Chapitre 16. Όλα καλά

"Il faut qu'j'arrête de m'plaindre, y a tellement pire en ce bas-monde
Des malheurs y en a plein, des coups, j'en ai pris mais j'suis pas mort
Il faut qu'j'arrête de m'plaindre, chez moi, tout l'monde mange à sa faim
Quand ça va pas, j'me blinde, l'amour, c'est rien, ça va, ça vient"

— Jade ! On y va, dépêche toi !

— J'arrive !

Encore un petit instant, je referme la lanière en cuir de mes sandales à talon, offertes la veille par Maman.

Même moi j'ai du mal à me reconnaître dans la glace, pour une fois je fais presque mon âge.

Peut-être ai-je un peu abusé sur le maquillage, mais bon c'est une soirée chic et pour une fois je peux mettre le paquet.

Je rejoins les parents, Romy et Léo dans le salon.

— Wooooah, fait mon petit frère, On dirait Maman.

Papa se retourne sur l'exclamation de Léo et hausse les sourcils jusqu'à la racine de ses cheveux. Il émet un long sifflement.

— Eh baaaah ma fille, s'exclame-t-il.

Je lui souris et Maman me félicite pour ma tenue.

— Tu deviens de plus en plus jolie ma chérie, me dit-elle.

— J'aime trop ta robe ! lance Romy.

Elle est super belle elle aussi. Elle a plus pris du côté Castelle pour le physique et tout le monde dit qu'elle ressemble à Mamie.

Honnêtement ma sœur est plus jolie que moi, c'est pas un drame de le reconnaître et il n'y a pas de jalousie entre nous.

— On y va ? Ken m'a déjà envoyé trois messages pour savoir ce qu'on fabriquait.

Ce soir c'est le vernissage de l'exposition d'Iris. Elle est revenue il y a à peine quatre jours mais Clem et Ken organisent tout depuis des mois. Ça va être exceptionnel je le sais déjà, ils sont très forts pour ça les Samaras.

Papa et Maman sont trop beaux, j'adore quand, ils s'habillent pour sortir, en plus on sent qu'ils se plaisent l'un à l'autre et ça fait plaisir.

Je suis un peu stressée et dois lutter avec moi même pour ne pas gâcher mes ongles que j'ai mis quarante minutes à laquer de vernis.

Mon esprit divague alors vers Ilyes... Oh non je ne devrais pas penser à lui. C'est juste un con.

Pourtant mon cœur se serre quand je me rappelle de sa main autour de mon poignet.

Je secoue la tête. Ce soir c'est décidé, je ferai comme s'il n'existait pas, je vais juste profiter d'Amir, Arthur et même Naël. Et surtout, j'ai quand même l'intention de discuter un peu avec Iris, parce qu'au fond, je la connais si peu.

C'est déjà presque comble quand nous arrivons dans la grande galerie qui accueille l'exposition d'Iris. Il y a vraiment tout le monde. C'est déjà parti pour les grandes embrassades, Clémence, Mohamed, Lucie, Idriss, Antoine, Amanda, Alpha, Shanelle, ça n'arrête plus.

— Jade tu es superbe, me félicite Maya à qui je fais la bise.

Un compliment venant d'elle en vaut cinquante de mes parents. Premièrement parce qu'elle est la personne avec le plus de goût que je connaisse, deuxièmement parce qu'elle est très loin de faire des compliments hypocrites pour faire plaisirs à ses neveux.

Je la remercie et file en direction d'Amir qui est un peu plus loin avec Naël qui est accompagné par Sofia.

— Coucou, dis-je en tapotant l'épaule de mon meilleur ami.

Il se retourne avec un sourire joyeux et lui aussi me complimente sur ma tenue. Toujours un peu gênée quand je salue Naël, je me sens tout de même mieux qu'avant et d'une certaine façon, je suis heureuse de voir qu'il va bien et que lui et Sofia ont l'air plutôt heureux.

Je me demande tout de même si ce n'est pas un peu déplacé de venir avec elle a un événement pour Iris.

— C'est elle qui l'a invitée, m'apprend Amir alors que nous partons à la recherche d'Arthur, En fait Naël et Iris se reparlent depuis un bail, depuis que vous l'avez appelée avec Ilyes je crois. Chacun va de l'avant et c'est très bien comme ça.

Il insiste un peu trop sur cette dernière phrase pour que ce ne soit pas un message subliminal. Il sait très bien que je reste un peu bloquée sur son frère.

Si seulement il comprenait que c'est parce que je n'ai eu aucune explication de sa part et qu'il est devenu du jour au lendemain un étranger alors que j'avais parfaitement confiance en lui.

En cherchant Arthur, nous tombons sur Ken et Clem. Ils ont l'air si fiers, tous les deux très élégants aussi. Mon oncle me serre dans ses bras, c'est celui dont je suis le plus proche parmi la bande de mes parents.

