Chapitre 12. Pictures
Des voyages en TGV de Paris à Toulon, j'ai dû en faire une bonne centaine de fois. Mais jamais avec les jumeaux et Léo pour seule compagnie.
Amir a passé les trois quart du trajet sur son portable. Il a avoué toute la vérité à Ilham et depuis elle le fait ramer comme jamais. Elle a bien raison.
Il a été viré trois jours du lycée, mais il ne regrette pas du tout d'avoir mis leur tarif à ceux qui m'ont insultée. D'ailleurs je n'ai eu aucun souci quand je suis retournée en cours. Ania a posté un texte pour dire que tout était faux.
J'ai conscience de la chance que j'ai d'avoir ces deux idiots qui veillent sur moi. Ce n'était pas ainsi à l'athlétisme.
Ilyes joue à Zelda avec Léo sur sa console de poche et je dois régulièrement demander à mon petit frère de cesser de crier.
J'ai le nez dans un livre que je ne lis pas, mes yeux parcourent les pages sans réussir à intégrer les mots qui les recouvrent.
Oui, ça va me faire du bien d'aller à Toulon, de retrouver Mamie et son humour, mais je sais aussi que nous risquons de découvrir de nouvelles choses, peut-être très douloureuses.
Un paquet de M&M's apparaît dans mon champ de vision et je relève le nez vers Amir qui me le tend, lui-même a la bouche pleine.
— Non merci.
Mais il ne bouge pas.
Pire que mon père.
Pour lui faire plaisir et qu'il me lâche les baskets je prends un chocolat dans le paquet.
— Deux, fait-il.
Je commence à comprendre ce que Maman entendait quand elle m'expliquait qu'être entourée de garçons était parfois très infantilisant.
— C'est bon Amir, j'aime pas trop les M&M's.
De mauvais gré, il éloigne le paquet de mon nez et je laisse tomber ma tête sur son épaule pour tenter de dormir un peu.
— Elle me laisse en « vu » tout le temps, murmure-t-il, Je fais quoi ?
— Laisse lui le temps de digérer. Joue la distance. Là elle te voit ramper elle se dit que de toutes façons elle risque pas de te perdre. Arrête de la harceler de message et tu verras elle reviendra.
Il pousse un soupir et laisse tomber son téléphone sur la tablette.
— Je suis désolée, dis-je, c'est un peu ma faute.
— Khlass, t'es la meilleure. Sans toi j'aurais pas réussi à me calmer avec les meufs.
Je souris. C'est fou l'affection que je ressens pour ce grand type qui galère à faire les choses bien.
— Tu l'aimes ?
— Je suis archi dingue d'elle. Sans déconner elle est posée, intelligente, stable. Tu vois c'est le genre de meuf qui m'apporte un truc en plus, j'ai pas peur de me dire que je pourrais l'épouser tu vois.
Ah oui quand même.
Je suis sûre que tu prononces le mot « mariage » un peu trop près de son frère, il fait une crise d'angoisse.
Amir ressemble tellement à son père sur certains points.
— J'espère que ça va s'arranger entre vous.
Il tourne la tête pour embrasser mon front.
— T'inquiète ma sœur, tu seras témoin à mon mariage.
Pire que moi quand je rêvais de mon mariage avec Naël. Un petit pincement au cœur me rappelle que jamais je ne vivrai cet événement où toute la famille sans exception serait présente et fêterait la joie de lier enfin par le sang ces amitiés fraternelle.
La voix préenregistrée de la SNCF annonce l'arrivée en gare de Toulon et avec un peu de nostalgie dans l'âme, je m'étire avant de serrer rapidement mon meilleur ami dans mes bras.
J'ai besoin d'affection en ce moment, c'est violent.
— Depuis quelque jours tu me fais penser à un chat, dit-il, Toujours tu viens réclamer des câlins.
Papa m'a fait la même réflexion en me disant que j'étais pire que Snoop et ma mère réunis.
