76. Le dernier cadeau de Justin
samedi 4 avril
The Gardian Fire (00:22) : Je n'aurais peut-être pas dû te raconter tout ça, il risque de m'en vouloir... mais j'ai peur qu'il fasse une putain d'erreur, et je suis incapable de le conseiller... alors que toi...
Aar-o'-the-wisp (00:23) : Non, tu as eu raison de me le dire, même si... pfff. Ça me fait chier qu'après le dossier Alia, il me refasse le coup des cachoteries, mais bon, c'est Kilian... c'est pas comme si je pouvais le choper par le cou, lui foutre trois baffes et le changer...
The Gardian Fire (00:23) : Il veut te protéger, il ne veut pas que tu t'inquiètes pour lui... ça part d'un bon sentiment. Au fait, il s'est décidé pour les vacances ? C'est la semaine prochaine...
Aar-o'-the-wisp (00:24) : Il a dit qu'il tranchera au dernier moment et il refuse d'en parler. Le truc super logique et super sympa pour planifier ses congés... Ça se trouve, il a déjà décidé et il ose pas me l'avouer (dans quel cas, merci de m'indiquer l'adresse du meilleur fournisseur de cordes à usage unique de la région.)
The Gardian Fire (00:25) : Tu vas faire quoi, alors ?
Aar-o'-the-wisp (00:26) : Me pendre ? Non, je sais pas... J'ai besoin de réfléchir. S'il ne m'aime plus...
The Gardian Fire (00:28) : Tu prends le problème à l'envers. La question n'est pas de savoir s'il t'aime et ce qu'il peut faire pour toi, mais si toi tu l'aimes et ce que tu es prêt à faire pour lui. Tout ce bordel a assez duré, j't'ai pas mis au courant pour que tu te morfondes, mais pour que tu agisses. Alors agis, Aaron. Il a besoin de toi. T'es le seul à pouvoir l'empêcher de faire une double connerie.
Dans la vie, certaines choses sont dures à accepter : la défaite de son équipe favorite en finale d'une grande compétition internationale, découvrir qu'un yaourt qu'on adore n'est plus fabriqué, subir la disparition de notre animal préféré, tomber à court de Nutella, avoir le cœur brisé par une déception affective, échouer à un concours pour quelques dixièmes de points, se faire rejeter par ses amis alors qu'on n'a rien fait de mal ou tout simplement se prendre en pleine poire les mensonges d'une personne qu'on aime, fussent-ils par omission. Certains ont beau penser tout ce qu'ils disent, ils n'en restent pas moins experts pour ne pas dire tout ce qu'ils pensent. Kilian était un maitre en la matière. Aaron ne pouvait qu'encaisser avec difficulté la claque que son correspondant sur Skype venait de lui asséner. Une fois de plus, l'amour de sa vie lui avait caché des choses essentielles, et une fois encore, pour la même et unique raison. « Il ne veut pas que tu t'inquiètes pour lui ! »
Stupidité ! S'inquiéter pour ce crétin aux cheveux dorés ? C'était sans aucun doute l'activité qui accaparait le plus le jeune brun depuis qu'il le connaissait et qu'il en était tombé amoureux. En fait, aussi loin qu'il pouvait remonter, il n'y avait pas eu un matin où il ne s'était pas levé en se demandant si sa petite tornade à la fragilité exacerbée allait bien, si elle tenait le choc de leur séparation et si elle arrivait à être heureuse malgré tout ce qui lui tombait sur la tronche. À raison, d'ailleurs, vu à quel point elle semblait attirer les emmerdes comme un aimant.
Bien sûr, Aaron savait que les parents de son amant n'étaient pas vraiment en bons termes, mais certaines choses, il ne pouvait que les ignorer. Comment aurait-il pu deviner que le blondinet en veuille toujours à son père malgré tout ce que ce dernier avait fait pour lui – comme aller chercher un petit brun en Suisse pour lui remonter le moral en pleine bouderie – et que sa mère se batte pour le récupérer, alors qu'elle le haïssait depuis presque toujours ? Il y avait forcément des informations qui lui manquaient, et pour cause, Kilian les lui avait toutes cachées.
