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Les derniers élèves viennent de rentrer dans la classe, et Mme Dumais est en train de fermer la porte quand Arthur apparait. Après un charmant sourire désolé, il vient se laisser tomber sur la chaise à côté de moi et pose une main sur ma cuisse.
— Salut, bébé, lance-t-il d'une voix suave.
— Vraiment, arrête de faire des trucs comme ça. C'est à cause de toi que tout le monde pense qu'on est gay.
— Je sais que t'aimes mes papouilles du matin.
Il presse ma cuisse avant que je n'aie le temps de dégager sa main.
Le cours commence dans l'habituel silence matinal. En général, les dix premières minutes de la journée nous servent de transition pour quitter notre état de somnolence. Une fois ce temps écoulé, des chuchotements commencent à naitre aux quatre coins de la classe.
Pendant que la prof corrige les exercices de maths à faire pour aujourd'hui avec les élèves les plus motivés, nous, la rangée du fond, pianotons sur nos portables dans une relative discrétion. Après quoi, l'heure se poursuit avec d'autres exercices toujours plus chiants. Nous prenons le temps d'ouvrir le manuel à la bonne page avant de continuer notre partie de Golf Clash.
Malheureusement, mes 7 % de batterie ne tiennent même pas jusqu'à la fin de mon deuxième tour.
— T'as quitté le jeu ? demande Arthur.
— Mon tél est mort.
— Oh non... Je vais devoir jouer contre Bruno et Valentin et me faire exploser...
Je hausse les épaules.
— Sinon, raconte ta soirée avec l'Italienne.
Arthur ferme l'application avant de m'adresser un regard morne.
— Mec... Une pure arnaque.
Un ricanement m'échappe.
— Sérieux ?
— Ouais... Soit ses photos étaient retouchées, soit elles dataient d'il y a une décennie, mais la Francesca avait rien à voir ! Déjà elle était même plus brune, mais blonde, avec au moins trois tailles de jean en plus. Si ce n'est pas dix.
— T'abuses...
— Jamais, tu me connais. J'ai bu ma pinte, fait semblant d'aller aux toilettes et je suis parti sans même payer.
Tant bien que mal, j'essaie de me retenir de glousser, mais le regard de la prof finit par être attiré dans notre direction. Elle nous fait les gros yeux en guise d'avertissement avant de redonner son attention aux élèves qu'elle est en train d'aider.
— T'es vraiment la pire ordure, je chuchote.
— Quoi ? Je me fais duper par Francesca, 20 ans, 20 kilos de plus et c'est moi l'ordure ?
— Toi aussi tu mens sur ton âge, tes études, et ta description est un concentré de conneries.
— Mais au moins, mes photos de beau-gosse sont réelles, et c'est tout qui intéresse les gonz' de Tinder.
— Vous avez discuté au moins ?
— J'étais trop au bout du rouleau pour discuter, Cléandre, qu'est-ce que tu crois.
Je lève les yeux au ciel.
— Du coup, je peux récupérer mes 20 euros, vu que t'as rien payé.
— La semaine prochaine, mec. C'est pas comme si t'en avais besoin... Avec tout le pognon que te passent tes darons, je pourrais m'acheter une voiture à la fin de l'année en économisant.
— Sauf que t'économises jamais. Et t'es pas à plaindre non plus, Arthur, t'as largement ce qu'il te faut d'argent de poche.
— Tu déconnes ? J'ai moitié moins que toi par semaine !
— C'est suffisant.
— Pas assez pour soutenir mon train de vie d'adolescent populaire avec des obligations sociales à remplir.
— Comme ?
— Inviter des petites meufs à manger au restau, ou honorer notre sortie du samedi soir.
— Admets juste que t'es hyper dépensier et que tu sais pas...
— Coiraton et De Mercière, est ce que vous voulez retourner en retenue pour rattraper le travail non fait ?
Interrompus dans notre discussion, nous relevons la tête vers la prof qui nous fusille d'un regard noir, appuyée contre son bureau.
— Pas du tout, madame Dumais, répond Arthur. Et sachez qu'on a déjà fini nos exercices.
— Tous ?
— Oui, madame Dumais.
— C'est parfait ça, vous allez pouvoir corriger.
— Certainement, madame Dumais. Je laisse mon camarade De Mercière commencer.
— Va te faire foutre, Arthur...
