— Ils vont se venger putain ! Ils vont forcément se venger !
Il fait des grands gestes et je ne sais pas quoi faire pour le calmer, je n'ai jamais eu à gérer une telle chose.
Je sais qu'il a recommencé à fumer un peu et je suis certaine que ce n'est pas sans lien avec cette crise. Il y a même des grandes chances qu'il soit en plein bad trip.
Il continue à dire des choses sans aucun sens. Il est persuadé qu'on l'a suivi jusqu'ici, que des personnes vont s'en prendre à sa famille, qu'ils vont tous être tués.
C'est vraiment flippant. On dirait qu'il est complètement fou.
Il faut que j'arrive à le calmer de toute urgence.
Je plaque mes deux mains sur ses joues et tente de maintenir son visage en face du mien.
— Ilyes s'il te plaît calme toi. Tout ceci n'est pas réel. Personne ne va faire du mal à ta mère. Tous ceux qui vous ont fait du mal sont morts. Plus personne ne s'attaquera ni à toi ni à ta famille. Écoute-moi, s'il te plaît.
Il secoue la tête pour écarter mes mains et me dit que je ne comprends rien.
Ok ça ne va pas être si facile que ça, il est complètement incontrôlable. Visiblement cela ne sert à rien de le raisonner avec des arguments concrets.
Peut-être si je rentre dans son délire ?
— Ilyes on ne peut rien faire ce soir, il n'y a plus de trains. Viens il faut que tu dormes. Demain on demandera à Amir de t'emmener à la gare pour rentrer protéger ta famille.
Encore une fois il proteste et dit que je ne comprends rien, qu'il faut qu'il parte tout de suite. Mais je sens déjà qu'il m'écoute davantage.
— Ilyes, demain promis on t'emmène à la gare, mais il faut que tu sois en forme et que tu dormes. Sinon c'est sûr que tu ne pourras pas aider ta famille.
Je prie mentalement pour que le sommeil suffise à lui rendre son état normal.
— Mais cette nuit elle sera pas en sécurité !
— Mais si, t'inquiète pas, cette nuit elle ne risque rien, c'est la pleine lune.
Ce que je dis n'a aucun sens mais ça a l'air de fonctionner.
J'espère qu'aucun voisin ne filme cette scène parce que si c'est le cas on va finir tous les deux à l'asile.
— La pleine lune... murmure-t-il.
— Oui, ils ne vont pas attaquer cette nuit, on pourrait les voir à cause de la pleine lune.
Il hoche la tête. Et je le tire doucement par le poignet en direction de ma chambre. J'ai vraiment peur qu'il reparte dans la violence de sa crise et qu'il réveille tout le monde.
— Viens, tu vas dormir dans ma chambre, comme ça personne pourra te trouver. En plus avec la baie vitrée tu peux t'enfuir.
Il hoche la tête à nouveau, j'ai l'impression qu'il s'est soudainement transformé en enfant apeuré.
— Mais ceux qui sont là ! Ils vont venir te chercher aussi ! Et Amir ! Ils veulent tout me prendre !
J'ai l'impression d'être de retour à la case départ, qu'est-ce qu'il raconte encore ?
Refermant la porte vitrée coulissante de ma chambre, je le pousse doucement vers mon lit.
— Personne ne va venir me chercher. Et Amir sait se défendre.
— Mais si. Ils veulent tout.
— Tout quoi ?
Il y a un instant de silence uniquement brisé par sa respiration sifflante, je réussis à le faire assoir.
— Tout c'que j'aime. Ils vont tout prendre.
Mon cœur dégringole au fin fond de mon estomac.
Oh Ilyes pourquoi faut-il que tu sois dans un état pareil pour dire quelque chose comme ça ?
Complètement retournée, j'oublie soudainement toutes mes résolutions et m'empresse de m'assoir à côté de lui pour le prendre dans mes bras.
— Si tu dors avec moi il ne pourra rien m'arriver ce soir, dis-je en caressant doucement ses cheveux, Ils nous trouveront jamais.
— Mais demain alors tu partiras avec moi.
Mes yeux me piquent et j'ai envie de pleurer parce que cet Ilyes là c'est pas le vrai, mais il dit des choses que je voudrais réelles.
— Mais oui.
— Jure le.
Aïe.
Je pèse le pour et le contre et me dis que c'est pour son bien que je lui mens.
— Je te jure.
Il paraît un peu rassuré car il ne dit plus rien pendant un très long moment.
— Ilyes il faut que tu dormes. Pour être en forme demain.
Je suis toujours en maillot de bain, je commence à être un peu gênée par cette proximité entre nos deux corps peu couverts.
Me détachant de lui, je parviens à le convaincre de s'allonger dans mon lit. Puis récupérant un short et un t-shirt je commence à sortir de la pièce pour aller me changer.
— Pars pas !
Ok tout doux.
— Je vais juste m'habiller.
— Habille toi ici. Je regarde pas.
Il se tourne face au mur et rouge comme une tomate, je me dépêche de me changer à toute vitesse avant de gagner mon lit.
Ilyes se retourne pour me faire face, je le sens beaucoup plus calme, mais j'ignore quand va réellement s'arrêter son bad trip.
— Personne te prendra ce que tu aimes Ilyes. Je te promets. C'est dans ta tête tout ça. Ton cerveau qui te joue des tours parce que tu as trop fumé.
— Je veux plus fumer, murmure-t-il.
Dieu l'entende.
Je caresse doucement sa joue, n'étant plus à un contact près pour ce soir.
— Tu m'as manqué tu sais, dis-je à voix très basse.
Il ne répond pas mais sa main se lie à la mienne qui reposait entre nous, puis il tire sur mon bras pour m'attirer contre lui.
Tout mon corps frissonne lorsqu'il retrouve cette sensation.
Et j'ai peur de demain.
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