Chapitre 11. Me réveiller

« Tout ce qui ne me tue pas m'endurcit
Laissez moi me blesser
Si tout ça n'est qu'un rêve laissez moi rêver »

Naël sépare ses lèvres des miennes et j'ouvre les yeux pour me heurter à son regard aussi brûlant que paniqué.

Mon Dieu, qu'est-ce qui lui a pris ?

Je reprends doucement mon souffle, aucune idée de ce que je suis censée dire, faire, ses lèvres me rappellent déjà.

— Tu te souviens de ce que je t'ai dit quand je t'ai récupérée à moitié morte ?

Non... je n'ai plus que les images en tête, juste le moment où j'ai vu Sneazz entrer dans la salle de bain, les yeux plein de larmes de Naël... mais rien d'autre.

Il me détaille et pousse un soupir en se rendant compte que j'ai oublié. Pourquoi ?

— C'était quoi ? je demande à mi-voix.

— Rien, murmure-t-il, Ça n'a plus vraiment d'importance.

J'aimerais insister. Mais nous devons aller voir Moh...

Mes entrailles se tordent alors que le stress me gagne de nouveau, la surprise du baiser de Naël m'ayant jusque-là fait penser à autre chose.

C'est donc sur le coup d'une nouvelle pulsion guidée par mon angoisse que je l'embrasse de nouveau, mais rapidement cette fois.

Il se laisse faire en rougissant, puis sans rien dire nous rejoignons la chambre de Moh, gardant nos mains étroitement liées.

Naël toque à la porte et aussitôt, mes parents, Antoine, Amanda, Violette et Deen sortent. Tous sont en larmes.

Et même si en vieillissant, il devient un peu plus sensible, je peux vous assurer que pour faire pleurer mon oncle Deen, il faut y aller fort.

— Allez-y, souffle Violette, Il veut pas qu'on soit là.

Je ne contiens pas mes tremblements, mes mains sont moites, je sens ma respiration s'emballer de nouveau. Mes ongles s'incrustent dans la paume de Naël au moment où nous passons la porte.

La première chose qui me saisit, c'est son regard. Il n'a plus rien d'absent, il est percutant. Mon cœur se soulève dans ma poitrine me faisant hoqueter. Aucun mot ne me vient à l'esprit, Naël a l'air tétanisé.

— Vous croyez vraiment qu'un hôpital est un endroit approprié pour se pécho comme des affamés ?

Arrêt cardiaque. Arrêt respiratoire.

Sa voix.

Un sourire amusé que je n'ai pas vu depuis des années, j'ai la sensation de rêver.

Ça ne peut pas être réel.

Mon cerveau a lancé une mise à jour, impossible de bouger ou dire quoi que ce soit.

— Eh ! Maintenant que je peux parler c'est vous qui êtes devenus muets ?

Son rythme de parole est plus lent que la normale, mais il s'exprime correctement, c'est tellement irréel.

— C'est que... euh... bredouille Naël.

— Ah, répond Sneazz, Y'a du progrès.

Puis il fixe son regard sur moi, il attend, je suis toujours paralysée.

J'ai l'impression que ce moment de silence dure une éternité, et puis...

— Iris... ?

Mon prénom prononcé par Mohammed me fait l'effet d'un coup de taser.

Je lâche la main de Naël.

— Moh.

— Ah, ta langue n'est pas restée dans la bouche de Naël, on a de la chance.

Un mélange entre un sanglot et un hoquet de rire me submerge. Bientôt les mètres qui me séparent de son fauteuil ne sont plus qu'un lointain souvenir.

— Enfin, murmure-t-il quand je me retrouve contre lui.

J'ai tellement, tellement peur de me réveiller.

Il m'embrasse sur le front, je suis sur une autre planète.

À l'intérieur de moi, c'est n'importe quoi, rien ne fonctionne correctement, je suis submergée par intermittence par des vagues d'émotions différentes. J'aurais besoin de reprendre mon souffle mais elles ne veulent pas me laisser tranquille.

— Je peux pas encore te serrer dans mes bras, il va me falloir beaucoup de rééducation askip', mais l'intention est là princesse.

Pour un peu, je pourrais croire que Dieu existe.

Quand je pense que certains voulaient qu'on le tue... ils doivent se sentir tellement idiots.

