22
Une semaine après ma première visite de Vichy, j'y retourne pour terminer mon tour guidé. À l'occasion de notre deuxième rencontre, Lucyle, qui parle encore plus qu'avant, exprime son excitation et surtout sa crainte quant à ses débuts au lycée. Elle a peur de ne pas s'intégrer, d'encore tomber sur des « mongolitos » qui l'embêteraient, que la Seconde soit dure, même si elle a un bon niveau... Mais elle est quand même contente, car cela représente une chance de recommencer à zéro, avec une nouvelle classe...
— J'ai déjà préparé ma tenue pour la rentrée et le jour d'après, glousse-t-elle.
— Si tu sors la même robe que l'autre fois, tu risques juste de passer pour un clown.
— C'est pas sympa, j'avais fait un effort ! De toute façon, ça sera pas ça, ça sera un ensemble plus classe.
— Genre ?
— Un pantalon noir, avec un pull noir sur chemise blanche.
— On doit pas avoir la même définition de « classe ».
— Ben tu peux parler, toi, hein !
— Je m'habille bien quand je veux.
— Ça doit pas arriver souvent, alors. Tu vas porter quoi, toi, pour ta rentrée ?
— Ça.
— C'est important de faire bonne impression le premier jour, tu sais.
— Justement, c'est avec ça que je fais bonne impression. Les gens savent que mon jogging coute plus cher que l'ensemble de leur garde-robe.
Lucyle s'indigne et dit que je suis « vraiment trop bête », mais ça ne l'empêche pas d'encore marcher trop près de moi. Si bien, que j'arrive même à sentir son parfum, à l'odeur florale ultra classique. Nos mains se frôlent toutes les cinq secondes, mais à force, je n'y fais même plus attention.
Après avoir enfin visité l'Église Saint-Blaise et le parc des sources avec lesquels Lucyle n'a pas arrêté de me bassiner, j'ai officiellement terminé mon tour guidé de Vichy, ville pas ouf, mais pas dégueulasse non plus. Comme la première fois, nous terminons par un goûter quelque part en ville, avant que je ne raccompagne Lucyle près chez elle.
— Il faut que tu reviennes le week-end prochain, pour que je te raconte ma rentrée.
— Je vais pas revenir, juste pour ça. Au pire, on s'appelle.
— Ben, il faudra bien que tu reviennes un jour, quand même !
— Pour quoi faire ?
— Je sais pas... Y'a d'autres trucs à voir, dans les alentours...
— Je plaisante, tire pas cette tête, je repasserai.
— Comme le week-end prochain, par exemple ?
Je soupire, toujours par principe, avant d'accepter. En retour, j'obtiens un joli sourire d'acier avant que Lucyle ne pince ses lèvres. On se salue d'un signe de main. Elle marche vers l'entrée de son immeuble et je retourne à ma voiture garée sur une place handicapée pas trop loin.
Quand j'arrive à l'appart, une odeur de brulé m'accueille. Comme d'habitude, Arthur a juste laissé cramer une casserole sur le feu pendant trente minutes. Il a quand même réussi à sauver assez de pâtes pour notre diner, qu'il assaisonne de beurre, de sel et de Knakis coupées en rondelles.
— Alors, c'était bien avec Lulu ? Vous avez fait quoi ?
— On a vagabondé dans son bled tout mort, parlé, bu, mangé un truc et voilà.
— Et donc ? Tu l'as pécho ?
— Putain, mais non, Arthur, t'es ouf...
— T'es sérieux, là ?
— Mec, j'ai pas l'intention de pécho Lulu...
— Cléandre, rappelle-moi pourquoi on est venus se perdre dans cette ville de mini bobos qui s'enfilent des quenelles ?
— Pour me rapprocher de Lucyle... Mais ça veut pas dire que je dois forcément la choper, on peut rester amis.
Arthur pose ses couverts et son plat sur la table basse, se redresse dans le canapé et se tourne vers moi avec son faux air sérieux sur le visage.
— Fraté, tu t'es jamais mis dans la tête d'une p'tite meuf ?
— Qu'est-ce que tu racontes, encore ?
— Crois-moi, la Lulu, elle est crazy in love et tout ce qu'elle attend, c'est que tu lui roules une pelle. En ce moment, elle doit se poser un milliard de questions et se flageller mentalement, car elle pense qu'elle te plait pas.
— N'importe quoi...
