Chapitre 15. Risibles Amours

"Aucune fille ne compte, et puis je t'ai rencontré, toi
T'étais différente, ça m'a fait peur, j'ai tout gâché
On faisait la paire
On était perchés
Si je la perds
Je l'aurais cherché"

— Merci Jules, dis-je lorsqu'il se gare devant chez ma grand-mère. Désolée pour le mélodrame.

Il me sourit avec gentillesse. Et se penche vers moi pour me faire la bise, ignorant royalement le regard assassin du chien de garde sur la banquette arrière.

— Je t'envoie un message la prochaine fois que je suis à Toulon, dis-je avant d'ouvrir la portière.

J'entends grogner derrière et vu les quelques mots que j'arrive à reconnaître, ça ne me donne pas envie de faire le moindre effort.

À peine rentrée dans la maison, je file m'enfermer dans la salle de bain pour prendre une douche et me détendre.

Je suis à la fois folle de rage et blessée.

Tous ces sentiments sont complètement nouveaux pour moi et je ne sais même pas ce qu'ils signifient.

Quand je rejoins ma chambre en frottant mes cheveux mouillés je sursaute violemment en trouvant Ilyes assis sur mon lit. Il a abandonné sa casquette et semble un peu plus calme.

Je ne le suis pas vraiment.

Alors sans lui adresser un seul mot, je me glisse dans mon lit et lui tourne le dos.

— Les meufs, commence-t-il, Je les fuis parce que je veux jamais me retrouver dans ces situations de merde.

J'ai dû louper le passage où il fuyait Chloé.

— Y'a vraiment rien de plus chiant qu'une racli qui boude.

— Peut-être que si tu la traitais pas de kehba à la première contrariété elle bouderait moins.

J'ai pas pu m'empêcher de lui répondre. Parce que se plaindre de mon attitude après ce qu'il m'a fait comme cinéma ce soir...

— Je t'ai pas traité de kehba, j'ai sous-entendu que tu l'imitais bien.

Voilà qui change tout.

— Mais j'avoue j'aurais pas dû. Mais c'est toi aussi ! T'as dit que tu voulais bien te taper Jules !

Je me retourne face à lui, il se fout de la gueule du monde !

— Oh mais explique moi pourquoi je ne pourrais pas le faire si j'en ai envie ? Et dis moi Ilyes, vu le nombre de nana avec lesquelles tu as couché, on peut dire que t'es une maxi pute en fait.

Il écarquille les yeux et je le vois serrer les dents. Je sais bien que l'alcool et les joints fumés ne l'aident pas à être particulièrement intelligent, mais là j'ai l'impression d'avoir à faire à un gros con.

— Ok j'aurais vraiment pas dû, lâche-t-il, J'étais zehef, je suis désolé.

Ilyes ne s'excuse que dans des réalités parallèles, c'est bien ce que je pensais je suis en train de rêver.

Mais je ne vais pas me laisser faire trop vite pour autant.

— Il n'y a rien qui justifie le fait que t'étais énervé au point de me traiter de pute.

— Je t'ai pas traité de pute !

C'est pas sur cette partie de la phrase que je voulais qu'il réagisse.

— Si tu l'as fait, et j'aimerais bien comprendre pourquoi tu t'es énervé à ce point.

Il laisse échapper un profond soupir d'agacement.

— Parce que jamais je te laisse monter dans la caisse d'un type que tu connais depuis deux minutes. C'est archi dangereux.

— Oh je vois, donc si Jules avait été un ami d'enfance ça n'aurait pas posé de problème ? Tu m'aurais laissée rentrer en toute sérénité.

Il ne répond pas tout de suite.

— Ça dépend si toute la soirée il avait essayé de te pécho ou pas.

— J'ai pas le droit de pécho qui je veux ?

Ilyes laisse échapper un juron, j'ai l'impression qu'il a du mal à dépatouiller avec ses émotions et ses mots.

— Si... Non... Sah tu rends fou Jade, j'en sais rien ça dépend du mec.

— Oh si ça dépend du mec alors...

J'ai dit ça d'une voix un peu aigre. C'est très énervant qu'il ne m'explique pas ce qui le dérange réellement dans tout ça.

— T'étais bloquée sur lui toute la soirée.

— Parce que t'étais pas bloqué sur Chloé toute la soirée peut-être ?

— C'est pas vrai. Elle était juste archi collante. Et puis qu'est-ce que ça peut te faire, tu veux être libre de pécho qui tu veux.

Un point pour lui.

Je ferme les yeux. Il m'énerve tellement, pourtant j'ai l'impression de n'avoir jamais été plus proche de lui.

— Je sais plus où j'en suis.

Je fixe un point imaginaire sur le plafond, retenant les larmes qui menacent de poindre de nouveau.

Tout se mélange dans ma tête. Ilyes qui souffle le froid et le chaud, qui me prend la main et qui laisse d'autres filles se presser contre lui, qui me fait une crise pas possible digne d'un gamin et qui me traite de pute à la première occasion. Est-ce que j'avais besoin de ça maintenant ?