Maman et ses câlins...
Léo passe sa tête par dessus le siège devant moi pour m'annoncer qu'on arrive. Il est surexcité. Je vais laisser Ilyes le gérer.
— Mamie !!! s'exclame-t-il en frappant contre la vitre, Elle est là !!!
J'adore Toulon, je me sens bien dans le Sud, peut-être un plus qu'à Paris. J'aime l'accent, j'aime les gens, j'aime le temps, j'aime les paysages, les odeurs et les sons.
Dans l'idéal je voudrais vivre ici plus tard.
Mamie s'extasie pendant quarante cinq minutes sur la beauté des jumeaux et sur la mienne.
— Comme tu es jolie ma chérie, tu ressembles de plus en plus à ta mère. Tout le quartier va venir frapper à la porte pour te regarder. Il va falloir tenir les kékés du coin en laisse qu'ils ne viennent pas te sauter dessus. Heureusement que les jumeaux sont là hein.
Amir me fait un clin d'œil et Ilyes garde une mine assez neutre. Pendant ce temps Léo commence déjà à faire le récit de tout ce qu'il s'est passé à la maison depuis les vacances de Noël.
Vaste programme.
Après un trajet où chacun regrette d'avoir mangé dans le train, je retrouve avec plaisir la maison de mes grands-parents. Léo file aussitôt faire du jardinage avec Papy et je peux me retrouver seule avec les jumeaux pour élaborer des plans pour la semaine.
— On lui en parle ou pas ? demande Amir.
J'ignore si c'est une bonne idée, Mamie s'inquiète facilement et je sens qu'elle ne résistera pas à l'envie d'en parler aux parents.
— Je pense que dans un premier temps c'est mieux qu'on enquête discrètement et si on coince on lui en parlera peut-être.
Les jumeaux hochent la tête d'un même mouvement.
— On commence par quoi ? fait Ilyes.
— Les albums de famille, on trouvera peut-être des pistes.
Je sais que Mamie a récupéré tout un tas d'albums photos quand mon arrière-grand mère est décédée.
Je me lève pour aller les lui demander et reviens quelques minutes plus tard dans ma chambre avec une pile presque aussi lourde que moi. Amir se lève pour me débarrasser et nous commençons à les trier par date et par thème. On peut tout de suite mettre de côté "Corse 1998" "2000-2010" et "Maxime, classe de neige 2003" même si je me ferais un plaisir de contempler les bouilles jeunettes de mon père et mon oncle, ce n'est pas au programme.
— Oh putain guettez comme il était sapé Deen en 2008, c'est ficha de ouf, même la photo a honte.
Je me penche vers Amir qui a ouvert un album pour voir mon père en baggy et sweat extra-large, une casquette New Era à visière plate posée sur le crâne. Une influence américaine absolument pas digérée.
— J'en peux plus c'est Eminem version Lidl.
C'est vrai que c'est drôle, heureusement qu'il a fait des progrès vestimentaires depuis parce que je n'aurais jamais assumé un père habillé de cette façon.
— Les années 2000 c'est une sombre période, t'as jamais vu les photos du daron avec Ken et Idriss ? demande Ilyes, J'te montrerai à la maison on en a plein.
Nous passons quelques minutes à rire devant les photos de mon père et son frère, toutes plus ridicules les unes que les autres.
— Allez on se concentre, dis-je.
Je saisis un album et commence à parcourir les pages en souriant de temps à autres devant les grimaces de mon oncle ou les vêtements des cousines de Papa. J'aime tellement cette famille.
Amir et Ilyes font des petits commentaires de temps à autre mais pour l'instant nous ne trouvons rien de probant, jusqu'à ce que :
— Eh c'est ta mère là ! Wah tu lui ressembles de ouf !