— Crois-moi, Cléandre. Les filles sont hyper émotives et se font des films en trois parties quand il s'agit de mecs.
— Qu'est-ce que t'en sais, déjà ?
— Fais-moi confiance, je me suis déjà imaginé être une meuf, et putain, c'est le gros bordel dans leur tête, fraté, j'étais pas bien, après. Envoie au moins un message à Lulu pour lui montrer que tu penses à elle.
— Maintenant ?
— Ben oui, idiot !
Je sors mon portable. L'écran se déverrouille automatiquement avec la reconnaissance faciale. Je clique sur l'icône des messages, puis sur Lucyle.
— Et je lui écris quoi, monsieur je-sais-tout-sur-la-psychologie-des-filles ? Parce que, je le répète, mais je préfère garder les choses platoniques.
— Donne-moi ton tél, Cléandre, ça ira plus vite.
— C'est mort.
— Passe, je te promets de rester correct. Ensemble, on va faire battre le petit de cœur de Lulu et lui mettre des papillons plein le ventre.
— Mais je veux pas faire battre son petit cœur, putain ! T'es con ou tu le fais exprès ?
Et sans prévenir, Arthur m'arrache le portable des mains et court s'enfermer dans sa chambre.
— Non ! Putain ! T'es chiant, Arthur ! Rends-moi mon tél !
— T'inquiète, je gère ! répond-il depuis derrière la porte.
— Non, putain ! Je t'en supplie, dis pas de la merde, je veux pas la choper...
— Bien sûr que si, tu le veux ! C'est juste que t'as un peu honte et que t'assumes pas, et t'inquiète, je te juge pas.
— Non... je geins.
Je continue de taper contre la porte et de le supplier de me rendre mon portable, en vain. Il ressort dix minutes plus tard, un sourire sur lèvres. Une fois mon téléphone en main, je m'empresse d'aller voir la conversation avec Lucyle.
Cléandre : Salut Lulu, ça va ?
Lucyle : Oui t'es rentré ? :B
Cléandre : Ouais, t'as passé une bonne journée en ma désagréable compagnie, j'espère ?
Lucyle : Oui c'était bien et j'ai bien mangé, merci :B
Cléandre : Comme quoi, être un sale gosse prétentieux empêche pas d'être sympa...
Lucyle : Lol ! Ben oui et oublie pas que tu dois venir le week-end prochain hein :B
Cléandre : T'inquiète, on se fera un petit ciné en amoureux et je te paierai une glace avec plein de vermicelles de toutes les couleurs.
Lucyle: LOOOL :B
Cléandre : Et l'avantage du ciné c'est qu'on pourra se faire plein de bisous et de câlinous dans le noir.
Lucyle : C'est vraiment Cléandre qui écrit ? >:B
Cléandre : Oui pourquoi ?
Lucyle : Car il met jamais de points ou de majuscules dans ses phrases >:B
Cléandre : Bien vu ma petite Lulu *3* Ok en fait c'est Arthur, le sang de la veine, la vraie famille, le vrai amour de sa vie.
Lucyle : Oui je sais qui t'es, il me parle souvent de toi :B
Cléandre : C'est vrai ? :D Il dit quoi, mon petit chat ?
Lucyle : Que t'es très bête et encore plus chiant :B
Cléandre : C'est sa manière de dire qu'il m'aime *3*
Lucyle : Lol ! Du coup, j'imagine qu'on va pas vraiment aller au ciné samedi prochain ?
Cléandre : Bien sûr que si, t'inquiète pas Lulu, c'est une garantie que je te donne. Il viendra juste pour toi, regardera le film de ton choix et te paiera plein de pop-corn !
Lucyle : Lol ! Trop cool ! :B
Cléandre : Et si t'es sage, t'auras même des papouilles et un bisou *3*
Lucyle : N'importe quoi ! :B
Cléandre : Mais si ! Il est un peu timide, même si ça se voit pas, donc hésite pas à prendre les devants !
Lucyle : Mais lol ! Tu te moques de moi ? :B
Cléandre : Mais pas du tout, je te jure qu'il attend que ça !
Lucyle : Ah bon ? :B
Cléandre : Mais oui, fonce Lulu ! N'aie pas peur, parce que sinon tu risques d'attendre une décennie avec un mollasson pareil !
