Chapitre 10. Plus Pareil

« On a fait couler les larmes, on n'était pas préparés
Tout c'qu'on voit dans ce monde, la deuxième fois c'est plus pareil »

Tom, le pote de Violette a accepté de me prendre à l'essai au garage, ça fait trois jours maintenant, que j'y passe mes matinées. Avant d'aller chez Mohammed.

À peine le temps de retirer mon bleu de travail et de me laver les mains, que mon téléphone se met à sonner pour la huitième fois depuis une heure.

C'est Ilona, je sais pas ce qu'elle me veut celle-là, mais elle s'accroche de ouf.

Mais bon, vu le harcèlement, je finis par décrocher.

— Tu veux quoi ?

J'ai pris mon ton le moins agréable, le plus agressif possible pour lui répondre.

— Euh... Désolée de te déranger... T'arrête pas d'ignorer mes messages. Je voulais juste être sûre que tu allais bien. Au lycée tout le monde croit que t'es mort ou que tu te pointes plus parce que t'as peur de Cheikh. Fais attention Ilyes, il t'oublie pas.

Wallah si j'le croise celui-là...

— J'ai pas peur de Cheikh, c'est une merde ce mec.

— Je sais bien, t'es pas du genre à flipper pour des abrutis pareils. Ça te dirait qu'on se voit ?

Mais elle croit on est en couple ou quoi ? Je suis pas son pote, encore moins son mec.

Puis je me rappelle que ça fait archi longtemps que j'ai pas tiré mon coup.

— Je peux pas parler au téléphone là, mais je t'envoie un message.

Sans attendre qu'elle réponde, je check vite fait ses photos Instagram pour me rappeler quelle gueule elle a.

Ouais, bof.

Elle est pas repoussante, mais bon, j'ai géré beaucoup mieux. Et puis c'est le genre de nana qui s'accroche. Après elle aura des sentiments, et je vais devoir la repousser comme un connard.

Sauf que dans les deux secondes qui suivent, je reçois une photo d'elle en soutif culotte.

"Pour t'aider à m'envoyer un message"

Désolé les meufs, mais j'ai aucune envie de respecter une nana qui fait ça. Elle est bien gaulée, ça va. Mais si y'a pas un minimum de difficulté, ça me donne pas vraiment envie. J'ai qu'à la garder sous le coude, pour le jour où je serai vraiment désespéré.

T'façon là j'ai autre chose à penser, faut que j'aille chez cet enfoiré de Mohamed. Ça me fout les boules, il est trop bavard, me parle d'Iris h24, ou sinon du fait que mon daron est un vieux con grognon et ma mère une sauvage hystérique qui a voulu l'assassiner.

Sah, si elle avait pu arriver à ses fins, elle aurait rendu un grand service à l'humanité.

Heureusement que Clémence est un peu cool, parce que j'ai juré, ce mec est insupportable, encore plus depuis qu'il est handicapé.

C'est elle qui m'ouvre la porte quand j'arrive.

— Toujours aussi souriant, me dit-elle en guise de bonjour.

— Toujours aussi rousse et minuscule.

Je la suis jusqu'au salon où Sneazz est affalé devant un film.

— Ah tiens, j'avais presqu'oublié ta visite, Omar.

Il m'appelle Omar à cause d'Omar Sy, Intouchables, tout ça, hassoul vous avez la ref, je vais pas vous faire un dessin pour expliquer un humour aussi nul.

— Tu veux sortir ? demande Clémence.

Moh hoche la tête, elle lui tend alors ses béquilles et s'approche pour l'aider à se lever.

— Nan, c'est bon je vais m'en sortir tout seul, dit-il, Et puis prends deux heures de pause, on se passera de toi.

Je suis surpris, le ton de sa voix n'avait rien d'agréable. D'habitude il est limite trop gentil avec elle. Elle aussi semble grave heurtée par la façon dont Sneaz vient de lui parler. Mais elle ne relève pas.

— Appelle moi s'il y a un souci, me dit-elle en attrapant sa veste, À tout-à-l'heure Mohamed, n'oublie pas que Clémentine et Amanda viennent à 17h.

Ce mec est entouré de zouz h24, à sa place j'aurais pété un câble depuis longtemps en hurlant pour qu'on me rende mes shabs et mes couilles.

— Allez, viens Omar, on va boire un truc.

Je hoche la tête et l'accompagne dans la rue, puis jusqu'à une brasserie qu'il aime bien. Il se laisse tomber sur la banquette avec difficulté, pose ses cannes dans un coin et me demande ce que je veux boire.

— Une bière, réponds-je.

— T'es mineur, objecte-t-il.

— On s'en branle c'est toi qui paye.

