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Vraiment, je mets toute la volonté du monde pour rendre visite à ma nouvelle « copine » chaque semaine. Je m'arrange toujours pour libérer mon samedi ou mon dimanche et m'organise en fonction de mes soirées. C'est donc en général desséché et explosé que je retrouve Lucyle, avec des restes de gueules de bois. Et voir Caliméro n'a rien de reposant, même si nous ne faisons jamais rien de bien sportif. Mais elle est juste pire qu'un chewing-gum collé sous une semelle.
Trois semaines après notre sortie au cinéma marquant le début de notre « amourette », nous avons atteint le stade où ma main ne lui suffit plus. Aujourd'hui, il lui faut mon bras entier, serré contre elle, tout le temps. J'ai la chance de ne pas pouvoir sentir sa poitrine à travers les nombreuses couches de pulls et manteaux qui nous séparent. Dans le cas contraire, j'aurais juste été très mal à l'aise. Au bout de deux heures de balade, je finis par m'habituer à avoir Lucyle pendue à moi comme un singe, même si je n'arrive pas à marcher droit.
N'empêche qu'elle me colle tellement qu'elle respire mon air, j'en suis sûr, et des fois, c'est juste insupportable, et j'ai juste envie qu'elle me laisse souffler trois minutes. Mais quand elle me parle — et mon Dieu, elle ne s'arrête plus — avec plein d'entrain, et qu'elle me regarde avec ses yeux noisette plein de paillettes, et qu'elle m'offre ses sourires d'enfer en acier, et qu'elle pince ses lèvres beaucoup trop désirables, je ne peux pas lui hurler à la tronche qu'elle me fatigue.
Car malgré le fait qu'elle soit un gros pot de colle, la voir a quelque chose de rafraichissant. Ça me permet de changer d'air, de changer d'Arthur et des connasses de la fac avec qui il copine et qui squattent notre bête d'appart, et des connards avec qui il traine tous les jours.
Autre point positif, c'est que le temps passe étrangement vite en présence de Caliméro. Nos rendez-vous durent donc de plus en plus longtemps, sans jamais dépasser la limite des 20 h. Comme à chaque fois, je la laisse non loin de chez elle après l'avoir saluée d'un rapide signe de main. Depuis que l'envie de l'embrasser, juste par curiosité de tester la douceur de ses lèvres, m'est passée par la tête, je ne m'attarde plus.
Quand je rentre à l'appart, Arthur me saute dessus pour me poser les mêmes questions, auxquelles il obtient toujours les mêmes réponses et auxquelles il me fait toujours les mêmes reproches :
— À ce rythme-là, elle va finir par se trouver un petit Seconde plus entreprenant que toi et ton attitude de puceau.
— N'importe quoi... L'autre jour, j'ai eu le malheur de lui faire une papouille sur la tête et elle était excitée toute l'aprèm. Elle a pas besoin de plus.
— Parle pour toi. Gros dégonflé.
Je lève les yeux au ciel. Vraiment, ça fait longtemps que j'ai arrêté d'écouter Arthur qui pense tout savoir sur mes états d'âme.
Le lendemain, une nouvelle semaine de fac recommence. C'est quand même vachement long, une journée de cours. Heureusement que nous sommes désormais capables d'utiliser nos portables sans craindre de nous faire réprimander et sans avoir à trop nous cacher. J'ai donc tout le temps d'écrire à Lucyle qui m'envoie des messages à chacune de ses pauses, ou même pendant ses cours, dès qu'un moment se présente.
Au début, j'appréciais qu'elle ne s'impatiente jamais quand je mets parfois des heures à lui répondre. Sauf qu'elle m'a fait comprendre l'autre jour, au détour d'une conversation, qu'elle partait juste en dépression jusqu'à avoir de mes nouvelles. Du coup, je culpabilise quand j'ai la flemme de lui écrire et que je la laisse un peu poireauter, des fois une après-midi entière. C'est pour ça que je m'oblige désormais à lui répondre au plus tôt, même quand elle m'envoie des messages futiles.
Mercredi 7 octobre — 20 : 49
Lucyle : Tu fais quoi ? :)
Cléandre : rien je zone sur mon ordi et toi ?
Lucyle : T'es dans ta chambre ?
Cléandre : oui pourquoi ?