Pourquoi ça m'a énervée comme ça qu'il soit proche de Chloé ?

— T'étais jalouse ce soir ?

Je tourne la tête vers lui, il s'est allongé à côté de moi et ses yeux me transpercent, il n'y a pas une pointe de plaisanterie dans sa phrase.

— Je sais plus où j'en suis, Ilyes, réponds-je.

— Tu l'as déjà dit.

En fait j'ai peur.

De ce que je commence à ressentir quand il est près de moi. J'ai pensé à lui en m'habillant ce matin, ça veut dire que son regard m'importe. Pourtant il n'est pas du genre à faire des compliments ou des remarques sur mes tenues.

J'aime observer son profil à la dérobée, je me sens un peu fondre quand il sourit. C'est comme si je n'avais jamais vu à quel point il était beau et que cela s'imposait soudainement à moi.

Chaque jour, j'attends avec impatience les moments où on va se retrouver tous les deux, j'aime trop quand il me touche, parfois même je sens mon coeur s'envoler un peu.

Tout ceci me terrifie.

— Je-j'ai l'impression qu'il y a des choses qui changent entre nous. Ça me fait peur.

Il reste impassible ses yeux me dévisageant toujours. Mes joues doivent être si rouge actuellement.

— Qu'est-ce qui change ?

— Je sais pas.

En réalité je le sais très bien, mais c'est trop difficile de l'exprimer à voix audible.

Gagnée par un certain stress, j'ai le réflexe de porter ma main à ma bouche pour me ronger les ongles. Évidemment elle n'atteint pas sa destination, se retrouvant détournée par celle d'Ilyes.

Mon cœur cogne un peu fort contre ma poitrine quand je me rends compte qu'il a profité de ce mouvement pour nous rapprocher l'un de l'autre.

— J'ai l'impression que t'es pas la même Jade qu'au tout début, murmure-t-il.

Et moi donc... Depuis que j'ai appris à connaître Ilyes, c'est comme si j'avais découvert une nouvelle personne.

— Pourquoi ? je demande alors.

Il ne répond pas et j'ai la sensation que tout va basculer, c'est terrifiant. Mon regard balaye son visage. Je sais qu'il a pas mal bu et fumé et que si ça se trouve c'est simplement cela qui le rend plus... proche ?

— Pourquoi t'as fumé ?

Je ne sais pas par quel miracle ou intervention d'un esprit surnaturel, mais ma main s'est posée sur sa joue et mes doigts caressent doucement sa barbe naissante.

Qu'est-ce que je fais ? Et pourquoi il ne me repousse pas en grognant, comme il l'a fait avec la jolie brune.

— Pour te faire réagir. Mais t'es partie avec l'autre.

J'ai la sensation que ma rétine va se consumer tant l'intensité de son regard de glace me transperce l'œil.

Et mon coeur cogne plus que dans les courses les plus violente que j'aie pu faire. Qu'est-ce qui nous arrive ?

— Tu dors ici ? je murmure.

— D'accord.

Ne supportant plus d'être passée aux rayons x par ses iris, je baisse les yeux et enfouis ma tête dans l'oreiller. Ilyes bouge à côté de moi et je présume qu'il s'est retourné pour dormir.

— Jade.

Je relève la tête, à peine le temps de remarquer qu'il est au dessus de moi que ses lèvres s'écrasent sur les miennes.

Une décharge électrique me traverse l'organisme pendant qu'une lame de fond soulève absolument tout mon abdomen.

Il s'écarte un peu pour jauger de ma réaction.

Non reviens.

— Pourquoi t'as fait ça ?

— Je sais pas, répond-il, j'avais envie.

Maladroitement, je pose mes mains de part et d'autre de son cou et l'attire de nouveau tout près de mon visage.

— Moi aussi j'avais envie.

Il sourit un peu avant de m'embrasser à nouveau, cette fois je suis moins surprise et toute prête à découvrir ces nouvelles sensations.

Mes joues sont en feu, mes mains tremblent un peu, lui a l'air plus à l'aise.

J'ai vraiment l'impression que tous mes organes dansent dans mon corps, mon pouls bat dans mes tempes et je n'ose plus ouvrir les yeux.

C'est bête, je me suis souvent inquiétée pour la première fois où j'embrasserais réellement un garçon, en me disant que je ne saurais pas faire et que je serais ridicule. Mais c'est tellement naturel... Léo a tort, ça n'a rien de dégueu, c'est parfait. Je voudrais que ça ne s'arrête jamais.

Je crois que lui aussi apprécie, car il se redresse pour s'assoir sur le lit et saisit mes poignets pour m'entraîner avec lui. Ses mains glissent ensuite sur ma taille et caressent doucement mes hanches.

Mon Dieu c'est quoi ça ? Wow.

Ne me demandez pas comment je m'appelle, je serais incapable de vous répondre.

Puis ses lèvres quittent les miennes pour glisser le long de ma mâchoire. À bout de souffle il glisse son visage dans mon cou et je laisse ma tête reposer contre la sienne.