Il paraît un peu surpris en détaillant à son tour ma tenue.

— Putain j'me sens vieux, laisse-t-il échapper, Depuis les vingt ans de Naël je m'en remets pas.

C'est pas le premier a dire ça, cet anniversaire a mis un coup à toute leur génération. Sauf Papa, qui dit qu'il s'est toujours senti a l'aise en étant vieux.

— J'ai l'impression qu'avant-hier tu m'expliquais que t'avais grillé ton daron en train de jouer les petites souris.

J'éclate de rire à l'évocation de ce souvenir. C'était pour ma deuxième ou troisième dent de lait, mon père a marché pied nu sur un Playmobil et s'est affalé sur mon lit en poussant des jurons épouvantables.

Effectivement je n'ai pas cru longtemps à la petite souris.

Après un bref échange de souvenirs avec mon oncle, je le laisse prendre soin de ses invités et rejoint de nouveau Amir qui a fini par trouver Arthur.

— Ehhh Jade... Dis donc t'as mis le paquet. Très jolie robe, me dit-il.

Un miracle vient de se produire, d'habitude il critique absolument toute mes tenues en disant que je me suis échappée d'un pensionnat de jeunes filles des années 40.

— Merci Arthur.

Il nous explique brièvement comment va se dérouler la soirée, il y a un petit film que son père a réalisé et dont il a fait le montage, qui est une sorte de mini documentaire sur le travail fait par Iris et les deux journalistes avec lesquelles elle travaille. Puis Iris va présenter un peu sa démarche, ses outils de travail, avant de laisser tout le monde contempler les photos.

Pour l'instant des sortes d'écrans noirs recouvrent chacune d'elles et je sens que tout est parfaitement étudié pour susciter la curiosité et la surprise chez toutes les personnes présentes dans la pièce. Des journalistes triés sur le volet ont été conviés, ainsi que quelques blogueurs influents dont les Samaras apprécient le travail. Iris et sa mère ont co-écrit le catalogue d'exposition, on est vraiment sur un travail familial mais dont le but final et de mettre en avant l'aînée de la famille.

Honnêtement ça me fait réellement plaisir pour elle.

— Ça commence dans combien de temps ? demandé-je à Arthur.

Il ne répond pas tout de suite, perdu dans la contemplation de deux serveurs en train de circuler avec des plateaux entre les invités.

— Arthur !

— Mon père a demandé a ce que tout soit végétarien, dit-il, Je me demande si le tien va râler.

Je lève les yeux au ciel, bien sûr que non, si quelqu'un râle ce sera à la limite Hakim.

— Tu peux me dire quand ça commence ? J'aimerais bien aller aux toilettes.

Difficile d'avoir une information concrète avec ce garçon.

— T'as le temps, me répond-il, au pire tu rateras le petit discours introductif de mon père, mais tu devrais l'entendre des chiottes dire à quel point il est fier de sa princesse adorée. Je pense même que tu réussiras à entendre ses larmes couler.

— Merci Arthur.

Pendant qu'Amir rigole de son meilleur ami qui s'est déjà lancé dans une imitation mélodramatique de son géniteur, je me faufile entre les personnes. Pour une raison inconnue je me sens angoissée. Mamie m'a acheté un des granules homéopathiques à prendre quand je stresse, Maya dit que ce sont des conneries et simplement un effet placebo, mais dans tous les cas j'ai besoin au moins de ce dernier.

Je me dépêche de m'isoler pour prendre mes granules, et me rafraichir un peu. En me voyant dans les grands miroirs des toilettes des femmes je suis de nouveau un peu surprise par mon reflet. C'est vrai que cette robe me va bien.

En ressortant, je tombe nez à nez avec Iris... et Ilyes.

Self control.

Pendant des années j'ai côtoyé Ilyes sans accorder aucune importance particulière à sa personne, alors pourquoi ça ne pourrait pas redevenir exactement comme avant.

Il porte un polo Lacoste noir et un jean.

Il.porte.un.polo.et.un.jean.un.polo.et.un.jean.

Un polo.

UN POLO.

Et il a repris le sport, c'est très net.

— Jade ! s'exclame Iris, Je ne t'avais pas encore vue !

Elle est trop trop belle.

Toujours ces cheveux courts, elle a cependant maquillé un peu ses yeux et porte une combinaison vert émeraude qui lui va affreusement bien. Le regain de confiance en moi que j'avais eu en m'observant dans la glace disparaît aussitôt.

C'est assez étrange de voir Iris, comme si c'était un esprit. D'autant plus qu'elle est gentille avec moi et me demande de mes nouvelles.

— Ilyes m'a parlé de ce que vous aviez fait aux vacances de Pâques ! C'est incroyable !

