9. Journée libre au camp


Après une veillée festive sans incident notable, en occultant bien entendu les questions débiles que Julien posait sans cesse à Basile, tous les adolescents du groupe G4 retournèrent dans leur chambre pour y passer la première nuit de leurs vacances au camp. Les quelques minutes avant l'extinction des feux furent réservées au brossage des dents, à un nouveau strip-tease faussement improvisé par Kilian – bien décidé à dormir nu comme il en avait l'habitude depuis plusieurs mois – destiné à son amoureux et imposé à tous, à une partie de jeux vidéo par Arthur sur son téléphone, à une blague de mauvais gout de la part de Guillaume et à un chapitre du « Trône de fer » englouti par Aaron, fan de cette saga, qui était d'ailleurs bien plus succulente à l'écrit qu'à la télévision, même s'il appréciait les deux médias. José, le moniteur attitré de cette petite troupe, éteignit enfin les lumières et tous plongèrent dans un profond sommeil bien mérité. Celui de Kilian fut juste perturbé vers les trois heures du matin, quand la sensation d'une langue aimante et chatouilleuse le tira de sa torpeur. Presque affolé, il chuchota :

« Putain, Aaron, tu fais quoi ! J'étais en train de rêver en plus, j'ai de la bave sur tout le corps, j'ai cru que c'était ton chien Mistral ! Et t'es fou d'faire ça, imagine qu'on se fasse choper ! »

Pour toute réponse, le brunet posa son index sur les lèvres de son camarade. Puis, après lui avoir embrassé dans un silence extrême la joue, le torse, le ventre, les fesses, les cuisses et le petit chose – sans oublier les deux orphelines de la chanson de Pierre Perret – il s'approcha de l'oreille de l'impudique et lui murmura quelques mots.

« J'arrivais pas à dormir ! J'avais soif, j'suis un alcoolique de l'amour ! Et puis, bon, dans un couple, c'est normal que ça soit le blond qui joue le rôle de la gourde, hein mon blondi-niais ? Rendors-toi et profite juste de mes bisous ! »

Ce surnom, Aaron adorait l'utiliser quand il parlait de Kilian. De son côté, le principal concerné l'aimait un peu moins, mais il ne pouvait nier l'évidence, il lui allait à la perfection. Trois heures du matin n'étant pas une heure pour commencer à argumenter, et son corps semblant refuser la moindre objection de la part de son cerveau, le blondin referma doucement ses paupières et s'accrocha à ses draps, jusqu'à enfin offrir à Aaron cette eau-de-vit voluptueuse qu'il était venu chercher. Le baiser que son amoureux aux cheveux noirs lui déposa sur la joue en guise d'indicateur de sa parfaite satisfaction renvoya presque immédiatement le bel adonis dans les bras de Morphée, à tel point qu'il dut réfléchir de longues secondes le lendemain matin pour s'assurer que tout cela n'avait pas été rêvé. Le simple visage souriant et détendu d'Aaron qui chantonnait dans le réfectoire lui confirma qu'en effet, il avait bien été, une fois encore, l'innocente victime d'une conspiration brune contre sa personne et son intégrité. Et comme à chaque fois, il n'arrivait pas à trouver cela désagréable.

« Comment tu fais pour sourire comme ça alors que je suis rouge de honte ! Putain, faire ça dans la chambre en pleine nuit... Et après, c'est toi qui me demandes d'être discret... T'imagines si Arthur nous avait entendus ? Enfin nan, je sais qu'il pionçait, ses ronflements me brisaient les tympans, mais quand même quoi ! »

Sur le chemin qui les menait aux différents terrains, Kilian exprima sincèrement ses craintes et ses doutes. Foutu Aaron ! La soif ne justifiait pas tout. D'ailleurs, il ne croyait pas une seule seconde à cette histoire de soif. Ça, c'était certainement une nouvelle ruse du petit brun pour satisfaire sa gourmandise ! La vérité ? Il n'avait pas soif, il avait faim ! Devant cette démonstration faite en partie de bon sens, mais en partie seulement, Aaron éclata de rire, puis avoua et se justifia : ce n'était pas sa faute, il était simplement incapable de contrôler son appétence pour toutes les parcelles de peau de son tendre nigaud. Malgré tout, l'excuse de la soif était justifiée. Il avait soif d'amour ! Et cette dernière étanchée grâce à ses caresses nocturnes, il n'avait plus la moindre raison objective de trainasser avec son blondinet. Du moins, pas devant les autres.