Je n'ose rien dire, complètement chamboulée parce qu'il vient de se produire. Un millier de questions se bousculent dans mon crâne.

Est-ce que ça signifie quelque chose pour lui ? Pour moi ? Est-ce que c'était juste l'euphorie du moment ? L'alcool ?

Si ça gâche tout entre nous ? Si on devient plus que des amis et que ça se termine mal ?

Amir va me tuer...

Sur le moment je n'ai pas réfléchi à tout ça.

J'ai vraiment besoin qu'il me rassure parce que je commence à regretter.

— Ilyes...

— S'te plaît on parle pas, chuchote-t-il.

Mes doigts glissent sur sa nuque et remontent dans ses cheveux rasés de près jusqu'à atteindre les boucles sur le sommet de son crâne.

Il ne me chasse pas, je crois qu'il réfléchit aussi à tout ça. Peut-être qu'il a peur également.

Ses bras sont toujours autour de moi et pendant quelques secondes ça me parait complètement insensé.

Ilyes m'a embrassée.

Rien qu'en y repensant mon cœur se soulève.

Je finis par m'éloigner de lui pour me rallonger. Il reste assis en tailleur sur le lit un long moment, puis se laisse tomber sur le dos. Sans rien me dire.

— Ilyes... fais-je d'une voix presque suppliante.

Ce n'est pas nécessairement d'un grand discours dont j'ai besoin, juste une parole rassurante.

— J'te jure que je te traiterai plus jamais de kehba.

C'est déjà pas mal et je saurai m'en contenter. Timidement je me rapproche de lui et il me laisse poser ma tête dans le creux de son épaule.

On devrait en discuter je pense, mais ça me fait super peur parce que les mots peuvent gâcher toute la magie du moment qui nous a uni.

******

Le problème des actes sans paroles, c'est qu'ils sont équivoques.

Pendant tout le reste de la semaine chez mes grands-parents, Ilyes et moi avons fait absolument n'importe quoi. On ne parlait presque pas, de peur que l'un ou l'autre dise quelque chose qui fasse remettre en question ce qu'il se passait entre nous. Mais dès qu'on se retrouvait tous les deux... ça partait en live.

C'était surprenant, flippant et génial à la fois. Quand je passais dans un couloir et qu'il m'attrapait par le poignet pour me tirer dans sa chambre et m'embrasser, l'adrénaline se mêlait aux sensations que me faisaient ressentir ses baisers.

Malheureusement plus je voyais le retour à Paris approcher, plus j'avais peur. Et l'un des derniers jours, j'ai craqué et voulu provoquer une discussion.

— Pourquoi on s'embrasse ? ai-je demandé alors que ses lèvres quittaient à peine les miennes.

Il a froncé les sourcils, de toute évidence il n'avait aucune envie de se poser cette question.

— Ilyes ? Qu'est-ce que t'attends de moi ?

— Vas-y t'es chiante avec tes questions là, on était bien !

Mais je préférais mettre les pieds dans le plat maintenant que me retrouver dans deux mois avec le coeur brisé. Visiblement pour lui ce n'était pas si important que ça, j'ai alors eu l'impression que tout ceci n'était qu'un jeu futile tandis que je m'attachais réellement à lui.

— J'ai peur qu'on gâche tout, ai-je murmuré, On devrait arrêter nos conneries.

Il m'a regardé avec dureté et a lâché un :

— Putain j'ai été trop con, j'aurais jamais dû t'embrasser.

Puis il m'a plantée au milieu de ma chambre pour ne quasiment plus me reparler jusqu'à notre retour à Paris.

Ça fait un mois maintenant.

Chaque fois que je suis chez les Akrour il ne sort pas de sa chambre. Je sais qu'il a recommencé à bosser chez Tom. Ilyes m'évite à chaque soirée, repas de famille, occasion qu'on a de se croiser.

Quel courage.

Au début j'ai beaucoup pleuré parce qu'il me manquait et que j'avais l'impression d'avoir détruit notre amitié. Puis je l'ai détesté de m'ignorer et de ne me donner aucune explication. Quand j'ai enfin eu le courage d'en parler à Amir, j'ai compris qu'il était déjà au courant quand il m'a dit :

— Laisse le tranquille, c'est mieux comme ça, mon frère c'est pas un mec auquel il faut s'accrocher. Je prendrai pas partie entre vous.

Je ne veux pas en parler aux parents parce que j'ai peur que Papa lui en veuille. Et puis je sais très bien ce qu'il va dire :

"Tu comprends pourquoi j'ai dit qu'il valait mieux pas que tu dormes avec lui."

J'ignore si c'est à cause de ce qu'on a vécu pendant les vacances à Toulon ou si c'est le fait qu'il soit sorti de ma vie aussi brutalement. Mais j'ai clairement compris que j'étais amoureuse de lui. Et cette fois, c'est beaucoup, beaucoup plus compliqué que d'oublier Naël.

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