— Les Akrour ont toujours réponse à tout, conclue-t-il en se tournant vers le serveur, une pinte et un café s'il vous plaît.

Il est chelou aujourd'hui, d'habitude il est jamais sérieux. Je sais pas ce qui lui prend. Il est même pas bavard. Ça va être long ces deux heures.

Je maudis en pensée Deen et Violette et leur idée à la con.

— Ça t'arrive d'avoir l'air aimable ? demande soudainement Sneazz.

Sans répondre, je rabats les commissures de mes lèvres vers le bas, comme toujours quand j'ai la flemme de faire une phrase.

— Tu sais les mecs qui parlent pas, ça saoule les meufs au bout d'un moment hein.

Je m'en branle des meufs.

— Les mecs qui parlent trop aussi.

— Le pire c'est que t'as raison, fait-il en soupirant.

Mes sourcils se froncent et je le regarde sans comprendre, habituellement il aurait tout de suite enchaîné sur une vanne ou une répartie cinglante.

— T'as quoi aujourd'hui wesh ? T'es encore plus chiant que quand t'es chiant, dis-je.

Il a un petit sourire cette fois.

— J'attendais que tu poses la question.

La vie de ma mère, il me rend ouf. C'est vraiment la personne la plus énervante de la terre. Il doit capter que je suis à deux doigts de me tirer parce qu'il finit par me répondre :

— Je crois que je vais renvoyer Clémence.

Hein ? Pourquoi, jusqu'à maintenant il était trop fan d'elle.

— Elle a fait quoi ?

— Rien. Mais c'est pas la peine de continuer.

Attends, comment il pouvait encore la kiffer hier et vouloir la virer le lendemain. Elle a forcément fait une dinguerie.

— Vas-y elle est cool Clémence, tu trouveras pas mieux qu'elle. Elle est devenue grave pote avec tout le monde, limite c'est elle que les gens viennent voir et pas toi.

— Ouais je sais, avec Amanda elles se voient tout le temps, même ailleurs que chez moi. Les meilleurs copines.

Il est jaloux ou quoi ?

— Mais justement, reprend-il, elle est censée bosser pour moi... On glousse toute la journée, on se tutoie, elle est pote avec mes potes. C'est quand je lui vire sa paye que je me rappelle que c'est pas ma pote mais mon employée.

Ah, c'est vrai c'est chelou. Mais on s'en balec nan ? Elle est contente de bosser pour lui, lui il est content aussi, je vois pas le problème.

— Tu peux bosser avec des potes nan ? Zahma mon daron sur le papier c'est le patron de Seine Zoo mais dans les faits...

— Aucun rapport, coupe-t-il, Vraiment.

Soudain je comprends.

— J'y crois pas ! je m'exclame, T'es en kiffe sur elle ! C'est ça le problème !

En voyant la tête qu'il fait, je capte aussitôt que j'ai touché dans le mille. Oh putain je vais devoir me taper les chagrins d'amour d'un handicapé hyperactif.

Grosse flemme.

— Pourquoi tu lui dis pas ? T'es riche, t'as une bonne gueule pour un mec qui s'est pris une bagnole, t'es connu et en plus tu la fais rire. Je vois pas pourquoi elle serait pas intéressée.

J'aime pas le regard qu'il me lance, j'ai l'impression qu'il me prend vraiment pour le dernier des cons.

— Pourquoi je lui dis pas ? Déjà parce comme tu l'as dit, je me suis pris une bagnole et il va falloir au moins deux ans encore pour que je récupère maximum 80 % de mes capacités physiques. Ensuite j'ai dix ans de plus qu'elle. Mais bref, tout ça c'est rien en comparaison du fait que ça fait sept mois qu'elle m'aide à me saper le matin et même pas un mois que je peux aller aux chiottes tout seul. D'ailleurs j'imagine même pas tout ce qu'elle a pu voir et faire quand j'étais un légume. Je crois pas que le fait d'avoir v'la les thunes et une bonne gueule puisse rattraper ça.

Ah ouais chaud.

J'avais pas vu les choses sous cet angle.

Effectivement elle le kiffera jamais.

— T'as raison oublie-la. T'façon c'est toutes des putes nan ?

Il hoche la tête et commande un deuxième café. Ça se voit qu'il a grave le seum. Limite j'aurais de la peine pour lui, mais j'ai pas de coeur, alors ça me fait pas grand chose.

Voilà pourquoi il faut jamais être trop proche d'une nana.

*****

Ce que j'ignorais quand Deen m'a fait jurer de respecter le contrat qu'il a fixé pour moi, c'est qu'il avait prévu de me réveiller tous les matins aux aurores pour aller courir. Dieu merci grâce à mes côtes cassées, j'échappe à la séance de muscu qui doit suivre. C'est pas le principe de faire du sport qui me dérange, c'est que ce soit archi tôt à chaque fois.