Ilyes détache une photo et me la tend. Effectivement c'est maman, elle est très jeune sur la photo, un chignon retient ses cheveux et elle porte une robe d'été. C'est dans le jardin de mon Arrière-grand-mère. Elle est belle et sourit à l'objectif, le bras sur les épaules de Pauline sa meilleure amie qui est aussi la cousine de Papa.
— C'est quoi la légende ?
— « Violette et Pauline, 80 ans Mamie Danielle, août 2021 »
Je réfléchis mentalement à la chronologie que nous avons fait avec Ilyes. À ce moment là Papa était censé être avec Nora, pourquoi Maman est-elle présente ?
— Il y a d'autres photos ?
— Ouais plein.
Il me tend l'album et je cherche sur plusieurs pages une photo où l'on peut apercevoir mon père, mais n'en trouve pas.
Étrange.
— Là, c'est Nora ! s'exclame Amir en collant son doigt sur une photo.
Effectivement on aperçoit la belle brune derrière mon oncle. Et je crois que le crâne de mon père dépasse un peu plus loin.
— Y'en a pas d'autres où on la voit ce jour là ?
— Non c'est la seule.
C'est mieux que rien.
Je me saisis du cliché et fonce au salon où Mamie pianote sur sa tablette, ses lunettes de vue au bout du nez.
— Mamoune.
Elle adore quand on l'appelle comme ça.
— Oui, Jadou chérie.
— C'est qui la fille sur la photo là ? Je n'arrive pas à la reconnaître.
Je lui tends le cliché et ma grand-mère pâlit un peu.
— Mmmh laisse moi réfléchir...
Son ton n'est pas du tout naturel, j'attends de voir jusqu'à quel point elle va me mentir.
— Je crois que c'est Nora. Sa mère était une très bonne amie à moi. Elle passait beaucoup de temps chez nous et ton père et elle avaient presque le même âge. Ils se connaissent depuis le bac à sable. Mais on les a perdues de vue toutes les deux depuis plus de quinze ans.
Si elle dit vrai, j'ai de nouvelles informations. Tout compte fait peut-être que les albums des années 2000 vont nous servir.
Mais je pousse quand même les confidences un peu plus loin.
— Papa est sorti avec elle ?
Ma grand-mère paraît hésiter puis se résigne.
— Elle lui a beaucoup tourné autour mais il ne voyait pas grand chose quand il était gamin peuchère. Ce n'était pas une fille pour lui.
— Tu ne sais pas ce qu'elle est devenue ?
Je force un peu mais ma grand-mère est bavarde, c'est assez facile de lui tirer les vers du nez.
— Tu es bien curieuse.
— J'aime bien quand tu me racontes des choses sur Papa.
Son air suspicieux se transforme aussitôt en sourire fier. Je sais la prendre par les sentiments.
— Non je ne sais pas ce qu'elle est devenue, ça ne s'est pas très bien terminé avec ton père. Je croise toujours sa mère au marché de La Valette. Mais on ne se parle pas.
Je hoche la tête, et m'empresse de changer de sujet pour montrer que je ne m'attarde pas trop sur cette information.
— Mamie tu pourras nous descendre au Mourillon demain ? S'il fait beau on pourra peut-être se baigner.
Elle accepte et je m'empresse de rejoindre les garçons dans ma chambre. Amir n'y est plus et Ilyes m'explique qu'il est sorti téléphoner.
Rapidement je lui expose tout ce que j'ai appris de la bouche de ma grand mère et nous nous mettons en quête d'une photo de la mère de Nora dans les albums de famille.
— C'est peut-être elle, là.
Il me tend une photo sans doute prise lors d'un barbecue ici, je reconnais Nora qui doit avoir à peine vingt ans et une femme à côté d'elle lui ressemble beaucoup.
— Oui je pense que c'est elle. Garde la photo.
Une fois tous les albums épluchés, je les ramène à ma grand-mère et nous commençons à élaborer notre plan d'attaque. J'arrive presque à voir tout ceci comme un jeu, comme si je n'étais plus directement concernée par toute cette histoire.
