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Trois jours après mon Nouvel An nul à chier, arrive mon anniversaire. Pour célébrer mon passage officiel à l'âge adulte, impossible d'échapper au traditionnel repas de famille pour le déjeuner. Le bon côté de la chose est l'occasion de récolter encore plus d'enveloppes de billets ou de chèques.

Il y a une règle d'or géniale dans ma famille : jamais de cadeau. Comme ça, impossible d'être déçu par les chaussettes de mamie Carla ou par la carte cadeau FNAC de tatie Dominique. Et en ces temps de restrictions financières imposées par le daron, le moindre euro est le bienvenu pour me refaire une santé.

Tout de même généreux, mes parents me laissent la maison pour que je puisse m'organiser une soirée. Ils prétendent qu'il s'agit là de leur cadeau, mais ils sont bien contents d'avoir une excuse pour s'expédier deux jours je ne sais où.

Avant de partir, mon père n'oublie pas de me rappeler que la maison doit rester telle quelle, et qu'à la moindre trace sur les murs ou rayure sur la table basse du salon, je perdrai ma tête.

J'ai également droit à une livraison du traiteur spécial anniversaire, avec des petits fours, des verrines, des plateaux de fromage et charcuterie, un gâteau au chocolat et un deuxième à la framboise, pour les connards difficiles. Aucun alcool inclus, mais c'est sans compter sur ma douzaine d'invités de confiance. Tous se débrouillent pour ramener des packs de bières ou des bouteilles, certaines volées dans les placards de leur propre cuisine.

Une fois le beau monde arrivé, la fête de l'année peut commencer.

L'avantage de vivre dans une maison individuelle, c'est qu'on peut mettre la musique à fond toute la nuit sans que personne ne s'en plaigne.

— T'as eu quoi comme cadeau de tes parents ? demande Arthur la bouche pleine.

— Rien, mais ils m'ont dit...

Je termine de mastiquer mon toast au saumon et avale avant de répondre :

— « Passe ton permis, et si tu l'as, on verra »...

Ses yeux s'écarquillent. Il fait passer sa bouchée au fromage-confiture-de-figue-Coppa avec une gorgée de rhum-vodka-jus-multifruits avant de s'esclaffer :

— Putain, tu sais ce que ça veut dire, mon gros salaud ?

— Ouais...

Je vide le reste de mon verre de champagne au sirop de cassis avant de hurler par-dessus la musique :

— Une putain de bagnole, mec ! Bientôt, je viendrai te chercher en Porsche ou en Tesla.

— Mais bébé, tu serais tellement beau en Fiat 500 ou en Mini Cooper.

— Non merci, je laisse ça à la plèbe.

— J'aime quand tu parles comme un sale gosse de riches, ça m'excite.

— Je sais.

— T'as déjà une date pour ton permis ?

— Ouais, la semaine prochaine.

— Tu penses que tu l'auras ?

— J'en suis sûr, même. J'ai jamais été autant motivé de ma vie.

Mais avant de passer mon permis, je dois survivre à la rentrée et la semaine de bac blanc qui va avec.

Je ne suis pas de nature stressée, mais la mise en scène orchestrée par le lycée est juste super angoissante. Tous les Terminales STMG sont réunis dans les deux salles de conférence de l'établissement et leurs grandes baies vitrées donnant sur la cour. Les autres sections sont réparties dans le gymnase et dans les plus grandes classes.

Chacun est installé à un bureau isolé, avec ses feuilles à carreaux « spécial examen », ses stylos et son blanco à sa seule disposition. Arthur, posté trois tables devant, se retourne vers moi quand nous découvrons le sujet de philosophie. Au regard que nous échangeons, nous savons tous les deux que la semaine s'annoncera plus que difficile.

Au troisième jour, après l'épreuve de maths, d'économie-droit et de management des organisations, mon cerveau démissionne et je ne rends qu'une copie recto verso pour ma dissertation sur la décolonisation et la mise en place de nouveaux États depuis 1945.