Et puis il faut supporter ses « tu respires mal, concentre toi », « plus vite, garçon, j'ai cinquante piges et je suis moins fatigué ». Sah, il est pire que mon ancien entraîneur au foot.

Aujourd'hui Jade est venue avec nous. Je suis scotché, elle court vite, elle court bien.

— J'ai fait de l'athlétisme pendant sept ans, me dit-elle devant mon regard surpris, Demi fond.

Posant la plante de son pied contre un banc elle étire les muscles de ses jambes. Son visage est rouge et les quelques mèches qui s'échappent de son chignon sont collées à sa peau.

— Pourquoi t'as arrêté ?

Difficile de savoir si elle est plus rouge parce qu'elle est mal à l'aise ou parce qu'elle a chaud.

— Ça se passait pas super bien avec les autres filles, répond-elle finalement.

— T'aimais bien courir ? je demande, Tu faisais des compète zahma ?

La petite blonde hoche la tête.

— Oui, j'ai eu quelques médailles. En fait j'étais même très bien classée... ajoute-t-elle.

On dirait qu'elle a peur de se vanter. C'est marrant je connais Jade depuis qu'elle est née et je savais même pas tout ça. Mon reuf doit être au courant c'est sûr.

— C'est con d'arrêter à cause des autres, si t'étais forte et que ça te plaisait, tu t'en branles non ?

Ses yeux verts me dévisagent quelques secondes avec un poil de condescendance.

— C'est facile à dire quand c'est pas dans ton sac qu'on vomi, quand c'est pas toi qu'on prend en photo dans les douches, ou même quand c'est pas tes fringues que tu retrouves découpées en lambeaux après l'entraînement.

Ah ouais.

C'était vraiment la bizuth de service visiblement. On faisait ce genre de trucs à un mec du foot aussi.

Mais lui c'était parce qu'il était chelou, genre il matait les autres gars dans les douches et tout. Et puis on faisait pas ça en traitre, on lui mettait la hagra en direct. Enfin peut-être qu'on aurait pas dû. Mais je comprends pas pourquoi elles faisaient ça à Jade, elle est pas bizarre, elle est même plutôt hnina. Bon elle a un peu l'air fragile, ça doit jouer.

— C'était quand, ça ?

— J'ai arrêté il y a un mois quand Papa l'a découvert. Ça faisait deux ans que ça durait.

Mais je suis sûr d'avoir jamais entendu parler de cette histoire. Elle a même tourné dans le clip de mon reuf qui parlait de toutes ces conneries de harcèlement.

— Tu l'as dit à Amir ? Il a pas niqué des mères ?

— Non. En fait jusqu'à maintenant Papa, Maman et Romy étaient les seuls au courant.

Hein ? Mais pourquoi ?

— Pourquoi tu me le dis alors ?

Elle hausse les épaules.

— Je sais pas, t'habites chez nous et le sujet risque d'arriver sur la table.

C'est chelou, elle parle de tout ça de façon archi détachée.

— Mais pourquoi t'en parles pas aux autres ? Genre Amir, Naël, Arthur...

— J'aime pas m'apitoyer sur mon sort et j'ai pas envie de donner de l'importance à quelque chose de mauvais. C'est ce qu'elles voulaient. Aucune envie d'être "la petite harcelée de service". Déjà que tout le monde dit que j'ai une tête de victime. 

Jade m'étonne de plus en plus. Elle devait être incapable de se défendre face à ces connasses, mais elle les a pas laissé la détruire pour autant.

En fait sa défense c'était de pas leur donner d'importance. Faut quand même avoir de la force pour ça, peut-être plus que pour leur mettre une patate.

— Ton daron il a réagi comment ?

Elle jette un regard dans la direction de son père qui discute avec un voisin un peu plus loin.

— Il m'a forcée à balancer les noms, il est parti embrouiller tous les parents, et l'entraîneur en prime. Sans Maman pour le calmer je pense que ça aurait pu prendre des proportions énormes. Ils veulent porter plainte, mais ça me saoule, j'ai juste envie de passer à autre chose.

Si un truc pareil arrivait à Nej, on tiendrait plus mes deux parents, on tiendrait plus Amir, ni moi d'ailleurs. Ça partirait vraiment en couille.

— T'as pas envie de reprendre ? La course je veux dire.

Jade s'assoit sur le banc et me jette un regard perçant.

— Depuis quand tu poses autant de questions ? Depuis quand ma vie t'intéresse en fait ?

Je passe ma main sous ma casquette, j'en sais rien en fait, ça m'a simplement surpris de la voir courir comme ça. Jade, on dirait qu'elle est tout le temps mal à l'aise, mais pas quand elle court. Au contraire.