Soudain complètement décontenancée, je jette un regard dans la direction du garçon qui jusqu'alors prenait grand soin de fixer l'écran de son téléphone. Nos regards se croisent et je comprends que même avec énormément d'efforts il va me falloir un temps infini pour de nouveau passer à côté de lui sans rien ressentir.

De quoi a-t-il parlé à Iris ?

— Pour ta soeur ! précise-t-elle en sentant la gêne qui nous habite tous les deux.

— Ah euh oui.

Et voilà, je me remets à bégayer de façon idiote, je dois être cramoisie, ridicule et laide.

Au même moment les lumières se baissent et la voix de Ken résonne dans les hauts parleurs.

— Bonsoir à tous et à toutes, merci d'être ici ce soir.

— Il faut que je file, nous dit Iris en s'enfuyant d'un pas léger.

J'ai envie de me mettre à pleurer mais je m'efforce de conserver le plus de dignité possible pour contourner Ilyes et rejoindre à mon tour la salle de réception.

Repérant mes parents qui discutent avec Ivan et Théo je me faufile jusqu'à eux pour me blottir contre mon père qui semble surpris par mon affection soudaine et démonstrative.

— Ça va pas ma puce ? demande-t-il en passant son bras autour de mes épaules.

"Fille pourrie gâtée par son papa".

Les mots d'Ilyes me reviennent et je me demande alors si c'est ce qu'il pensait réellement, s'il ne m'a pas complètement laissée tomber pour ça, finalement.

C'est mal d'être proche de ses parents ?

Mon père baisse la tête pour murmurer à mon oreille.

— Tu m'expliqueras ce qu'il s'est passé avec Ilyes ?

Je relève brusquement la tête. Ken continue son discours et c'est vraiment mal poli de parler en même temps, mais il faut quand même que Papa réponde à ma question silencieuse.

— Jadou, t'es partie à Toulon vous étiez inséparables, t'es revenue on la l'impression qu'on dit un truc obscène quand on balance son blase dans une conversation, et il te fixe depuis que t'as déboulé pour te réfugier dans les bras de ton papa chéri.

Aussitôt je me retourne pour tenter de vérifier la dernière phrase de mon père et surprend effectivement le regard d'Ilyes sur moi. Son expression est indéchiffrable, pendant un instant j'ai presque l'impression qu'il va s'approcher.

On dirait que c'est moi qui l'aie blessé il y a un mois et demi et que c'est lui la victime de toute cette histoire. Je suis un peu perdue, et il me manque tellement.

Je quitte son regard pour tenter de me concentrer sur Ken qui termine son discours pendant qu'Ivan, mon père, Théo et Idriss mettent leurs mains en porte-voix pour hurler des "Papa poule" "Ouais ouais ouais le daron" "Eh Merce la paternité" et autres mots d'amour à l'intention de leur ami. Quelques invités peu habitués les dévisagent avec amusement. Même dans les soirées branchées ils ne savent pas se tenir, et c'est ça qu'on aime chez eux.

— On en parlera plus tard Papa, même moi je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé.

Il pose sa main sur ma nuque et me sourit un peu tristement.

— Vous êtes grands, murmure-t-il, Je te force pas à tout me dire, mais si t'as besoin de conseils on est là.

Amir me fait des grands signes pour que je le rejoigne pour regarder le film avec lui et les autres, j'embrasse la joue de mon père et m'empresse d'aller m'installer sur la banquette à côté du seul jumeau qui m'apprécie encore.

Une bouffée de mélancolie me soulève la poitrine en repensant au moments si drôles et appréciables que j'ai passé en leur compagnie à tous les deux.

Une fois j'ai dû faire le deuil d'une meilleure amie.

Une fois j'ai dû faire le deuil d'un sentiment amoureux.

Là je dois faire les deux en même temps, et c'est vraiment pas si facile.

Le film est court est très interessant, mais j'ai réellement du mal à me concentrer dessus. De la même façon quand les photos sont enfin découvertes, je fais un tour rapide sans vraiment réussir à m'impliquer dans l'admiration et l'analyse du travail d'Iris. D'autant plus quand je vois Ania et Aby essayer de discuter avec Ilyes.

— Ça ne va pas ?

Je tourne la tête vers Iris qui m'a rejointe, encore une fois très surprise qu'elle s'intéresse à ma petite personne.

Impossible pour moi de lui répondre, je sais que je vais éclater en sanglot si j'ouvre la bouche. Alors je me contente de hocher la tête.

— De toute évidence ce n'est plus Naël, murmure-t-elle, Ilyes ?

Je ferme brièvement les yeux pour retenir mes larmes.

Pourquoi ça me fait aussi mal ?

— Viens, me dit Iris, J'en peux plus de répondre sans arrêt aux mêmes questions, Papa et Arthur s'en chargeront.

