Chapitre 11. What They Want

« I'm smart as fuck, they be talkin' like I'm the dumbest
But I know what they want from me »

Je rejoins Iris sur le trottoir, elle ne pleure pas mais je vois dans son regard qu'un violent désespoir l'habite.

Elle est debout, les bras ballant, de long stries noires recouvrant la peau mate de ses joues. De ses collant résilles à son haut un peu trop échancré, toute sa tenue reflète ce besoin criant d'attention qu'elle ressent depuis qu'elle est enfant.

— Comment je peux vivre en sachant que j'ai détruit sa vie ? demande-t-elle en plaçant une cigarette entre ses lèvres, J'ai tué la personne que j'aime le plus au monde.

— Arrête ça, il n'est pas mort.

Elle secoue la tête.

— Tu crois qu'ils vont attendre combien de temps Naël ? On peut pas le garder comme ça éternellement, tôt ou tard ils vont décider que la meilleure chose pour lui, c'est de mettre fin à ses souffrances avec une petite piqûre mortelle. Et ce ne sont pas les protestations de ma mère qui changeront quelque chose.

Je sais très bien qu'elle a raison, j'ai déjà entendu mes parents en parler, et au fond, est-ce qu'on peut vraiment leur reprocher de penser que mettre fin à la vie végétative de Moh puisse être la meilleure chose pour lui ?

— C'est pas pour tout de suite, Clem est farouchement opposée à ça. Elle se bat pour lui, réponds-je.

— Elle se bat pour lui ou elle se bat pour elle ? Parce qu'elle préfère le savoir vivant comme un légume plutôt que se confronter à sa mort...

Iris a tort sur ce coup là, parce qu'elle peut sans doute reprocher beaucoup de choses à sa mère, mais pas la façon admirable dont elle s'occupe de Sneazz.

— Tu crois vraiment ? Tu crois que c'est facile pour elle de le voir comme ça ? De passer des heures avec lui en tant que « légume » comme tu dis ? Moi je pense que tu as tort, elle doit souvent se dire qu'elle serait plus en paix s'il était mort. Donc si elle se bat, c'est qu'elle est persuadé qu'il est là et qu'il ressent certaines choses. Elle dit même que parfois il pleure.

La jeune fille tire nerveusement sur sa cigarette et me détaille bizarrement.

— C'est horrible de le voir comme ça il... On dirait qu'il est là mais... il n'y a que ses yeux qui parlent... parfois... murmure-t-elle, puis il déconnecte.

— Tu l'as vu deux heures, elle est avec lui tous les jours. Même Violette, elle ne vient que deux fois par semaine et elle pense comme ta mère. Ne fais pas comme ton père qui ne supporte tellement pas de le voir dans cet état, qu'il passe cinq minutes avant de se mettre à pleurer et de foutre le camp en disant que ça sert à rien.

J'ai vu Ken à l'œuvre, ça le révolte tellement qu'il n'arrive pas à se confronter plus de quelques minutes à la vision de son ami dans cet état. Ce qui est compréhensible. C'est à peu près pareil pour tous les hommes de cette famille à vrai dire.

Mais je pense que si son état évolue se sera davantage grâce à Clem qu'à leurs passages éclairs à l'hôpital.

— Je crois que je reviendrai... chuchote Iris, mais pas toute seule, et pas avec ma mère.

Sous entendu, « avec toi Naël ».

Mais moi je n'ai pas plus envie de passer du temps avec elle...

— On verra, réponds-je, Tu pourrais y aller avec ton père, ça pourrait lui faire du bien à lui aussi.

On se met en route vers le métro, Iris répond par la négative.

— C'est pas parce que je l'ai écouté me faire la morale pendant deux heures la dernière fois que je vais me mettre à passer du temps avec lui.

Je lève les yeux au ciel. C'est vraiment agaçant de l'entendre parler ainsi de ses parents.

— Il a fait un pas vers toi, il te faut quoi Iris ?

— Il fallait le faire il y a deux ans. Au lieu de se préoccuper uniquement de ma mère.

Cette concurrence malsaine qu'elle entretient depuis l'enfance avec sa mère est en grosse partie responsable de son état aujourd'hui. Elle veut son père pour elle seule, Sneazz pour elle seule et bien évidemment, tous deux n'allaient pas arrêter d'aimer Clem pour lui faire plaisir.

Ça fait longtemps que je me dis que seul un psychologue pourrait vraiment aider Iris. Ce n'est pas normal d'avoir seize ans et d'aimer quelqu'un qui en a vingt-cinq de plus. Ce n'est pas normal de haïr une mère qui ne vous a jamais fait de mal. Ce n'est pas normal de passer sa vie à rechercher l'attention d'un père qui fait déjà ce qu'il peut, et de le repousser quand il essaie de faire encore plus. Ce n'est pas normal de s'auto-détruire, de vouloir mourir et d'entraîner les autres avec soi.

— Pourquoi tu dis rien ? me demande-t-elle alors que nous rentrons dans une rame.