« Bon, comme l'année dernière, ils se sont pas foulés pour le premier dimanche... Journée libre... Tu m'excuses, hein, mais j'ai promis à Thomas et à Lucas de faire du volley avec eux ! Et puis, ça serait bizarre si on nous voyait trop trainer ensemble ! Allez Kil, va te faire des amis ! »

À ces mots, Kilian accéléra le rythme. Il ne voulait pas montrer à son amoureux que sa condescendance l'irritait au plus haut point et le poussait naturellement à faire ce qu'il faisait de mieux quand il était contrarié : bouder. Il n'était plus un gosse qu'on envoie jouer dans le bac à sable pour s'en débarrasser. Même si Aaron avait raison, il y avait des façons de faire passer les messages qu'il n'arrivait pas à accepter. Même grandir et murir ne pouvait l'empêcher de se vexer à cause d'une parole maladroite. Heureusement, il avait suffisamment conscience de la puérilité de sa réaction pour ne pas l'imposer à celui qu'il aimait.

De son côté, accompagné de ses deux camarades et de quelques autres jeunes avec qui il avait sympathisé, le brun passa la matinée sur le terrain de volley. Les victoires s'enchainèrent rapidement, les défaites aussi. L'adolescent ne jouait pas pour gagner. Il ne pouvait pas être à cent pour cent de ses facultés. Une partie de son esprit était accaparée par autre chose. Son regard, à chaque arrêt de jeu, décrochait de la balle pour se poser délicatement sur un blondinet qui s'adonnait au badminton avec un rouquin devant une ribambelle de greluches amusées autant qu'intriguées par le torse dénudé et légèrement bronzé du plus beau des deux. Il faisait tellement chaud en ce mois de juillet que Kilian avait trouvé plus sage de laisser respirer sa peau et donc de se débarrasser de son t-shirt. La transpiration qui, en permettant au soleil de se refléter dans sa propre chair, mettait en valeur ses pectoraux autant que ses abdominaux, était clairement un des avantages qu'il trouvait à être jeune et plutôt bien foutu. Et là, il n'était pas peu fier des regards que lui jetaient les pimbêches entre deux messes basses entre copines.

Une fille cependant, attira son attention. Elle jouait sur le terrain d'à côté. Arthur, ébloui par sa beauté, sembla perdre ses moyens et lui envoya son volant en plein dans le décolleté, mais le jeune sportif aux cheveux dorés tenta de rattraper le coup et la percuta violemment. Le damoiseau et la demoiselle tombèrent l'un sur l'autre dans une position plutôt gênante, qui rappela au garçon, écarlate d'embarras, certaines pages coquines de ses mangas préférés. À califourchon sur les cuisses de la donzelle, il ne put faire autrement que de se servir de ses beaux yeux verts pour admirer celle qu'il venait fortuitement de rencontrer. Elle était grande, presque autant que lui, ce qui pour une fille était largement au-dessus de la moyenne. Sa peau douce et halée ainsi que ses longs cheveux châtain foncé ondulés indiquaient des origines nord-africaines. Ce parfum du Maghreb la rendait belle. Avec sa taille de guêpe, sa poitrine plutôt généreuse et ce léger maquillage plein de finesse qui soulignait la clarté de ses yeux noisette, elle faisait plus que son âge. Comme lui, elle n'avait pourtant que quinze ans et rentrait en classe de seconde. Ce fut d'ailleurs ce qu'elle lui expliqua quand il lui offrit une canette à l'écart de la foule pour s'excuser de sa maladresse.