— Pardon ? gronde la prof.
— Rien...
— De Mercière, au tableau.
Un « putain » m'échappe presque quand je quitte ma chaise, mais je me retiens au dernier moment. Je ne tiens pas à recevoir une autre observation dans mon carnet si c'est pour me faire incendier à la maison.
La prof écrit la première équation à corriger au tableau avant de me donner la craie. Après une éternité passée à gribouiller des nombres et des racines, je parviens au bon résultat. En majeure partie grâce à l'aide de quelques élèves qui me soufflent généreusement les réponses.
— Eh bien, c'était laborieux ! commente la prof quand je retourne à ma place.
Une fois assis, Arthur se penche vers moi avec un sourire amusé.
— Merci pour ton sacrifice, fraté.
Je l'ignore et dresse mon bras entre nous deux pour ne plus le voir. Il tente d'établir un contact avec moi pendant le reste du cours, mais n'obtient que mon silence. Après trois cœurs et quatre smileys tristes dessinés dans la marge de mon cahier, il abandonne.
Dès que la sonnerie annonce la fin du cours, je range mes affaires et quitte la classe sans l'attendre.
J'ai à peine fait trois pas dans les couloirs encore vides, qu'on me choppe par le bras.
— T'es sérieux, Cléandre, à me faire la gueule comme une vieille gonzesse, là ?
— Et toi t'es sérieux à m'envoyer à l'abattoir à chaque fois ?
— Ça va, c'est pour déconner... comme si t'en avais quelque chose à faire des remarques des profs.
— Je m'en fous des profs, c'est mon père le souci. Si je me prends un autre truc dans le carnet, il va m'arracher la tête. Donc j'aimerais bien ne plus me faire remarquer.
— Pardon, j'arrête, promis.
— T'as intérêt.
— J'aime pas quand tu me parles pas, mec, ça me rend nerveux.
— Si tu veux te faire pardonner, achète-moi un cadeau.
— Un cadeau en nature, ça compte ?
— Absolument.
Après une heure de calvaire en économie-droit et une récré passée à écouter Bruno et Valentin nous convaincre de télécharger un nouveau jeu mobile, nous nous retrouvons au gymnase avec deux autres classes de Terminale.
Tous assis en tailleur au sol, nous écoutons d'une oreille distraite le prof d'EPS nous détailler le programme de la matinée. La suite et fin des matchs de ping-pong termine notre journée de cours.
Le rituel du mercredi après-midi peut alors commencer.
Ce qui était au départ une sortie en tête à tête avec ma copine s'est transformé en plan à trois avec la présence imposée d'Arthur. Pour le plus grand bonheur de celui-ci, Kenza doit cette fois-ci se désister pour réaliser un projet de groupe.
Le mercredi après-midi débute toujours par repas au McDo, Subway, ou KFC selon l'humeur, suivi d'une sieste dans l'herbe à Masséna pour fumer et réchauffer nos petits corps fatigués au soleil. Les jours où des nuages étouffent le ciel, ou pire, s'il pleut, nous squattons chez moi, avec l'avantage d'avoir un verre de whiskey en accompagnement.
Aujourd'hui, le soleil d'octobre arrive presque à nous cramer au bout d'une heure passée à bronzer. De la chaleur, mon pote chiant et de l'herbe, c'est tout ce que je demande pour vivre ma meilleure vie.
Quand le froid de la nuit tombée devient insupportable, je ramène Arthur chez lui. Je rentre à la maison pile au moment où la lasagne Picard sort du four. J'engloutis mon repas en trois bouchées pour échapper à l'inquisition de mon père quant à mon comportement en classe, puis m'éclipse dans ma chambre avant qu'on ne me demande de débarrasser la table.
L'heure à laquelle Kenza a l'habitude de m'appeler approche. Le temps de patienter, j'allume mon ordinateur puis ouvre mon navigateur.
Deux vidéos YouTube plus tard, je suis déjà lassé. Je me connecte donc sur le forum de discussion où je m'égare souvent pendant les cours, pour voir les sujets de conversation et de polémique du jour.
Après avoir participé à un débat ponctué d'insultes pour savoir s'il est mieux de se laver le matin ou le soir, ou une fois par semaine, je retourne à la liste des sujets. Je suis en pleine argumentation avec un puceau ayant mis une note de 3,5/10 à Taylor Swift et 8/10 à Kim K. quand un petit « 1 » apparait sur l'icône de la messagerie.