Ma peine ne s'arrête pas là, puisqu'à la fin de cette abominable semaine, notre prof principal nous rappelle l'existence du site Parcoursup. Pour seules informations, on nous raconte que la plateforme ouvre aujourd'hui, et qu'il faut se connecter pour rentrer nos vœux de formations pour l'année prochaine, avant fin mars. Il nous distribue un papier avec quatre dessins résumant les étapes clés sur l'année, et voilà. Fin de la discussion, parce qu'on a du retard sur le programme, et début du cours de management.

Sauf qu'après avoir lâché une information pareille avec le stress qui l'accompagne, personne n'est concentré et personne ne fait l'exercice donné. Le cours se transforme donc en séance de discussions existentielles, où chacun se questionne enfin sur ce qu'il va faire après le bac.

Notre futur est d'autant plus flou que personne ne connait rien des options disponibles après le lycée, à part la licence « administration économique et sociale » pour les élites de la classe, et les optimistes, et le BTS « Management des unités commerciales » pour le reste.

Il me reste donc trois mois pour passer de l'obscurité la plus totale à la décision la plus importante de l'année.

— Bon, tu sais ce qu'on fait, l'année prochaine ? demande Arthur.

— « On » ?

— Ouais. Quelles études ? Quelle ville ?

— J'en sais rien. Va où tu veux, mec.

— Fraté, je vais là où tu vas.

— T'es sérieux, là ?

— Ben ouais. Toi et moi, c'est à la vie à la mort. Tu penses que ça m'intéresse les études ? Tout ce qui compte, c'est qu'on soit ensemble, et je serai content.

— Putain...

— Alors ?

— Je sais pas trop. Je crois que Kenza veut faire une école qu'il n'y a que sur Paris...

— Et tu veux la suivre ?

— Ouais, je pense...

— Tu veux vraiment quitter le soleil et la mer pour me trainer dans la grisaille et la pollution de « ces Parisiens, jamais contents, médisants, faussement cultivés, à peine intelligents, ces répliquants qui pensent avoir le monopole du bon goût, qui regardent la province d'un œil méprisant », rappe Arthur.

— Putain, ta gueule...

— Non, sérieux, j'ai pas envie d'aller me mélanger avec les hipsters de la capitale.

— Si t'es pas content, vis ta vie et laisse-moi respirer...

— Oui, mais non. Je préfère encore être à Paris, ville de l'amour, avec toi, qu'ici, tout seul. Et surtout, oublie pas qu'on doit se faire une coloc !

— Si je suis Kenza là-bas, c'est pas pour la laisser toute seule. L'intérêt c'est d'habiter avec elle.

— Mais, fraté, laisse-la se faire un délire entre meufs et on habite ensemble, c'est carrément mieux !

— Putain... Et Nina, t'en fais quoi ?

— Ah ouais... Je sais pas... Son rêve à elle, c'est de retourner vivre dans la plus grande poubelle de France, à Marseille. Mais si jamais elle me kiff au point de me suivre, on pourra balancer nos gonz' dans un appart ensemble, et elles seront contentes. C'est parfait.

Nous continuons de discuter avenir, collocation et meuf jusqu'à la sonnerie annonçant la fin de la journée.

Après, un goûter et une discussion toujours centrée sur notre futur avec deux autres potes de classe, puis une visite chez Kenza, je rentre à la maison.

Dès que je me connecte, LuLuCat100 me saute dessus et m'assaille de questions quant à mon absence prolongée de cinq jours, qui l'aurait mise dans un état de grande inquiétude. Je lui parle donc de ma semaine de bac blanc et du fameux Parcoursup qui a alimenté toutes mes discussions aujourd'hui.

LuLuCat100 : Tu sais ce que tu vas faire comme études l'année prochaine ?

Start-upNation : pas vraiment... si ça tenait qu'à moi je ferais rien

LuLuCat100 : Pour un être déchet de la société et finir SDF ?

Start-upNation : y'a peu de chances que je finisse SDF sincèrement

LuLuCat100 : Ah bon ?

Start-upNation : oui la famille de mon père croule sous l'argent et si je sais pas quoi faire je pourrai toujours travailler dans l'entreprise de mes parents

LuLuCat100 : Ils font quoi comme travail ?