— Parce que j'ai rien à dire, tu sais ce que j'en pense.

— Tu crois que ma mère est une sainte et que je la martyrise.

N'importe quoi, je crois juste qu'Iris ne fait aucun effort.

— Elle a fait des erreurs, mais ce n'est pas sa faute si elle a fait une rechute. Tu peux pas tout lui remettre dessus. C'était quand même normal que ton père s'occupe d'elle. Elle aurait pu mourir.

Iris ricane. Ma haine rejaillit aussitôt, je me rappelle rapidement pourquoi je la déteste.

— Moi aussi j'aurais pu mourir, fait-elle, Et dans l'histoire c'est pas elle qui est à moitié morte aujourd'hui.

Cette fois c'est moi qui ricane.

— C'est un concours ? Celle qui souffrira le plus pour que Ken s'occupe d'elle en priorité ? Tu penses pas que lui aussi il a son lot ? Tu te demandes jamais pourquoi Arthur n'a absolument aucun problème avec vos parents ?

— Oh mais parce qu'Arthur n'a pas failli tuer ma mère en naissant. Parce qu'Arthur n'a jamais passé son enfance à pleurer et donc à la fatiguer, parce qu'Arthur n'est pas tombé sur un taré qui a détruit sa naïveté quand il avait quinze ans, parce qu'Arthur ne déprime pas, ne pose jamais de problème, Arthur ne s'est jamais fait de mal, Arthur n'est jamais tombé enceinte, Arthur n'a jamais mal parlé à sa mère, Arthur est intelligent, il a des notes de merde, mais c'est parce qu'il est génial, Arthur ressemble à mon père, Arthur est un artiste. Arthur ne leur fait pas regretter chaque seconde sa naissance.

Mais qu'est-ce qu'elle peut être immature quand elle s'y met...

— Écoute moi bien Iris, personne ne te reproche d'exister. Sauf toi.

Elle ouvre la bouche pour répondre mais je ne l'entends déjà plus et me dépêche de quitter le métro qui vient de s'arrêter. C'est le bon côté des transports en commun, je peux me débarrasser d'elle bien plus facilement que lorsqu'elle est dans ma voiture.

***

Je débarque chez mes cousins avec le moral dans les chaussettes, comme à chaque fois que j'ai vu Sneazz.

— T'en fais une tête, t'avais un enterrement cet aprem ? me fait mon oncle quand il me voit.

C'est clairement l'hôpital qui se fout de la charité.

— Non, je suis allé voir Moh, je lâche en provoquant aussitôt un grand froid dans la pièce.

Les Akrour sont des pudiques, alors les sujets comme ça, soit ils les abordent avec pragmatisme, soit ils ne les abordent pas du tout.

Dans le cas de Moh, c'est encore plus compliqué, parce que son cas divise Maya et Hakim. Ma tante pense qu'il faut abréger ses souffrance, son mari est totalement opposé à cette idée.

Comme si la décision leur revenait.

— Faites moi plaisir, fait Maya, Si un jour je me retrouve dans cet état, achevez moi. C'est inhumain de laisser quelqu'un emprisonné dans son propre corps.

Hakim serre les dents et Amir, qui vient de descendre, s'empresse de répondre à sa mère.

— Commence pas Maman, s'te plait. Vous serez jamais d'accord là dessus.

— Nan mais tu comprends, ta mère aime bien se prendre pour Dieu et décider que Sneazz serait bien mieux s'il était mort, lâche Hakim.

Si en plus on ramène le Bon Dieu là dedans, nous sommes mal barrés, c'est moi qui vous le dit.

— Qui te parle de Dieu Haks ? On parle d'un homme qui ne peut pas communiquer, ni rien faire seul, et dont la vie va ressembler à une longue attente que la mort vienne enfin le libérer.

Je déteste ce débat. On ne parle pas d'un animal blessé, mais d'une vie humaine, de quelqu'un qui si ça se trouve, ira mieux d'ici quelques années. Je ne comprends pas qu'on puisse se disputer de cette façon sur quelque chose d'aussi grave, surtout qu'il s'agit d'un ami.

— Et allez, fait Amir, C'est reparti.

Hakim pose « L'Équipe » qu'il avait dans les mains et relève un regard dur vers sa femme.

— Que tu le veuilles ou non, Sneazz est archi croyant, et du genre à croire que seul Dieu peut décider de son sort. Ça faisait partie des dernières volontés de sa daronne, Allah y rahma. Donc même si t'es pas d'accord, tu respectes et t'arrêtes de hebel.

J'ai tendance à penser comme lui, le plus important c'est de respecter les convictions de la personne concernée. Pas de prendre la décision qui arrange tout le monde.

— T'es encore pire que Clem. Vous ne pensez qu'à vous, lâche Maya, Si ça ne vous pose pas de problème qu'il soit malheureux et emprisonné toute sa vie...

— En attendant, interviens-je, Clem pense tellement à elle que c'est la seule qui se bouge pour que l'existence de Moh soit un peu plus douce. Si vous faisiez tous le quart de ce qu'elle fait pour lui, au lieu de vous disputer pour une décision qui n'est pas la votre, peut-être qu'il reviendrait plus vite parmi nous.