Pas de réponse, et quelques minutes plus tard, une notification s'affiche sur l'écran verrouillé de mon portable. Un nouveau message de Lucyle seulement composé d'une pièce jointe. Je clique, une photo apparait.
Cléandre : pourquoi tu m'envoies ça
Lucyle : Jsp :B
Cléandre : je rigole pas fais pas ça
Lucyle : Pourquoi pas ?
Cléandre : si t'avais envoyé ça a quelqu'un de mal intentionné il aurait pu faire tout et n'importe quoi avec
Lucyle : Ben j'ai pas envoyé à quelqu'un de mal intentionné mais à toi !
Cléandre : et qu'est ce que t'en sais que je suis pas comme ça
Lucyle : Ben c'est toi jsp je te connais !
Cléandre : non tu sais jamais
Lucyle : Ça va on voit pas grand-chose et on voit pas ma tête de toute manière...
Cléandre : on voit assez. fais plus ça non seulement c'est idiot et ça me met mal à l'aise
Lucyle : Ok ben je pensais que ça te ferait plaisir quoi...
Cléandre : pourquoi ?
Lucyle : Pourquoi quoi ?
Cléandre : pourquoi tu pensais ça
Lucyle : Jsp j'imagine que c'est ce que font les gens
Cléandre : je sais pas si c'est parce que tu regardes trop de films ou autre mais t'es vraiment débile
Lucyle : Ben c'est bon c'était juste pour essayer de flirter quoi !
Cléandre : essaie plus alors parce que tu sais pas faire
Lucyle : Ben c'est toi qui m'avais demandé ce genre de photos si on se souvient bien hein !
Cléandre : et alors ??? tu fais tout ce qu'on te demande toi ???
Lucyle : Ben non ! Mais si c'est toi c'est pas pareil !
Cléandre : le fait plus c'est tout quand t'auras 20 ans t'enverras ce que tu veux à qui tu veux mais pas là
Lucyle : Ok pardon
Vraiment, mais quel enfer.
J'efface la photo, et puis toute notre conversation, pour être certain de ne garder aucune trace de tout ça.
Après cet épisode, je rejoins Arthur sur le canapé du salon. Il passe la soirée à marteler les boutons de la manette PlayStation tandis que je rumine dans mon coin.
J'en viens à penser que sortir avec Lucyle est une mauvaise idée. Parce que si je dois à faire attention à tout ce que je dis au risque qu'elle le prenne au pied de la lettre, ça va être super chiant. Encore plus si elle essaie de jouer les grandes.
Alors qu'il est silencieux depuis plus de deux heures, mon portable vibre contre le verre de la table basse. Voir le nom de Lucyle sortir l'écran du mode veille me tord l'estomac. J'ignore son message et les trois autres qui suivent un peu plus tard.
Dérangé par le bruit, Arthur pose enfin sa manette et se penche sur mon téléphone.
— Dis donc, Cléandre, c'est quoi ça ? Pourquoi tu réponds pas à ma petite Lulu ?
— Tais-toi. Déjà, c'est de ta faute, tout ça.
— De quoi tu me parles ?
— Lucyle. À lui planter des idées débiles dans le crâne, à lui dire qu'elle doit prendre des initiatives avec moi, ou que sais-je. Apparemment, elle enregistre bien tout ce qu'on lui dit, sauf que j'ai juste envie qu'elle reste bien sage, à sa place. Parce qu'elle fait n'importe quoi, sinon, et ça m'angoisse toute cette histoire.
Parce qu'il insiste, je raconte à Arthur le coup de la photo survenu dans la soirée et lui démontre comment on en est arrivé là par sa faute.
— J'ai juste voulu aider pour accélérer un peu le truc, car sinon ça va durer 15 ans, votre histoire! se défend-il.
— Sauf que moi, je veux pas que ça s'accélère. Je voulais attendre, gros mongol, attendre quelques mois, voire quelques années.
— Parce que tu penses qu'elle allait patienter bien sagement, à ta guise ?
— Ben ouais, mec. On aurait pu être amis, puis je l'aurais éventuellement chopée, dans un, deux ou trois ans, parce que là, ça craint un peu.
— Sauf qu'avec tous les prédateurs et les affamés en rut au lycée qui voudront lui aspirer sa bouche de suce...
— Ta gueule.
— Quelqu'un d'autre l'aura chopée avant toi, d'ici que tu te décides.
— Ouais, ben tant pis ! Là, j'ai juste l'impression d'être son daron, à lui dire ce qu'elle peut faire ou non.