Lucyle : Lol ! Ok :B
Cléandre : Bon je te laisse, l'autre commence à pleurer, car je lui ai pris son portable. Passe une excellente nuit *3*
Lucyle : Ok bonne nuit :B Tu vas pas lui montrer notre conversation hein ?
Cléandre : Non t'inquiète, je supprime tout avant de lui rendre *3*
— Putain, Arthur !
— Estime-toi heureux que j'aie rien écrit de sale ! s'esclaffe-t-il.
— Formidable, merci.
***
Quelques jours plus tard, je commence officiellement ma vie d'étudiant. Pour notre premier jour de fac, Arthur et moi sommes juste super excités de mettre nos pieds à l'université pour découvrir un nouvel endroit et voir de nouvelles têtes.
Une fois assis sur les sièges en bois de l'amphithéâtre, notre joie redescend vite lorsque les intervenants de la réunion de rentrée commencent leur speech. C'est juste super chiant.
Arthur passe la moitié de l'heure à traquer toutes les filles un peu jolies et me donne un coup de coude chaque fois qu'il en voit une, c'est-à-dire toutes les deux minutes. J'avoue participer à la recherche avec lui, pour passer le temps. Une fois notre distraction terminée, on pianote sur nos téléphones.
On écoute quand même un peu, parce qu'on nous détaille le fonctionnement du site, les cours, le déroulement des semestres... Mais au fond, on s'en fiche beaucoup. Nous nous sommes retrouvés en licence par défaut, car aucune formation sur dossier n'a voulu de nous, ce qui ne m'étonne même pas.
Après la réunion, nous restons un peu à la sortie de l'amphithéâtre avec la centaine d'autres personnes. Sans surprise, il faut moins de dix minutes à Arthur pour sympathiser avec un groupe de mecs. Comme d'habitude, je me contente d'être présent, de sourire, de répondre aux questions qu'on me pose, pendant qu'Arthur s'occupe de se créer des amitiés qui, par extension, deviendront les miennes. Après qu'il ait récupéré trois numéros, nous retournons à l'appart, spécialement choisi pour être seulement à dix minutes à pied de la fac.
— Fraté, grâce à mes efforts, on est invités à notre première fiesta d'étudiant, ce vendredi !
— Hmm.
— Cache ta joie, surtout.
— Hmm.
Je termine de rédiger mon texto, l'envoie puis lève la tête vers Arthur, avachi à côté de moi dans le canapé.
— Tu dis quoi ?
— On est invités à une fête, vendredi.
— Cool.
Mon portable vibre. Je le déverrouille, lis mon message.
— À qui tu parles, bébé ?
Penché de tout son corps sur moi, Arthur tente de jeter un œil à l'écran de mon portable. Je retourne celui-ci face contre ma poitrine.
— Dégage, putain...
— Ouh ! Quand t'es agressif comme ça, c'est que tu me caches quelque chose.
Arthur, qui semble avoir pris cette mauvaise habitude, m'arrache mon téléphone des mains pour regarder. Il me le rend aussitôt, avec un air exprimant à moitié de la lassitude et de la colère.
— T'es sérieux, mec, à encore parler avec Kenza ?
— Et alors, j'ai le droit, non ?
Il lève les yeux au ciel et soupire.
— Qu'est-ce qu'elle veut celle-là, encore ?
— Que j'aille la voir à Paris, ce week-end...
— Sérieux, cette gonz' a un culot sans limite ! T'as intérêt à lui dire que c'est mort.
— Je sais pas...
— Mais dégage-moi cette meuf inutile ! Elle te recontacte juste parce qu'elle doit se sentir seule et abandonnée dans son Paris dégueulasse, c'est tout.
— Oui, mais si j'y vais, je pourrai coucher avec.
— Mais respecte-toi, Cléandre ! De la moule, y'en a plein à la fac, si tu veux tirer ton coup ! En plus, t'as promis d'aller voir Lulu, samedi. Tu vas quand même pas annuler et briser son petit cœur tout mou en mille morceaux ?
— J'irai la voir, la semaine prochaine...
— Mec, voir Kenza, en plus de réduire ton honneur à zéro, c'est trahir Lulu. Tu sors même pas encore avec elle, que tu la trompes déjà, faut le faire quand même !
— Et comment je peux la tromper, si on est même pas ensemble ?
— C'est de la tromperie par anticipation. Tu sais qu'elle te kiffe, et tu sais qu'elle serait grave triste, genre dévastée, si elle apprenait que tu vas voir ton ex. Donc c'est de la trahison.