« Je m'appelle Alia, et toi ? C'est ma grand-mère qui m'a offert ces vacances. Mon père – son gendre – ne voulait pas me laisser partir seule, il a toujours peur qu'un garçon mal intentionné me tombe dessus. Si je l'écoutais, lui et ses vieilles traditions, il serait foutu de me faire porter le hijab ! Enfin, c'est mon père hein ! Dans la famille, on a l'impression que le cerveau des hommes est resté en Tunisie, alors que les femmes se revendiquent toutes plus Françaises que les Gauloises. Ça crée d'ailleurs pas mal d'étincelles pendant les repas de famille. Enfin, je l'aime, hein, je pense qu'il a raison, on a besoin de morale pour vivre, mais des fois, il en fait juste un peu trop. »

Assis sur un banc à côté de la drôle de créature, Kilian resta bouche bée devant son flot ininterrompu de paroles. Tout juste, entre deux phrases, eut-il le temps de lâcher son prénom en rougissant. Plus que sa maladresse lors de leur accrochage, c'était cette proximité avec une fille si charmante qui le gênait. Il n'arrivait tout simplement pas à comprendre pourquoi ce sourire parfait, ce visage malicieux, cette peau crémeuse et ce mélange subtil de liberté et de tradition lui faisaient un tel effet, ni pourquoi son cœur battait plus vite que d'habitude, comme lorsqu'il était dans les bras d'Aaron. Quand Arthur vint le chercher pour finir leur match, sans réfléchir, il le renvoya jouer ailleurs. Ils étaient fatigants, ces rouquemoutes à toujours gaffer en pensant bien faire ! Jusqu'au déjeuner, les deux adolescents discutèrent en rigolant. Elle lui parla de sa famille, de ses amis, de son ex qui était un véritable crevard même si elle ne savait pas si elle l'aimait toujours ou pas – il fallait bien avouer qu'il était sacrément beau pour un connard – et de ses sportifs préférés. Il répondit en racontant ses exploits à l'escrime et en évoquant son grand frère qu'il admirait tant et ses parents qui lui posaient quelques problèmes. Et quand vint le moment de parler de ses amours, il tremblota, pris entre la promesse faite à Aaron de rester le plus évasif possible et sa volonté de se révéler en toute confiance à cette fille si avenante.

« C'est super compliqué. Si tu veux, moi, j'suis un lionceau, parce que j'ai les cheveux blonds et tout. Bon, j'espère bien devenir un lion un jour, hein, mais ça fait plaisir à mon frère et à mes amis de me voir encore un peu comme un gosse. Et donc, j'aime une panthère, à cause de ses cheveux noirs, qui m'aime aussi, mais c'est vachement compliqué. Tellement compliqué qu'il n'existe même pas de statut Facebook pour indiquer notre situation actuelle. Enfin, ma foutue panthère, elle m'aime, mais on peut pas être ensemble, du coup... Elle voudrait bien que j'm'trouve quelqu'un d'autre. Mais, moi, j'veux pas... À part une tigresse à la limite, franchement, j'vois pas c'qui pourrait faire l'affaire... »

Cette métaphore animale, Kilian avait mis plusieurs semaines à la préparer. Pour l'avoir testée avec succès sur son frère juste avant sa compétition d'escrime, il savait qu'elle marchait à tous les coups et qu'elle avait l'avantage de tout dire sans rien révéler. Tout en laissant filer ses doigts sur le jogging de son nouvel ami, Alia éclata de rire.

« Compliquée ton histoire ! Et moi, tu crois que j'ai le look d'une tigresse ? »

Avant de répondre, l'air taquin, le blondinet referma ses phalanges sur cette main qui lui chatouillait la cuisse et lui rendit ses rires.

« Naaaaaan, aucune chance, toi, tu serais plus une antilope ou un truc dans le genre ! Enfin j'en sais rien, essaye de rugir pour voir ! »

À l'aide de ses ongles transformés pour l'occasion en griffes acérées, Alia se jeta sur l'adolescent, avec l'idée ferme de lui montrer à quel point elle avait du sang félin en elle. En fait, elle y voyait surtout une occasion rêvée pour chatouiller ce mignon petit torse juvénile qui lui faisait de l'œil. Après tout, si son propriétaire se baladait sans t-shirt, c'était bien pour que les filles, à commencer par elle, puissent en profiter, non ?