Et cela pour ne pas l'inquiéter, au moment même où il se battait pour récupérer son cœur. Quel sens du timing !
Penser qu'Aaron pourrait l'accepter était une idée aussi brillante que stupide que seul un blond un peu couillon pouvait avoir. Et pourtant, le brunet ne lui reprocha pas ce silence et n'évoqua même pas le problème avec lui. En fait, il ne savait même pas comment il devait réagir.
« Tu vois Juju, en février, il était tiraillé entre nous deux. Même si on a vécu des moments géniaux, il passait son temps à se retenir. À cause de moi, il a fini dans ses bras à elle, et maintenant, j'vais même pas réussir à l'en déloger. Et je sais même pas si je dois. J'veux me battre, mais là... Ça m'a foutu un coup au moral. Je veux qu'il me choisisse, mais je ne veux pas que ça soit un choix par défaut ou pour me faire plaisir comme au ski quand il m'embrassait. J'veux être une évidence pour lui, et pour l'instant, la seule évidence, c'est qu'il ne me fait pas assez confiance pour me parler d'un truc aussi important que sa famille alors que j'aurais vraiment pu le conseiller. Il aurait pu me dire tout ça, mais nan, il préfère passer son temps à me reprocher de pas avoir effacé le coup de rein qu'un d'ses potes lui a foutu en octobre. Comme si c'était plus important que ses vieux ou que notre histoire... »
Assis sur la pelouse du lycée pour profiter des beaux jours qui revenaient, Aaron se lamentait à voix haute. Dans son dos, Justin l'enlaçait par le cou en baillant. Après sa période bleue, le jeune adolescent était passé au blond clair. Et là, il s'amusait à frotter ses cheveux et son nez dans la nuque de son camarade en ronronnant comme un petit félin. Aaron trouvait son petit chaton toujours plus craquant. Entre son attitude, son apparence et son look fait d'un jean bleu légèrement usé, d'un t-shirt rose pâle aux motifs bleu ciel et de son bracelet éponge blanc – toujours si utile pour masque de vilaines cicatrices –, il y avait de quoi. Et pourtant, malgré la douceur printanière, ce ne fut pas une sucrerie que son camarade lui lâcha avant de fuir à toutes jambes, en rigolant, en direction du bâtiment principal.
« T'es con ! »
Le lendemain, alors que la cantine proposait des lasagnes comme souvent le mardi, Justin ne toucha presque pas à son assiette, préférant fuir le brunet et comploter dans son dos jusqu'à la fin de la journée. À chaque fois qu'Aaron s'approchait pour lui passer la main dans les cheveux ou simplement discuter, le petit félin anthropomorphique faisait trois pas en arrière puis tirait la langue en se posant l'index juste sous son œil droit, comme s'il n'avait pas la moindre envie qu'Aaron se mêle de ses affaires. Cette attitude énerva l'adolescent aux cheveux noirs comme jamais. Lors de la dernière pause, il menaça même de bouffer cette foutue langue rose bonbon si Justin continuait à la lui montrer comme cela de manière provocante. En guise de réponse, ce dernier éclata juste de rire puis lui sourit en tournant la tête sur le côté.
« J'y peux rien si t'es con ! »
Non seulement, Kilian le tourmentait, mais en plus, Justin se foutait de sa gueule. Il n'en fallait pas plus à Aaron pour s'enfermer dans sa chambre après avoir mis à la porte ses chats et son chien, toujours puni depuis leur dernier bain en commun, à sa plus grande incompréhension. Lui, il avait trouvé ça bien de se laver avec son maitre, il ne voyait pas ou était le problème.