Les regards de mon oncle et ma tante se fixent soudainement sur moi. Comme si j'avais dit un truc totalement saugrenu.

— Parle mleh aux adultes toi, me fait Hakim, tu prends v'la la confiance, ton père te gâte beaucoup trop.

Je serre les dents et jette un regard à mon cousin qui lève les yeux au ciel derrière son père. Il est grand temps qu'on quitte cette pièce et ce débat sans fin.

Au moins vous comprenez mieux pourquoi personne ne veut parler de Mohammed, surtout pendant les repas de famille. Soit ils se mettent à chialer en repensant au bon vieux temps, soit ils débattent sur ce qui serait le mieux pour lui. Épouvantable.

Mais Maya a capté le regard agacé de son fils et le pointe aussitôt d'un index menaçant.

— Que je te revois pas lever les yeux au ciel quand ton père parle, toi !

Hakim se retourne automatiquement vers Amir qui s'empresse de se composer une mine impassible.

— T'as d'la chance que je t'aie pas vu, si j'avais osé faire ça devant mon père je m'en serais pris une, grogne-t-il.

Je déteste quand les parents comparent l'éducation qu'ils ont reçu avec celle qu'ils donnent. Comme si c'était forcément mieux avant, comme s'ils étaient forcément mieux élevés parce que c'était à la dure.

Mon père s'est pris des coups de ceinture quand il était ado, ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas fait de bêtises, je n'en ai reçu aucun et on ne peut pas dire que je sois un délinquant.

— Allez dégagez d'ici vous commencez à me les briser, maugrée Hakim en reprenant son journal sportif.

Il m'agace également, et je ne peux m'empêcher une pique.

— C'est bien L'Équipe, Tonton Haks, y a beaucoup d'images et pas trop de texte, c'est plus facile pour toi.

Amir se pince les lèvres pour ne pas rire, Maya manque de s'étrangler et je détale en riant pendant que mon oncle lève des yeux furieux vers moi.

— Ma parole je vais le hagar ce môme, c'est bien le fils de mon frère, il fait trop le fou.

Amir et moi montons les escaliers quatre à quatre avant de s'enfermer dans sa chambre.

— Ils sont grave relous avec leurs disputes de gamins, fait-il, Par contre pour nous tomber dessus, là ils sont toujours d'accord. J'ai juré on a la pire mif du monde.

Toujours plus.

Il balance sa casquette à l'autre bout de la pièce et passe la paume de sa main sur son dégradé toujours impeccable.

— On s'est quasi pas vu d'la semaine, c'est de l'exa totale, t'as foutu quoi ? me demande-t-il.

— Bah... j'avais du travail, mens-je à moitié, J'avais pas trop le temps de passer. Et toi ? T'as pu passer un peu de temps avec Jade ? Ma sœur ne veut toujours pas lui adresser la parole.

Amir hoche la tête avec un air toujours plus agacé.

— Ouais, j'ai limite dû aller la chercher dans son coin parce qu'elle osait pas venir me parler, zahma elle me voit tout le temps, mais en cours elle fait comme si on se connaissait pas.

— Jade est timide, tu sais bien. Elle devait avoir peur de te déranger avec tes potes et les nanas vulgaires qui vous tournent autour.

Amir Akrour, légende du lycée Paul Bert, pas forcément facilement approchable pour une fille comme Jade.

— Arrête ça, Ilyes ok c'est un connard, mais moi je suis cool non ?

Cool peut-être, mais impressionnant surtout.

— Y'a que toi qui sait que t'es cool Amir, dis-je en riant, Bon et du coup, Jade ?

— Bah, j'ai essayé de la ramener un peu avec nous, mais c'est pas facile, elle parle presque pas, elle rougit quand on lui pose une question simple. Ça fait un peu marrer les gars, du coup ils ont tendance à la chambrer exprès.

D'un certain côté, ce n'est pas plus mal, elle a besoin de sortir de sa zone de confort pour se défaire de sa timidité maladive.

— Elle tient le coup quand même ?

— Ouais, c'est pas des méchants non plus. Mais elle a pas l'air d'avoir trop l'habitude. J'essaye de la défendre deuspi tu captes, mais je vais pas non plus faire le canard. En tout cas ça fait chier ta reus. Et ça c'est mleh.

Ça je le sais. Un truc qu'Ania adore, c'est le fait que toutes les filles viennent lui demander des informations sur ses cousins. Mais si Jade apparaît comme étant plus proche d'Amir qu'elle, le vent risque de tourner.

— Ok, bah continue de faire gaffe à elle, c'est une fille bien et gentille.

— Je sais, en vrai j'l'aime bien, répond-t-il, c'est juste que ce serait plus agréable si elle parlait.

Je me promets mentalement d'essayer de motiver un peu Jade quand je la verrai lundi soir chez les Castelle. Amir y met du sien, il faut qu'elle fasse de même.

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