Le midi, même si ses mots étaient adressés en priorité au jeune brun qui lui faisait face, Kilian raconta à toute sa table quelle heureuse rencontre il avait faite. Arthur, lui, semblait furieux de s'être fait lâcher pour une gonzesse, d'autant plus qu'il l'avait vue en premier et qu'elle était vraiment jolie ! Il y avait de ces injustices dans la vie ! Pourquoi n'était-il pas né blond, sportif, mignon, et intelligent ? Pourquoi juste intelligent ? À ces questions ironiques, seul Julien chercha à trouver les réponses, ce qui poussa Guillaume et sa bande à se lever de table pour ne pas avoir à subir plus longtemps les élucubrations du couillon de service. Pour se faire pardonner de l'avoir lâchement abandonné, Kilian proposa à Arthur de l'accompagner dès la fin du repas avec Alia à la piscine du complexe. Après une longue hésitation, le rouquin accepta, même s'il avait la ferme impression d'être pris pour un chandelier. Aaron, lui, s'échappa précipitamment du réfectoire. Alors que l'après-midi commençait à peine et plutôt que de s'amuser avec ses camarades, il entreprit de courir le plus longtemps possible sans s'arrêter devant le regard interloqué de Thomas et Lucas, gênés.

« Dis Aaron, ici, t'as plusieurs terrains de tennis, même si certains sont occupés par des joueurs de badminton, des terrains de volley, de foot, de basket et t'as même un gymnase et une piscine. Et toi, tu cours ? Je veux dire, ça fait une heure que tu trottines tout seul sous ce putain de cagnard ! T'as fumé quoi depuis l'année dernière ? Non, parce que là, tu me fais peur ! Tu veux pas qu'on emmerde un peu Kilian ? J'sais pas, ça te ferait du bien, nan ? La dernière fois, t'as pas arrêté de lui mettre la pression, c'était marrant ! »

Alors que la grande asperge à la dentition « chemin de fer » l'interpelait au moment où il passait sous son nez, Aaron s'arrêta, vida un litre d'eau cul sec puis lui répondit.

« Faut grandir, Thomas ! C'était pas glorieux ce qu'on faisait l'année dernière ! Le blond, je l'emmerdais parce que je voulais quelque chose, je l'ai eu, next ! Et si je cours, c'est parce que je veux être le plus beau pour ma copine, donc je brule les graisses ! Ensuite, quelques abdos là-dessus, et ça sera nickel ! »

Ce n'était pas un mensonge. C'était même la pure vérité, à un détail près, sa copine était en fait un garçon. Mais ça, Thomas n'était pas censé le savoir. Et puis, Aaron n'était pas le seul à arranger la réalité à sa sauce. Dans le bassin sportif, après avoir enchainé quelques longueurs devant une Alia fascinée, Kilian se reposa en se tenant au rebord en compagnie d'Arthur, épuisé par une course qu'il venait malheureusement de perdre. Dépité et essoufflé, le rouquin s'accrocha à son camarade et se prit les doigts dans le collier qu'il portait depuis la veille au soir. Avant de plonger dans l'eau fraiche, Kilian n'avait pu se résoudre à enlever ce petit bijou fantaisie. Avoir le cadeau d'Aaron serré avec force autour du cou lui apportait une sorte de réconfort des plus appréciables. Avec ce symbole, il n'avait même plus besoin de penser appartenir à Aaron pour que cela soit le cas. Il le sentait jusque dans sa chair. Et même si l'objet était un peu serré, cela ne le gênait pas le moins du monde. Bien au contraire.

« Eh, c'est marrant ton truc là, on dirait le même bracelet que l'autre con ! »

Arthur ne portait pas le jeune garçon aux yeux de corbeau dans son cœur. Être la cible continuelle de ses moqueries n'était pas chose plaisante. Kilian, lui, le portait complètement dans son cœur, et ce collier était bien lié au bracelet de « son » con d'amour. Mais ça, il ne pouvait pas vraiment le dire.