Peut-être était-il tout simplement dans la tête du brunet, même si Aaron n'arrivait pas à comprendre pourquoi. Quelque chose le retenait et le freinait. Il savait ce qu'il devait faire, il savait qu'il devait prendre son téléphone et mettre les points sur les i avec Kilian, exiger qu'ils passent les vacances ensemble et que le blondin le laisse le conseiller pour ses parents. Après tout, pouvait-il en être autrement ? L'adolescent aux yeux verts adorait qu'on le prenne en main et était incapable de prendre la moindre décision tout seul. Pour Aaron, c'était son devoir d'amoureux que de lui indiquer de manière directe ce qu'il devait faire. C'était sans aucun doute ce que Kilian attendait de lui et ce qui expliquait son comportement évasif. Oui, c'était l'évidence même. S'il voulait que son niaiseux à lui le choisisse, le jeune brun devait se comporter comme un homme, à la limite du machisme. Et tant pis si cela féminisait un poil son lionceau. L'animal n'en restait pas moins un fier petit mec, et c'était bien pour cela qu'il l'aimait. Le reste, ce n'était qu'une question de goût et d'équilibre. Leur couple avait toujours été bâti sur les mêmes bases, et cela fonctionnait parfaitement : de la douceur, des coquineries et des rôles biens établis. Aaron avait besoin de se montrer protecteur, de guider, de conseiller, de protéger, voire de dominer la relation, ce qui lui permettait d'affirmer sa personnalité et de se rassurer. Son devoir était d'apporter réconfort et protection à celui qu'il aimait. Kilian, lui, avait besoin de se sentir désiré et d'aimer plus que tout en retour, de s'offrir, de se donner corps et âme dans son histoire, d'être défendu et guidé dans ses choix et ses actes, sans pour autant ne jamais perdre le contrôle de sa vie et de ses décision. Tout cela lui permettait de se définir et d'être vraiment lui-même : un garçon de son temps, vivant pleinement ses particularités, sa sensibilité et ses choix. Ceux-là même qu'il avait bien du mal à faire.
Et pourtant, malgré toutes ces idées en tête et cette volonté d'enfin aborder les sujets qui fâchent, Aaron reposa le combiné en se mordillant les lèvres. Et si, tout ce qu'il pensait lui offrir, Alia lui apportait aussi ? C'était improbable. Elle avait beau avoir du caractère, il était impossible que Kilian choisisse de s'effacer devant une fille autant que devant un mec, c'était incompatible avec son tempérament joueur, coquin et malgré tout assez fier. Cela ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose, elle lui apportait autre chose. Quelque chose que le brunet ne pouvait pas lui apporter. Quelque chose qu'il était incapable de lui apporter, même. Ce soir-là, le lycéen s'enfouit la tête sous son oreiller en maudissant son impuissance. Kilian avait besoin d'un homme pour le protéger et d'une femme à cajoler. Il avait besoin d'un garçon pour l'aider à trouver sa place, et d'une fille pour ne pas complètement se perdre en chemin. Et Aaron, malheureusement, ne pouvait pas être les deux. La vérité était cruelle. Quand bien-même il l'aimerait de toutes ses forces, il y aurait toujours une petite part de son cœur qu'il ne comblerait pas. À cette question d'identité, il n'y avait aucune réponse absolue, tout juste des choix à faire. Aaron ne pouvait pas les exiger de la part de son blondinet. Il n'en avait pas le droit.
« Mais t'es vraiment con, Roron ! Heureusement que je suis là pour te remettre les idées en place, sinon, tu pataugerais tellement dans la semoule que ton cerveau finirait par ressembler à un pois chiche ! »
Aaron se réveilla en sursaut. Il était en sueur. Le réveil indiquait quatre heures du matin. Une question le taraudait : que diable Justin foutait-il dans son rêve ? Pourquoi son chaton le traitait-il depuis deux jours de con, jusqu'à dans son sommeil ? Et pourquoi n'arrivait-il plus à réfléchir normalement ? Le bain bouillant qu'il prit en pleine nuit et qui lui valut de se faire engueuler par son père, furieux d'être réveillé par le bruit de l'eau, ne l'aida malheureusement pas à répondre à toutes ces interrogations.
