67. « Dis-le »
« Kilian n'est pas venu en cours ce matin. Il s'est enfermé chez lui. Il va mal. On est complètement impuissants, il ne veut voir personne. Tu es le seul à pouvoir agir. Il est temps que vous vous parliez. Vous avez trop souffert tous les deux. »
Machinalement, Aaron rangea son téléphone dans sa poche. Le SMS qu'il venait de recevoir n'était pas à même de le détourner de son objectif. Rien ne l'était. Mercredi après-midi, les salles de classes étaient vides. Dehors, il pleuvait des cordes. Les lycéens étaient tous rentrés chez eux et lui, il attendait patiemment son heure. Enfin, le moment de vérité était arrivé. Enfin, sa volonté était sur le point de payer. Il y était presque, il ne lui restait plus que quelques efforts à faire pour démontrer toute la vérité. L'horloge au bout du couloir indiquait quinze heures trente-deux. Le conseil de discipline, le sien, était prévu à seize heures. Il n'avait pas peur. Ce tribunal, il l'avait cherché, provoqué et mérité. Ce n'était rien d'autre qu'un subterfuge né de son esprit détraqué. Passer pour un pauvre animal aculé au bord du gouffre le stimulait plus qu'autre chose. Durant deux jours, il avait feint la faiblesse pour mieux tromper son adversaire.
Assis par terre les yeux clos, il repensa au moment où cette idée avait germé dans son esprit, dans le bureau du directeur. Après le départ du père de l'effronté, le pauvre Monsieur Bourgneux avait rechaussé ses vieux binocles. Avec sa moustache proéminente, ses cheveux grisonnants et ses vêtements en velours, le vieil homme semblait tout droit sorti du début du siècle précédent. La colère et la fermeté de l'adolescent avaient fini par ébranler toutes ses convictions. Ce garçon ne lui donnait pas l'impression de tricher. Tout ce qu'Aaron avait dit semblait né du désespoir. Et s'il ne mentait pas, peut-être fallait-il alors l'écouter.
Sans s'épancher sur les détails, le brunet lui avait réaffirmé sa seule certitude : Botteron avait fait du mal à Justin. L'adulte demanda une preuve, ou au moins un commencement. L'adolescent répondit qu'elle n'existait pas encore, mais qu'en tant que responsable de l'établissement, son interlocuteur avait le pouvoir de la créer, qu'il devait juste lui faire confiance. La suite de la conversation fut remise au lundi matin. Le lycéen avait le week-end pour préparer son exposé, sans quoi, l'affaire serait close et son destin écrit.
Quinze heures quarante-quatre. L'heure avançait et les plic-plocs de la pluie, seuls, troublaient le silence qui pesait sur le couloir.
Le lundi, après avoir passé son samedi et son dimanche à convaincre Justin de le suivre dans cette ultime tentative, Aaron était arrivé avec son plan en tête. Il tenait en deux mots.
« Virez-moi ! »
Assis au fond de son fauteuil, le vieux directeur s'était passé l'index sur la joue, comme pour exprimer silencieusement à quel point cette idée le rendait dubitatif. Se débarrasser de ce garnement turbulent, cela avait été sa première intention, mais il en était revenu. Et il ne voyait pas du tout en quoi cela pouvait aider Justin, bien au contraire. Les menaces de l'adolescent meurtri au cas où son copain disparaissait des radars avait obligé le personnel technique à condamner de manière temporaire la moitié des fenêtres de l'établissement, toutes celles qui s'ouvraient entièrement. Simple précaution.
Un sourire sur le visage, Aaron déroula ses idées.