— Tu dis que de la merde, et j'ai encore le droit de faire ce que je veux, à ce que sache.
— Non, non, non ! Si tu pars à Paris, Cléandre, c'est fini ! Tu m'oublie !
— Je m'en fous, je prends le risque.
— Han !
J'envoie un message à Lucyle pour lui dire que je reporte ma visite à la semaine d'après, car je dois aller voir des amis de passage à Paris ce week-end. Elle ne me répond pas. Si elle est fâchée, tant pis pour elle.
À côté de ça, Arthur me fait vraiment la gueule pendant deux jours. C'est pas plus mal, ça me fait des vacances.
Vendredi soir, je saute dans un TGV, direction Paris Gare de Lyon, car il est hors de question que je m'envoie en mission avec la voiture dans l'enfer du périph et de la circulation parisienne.
Quand j'arrive à la gare, Kenza m'attend déjà sur le quai. Vraiment, elle est encore plus belle qu'avant. Son magnifique sourire illumine son magnifique visage quand elle me voit. On se salue, puis elle se pend à mon bras, comme elle avait l'habitude de le faire.
On va directement dans un bar, boire un verre, pour se raconter les dernières nouvelles. La faim nous force ensuite à poursuivre notre soirée dans un restaurant cliché de grand chef, aux plats bien présentés, mais pas très garnis. Pour la deuxième ou troisième fois depuis qu'on se connait, Kenza m'invite et règle la note pour me remercier d'être venu la voir.
Vraiment, je passe juste un super moment. Même si on ne s'est plus vu depuis des mois, on se retrouve et on parle comme si on ne s'était jamais disputé et quitté, à la seule différence qu'on ne s'embrasse pas. Du moins, pas avant d'avoir passé le seuil de sa porte.
Le lendemain, on se lève à midi. On mange rapidement, puis on sort deux heures, histoire de jeter un coup d'œil à la tour Eiffel, de prendre trois photos et un café, avant de retourner chez Kenza où on passe le reste du week-end.
Dimanche soir, elle me raccompagne à la gare. Au moment de se dire au revoir, on est limite au bord de la dépression. On se salue, sourit, hésite, puis on finit par s'embrasser avant que je ne monte dans le train.
Deux plus tard, j'arrive à Lyon, puis à l'appart, après 15 minutes passées dans le métro. Arthur verse une boite de raviolis dans une casserole quand j'ouvre la porte. Il me calcule à peine et s'efforce de ne pas me regarder.
— Salut.
— M'adresse même pas la parole, sale canard ! Aller te jeter dans les bras de ton ex, alors qu'elle t'a largué comme un caca y'a 6 mois... Tu me dégoutes !
— Ok.
Le temps que je traverse le salon, le coin cuisine, rejoigne ma chambre puis en ressorte pour aller m'affaler dans le canapé, Arthur change d'avis et vient s'assoir à côté de moi.
— T'es sérieux, Cléandre, tu vas pas me raconter ?
— Tu viens de dire que je te dégoute, faudrait savoir !
— Ben, ouais, mais raconte quand même, quoi !
— Je crois que je viens de passer le meilleur week-end de ma vie.
— Carrément ?!
— Ouais, c'était vachement cool.
— Pfff ! Tu me dégoutes ! J'espère qu'elle s'est au moins mangée ce qu'elle méritait...
— Mec, je l'ai esquinté. Elle pourra ni s'assoir ni fermer les jambes pendant une semaine !
— Yes ! Ça, c'est mon fraté !
Il n'en faut pas plus à Arthur pour arrêter de me faire la gueule, et on lance un film sur Netflix.
Plus tard, un message de Lucyle, qui demande comment était mon week-end, s'affiche à l'écran.
De tout mon séjour à Paris, j'avoue ne pas avoir pensé à elle une seule seconde, et qu'elle n'est pas forcément celle qui occupe le plus mon esprit présentement. Je lui réponds, et elle me fait promettre de venir la voir le week-end prochain.
Vraiment, j'ai la flemme.
Mine de rien, faire un aller-retour dans sa ville paumée me prend pas mal de temps, et je n'ai pas l'intention de passer tous mes week-ends là-bas. Mais je n'oublie pas m'être engagé, ça reste quand même une amie, et ça ne me tuera pas d'aller la voir de temps à autre.
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