Le premier bus de la journée le déposa devant les portes closes de l'ensemble scolaire Danceny. Le jour se levait à peine. Comme tous les mercredis, il débuterait la journée par un cours d'histoire, une de ses matières préférées, avant de poursuivre son apprentissage par une heure d'espagnol, une de permanence et une de physique. La vie classique d'un lycéen lambda où les notes étaient une sorte de salaire au mérite, sauf qu'on ne pouvait le dépenser nulle part. Le début de matinée se passa plutôt rapidement, comme à chaque fois que les profs se mettaient en tête de soumettre leurs apprenants à l'exercice tant redouté de la récitation écrite. À la différence de ses camarades, Aaron ne s'en plaignit pas. Si le niveau dans sa classe était si élevé, c'était avant tout sa faute. Les autres n'avaient qu'à s'accrocher pour le suivre. Le seul qu'il voulait vraiment aider, c'était Justin. Et alors que, pendant l'heure de perm, il le cherchait du regard pour l'obliger à faire quelques exercices de math, il ne le trouva pas.
« Salle 403 »
Sans même lever le nez de sa feuille, Tess indiqua à son camarade où trouver ce qu'il cherchait. Aaron frissonna. Cette salle, presque jamais occupée, c'était celle dans laquelle la métisse et sa meilleure amie lui avait tendu un traquenard plusieurs semaines en amont. Heureusement, cette fois-ci, les deux filles semblaient trop occupées pour le piéger. Entre leurs devoirs en retard, le sudoku du journal gratuit du jour qui leur posait problème et un débat avec le reste de la classe pour déterminer pourquoi les garçons préféraient souvent l'homosexualité féminine à la masculine, elles n'avaient certainement pas le temps de s'en prendre au jeune brun. Les mains dans les poches, ce dernier grimpa jusqu'au lieu où devait se trouver son chaton. Après avoir poussé la porte, il soupira et la claqua violement derrière lui. Un garçon se trouvait juste devant lui, torse nu, et regardait par la fenêtre. Il avait des cheveux blonds coiffés avec du gel. Il tremblotait, comme s'il attendait fermement quelque chose tout en en ayant une peur bleue.
« Tu fous quoi, là, Jonathan ? Tu cherches à attraper une sinusite ? Et où est Juju ? »
Le pauvre adolescent croisa ses bras autour de son torse, comme si, pris d'un réflexe, il avait voulu masquer sa poitrine inexistante. Se tournant vers son interlocuteur, il le regarda en levant les yeux et en baissant la tête. Semblant autant effrayé qu'excité, il commença, d'une main, à déboutonner son jean troué au niveau du genou, avant de s'accroupir.
« Justin est dans le couloir de l'étage au-dessus. Bon, dépêche-toi de me faire ce que t'as prévu, c'est bien parce qu'il m'a convaincu que tu le méritais que j'ai accepté. Et t'en parles à personne, hein, tu promets ? J'ai pas envie que ça se sache ! »
En grognant, Aaron se passa la paume sur le visage. Enfoiré de chaton ! C'était « ça » qu'il manigançait ? Pousser Jonathan à se mettre en caleçon ? Et à entrouvrir la bouche en fermant les yeux et en retenant de stupides larmes ? Sa victime préférée n'avait toujours pas compris que le jeune brun avait décidé de ne plus s'en prendre à elle ? Non, il y avait quelque chose de changé dans l'attitude de son camarade. Ce qu'il semblait ressentir n'était ni de la peur, ni de la soumission. C'était pis et même un peu nauséabond : Jonathan avait de l'envie.