— Je suis tellement, tellement désolée. C'est ma faute. Depuis deux ans je... je vis en me disant que je t'ai tué...

— Je me souviens pas de l'accident, chuchote-t-il, Je sais juste que la seule chose à faire c'était te sauver. C'est pas ta faute, c'était pas toi qui conduisait cette putain d'ambulance. Et mieux valait moi plutôt que Naël ou toi.

Naël.

Je me retourne vers le garçon qui n'a pas bougé. Il nous observe, les yeux brillants. Ça fait beaucoup pour lui aussi.

— T'inquiète je vais pas te voler ta copine hein, plaisante Sneazz.

Il n'a vraiment pas perdu son humour, mais je sais aussi que c'est sa façon de réagir face aux émotions fortes.

— Je euh... On n'est pas ensemble, grogne Naël en s'approchant.

Moh sourit.

— Ouais Ouais, vos parents ont joué à ça avant vous les enfants, Je sais pas combien de fois j'ai entendu cette phrase. Faites pas les innocents alors que vous avez des têtes de coupables.

— Naël a une copine, j'explique, Tu ne sais pas tout. Il va falloir qu'on te mette à la page.

Moh jette un regard étrange à Naël qui a l'air extrêmement mal à l'aise soudainement.

— Toi et moi on parlera, dit-il au jeune homme.

Naël répond par un signe de tête, je ne dois pas être au courant de tout.

Puis l'attention du rappeur se reporte sur moi.

— J'espère que t'es plus dans des bails bresson toi.

Je baisse un peu les yeux, même si je fais des efforts ces derniers temps, ce n'est pas pour autant que la partie est gagnée.

— Elle nous épate tous en ce moment, répond Naël pour moi. Depuis qu'elle vient te voir.

Moh sourit et me jette un regard tendre, je sais qu'il serait tellement déçu s'il savait ce que j'ai pu faire comme conneries ces deux dernières années.

— C'est bien, murmure-t-Il, Tes parents m'ont dit la même chose.

Je grimace n'ayant pas forcément envie de parler d'eux pour l'instant. Mais lui, n'a pas fini.

— Avec ta mère ça va comment ?

Il lit aussitôt sa réponse sur mon visage, je vois que ça l'attriste, pour une raison qui m'échappe il aime ma mère comme si elle et lui étaient réellement frères et sœurs.

— Il faut que tu lui laisses une chance, princesse.

Pour l'instant ce n'est pas dans mes plans, je sais qu'il ne me lâchera jamais avec ça, mais je ne suis pas prête. Heureusement il finit par changer de sujet.

— Bon dites moi les jeunes, j'aimerais bien savoir qui voulait me tuer et qui n'est jamais venu me voir, histoire que je leur porte l'œil un petit peu.

Naël grimace, mais je sais que Moh plaisante, il ne leur en veut pas.

— Nan mieux, laissez moi deviner. Maya voulait me faire piquer j'suis sûr, peut-être ta mère aussi Naël, quoique, elle reste humaine. Flav devait être dans le clan Maya. Lo' aussi.

Il les connaît si bien.

— Heureusement que Mandarine s'est transformée en maman louve.

— C'est surtout grâce à ta maman, lui réponds-je, C'était sa dernière volonté.

J'ai parlé comme si c'était évident que sa mère était morte, mais réalise qu'il n'a pas pu, ni s'y préparer, ni lui dire au revoir.

La douleur que je lis dans ses prunelles me brise le cœur.

Je ne suis vraiment bonne qu'à faire du mal aux gens que j'aime.

— Oui, chuchote-t-il, heureusement que tes darons ont été là pour elle... Contrairement à ma femme...

Ah oui, il y a ça aussi. Je suis surprise que nos parents aient eu le courage de lui parler de ces deux sujets dès les premières retrouvailles.

Devant mon étonnement, Moh pousse un soupir.

— Il faut que je vous avoue quelque chose, vous le dites à personne sinon Nek va piquer une crise.

Je sens mon cœur s'accélérer, j'ai la sensation que ce qu'il va me révéler ne va pas du tout me plaire.