— Le marché est quel jour à La Valette ?
— Lundi matin, répond Ilyes en cherchant sur internet, après-demain.
Nous ne sommes absolument pas sûrs de la croiser, mais c'est mieux que rien.
— Il va falloir trouver un moyen de lui parler sans que ce soit suspect.
— J'ai un plan, me fait-il.
Il m'explique en quelques mots son idée. À la fois c'est génial, un peu cliché mais sans doute efficace. Il faudra juste qu'Amir soit un bon comédien.
— Mieux vaut pas que tu te montres, tu ressembles de ouf à ta daronne, même si c'est pas sûr qu'elle l'ait rencontrée, on peut pas prendre ce risque.
— J'occuperai Mamie pendant ce temps.
Maintenant je suis impatiente de mettre tout ceci à exécution. J'espère sincèrement que nous allons apprendre des choses.
— Ça te dit qu'on aille faire un tour, proposé-je, Amir est toujours au téléphone. On emmène Léo.
Ilyes acquiesce et je vais chercher mon petit frère pour lui proposer de sortir. Il est aussitôt surexcité, j'ai l'impression de voir un petit chien qu'on emmène en promenade.
Pendant près d'une demi-heure il raconte sa vie à Ilyes et parle des performances de l'OM en ligue 1. Passionnant.
— Il s'arrête jamais, grogne le jeune homme pendant que mon frère lui demande pour troisième fois de lui traduire une insulte en arabe.
— Jamais, réponds-je, Mamie dit que Papa était hyperactif comme ça quand il était petit. Il s'est calmé ensuite.
Nous nous arrêtons près d'une aire de jeu pour les enfants et Léonard, avec la sociabilité qui le caractérise, se met rapidement à bavarder et jouer avec les autres bambins.
— J'aurais kiffé avoir un tipeu comme ça, même s'il est fatigant il est golri quand même. Par contre je lui aurais grave fait faire des conneries.
Ilyes se tait un instant en fixant les enfants qui jouent. Je le sens dans un état bizarre soudainement. Peut-être que la fausse couche de Maya n'est pas totalement oubliée. Amir m'en parle parfois, Ilyes jamais.
— T'sais quand ma mère elle a perdu le bébé on avait déjà choisi le prénom en famille.
Je reste pétrifiée par sa confidence. Chaque fois qu'Ilyes parle d'un truc profond ça me fait le même effet. Comme si j'atteignais un niveau supérieur à un jeu vidéo et que la moindre erreur pouvait me faire retomber à zéro.
Surtout ne pas avoir l'air trop compatissante, ni montrer de la pitié.
— Vous vouliez l'appeler comment ?
— Riyad. Ma daronne râlait un peu mais je crois qu'elle aimait bien. C'est mon daron qui propose les prénoms et elle valide ou non. Riyad Mahrez c'était une bête de joueur en Algérie.
Je ne peux pas m'empêcher de rire en entendant ça.
— Le football est tellement important dans votre famille, c'est incroyable.
Il hoche la tête avec un petit mouvement de lèvres vers le bas.
— C'est un des trucs qu'on a toujours partagé avec le daron. Un jour faudra que tu viennes voir un match chez nous. C'est mieux qu'au stade.
Je souris, c'est affreux parce que je le trouve vraiment trop mignon quand il me raconte ça. Mais je me retiens de le lui faire savoir parce qu'il détesterait.
— J'aime bien discuter avec toi.
Mes joues deviennent écarlate lorsque je prononce ces mots, je n'ai pas osé les dire la dernière fois dans ma chambre. Mais là ils étaient bien trop brûlants sur mes lèvres pour les y laisser.
J'évite de le regarder car je devine son air un peu moqueur.
— Ça me dérange pas, dit-il alors.
Sa main a glissé contre la mienne et cette fois je me garde bien de lui demander pourquoi il fait ça.
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