Chapitre 16. Menace

« Dans la foulée, ah gros, faut pas douter
De soi quand la vie
Te braque faut pas r'culer
À l'aventure j'suis parti
Peu d'amis j'ai rencontré
Pourtant j'en voulais plein »

Quand Ilona ouvre la porte de son appart, je sens un truc disjoncter dans mon cerveau.

— Ilyes... Tu devrais partir.

Son visage est recouvert de contusions, elle a des marques bien nettes de griffures dans le cou. Son t-shirt est maculé de taches de sang. Je connais déjà l'état du reste de son corps.

— C'est mort. Tu vas me raconter exactement ce qui s'est passé. La vie de ma mère, je vais les fumer.

Elle hoche douloureusement la tête et me laisse entrer. La vérité, je me sens coupable, si j'avais réagi à son appel, peut-être qu'elle serait pas dans cet état. Je remarque qu'elle boite et semble sur le point de s'effondrer à chaque pas.

— T'es allée à l'hôpital ? je demande, T'as porté plainte ?

Ilona répond pas, mais éclate en sanglots avant de se blottir contre moi.

— J'ai... J'ai cru que j'allais... mou-mourir.

Pas très à l'aise, je referme maladroitement mes bras autour d'elle. Elle est traumatisée et ça peut se comprendre.

— Je suis désolé. C'était pas à toi de payer.

Elle met un peu de temp à se calmer, puis me demande de l'accompagner dans sa chambre pour discuter. Quand on est posés sur son lit, elle se met à parler.

— Ils sont venus hier matin, y'avait le cousin de Cheikh qui filmait, Prince, Moussa et lui. Il m'ont attrapée par la gorge et puis ils m'ont attaché les mains. J'arrêtais pas de crier et pleurer alors il m'ont mis des coups jusqu'à ce que je sois trop KO pour réagir. Après c'est un peu flou... Je sais que j'étais nue, que j'ai eu mal. Qu'ils ont fait des trucs dégueu sur moi. Ils filmaient tout. Puis Moussa il avait un cutter et ils ont commencé à rigoler en disant qu'ils allaient me faire d'autres tatouages. Ils arrêtaient pas de me traiter de salope et de pute. Ils disaient que j'étais ta trainée, que c'était tout ce que je méritais. J'avais mal et je voulais crier. Puis ils ont fait le concours de celui qui tenait le plus longtemps en me... Et je suis tombée dans les pommes.

Elle pleure encore, j'ai envie de béger.

Je peux presque entendre la voix de mon daron dans ma tête. "Tu veux faire le mec de la street, tu vas découvrir ce que c'est".

J'aime pas particulièrement Ilona, mais je peux pas supporter l'idée que des mecs soient lâches au point de s'attaquer à une meuf qui a rien à voir dans l'histoire. Mais  il faut que je reste lucide, c'est pas pour autant que c'est ma faute. Mais je vais niquer des mères, c'est certain.

— Tu dis qu'ils ont filmé, tu penses qu'on voit leurs têtes sur les vidéos ?

Elle hausse les épaules.

— Je sais pas.

— Ta mère elle est où ? T'es allée à l'hôpital ?

Ilona se décale un peu pour glisser sa tête dans mon cou. Sah je comprends pas pourquoi elle me colle alors que c'est un peu à cause de moi qu'elle est dans cet état. En plus je suis vraiment le pire mec du monde pour réconforter une fille blessée.

— Je sais pas quand ma mère reviendra, elle est pas là souvent tu sais. Parfois elle passe, elle me laisse de l'argent, puis elle disparait encore. Et non je suis pas allée à l'hôpital... J'ai peur de sortir.

Je suis pas médecin mais je crois que dans ce genre de situation, il faut absolument y aller, elle a été blessée, violée, elle peut avoir des maladies, des infections. C'est grave dangereux.

— Je vais appeler les pompiers.

— Non s'il te plaît... Ilyes pas ce soir... Reste... Reste juste avec moi.

Sa main vient de se refermer sur mon sweat et elle semble complètement paniquée. Qu'est-ce que je fais ?

— Je t'en supplie... tu me dois bien ça...

Elle a pas tort. Et puis faut que je réfléchisse à la façon dont je vais défoncer ces sous-merdes.

— Ok, mais demain matin tu vas à l'hôpital.

Ilona hoche timidement la tête et se blottit encore plus contre moi. J'ai vraiment mal au ventre, cette meuf je lui ai jamais voulu du mal, elle mérite pas ça. Mais j'ai pas la haine comme d'habitude, c'est pas cette colère qui me fait bouillir et tout péter. C'est beaucoup plus violent, mais aussi beaucoup plus calme. Une sorte de venin glacé qui se répand dans mes veines et me donne une simple envie, tuer.

J'ai éteint mon portable mais je sais que je dois avoir un paquet d'appels et de messages des Castelle et de mon frère. Ça aussi ça me fait mal au ventre.

Sans m'en rendre compte, ma main s'est mise à caresser les cheveux lisses d'Ilona, je savais pas trop que j'étais capable de ce genre de gestes mais j'imagine que les circonstances doivent me rendre un peu moins froid avec elle.