— En réalité j'ai vu ta mère plusieurs fois cette semaine, Iris. Les médecins m'ont autorisé une seule personne. Étant donné que c'est la seule à avoir été là du début à la fin, c'était normal que ce soit elle. Elle a gardé le secret parce que je l'ai fait jurer devant Dieu de ne rien dire. Mais elle a suivi mon évolution de A à Z. Donc elle a pu me parler de la mort de ma mère et...

Il pousse un soupir chargé de tristesse qui me retourne le cœur. Je vois ses yeux briller.

—... Du départ de Jasmine.

Je ne sais pas comment réagir, d'une certaine façon je suis un peu jalouse, mais d'une autre, si j'avais accordé à Moh autant de temps que ma mère a dépensé pour lui, à ne jamais manquer une visite quotidienne, il est clair que j'aurais été en mesure de récriminer. Or ce n'est pas le cas.

— Jasmine est une sale connasse, elle a même pas attendu trois mois avant de se tirer, je lâche.

— Voyons, grosse bécasse, il faut la comprendre. Jas' c'est le genre de femme qui a besoin que son mari soit là tout le temps et lui passe tous ses caprices, c'était trop dur à vivre pour elle. Il faut croire que je l'ai toujours plus aimée, et qu'elle était un peu avec moi par confort.

C'est fou, j'ai l'impression qu'il est plus sage qu'avant, un peu comme si le fait d'avoir frôlé la mort lui donnait un recul extrême sur les choses.

— Dis Moh, intervient Naël, tu nous entendais ? Tu savais que c'était nous ?

C'est vrai que j'aurais pu commencer par cette question.

— C'était chelou. C'est un peu comme si j'étais dans un sommeil archi profond, mais que parfois j'avais des rêves où j'entendais des voix, ou percevais des images, des émotions. Par exemple quand j'ai commencé à me réveiller, ma première réaction ça a été de dire « Mandarine ». Parce que j'avais énormément perçu sa présence et sa voix, son image. Je pense que les médecins ont dû croire que je tenais un Franprix avant de tomber dans le coma.

Une violente jalousie me contracte l'estomac, mais je ne peux m'en prendre qu'à moi même, encore une fois.

— Je sais que t'es beaucoup venue Iris, je sais que t'as beaucoup morflé ces derniers temps. Je sais qu'il y a un jour où t'es venue et où j'ai ressenti une peine immense. Mais je crois que j'étais soulagé que tu sois en vie.

La fois où il avait pleuré.

— Quand ta mère est venue alors que je commençais à reparler, la première chose que je lui ai dit c'est : Iris ? Elle m'a aussitôt parlé du fait que c'était grâce à toi si je m'étais réveillé. Merci.

Ce n'est pas grâce à moi. C'est grâce aux deux ans que ma mère a passé à travailler avec lui pour essayer de faire revenir sa conscience. Moi j'ai juste ramené mon père qui a chialé un bon coup.

En revanche, c'est ma faute si Moh a dû monter dans cette ambulance deux ans plus tôt. C'est ma faute si Naël et lui ont failli y passer. C'est ma faute s'il a été dans le coma.

Je sens les doigts de Naël saisir les miens, il a perçu ma soudaine tristesse, son pouce caresse doucement le dos de ma main, je lève les yeux vers lui et mon cœur douloureux se soulève.

The eyes, chico, they never lie.

Wow, deux ans de coma et Sneazz n'a pas oublié sa réplique préférée de Scarface.

Naël rougit et quitte mon regard, au même moment quelqu'un toque à la porte. Je me dis que nos pauvres parents ont dû passer des centaines de coups de fil et que désormais beaucoup s'impatientent pour constater le miracle.

Mais il est hors de question que je bouge d'ici, maintenant que j'ai retrouvé Moh, je ne veux plus jamais le quitter. J'aurais trop peur qu'il retombe dans le coma.

Violette, ma mère et une infirmière d'une trentaine d'années, aux cheveux roux et bouclés entrent dans la pièce.

— On dérange ? demande ma tante avec un sourire affectueux.

— Bah écoute, maintenant que vous m'avez réveillé alors que je dormais peinard depuis deux ans. Je pense que je suis plus à ça près, plaisante Moh.

Le sourire de Violette s'élargit. Elle aussi peut être fière d'avoir continué d'espérer et d'être restée fidèle.

— On vient juste discuter un peu pour vous expliquer certains trucs, dit ma mère.