« Bof, j'ai pas fait gaffe, on a p'têt fait nos courses au même endroit ! T'imagines quand même pas qu'il me l'aurait offert ? C'est qu'un con, Aaron... Pourquoi il aurait fait un truc pareil ? »

Ni Arthur, ni Alia ne pouvaient imaginer une telle chose ni répondre à cette drôle de question, ce qui rassura l'éphèbe aux yeux verts. C'était sans doute mieux comme cela, pour le moment.

L'après-midi se passa donc de manière paisible, sans que le moindre moniteur n'ait besoin de signaler de problème grave à Basile. Sans doute étaient-ils tous trop occupés à réconforter Julien – traumatisé par Guillaume qui lui avait raconté qu'un monstre vivait dans la grotte qu'ils visiteraient le mercredi suivant, pendant la sortie spéléologie –, pour réagir à l'énorme dispute qui était en train d'avoir lieu à l'entrée du bungalow G4.

Alors que tous les adolescents avaient fini leurs activités et s'étaient rendus aux douches, Béa prit violemment à partie un Kilian aux cheveux humides et glacés. Simplement vêtu d'un caleçon et d'une serviette sur les épaules, le blondin s'immobilisa devant l'assistance, composée d'Aaron qui venait lui aussi de se laver, de Guillaume qui arrivait à peine, accompagné de sa bande, d'Arthur qui, gêné par le bruit, avait pointé le bout de son nez à travers la fenêtre, et d'Alia qui, inconsciemment, s'était tout de suite rapprochée en voyant son nouvel ami en mauvaise posture.

« Pourquoi t'as plaqué Léna comme ça ? Tu crois qu'elle méritait pas mieux qu'un Skype et des larmes de crocodile ! T'es comme tous les mecs en fait, tu t'en fous des autres, tu sais même pas à quel point ça lui a fait de la peine ! »

Kilian s'attendait à tout, sauf à cette crise de nerfs, devant laquelle il blêmit immédiatement. Léna avait été la première fille dont il était tombé amoureux. La première qu'il avait embrassée. La première qu'il avait jetée, aussi. C'était un amour de vacances, rien de plus. Pourquoi Béa, meilleure amie de la demoiselle outragée, était-elle incapable de le comprendre ? Ni l'une ni l'autre n'avaient dû connaitre le vrai, le grand amour. Comment pouvaient-elles le juger alors qu'il avait tant souffert ? S'il l'avait quittée, c'était parce qu'il le devait ! Il n'avait même pas à se justifier ! Bien sûr que non, il ne voulait pas lui faire de peine, mais qu'y pouvait-il ? Déjà à cette époque, un foutu brun s'était mis à accaparer son esprit. Il avait tout fait pour le nier, mais c'était juste la plus pure de toutes les vérités. Après le camp, ce n'avait pas été Léna qui lui avait manqué. Ç'avait été Aaron.

« Mais... » fut cependant le seul mot qui sortit de sa bouche. Il aurait voulu s'excuser, il ne le pouvait pas. La honte et la peur d'être un simple salaud le paralysait.

« Arrête Béa ! C'est normal de casser quand on n'est pas amoureux ! Moi, j'ai jeté mon mec avant les vacances alors qu'on était ensemble depuis un an. Tu crois que je devrais m'excuser ? Nan, j'ai mes raisons et je suis sûr que Kilian a les siennes ! Cette histoire, c'est entre lui et cette Léna, c'est pas à nous de juger ! »

Les regards se tournèrent tous vers Alia. Avec une prestance impressionnante, elle volait au secours du timide adolescent. Blessée dans son orgueil par cette intervention inopinée, Béa tourna les talons et pénétra dans son propre mobile-home en vociférant des insultes incompréhensibles. Mais au moment où Kilian allait s'approcher de la belle pour la remercier, une voix de fouine se fit entendre. Pour Guillaume, l'occasion d'en remettre une couche était trop belle. La petite peste se lâcha comme jamais. Déjà fortement secoué par les accusations de Béa, le blondin ne songea même pas à se défendre. Entre les « tarlouze en slip » et autres « Léna, drôle de nom pour un mec ! », ce furent trois phrases en particulier qui firent craquer le garçon aux yeux verts et le poussèrent au bord des larmes, avant de définitivement transformer ses paupières en fontaines.