Elle me serre un peu trop fort, j'aurais besoin de plus d'espace, mais comme elle l'a dit, je lui dois bien ça.

— T'aurais dû tout leur balancer sur moi, ou accepter de me piéger, ils t'auraient laissée tranquille.

Mais elle éclate une nouvelle fois en sanglot. Putain, elle fait que pleurer ce soir.

— Je pouvais pas faire ça... J'avais trop peur pour toi, tu sais le cousin de Cheikh il a déjà tué des gens.

Ouais, bon ça c'est ce qu'on appelle une "légende urbaine". C'est pas parce qu'un mec a une larme tatouée sous l'oeil qu'il a vraiment buté des gens.

— On s'en branle, au moins ils se seraient attaqués à la bonne personne.

— Je voulais pas.

Ça me fait chier qu'elle ait fait un sacrifice pareil pour moi, cette nana est quand même super courageuse.

— Pourquoi ? je demande.

— Parce que je t'aime.

Je ferme les yeux en entendant ces mots. C'est vraiment l'horreur. Une meuf que j'aime pas et que j'aimerais surement jamais, s'est fait martyriser par amour pour moi. Ce sentiment est indescriptible. Là pour le coup, je n'ai plus envie de tuer, j'ai envie de mourir.

J'arrive même pas à comprendre ce qu'elle peut aimer chez moi.

— Je sais que tu voulais pas que je tombe amoureuse de toi... Mais quand tu me l'as dit, c'était déjà un peu tard. Jamais un mec comme toi s'est intéressé à moi. T'es beau putain, t'es magnifique. Et en plus t'as défendu la prof quand ces batards l'ont agressée, ça veut dire que même si tu fais le mec, t'as pas un coeur de pierre comme tous ceux là.

On croirait entendre une nana de notre milieu parler de Naël. Pour elles, je suis le dernier des connards, pour Ilona, on dirait que je suis le prince charmant.

Eh bah putain, si elle voyait mon reuf.

— Je suis pas un mec bien. J'ai juste eu la chance d'avoir des darons qui se sont occupés de moi. C'est pas le cas pour les trois quarts de ces mecs là. Et puis je préfère être honnête, pour moi rien n'a changé, je vais pas t'aimer parce que tu m'aimes. Par contre je ne coucherai plus avec toi.

— Tu vois, c'est justement pour ça que je suis amoureuse de toi.

Je pousse un soupir et me dégage de son étreinte pour trouver une position plus confortable.

— Tu vas où ?

— Nulle part, j'ai juste mal au dos.

Ilona renifle, pendant que je m'étire en grimaçant.

— Tu veux bien dormir avec moi ? demande-t-elle.

Je hoche la tête et elle se lève difficilement, j'aperçois alors de nouveaux bleus et griffures sur ses cuisses fines. Encore une fois je sens la bille me brûler l'oesophage.

— Ilona, lui dis-je.

Elle se retourne et je vois que ses yeux bruns sont de nouveaux remplis de larmes.

Putain elle va finir pas me toucher.

— T'as fait quoi après qu'ils soient partis ?

C'est une question archi con, mais je sais pas, je me demande comment elle arrive à être encore debout après ce qu'elle a subi.

— Quand j'ai repris connaissance, j'ai passé la journée à pleurer, j'attendais que la douleur passe. Cette nuit j'ai fini par réussir à me trainer dans la baignoire et j'ai passé au moins deux heures dans le bain. Je crois que je me suis endormie. Mais après l'eau était froide, j'étais gelée. Alors je suis retournée dans mon lit. Et puis j'ai attendu. Et puis t'es arrivé.

Attends, ça veut dire que... ?

Je me lève brusquement du lit, soudainement écœuré. Ok finalement heureusement que je suis venu.

J'arrache tous les draps du lit et les fout très loin de nous.

— Tu ranges où les draps propres ?

Elle m'indique son placard. Heureusement que ma daronne nous a toujours forcé à changer nous mêmes nos draps et que je sais faire.

Je me dis alors que si elle a simplement pris un bain, Ilona a rien fait pour désinfecter ses blessures.

— T'as de l'alcool, des pansements, toutes ces merdes ? je lui demande.

— Salle de bain, répond-elle en se rasseyant sur le lit fait.

Je me retrouve à fouiller dans cette salle de bain un peu crade et désordonnée, quand j'ai trouvé ce qu'il faut, je retourne dans sa chambre.

— Enlève ton t-shirt, j'ordonne.

Elle obéit. J'ai pas peur du sang, ni des plaies. Il s'agit de rester bien pragmatique. Et puis j'ai déjà vu les photos.

Même si c'est plus impressionnant en vrai, je prends pas le temps de m'apitoyer sur l'insulte qui ressort en rouge vif sur sa peau blanche.

Ilona sursaute un peu quand ma main froide se pose sur sa hanche.

— Bouge pas.

Je m'applique à nettoyer efficacement les plaies, je sens qu'elle est archi tendue, elle doit pas mal serrer les dents.

Quand j'ai réussi à faire un pansement, je relève les yeux vers elle.