« Si tu veux, j'peux aussi enlever le boxer, mais fais vite hein, faut pas qu'on se fasse prendre ! »
Se retenant de vomir, le brunet sortit aussitôt et se jeta dans les escaliers. Il ne trouvait pas cette blague drôle du tout. Quand enfin il arriva dans le couloir, il aperçut, assis contre le mur, Justin qui souriait et qui jouait avec des petites voiturettes d'enfant en faisant « vroum vroum » avec sa bouche. Une fois encore, Aaron resta bouche bée devant l'attitude de son camarade, capable de l'attendrir en quelques secondes à l'aide d'un comportement gamin à l'extrême malgré son étrange maturité. Toujours sous le choc, il se laissa glisser à ses côtés et le regarda s'amuser pendant plusieurs longues secondes avant d'enfin l'interrompre.
« Putain Neko-chan, c'est quoi le délire, là ? Tu joues à quoi ? Pourquoi Jon... »
Avant même qu'il n'eut le temps de finir sa phrase, son camarade s'était jeté sur lui et l'avait enlacé au niveau du cou avant de plonger sur ses lèvres. Avec ses cheveux teints dans un blond presque parfait, Justin lui faisait inexorablement penser à Kilian. Et pourtant, même si cette avalanche de sentiments lui coupait le souffle, Aaron se sentit obligé de repousser l'assaillant. Avec un visage torturé et aux bords de la crise de larmes, le brunet lui demanda pourquoi. Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ?
« Parce que t'es con ! », lui répondit immédiatement le frêle adolescent en lui caressant les joues du bout de ses petits doigts aux bouts arrondis.
Complètement bloqué, Aaron tremblota. Ses yeux semblaient crier qu'il ne comprenait rien. Tout en se collant à lui, Justin lui expliqua au creux de l'oreille ce qu'il entendait par là.
« Sauve-le comme tu m'as sauvé, ton blondinet. Va le chercher, il a besoin de toi comme moi j'ai eu besoin de toi. Et pour Jona, considère que c'est mon cadeau pour t'encourager. Et de toute manière, ça fait des semaines qu'il en crève d'envie, il me l'a même avoué ce couillon, même si j'ai dû le chatouiller pendant une demi-heure. J'ai encore des crampes dans les doigts. Après, j'lui ai juste fait croire que tu voulais aussi, comme ça il culpabilisera pas trop et ça lui fera plaisir de te faire des bisous où je pense. Tu sais, au début, j'pensais le faire moi-même. Botteron adorait, il disait que je le faisais bien, mais moi, je détestais... Peut-être qu'avec toi, j'aurais aimé, j'sais pas, j'saurais sans doute jamais... Mais j'm'en fous, j'suis qu'un p'tit chaton, j'joue aux p'tites voitures. Vroum vroum ! Et arrête de te poser des questions, t'es nul quand tu t'en poses. T'es bon que quand t'agis. »
Devant ce discours un peu déstructuré, Aaron avait bien du mal à comprendre en quoi profiter d'un de ses camarades l'aiderait à « sauver » Kilian. Et sentir la joue toute douce de Justin contre la sienne était loin de l'aider.
« Mais j'ai pas envie de me taper Jonathan, moi ! Pourquoi tu m'fais ça ? »
« Comment tu peux reprocher à Kilian de te cacher des choses alors que toi-même, t'as pas tenu la promesse que tu lui as faite ? J'comprends pourquoi il te le reproche ! Moi, à sa place, j'aurais pas supporté. Ça fait des mois qu'il t'obéit et toi, rien, nada, t'as même pas égalisé alors que ça lui tenait à cœur ! T'es qu'un con, j'te dis ! Fais ton devoir, tire un trait sur tout ça et va l'chercher ! C'est la seule chose que tu as à faire ! Montre lui que tu n'as qu'une parole. Comme ça, quand tu lui diras que tu reviendras bientôt en France, il sera obligé de te croire... Moi ou Jona, choisi, mais termines-en une bonne fois pour toute et passe à autre chose. Vroum ! »
Quelques secondes plus tard, Aaron se retrouva allongé sur une table de la salle 403. Si Jonathan était particulièrement mauvais dans cet exercice, il semblait au moins y prendre un certain plaisir. En offrant ses lèvres à celui qui l'avait torturé pendant des mois, il retournait définitivement la situation à son avantage. À cet instant précis, en s'offrant par lui-même à Aaron, il le dominait enfin. Le brunet n'était plus que le jouet de son amusement, une sorte de morceau de plastique humain à malaxer et mordiller à loisir. La boucle était bouclée. Jonathan pouvait à présent avancer et oublier cette seconde si curieuse pendant laquelle il avait découvert une facette de sa personnalité qu'il n'aurait jamais soupçonnée. Après tout, il n'y pouvait rien si son camarade était un « maitre » extraordinaire et si lui-même avait une attirance singulière pour ce qu'avait théorisé de manière romanesque le marquis de Sade. Une chose était sûre : s'il devait rejouer les même jeux à l'avenir, il préférerait que cela soit avec une femme, si possible vêtue de latex et de talons hauts, qui sache comment traiter les méchants garçons. Elles aux moins, elles n'hésitaient pas, à la différence de ce couillon de brun.