— Pour te répondre, si, j'ai envie de reprendre, mais je fais une pause cette année, c'est mieux. Je vais courir avec Papa, ou toute seule quand j'ai besoin de souffler.

— Si t'aime bien courir, tu pourrais essayer le foot, je fais avec un demi sourire.

Elle paraît vraiment étonnée que je lui adresse un sourire, puis elle me le rend, avant de me fixer avec ce même regard un peu étrange qu'elle a souvent. On dirait qu'elle lit dans les pensées, comme si on pouvait pas lui mentir.

— Toi ça te manque le foot ?

— Ouais.

Jouer au foot avec Nabil et Antho surtout, mettre des buts, cette excitation quand je me retrouve face aux cages, prêt à cadrer, sentir que mes jambes vont lâcher si je cours encore. Ouais, ça me manque de ouf.

— Y'a beaucoup de choses qui me manquent, finis-je par dire.

— Iris ?

Je fronce aussitôt les sourcils, très surpris qu'elle passe du foot à Iris, très surpris qu'elle parle d'elle.

— Quoi Iris ?

Mon ton était un peu vénère, Jade a un mouvement de recul.

— Désolée... C'est juste qu'avant qu'elle parte vous étiez très proches alors je me disais que peut-être elle te manquait.

Ah, elle est juste pas au courant de l'embrouille. Normal qu'elle pose cette question alors. Ça veut dire que mon reuf lui a pas dit qu'il avait pécho Iris.

— On se parlait plus trop quand elle a décidé de partir. Avec ses bails avec Naël, et puis Mohamed qu'est ressuscité, elle en avait plus rien à foutre de me gueule. Elle m'a fait une dinguerie, je lui ai pas pardonné.

Jade a un peu baissé les yeux quand j'ai mentionné Iris et Naël, j'avais oublié qu'elle le kiffait.

— C'est dommage, murmure-t-elle, Votre amitié, elle me faisait un peu rêver.

Hein quoi ?

— Pourquoi ?

— Je sais pas, vous étiez toujours ensemble, un peu inatteignables, au lycée tout le monde avait peur de vous. Les gens se demandaient si vous étiez ensemble. Et puis j'avais l'impression que rien ne pouvait briser votre lien. Iris, elle m'a toujours impressionnée, parce qu'elle est super belle, un peu violente quand elle parle, méchante aussi parfois, mais avec toi, elle était gentille et douce. Et toi pareil, tu remballes tout le monde, t'es toujours agressif, on ose pas t'adresser la parole de peur de se faire remballer, mais avec Iris, t'étais affectueux. En fait j'avais l'impression que vous faisiez plein de conneries ensemble mais que d'une certaine façon, chacun faisait ressortir une certaine douceur chez l'autre.

Comme c'est poétique.

Je suis presque écoeuré devant tant de niaiseries. M'étonne pas qu'elle kiffe Naël celle-là.

— Iris a pécho mon reuf. Pour moi elle est morte. Je vais pas chialer sur une pseudo amitié passée.

Un peu surprise dans un premier temps, Jade finit par secouer la tête de droite à gauche.

— Ça t'arrange bien. Je crois que tu devrais l'appeler.

— C'était bien quand t'avais peur de moi.

Elle se marre timidement.

— J'ai toujours peur, avoue-t-elle, Pas vraiment de toi, mais de tes réactions. Un peu comme un animal sauvage qu'on aurait apprivoisé. On sait que même quand t'es calme et qu'on peut te parler, à tout moment on peut dire ou faire un truc qui te fasse partir en vrille.

"Sauvage".

Décidément, ils aiment bien me qualifier comme ça dans cette famille. Encore une fois ça me plaît.

— C'est golri que tu dises ça. Ma mère, elle m'appelle "Lisek" parfois.

— Ça veut dire quoi ?

— Renard, réponds-je.

Jade sourit.

— Sauvage ok, répond-elle, rusé... J'en suis moins sûre.

Ah ouais, elle me clash carrément maintenant !

— Prends pas trop la confiance.

Mais elle a pas tort, le souvenir de la trahison de Cheikh me revient en mémoire. J'ai vraiment manqué d'intelligence sur coup, moi qui pourtant fait confiance à personne.

— Bon les jeunes, vous êtes pas fatigués de vous reposer ?

Je relève la tête vers Deen qui nous fixe, bras croisés sur son torse et sourire amusé sur les lèvres.

— On rentre en courant ? Ilyes à quelle heure tu dois être au garage ?

— 9h, réponds-je.

— Alors on se dépêche.

Il termine à peine sa phrase qu'il repart en courant, Jade sur ses talons.

— Allez Lisek ! s'exclame-t-elle.

Quel enfer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top