— Y'a autre chose ?

Elle secoue la tête. Alors je désinfecte simplement les griffures les plus profondes puis fouille dans son placard pour lui filer un t-shirt propre.

— Ilyes.

— Ouais.

Une larme quitte son œil et elle l'essuie d'un revers de poignet.

— Pourquoi tu fais ça pour moi alors que tu m'aimes pas ?

— Parce que je suis un connard mais pas une baltringue.

Elle hoche la tête.

— Je vais prendre une douche, lui dis-je, Couche toi.

Une fois seul, je prends le temps de réfléchir à la façon dont je vais exploser ces enculés.

La journée a été longue. Entre le stop, le train et mon arrivée chez Ilona, j'ai pas vu passer les heures, mais je sens la fatigue.

J'évite une nouvelle fois de penser aux Castelle et à la déception de Deen et Vio.

Putain ça devrait pas me faire ça.

Quand je pense qu'il était fier de moi.

Les mains sur le lavabo sale, je me dévisage dans le miroir avec une envie violente de l'exploser d'un coup de poing.

Comment j'en suis arrivé là ?

Ignorant ma gorge qui se serre et mes yeux qui me piquent, je rejoins la chambre d'Ilona. Elle est allongée sur le lit. Ses longues jambes recroquevillées contre sa poitrine, secouée de sanglots.

Le même poison glacial qui m'avait envahit quelques minutes plus tôt se décharge une nouvelle fois dans mon corps. Dans mon esprit une vision très nette de la gorge de Cheikh une fois que je l'aurai ouverte.

Je m'assoie à côté de l'adolescente en pleurs et pose maladroitement ma paume sur son épaule.

— Je suis vraiment désolé.

— Prends moi dans tes bras s'il te plaît.

Allez Ilyes, t'es capable.

— Lève toi deux secondes juste.

Elle obéit et j'ouvre le lit avant de lui faire signe de s'y glisser. Mal à l'aise mais décidé, je m'allonge à côté d'elle.

— Viens là, je murmure.

Ilona hésite pas une seconde et je sens ses ongles se planter dans la peau de mon dos.

— Tu sens bon, l'entends-je chuchoter, Ça fait du bien.

Je réagis pas et cale ma tête sur la sienne. C'est contre mes principes de câliner une nana, encore plus une nana qui est amoureuse de moi. Mais vu les circonstances extrêmes, je peux me foutre mes principes au cul.

*****

J'ai passé la mâtinée aux urgences avec Ilona. Ils vont la garder quelques jours parce qu'elle a des lésions importantes. Ils ont essayé d'appeler sa mère, elle a jamais répondu. Au moins je sais qu'elle est en sécurité. Maintenant je vais pouvoir régler mes comptes.

Capuche sur la tête, couteau dans la poche, sentiments éteints et goût amer dans la bouche, j'attends pas loin de la sortie du lycée. Dans la petite rue où on fumait tout le temps.

Cheikh pourra plus jamais marcher ni violer qui que ce soit, croyez moi.

Il me faut pas une demi-heure avant de le voir se pointer, avec Prince et Samir.

Mon sang se glace, mais pas de peur. Je sens tout mon corps partir avant même que je lui en aie donné l'ordre. Dans la seconde qui suit je me suis jeté sur lui.

Sous l'effet de la surprise, le grand noir s'effondre et je lui colle mon poing dans la mâchoire. À partir de là je contrôle plus rien. Je ne comprends pas pourquoi Prince et Samir se sont pas jetés sur moi. Je cogne, je cogne sans m'arrêter.

Quand ma haine s'apaise un peu, je sors ma lame.

— T'aurais jamais dû faire ça. On me menace pas, on me fait pas de chantage, et on fait pas tourner mes plans cul.

Un demi sourire naît sur les lèvres ensanglantées de Cheikh.

— Je savais que t'allais v'nir. Trop sensible aux femmes le petit kabyle polak.

Je lui fous la pointe de mon shlass sous le menton.

— Ferme ta grande gueule et ouvre tes oreilles.

Alors que je m'apprête à poursuivre, Cheikh rigole et crache un filet de sang.

— Je veux 2000 balles, ou la prochaine fois, c'est ta reus. Et crois moi on connaît le nom de son bahut, articule-t-il, On va foutre ta mif sur la paille.

Au moment où je m'apprête à lui planter la lame dans la gorge, je sens deux bras m'attraper en arrière, un coup sur la tête, un bruit métallique et le froid des menottes m'enserrer les poignets. Mon shlass tombe de mes doigts.

On me gueule dessus de tous les côtés, une nouvelle fois la matraque s'abat sur moi. Puis je me sens attrapé et traîné jusqu'à une bagnole. Les voix des keufs me font aussi mal à la tête que les coups que j'ai reçu.

Pourtant je sens mes poumons s'enflammer quand je hurle un flot d'insultes et que j'essaie de me débattre pour retourner vers Cheikh.

Il a franchit l'ultime limite en menaçant ma mif. Ce n'est qu'un dernier coup plus violent qui a raison de moi et je perds connaissance.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top