LuLuCat100 : Salut, aujourd'hui je suis passée à l'oral pour faire mon exposé sur comment sauver la couche d'ozone et mon prof a dit que c'était super !
Start-upNation : je m'en fous
LuLuCat100 : Ah ! Pardon, je pensais que ça te ferait plaisir de savoir que tu as été utile à quelqu'un au moins une fois dans ta vie pauvre naze !
Start-upNation: au lieu de m'insulter remercie-moi non ?
LuLuCat100 : Je t'ai déjà dit merci hier, mais si j'avais su que t'étais aussi méchant je l'aurais pas fait !
Start-upNation: tellement susceptible
LuLuCat100 : Quand je pense que j'ai attendu toute l'aprèm que tu te connectes pour partager ma joie avec toi...
Start-upNation: MDR ! Et sinon t'as une vie ?
LuLuCat100 : Ben je suis allée en cours puis j'ai promené mon chien et fais mes devoirs et regardé un film quoi.
Start-upNation: une vie vraiment excitante. et t'as pas des amis avec qui partager tes exploits ?
LuLuCat100 : Non :'( Je suis nouvelle dans mon collège... tout le monde se connait déjà et les groupes sont déjà formés...
C'est bien connu que la plupart des filles qui trainent sur ce forum d'attardés en rut sont des boutonneux qui s'inventent des vies, soit pour attirer l'attention et se sentir exister, soit pour s'amuser. Pas mal d'histoires circulent, sur des bouffons dupés par ces « filles » qui tissent des liens, et qui après des mois de discussion avouent être Kylian, 16 ans, en mal d'affection — dans le meilleur des cas. Ça peut être plus ou moins facile de repérer un fake quand il crie et indique le plus possible qu'il a un minou entre les cuisses. Et plus l'attitude est girly ou enfantine, plus c'est évident. Tout comme les mots choisis, le pseudo mignon, les smileys à outrance...
Évidemment, il y a toujours la possibilité que le supposé Kylian soit réellement qui il prétend être.
Start-upNation: une vie excitante mais pathétique...
LuLuCat100 : En attendant, t'es là et tu continues de me répondre donc tu dois pas avoir une vie plus excitante que la mienne.
Start-upNation: j'attends un appel j'ai 5 minutes à tuer...
LuLuCat100 : Genre les gens veulent appeler un mec aussi méchant !
Start-upNation: faut croire que oui
LuLuCat100 : Qui serait assez abruti pour vouloir parler avec toi lol ?
Start-upNation: toi déjà xptdr
LuLuCat100 : Moi ça compte pas, j'ai pas d'amis, je prends ce qui passe même si ça pue le moisi :B
Start-upNation: vraiment tu réussis presque à me faire verser une larme, Caliméro
LuLuCat100 : Ah oui ? :B Ben j'attends toujours tes codes Netflix si jamais tu veux me rendre moins malheureuse.
Start-upNation : ben voyons... demande à tes parents non ?
LuLuCat100 : J'ai déjà essayé ils veulent pas.
Start-upNation: en même temps pourquoi gaspiller de l'argent pour une soi-disant gamine qui regarderait les films Twilight
LuLuCat100 : Ce qui m'intéresse ce sont les documentaires, mongolito.
Start-upNation: les documentaires sur comment sauver la planète ?
LuLuCat100 : Oui et sur les animaux, les reportages sur la mal bouffe ou sur les drogués, les prisonniers, les tueurs... ou même les émissions où on relooke des gens ou des maisons, voilà quoi.
Start-upNation: pour le coup ça serait vraiment du gâchis de te payer un abonnement
LuLuCat100 : Parce que tu regardes quoi toi, l'abruti ?
Start-upNation : des séries à succès et des blockbusters américains comme tout le monde
LuLuCat100 : Ben moi je suis pas comme tout le monde, je suis au-dessus ! :B
Start-upNation : c'est pour ça que t'as 0 ami
Les vibrations de mon portable contre mon bureau me font presque sursauter. La photo de Kenza est affichée à l'écran, je décroche. Un nouveau message de LuLuCat100 apparait dans le tchat au moment où je ferme mon navigateur internet.
Au bout d'une heure de discussion, nous raccrochons. Quand je retourne trainer sur le forum, LuLuCat100 n'est plus connecté.
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