Elle pose sa main sur mon épaule et me pousse doucement vers la sortie. Une fois dans la rue je peux lui raconter tout ce qu'il s'est passé. C'est la première à qui j'explique réellement en détails, avec Amir je suis restée assez évasive.

Iris pousse un soupir lorsque j'ai terminé.

— Avant de t'embrasser il a pas posé ses règles de bases ?

— Ses quoi ?

— Tu sais, quand il doit se passer un truc avec une fille, il lui dit toujours de pas s'attacher, de pas lui envoyer de messages, de pas lui faire de crises de jalousies, bla-bla-bla, tout ça pour s'éviter les problèmes liés aux coeurs brisés et à la possessivité. La fille est prévenue, si elle souffre, c'est sa faute, en gros.

J'écarquille les yeux, il ne m'a jamais parlé de ça.

— Il m'a rien dit. Au contraire il voulait parler le moins possible. C'est justement parce qu'il n'y avait aucune base que j'ai provoqué la discussion.

Iris hoche la tête, l'air vraiment étonnée.

— Alors deux possibilités, soit il a délibérément voulu te briser le coeur, soit il était amoureux de toi et quand t'as dit que tu voulais arrêter les conneries, il a pensé que c'était moins important pour toi, il a eu peur et il s'est barré. Surement même que depuis le début il était flippé comme pas possible et qu'il a trouvé le prétexte parfait pour fuir.

Oh mais quel courage.

Si Iris a raison, ça m'énerve qu'il préfère nous rendre tristes tout les deux plutôt que d'avoir les couilles de me dire clairement qu'il avait peur.

Nous discutons encore un peu, c'est très étrange de parler avec elle alors que nous n'avons jamais été très proches auparavant.

— Tu sais parfois il faut un peu de temps pour que les choses puissent être naturelles, me dit-elle, Avec Naël maintenant on peut-être amis sans se faire du mal. Je suis réellement contente pour lui et Sofia, c'est une fille solide, il a besoin de ça.

— Tu n'es pas triste ?

Elle me sourit.

— Entre nous ce sera toujours un peu spécial... Mais j'ai compris qu'aimer une personne ce n'est pas la vouloir pour soi à tout prix. Je pense sincèrement que je ne suis pas celle qu'il faut à Naël, d'ailleurs... je t'avoue que je ne suis plus vraiment seule moi non plus. Ne le dis à personne, seuls ma mère, Moh et Naël sont au courant, mais j'ai rencontré quelqu'un au Bangladesh. C'est un journaliste brésilien. Il est incroyable. On va tout doucement parce que je ne suis pas très stable. Mais ça se passe bien.

Je suis touchée qu'elle m'en parle et heureuse qu'elle puisse elle aussi aller de l'avant. Je sais qu'elle va bientôt repartir parce qu'elle va mal quand elle est à Paris. Ça me rend un peu triste de la découvrir maintenant.

— Tu repars quand ?

— Dès que l'expo est finie, on s'envole pour la Tanzanie avec Papa.

— Iris ! Tout le monde demande ce que tu fais !

On se retourne toutes les deux vers Naël qui se tient derrière nous. Iris s'excuse et après avoir brièvement embrassé la joue du jeune homme, elle rentre dans la galerie.

— Ça va ? me demande-t-il comme je le rejoins.

— Oui.

Cette fois je ne mens pas, cette discussion m'a fait beaucoup de bien.

— Naël tu sais... Je suis désolée pour tout. Maintenant c'est passé pour moi et j'aimerais bien qu'on puisse être de nouveau amis...

Il me sourit de toutes ses dents, je le trouve toujours magnifique, mais j'ai compris que ce n'était pas le seul sur terre que je pouvais aimer.

— Jadou c'est moi qui suis désolé. On avance maintenant, c'est oublié.

C'est étrange mais j'ai l'impression qu'on m'enlève un poids dont je n'avais pas réellement conscience. Toute contente je me précipite dans les bras qu'il m'ouvre. Puis on rejoint les autres et je vois tous nos parents déjà bien alcoolisés en train de rire ou de s'envoyer des vannes.

Je me faufile entre les débats politiques, discussions insensés de deux oncles défoncés, les échanges d'anecdotes et de souvenirs, les "Mais vas-y j'te jure que c'était en 2013", les "Je suis pas d'accord, c'est Temps Mort le plus grand classique de Booba", les "Ouais on a reçu son bulletin c'est pas mirobolant ce trimestre, je pense l'envoyer faire son service militaire en Algérie pour lui apprendre la vie. " Un sourire incontrôlable étire mes lèvres quand je me rends compte à quel point je les aime tous.

C'est vraiment ça le plus important, la famille.

L'amour c'est rien, ça va, ça vient...

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