Le regard qu'elle échange avec Moh m'horripile un peu, mais je prends sur moi.

L'infirmière rousse se présente alors, c'est elle qui va être en quelque sorte la « référente » de Moh. Il me semble qu'elle le suit déjà depuis un moment, mais je n'avais pas réellement prêté attention à elle.

— Je suis entouré de Clem, rigole Sneazz.

Effectivement, elle s'appelle Clémence.

— Donc maintenant on va surtout travailler sur la rééducation afin de retrouver au moins une mobilité partielle. Vous êtes tous mis à contribution, explique-t-elle, il va falloir s'entraîner tous les jours. Par ailleurs, il y aura également des petits exercices cérébraux.

Pendant de longues minutes elle nous présente les différentes façons dont nous pourront aider Moh à avancer plus rapidement dans la récupération de ses capacités cérébrales. Pour une fois je trouve que cette infirmière est plutôt agréable et sympathique.

Mais bientôt, elle nous contraint à quitter la chambre car il est temps de le laisser se reposer. Il faut encore y aller tranquillement. Moh proteste en disant qu'il a eu assez de repos ces dernières années, mais Clémence est catégorique. Après avoir serré le rappeur dans mes bras pendant de longues secondes, avoir essuyé quelques larmes et l'avoir entendu me murmurer de ne plus m'en vouloir, je retrouve la main de Naël qui me tire à l'extérieur.

J'imagine déjà que ma journée du lendemain va se passer ici, je ne vais plus le lâcher d'une semelle. Les visiteurs vont défiler. Il va y en avoir des pleurs, des embrassades, des mea-culpa.

Après avoir évité de croiser Deen, qui à mon avis a des questions gênantes et des allusions à nous adresser, Naël et moi sortons dans la rue. Je ne veux pas qu'il me laisse, mais je n'ose pas le lui demander.

Pourtant il ne dit rien et ne lâche pas ma main quand nous nous dirigeons vers le métro.

J'ai toujours la sensation de rêver. Cette journée est beaucoup trop onirique entre les retrouvailles avec Moh et l'attitude plus qu'étrange de Naël, je plane complètement.

Il n'y a encore personne chez moi lorsque nous arrivons. Il y a fort à parier que mes parents vont passer la nuit chez Flav et Amanda ou chez Deen et Violette, sans doute rejoints par tout le monde. Arthur n'est pas là non plus, sûrement avec Amir.

Naël n'a pas desserré les dents depuis que nous sommes partis. J'ignore pourquoi il m'a suivie.

Peut-être que je ne suis pas la seule à être totalement chamboulée par cette journée.

— Tu te souviens pas ? dit-il soudainement, Quand je suis arrivé ici, avant de te trouver dans une baignoire ensanglantée. Tu te souviens pas comme j'ai crié ? Tu te souviens pas de ce que j'ai dit ?

Il saisit mon poignet et ses doigts fins parcourent la ligne blanche qui témoigne de mon rendez-vous manqué avec la faucheuse.

— Non, je soupire, Je... je sais juste que c'est toi qui m'a trouvée, je me souviens de ton visage. Je me souviens avoir pensée que je te faisais tellement de mal.

— Tu n'as pas idée, murmure-t-il en contemplant toujours ma cicatrice.

Il est vraiment dans un état étrange, j'ai l'impression qu'il revit cette soirée en boucle depuis qu'il sait pour Mohammed.

Puis soudain son regard percute le mien.

— Je crois que tu as brisé mon cœur ce jour là, je... J'ai jamais eu aussi mal.

Il pose sa paume contre ma joue et me dévisage un moment. Je ne sais pas quoi dire, c'est assez rare que Naël parle de ses sentiments. J'ai un peu de mal à soutenir son regard. Il semble vraiment dans un état second.

D'autant plus lorsque ses lèvres se connectent de nouveau aux miennes.

Si j'avais un tant soi peu de respect pour moi et pour lui, je lui rappèlerais l'existence de Sofia.

Mais je n'en ai aucune envie. Parce que c'est lui et moi.

— Je te déteste, chuchote-t-il entre deux baiser.

Je passe mes bras autour de son cou pour le faire taire et le ramener plus proche. Ses mains trouvent mes hanches.

Jusqu'où va-t-on aller cette fois ?

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