Aaron, lui, s'abandonna complètement en fermant les yeux. Son chaton, il n'aurait jamais pu le toucher, et ce dernier l'avait bien compris. Avec Jonathan, il n'avait aucune envie de faire ce genre de choses, mais après tout ce qu'il lui avait fait subir, il lui devait bien cet ultime face à face. Peut-être que le fait que la scène soit si désagréable et qu'elle lui procurât une sensation de souffrance était une punition pour ne pas avoir eu un comportement suffisamment louable cette année-là. Et quand enfin arriva la détonation finale, elle ne lui provoqua aucun plaisir mais déclencha tout de même quelque chose en lui. Une sortie de détermination absolue. À trop réfléchir, il était passé à côté de l'essentiel. À chercher sans cesse à convaincre son père, il s'était trompé de cheval de bataille. Ce qu'il voulait, il n'avait qu'à faire comme il avait toujours fait : le prendre. Plus rien à présent ne le retenait en Suisse, et plus rien ne pouvait entraver sa volonté. L'ultime cadeau que lui avait fait Justin, cette dernière leçon, cette libération, il s'en montrerait digne. Dans le couloir, alors que la cloche sonnait la reprise des cours, il se saisit de son téléphone et envoya un long SMS pianoté à toute vitesse à l'élu de son cœur, prélude à une très longue soirée.
« Je me suis acquitté de tous mes devoirs, notre deal ne tient plus. Maintenant, il n'y a plus que toi. Jusqu'à ma mort, je ne toucherai plus qu'à toi. Passons les vacances ensemble, et ensuite, notre vie entière. Je ne te dirai pas que je t'aime, aucun mot n'est assez fort pour te le faire comprendre. Je ne perdrai pas, Kilian. Ce que je ressens pour toi, je vais te le montrer. Je n'aurais jamais dû partir, je n'aurais jamais dû suivre mon père et t'abandonner. Je reviendrai, et je ne te laisserai plus jamais. Toi, sois fort. Et si tu ne l'es pas, je le serai pour toi. »
De l'autre côté de la frontière, Kilian manqua de jeter son portable sur un mur, au lieu de quoi il fondit simplement en larmes. Ce texto avait un étrange goût de punition. Apprendre qu'Aaron avait enfin « effacé » sa faute avec Gabriel lui fit l'effet inverse de ce qu'il prévoyait. Au lieu de se sentir enfin propre, il se trouva encore plus sale qu'avant. Et pour cause, plus les jours avançaient, plus Alia se montrait oppressante pour, elle aussi, gagner la partie. Au milieu, il se sentait perdu. Par trois fois, il avait failli craquer et céder devant les arguments de sa copine, et par trois fois, des messages inopinés d'Aaron l'avaient bloqué. Il se sentait coupable, méchant et monstrueux. Et sa décision, elle, n'était toujours pas prise.
Pas plus que celle relative à ses parents, attendue pour le lendemain.
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