« C'est parce que t'aimais un mec que t'as jeté cette meuf ? C'est ça Kilian, c'est pour ça que tu veux chialer ? Allez, assume, tapette, j'suis sûr que tu bandes sur les garçons de notre chambre ! »

Il y a des vérités qui font mal. Celles-là étaient, pour le blondinet, les plus dures à entendre. Guillaume ne savait pas de quoi il parlait, il insultait juste sa tête de Turc, pensant la blesser en balançant d'horribles rumeurs. Comment pouvait-il imaginer toucher sa cible en plein cœur à chaque lancé d'une nouvelle pique ? Et pourtant, c'était le cas. Acculé, Kilian ne pouvait cependant pas avouer que son agresseur avait raison. Il ne pouvait pas admettre qu'en effet, quand il avait plaqué Léna, il aimait déjà Aaron. À l'époque, il lui avait fallu près de quatre mois pour le comprendre et l'accepter. Alors même si c'était la vérité, c'était bien cruel de lui reprocher une chose qu'il était loin de maitriser. Cette méchanceté gratuite lui donnait envie de pleurer. Et après, était-ce sa faute si son brunet rendait son corps fou, si Juan était plutôt mignon et Khaled, le dernier garçon du groupe G4, carrément canon ? Était-ce mal d'avoir du gout et d'avoir eu, avant de s'endormir, une ou deux pensées coquines non maitrisées ? « Putain qu'ça fait mal », pensa-t-il simplement en subissant le flot d'insultes qui lui tombait dessus. Alors, comme à la recherche d'une bouée de sauvetage, il tourna son regard vers le seul qui pouvait le sauver. Prêt à bondir, Aaron grimaçait en serrant les poings, mais restait étrangement immobile.

« Arrête Guillaume, Kilian n'est pas gay ! T'es juste jaloux, car il a plus de succès avec les filles que toi ! »

Une fois de plus, la libération provint d'Alia. Elle parlait avec son cœur. Kilian aimait une panthère, avait-il dit. Et puis, il était tout simplement trop mec et trop beau pour finir dans les bras d'un garçon. Elle ne pouvait pas croire ce mensonge. Elle ne le voulait pas non plus.

Du côté du principal concerné, cette intervention quasi divine laissa un arrière-gout de crucifixion et causa la larmiche qui finit d'inonder la pelouse. Sans un mot, il s'essuya le visage avec sa serviette de bain puis traça en direction des terrains, normalement vides à cette heure-ci. À la surprise générale, une ombre le poursuivit, le rattrapa derrière le gymnase et le serra fortement contre lui. En chialant, Kilian lui bouffa les lèvres comme si plus rien n'avait d'importance.

« Pour... pourquoi tu m'as pas défendu alors qu'il disait toutes ces méchantes choses ! »

La tête contre la poitrine de son amoureux, le blondin blessé ne pouvait faire autrement que de pleurer. L'humiliation en règle qu'il venait de subir avait été horriblement pénible. Alors, après l'avoir enlacé tendrement en lui passant la main dans les cheveux et dans le dos, Aaron le frictionna pour le réchauffer et lui expliqua au creux de l'oreille pourquoi il n'avait pas agi.

« Hier, tu m'as reproché de trop te couver, alors j'voulais te lâcher un peu... Et puis, une gonzesse était déjà en train de te défendre, t'avais pas besoin de moi... Je... j'suis désolé, Kili, vraiment, pardonne-moi... j'veux te protéger, mais c'est pas simple... T'occupe pas de Guillaume, ignore-le, lui donne surtout pas ce qu'il veut... On s'en fout de ce qu'il pense... On s'en fout... On est plus forts qu'ça... Allez, arrête s'il te plait... »

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