Start-upNation : ils sont dans le bâtiment et la construction

LuLuCat100 : Ça gagne bien ça ?

Start-upNation : de ouf !

LuLuCat100 : Ah la chance...

Start-upNation : et toi ? tu fais surement partie de la classe smicarde-prolétaire mdr

LuLuCat100 : Même pas ! J'ai ma mère qui est prof de russe et mon père prof de svt !

Start-upNation : y'a vraiment des gens qui veulent apprendre le russe ?

LuLuCat100 : Ben oui ! Plein lol !

Start-upNation : xptdr

LuLuCat100 : Mais si tu sais pas quoi faire pour tes études, viens à Lyon ! C'est à deux heures de train ou voiture de Vichy, ça nous rapprocherait grave :B

Start-upNation : tu penses que je viendrais à Lyon juste pour une gamine que je connais pas ?

LuLuCat100 : Pourquoi pas :B

Start-upNation : tu rêves.... surtout que je vais sûrement aller sur Paris avec Kenza...

LuLuCat100 : C'est nul Paris ! Ça pue et c'est sale et les gens sont trop débiles là-bas.

Start-upNation : c'est clair

LuLuCat100 : Y'a un mec de ma classe qui vient de Paris. C'est le plus relou et il m'embête très souvent.

Start-upNation : bienvenue dans la cour de récréation du collège...

LuLuCat100 : Pour de vrai il est vraiment chiant hein...

Start-upNation : c'est qu'il t'aime bien grosse nouillasse

LuLuCat100 : Ben moi je le déteste !

Start-upNation : "hihihihihihi je le déteste mais il est trop beau"

LuLuCat100 : Sérieux je le déteste vraiment. La semaine avant les vacances, il était assis derrière moi en classe et il m'a coupé une mèche de cheveux !

Start-upNation : olalala le vilain

LuLuCat100 : C'est pas drôle !! À cause de lui j'ai dû me couper les cheveux parce que c'était horrible !

Start-upNation : en effet c'est pas cool... tu l'as dit à quelqu'un ?

LuLuCat100 : oui à une prof mais je sais pas s'il a eu un truc... il est plus là depuis la rentrée, alors j'ai espéré qu'on l'avait renvoyé, mais il sèche souvent les cours donc jsp...

Start-upNation : pauvre petit Caliméro. la prochaine fois coupe-lui les cheveux

LuLuCat100 : Ils sont pas assez longs... il est trop moche ce type avec sa tête de souris ébouillantée !! Je le hais ! Encore plus que toi !

Start-upNation : malheureusement tu me détestes pas assez pour arrêter de me parler

LuLuCat100 : Ben si t'en as marre de moi, t'as qu'à me bloquer hein !

Start-upNation : si je te bloque tu partirais en dépression et j'ai pas envie d'avoir ton suicide sur la conscience

LuLuCat100 : Pfff... Je suis pas du genre dépressif, déjà, et t'es pas le centre de mon univers hein...

Start-upNation : en attendant je suis ton seul pote mdr

LuLuCat100 : Eh ben figure-toi qu'en ce moment, j'ai 2 filles qui me parlent tous les jours !

Start-upNation : des copines imaginaires c'est mignon

LuLuCat100 : elles sont pas imaginaires, y'a Garance et Astrid et elles sont grave sympas

Start-upNation : génial je suis content pour toi

LuLuCat100 : j'ai pas besoin de tes commentaires ironiques hein

Start-upNation : non je suis sérieux c'est cool pour toi :)

LuLuCat100 : Ah... ben oui.

Start-upNation : donc maintenant que t'as de vraies amies j'ai plus besoin de te parler tous les jours pour te donner un semblant de vie sociale ?

LuLuCat100 : Non, j'ai plus besoin de toi, merci pour tes bons services et adieu

LuLuCat100 est hors ligne.

L'espace d'un instant, je crois vraiment qu'elle vient de me dire adieu avant de remarquer l'heure. 22 heures : plus d'Internet pour Caliméro.

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