— Pour peu qu'elle ait des daddy issues, ça peut lui plaire...
— Ta gueule, Arthur !
L'abruti ricane.
— Pardon... Mais bon, vois-le comme l'occasion d'apprendre à t'imposer contre quelqu'un de plus faible mentalement et physiquement que toi.
— Vraiment, le meilleur conseiller.
— Ouais, et peut-être que t'arrêteras même de te faire victimiser par tes futures meufs, après. D'ailleurs, j'y pense, mais ça doit être à cause de toute cette frustration de victime provoquée par tes gonz' que t'es odieux avec ta mère.
— Je suis pas odieux avec ma mère.
— Bien sûr que si, fraté ! T'as vu comment tu lui parles quand elle t'appelle ? Si tu pouvais parler comme ça à Kenza, ça serait pas plus mal...
— On s'en fout, c'est ni le sujet ni tes oignons.
— N'empêche que ça plait à certaines filles, qu'on leur parle comme des chiennes. Faudra que j'essaie... Avec la Jessica... Ou non, Chloé ! Hein, Cléandre, je suis sûr que la Chloé, c'est une vilaine gourgandine, ça se voit dans ses yeux...
— Tu m'épuises.
Je me lève du canapé pour aller prendre une compote dans notre frigo presque vide. Arthur continue de marmonner dans sa barbe au sujet de Chloé qui doit être une vraie chipie, jusqu'à revenir à la réalité.
— Mais tu sais, Cléandre, ma petite Lulu, faut pas lui en vouloir. Toi-même tu te souviens qu'on était vachement cons et impressionnables à son âge. Mais regarde-nous, aujourd'hui, on est plein de bon sens et de...
— Ta gueule, putain.
N'empêche que malgré toute la merde qui sort de sa bouche, Arthur dit quand même des trucs censés, des fois. Il a raison. Lucyle est juste une gentille nouille facilement impressionnable, sans doute un peu trop à fond sur moi, mais ça, personne ne peut le lui reprocher. J'ai juste à ne plus céder à ses yeux de Caliméro et à ne plus me laisser désarçonner par ses initiatives et maladresses.
Ma compote terminée, j'attrape mon portable où les messages d'excuse de Lucyle se sont accumulés ces dernières heures. Je lui réponds finalement. Au vu de l'heure tardive, je ne m'attendais pas à recevoir une réponse de sa part dans l'immédiat. Il est minuit passé, une veille de cours, et Caliméro ne dort toujours pas. De quoi bien me faire culpabiliser.
Lucyle : Encore pardon
Lucyle : Tu fais la gueule ?
Lucyle : Snif
Lucyle : J'ai déjà dit pardon
Lucyle : Excuse-moi
Lucyle : Snif
Lucyle : Je pensais pas que tu le prendrais mal
Lucyle : Pardon pour la photo je regrette, je le referai plus jamais...
Cléandre : c'est pas grave...
Lucyle : Tu m'en veux ?
Cléandre : mais non
Lucyle : Si parce que tu répondais plus
Cléandre : je me suis endormi
Lucyle : C'est vrai ?
Cléandre : mais oui
Lucyle : Je suis sûre que c'est pas vrai
Cléandre : tant pis
Lucyle : Pfff
Lucyle : On se voit quand alors ?
Cléandre : quand tu veux
Lucyle : samedi prochain ?
Cléandre : ok
Lucyle : Mais c'est nul
Cléandre : de quoi ?
Lucyle : On se voit pas beaucoup comme tu viens que pour une aprèm à chaque fois...
Cléandre : je peux passer la nuit dans ton bled tout mort si tu veux qu'on se voie dimanche aussi...
Lucyle : C'est vrai ? :'D
Cléandre : oui
Lucyle : Trop cool lol ! J'ai hâte !
Cléandre : ouais
Lucyle : Et pardon pour la photo
Cléandre : putain ta gueule avec ta photo c'est bon je te dis
Lucyle : T'es méchant :'(
Cléandre : pardon
Lucyle : Snif
Cléandre : tu me saoules
Lucyle : Snif snif
Cléandre : genre vraiment
Lucyle : Snif snif snif
Cléandre : va dormir
Lucyle : snif snif snif sniiiiif
Cléandre : bonne nuit ♥
Lucyle : Bonne nuit ♥ :D
Vraiment, cette Lucyle...
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