« Je ne vous demande pas vraiment de me virer, mais de le faire croire à Botteron ! Faites-moi passer en conseil de discipline, et expliquez lui que mon sort est déjà scellé, en précisant bien que j'ai choisi Juju comme avocat, c'est super important. Dites-lui aussi que sa présence est requise, en tant que prof principal, c'est plutôt normal. Pour le reste, faites-moi confiance ! C'est quand un poisson se croit sauvé qu'il commence à relâcher son attention, et c'est à ce moment-là qu'il faut le ferrer. Et si je me foire, vous n'entendrez plus parler jamais parler de moi, et pour cause... puisque je vais me faire virer. »
Quinze heures cinquante-trois. Le moment du face à face final approchait de plus en plus. Plusieurs professeurs venaient de passer devant Aaron pour rejoindre la salle de classe où tout se jouerait. Pour la cinquantième fois depuis la veille, l'adolescent laissa glisser sa main gauche dans la poche de son pantalon pour s'assurer que sa pièce maitresse était toujours là. Il ne pouvait pas perdre.
Le mardi matin, conformément aux souhaits de son élève, le directeur avait convoqué Botteron pour lui indiquer qu'il serait bientôt débarrassé du petit brun, à condition bien entendu que personne ne vienne étayer ses propos. L'adolescent avait d'ailleurs été renvoyé chez lui pour la journée, histoire de préparer sa défense. Le professeur rigola de bon cœur, il était impossible qu'un élève témoigne contre lui. Il n'y en avait qu'un seul, en fait, qui avait les moyens de lui porter préjudice, mais en avait-il seulement envie ? C'était très peu probable. Il était pourtant préférable de s'en assurer. Un mot un peu trop vite prononcé peut faire tellement de tort lorsqu'il n'est pas réfléchi ! Même si Justin séchait tous ses cours de math, l'adulte savait très bien où le trouver. La force de l'habitude... Dès que le temps s'y prêtait, le jeune lycéen prenait presque toujours son goûter sur les marches, comme si ce rituel enfantin l'aidait à tenir. L'idiot !
Sans surprise, son élève intime s'enfilait quelques barres chocolatées au fond du gosier. Le professeur jeta un coup d'œil à gauche et à droite. Comme prévu, il n'y avait pas le moindre petit brun aux alentours pour lui pourrir la vie. Avec un immense sourire, il s'approcha du fameux chaton et lui posa la main sur l'épaule. Enfin, après des semaines d'attente, une occasion d'approcher sa proie se présentait. Ce qui pouvait passer pour un geste bienveillant était en réalité tout autre chose : une étreinte ferme et douloureuse, lourde de sens. Alors que Justin commençait à blêmir, à trembler et à se débattre maladroitement, Botteron lui chuchota quelques mots à l'oreille avec un air des plus perfides. Sa victime se décomposa sur place et ne dut son sauvetage qu'à l'arrivée tardive de Jonathan et de Tess, qui poussèrent le professeur à la fuite. Qu'importe, maintenant, il en était sûr, personne ne viendrait corroborer les délires d'Aaron, et certainement pas le principal intéressé.
Quinze heures cinquante-neuf. Il était l'heure. Le brunet se leva, épousseta du plat de la main ses vêtements puis frappa à la porte. La voix du directeur lui intima d'entrer. À l'intérieur de la salle de classe transformée en tribunal siégeaient déjà autour du président de séance plusieurs professeurs, donc un qui enseignait les mathématiques et qui ne pouvait s'empêcher de jubiler à l'idée même que son cauchemar allait enfin prendre fin. Juste après l'accusé du jour, Justin passa sa tête à travers l'ouverture de la porte, puis dit poliment bonjour en baissant les yeux avant de s'asseoir et de s'enfermer dans un profond mutisme. Aaron, lui, demanda à rester debout, le front levé. Il ne tremblait pas. Sans même qu'on ne lui donne la parole, il toisa son principal adversaire et s'autorisa une citation de Danton, légèrement arrangée, qu'il avait préparée pour l'occasion.
« Botteron, tu me suis ! Ta maison sera rasée ! On y sèmera du sel ! »
Après un rappel à l'ordre, le directeur exposa les raisons de sa présence en ces lieux, qui n'étaient rien d'autre que la chambre d'enregistrement d'une décision déjà prise. La lettre qui avait causé tant de troubles fut lue et provoqua de nombreux murmures outrés de la part du corps enseignant. Et quand il fut expliqué que cet élève vaniteux avait osé conduire ses camarades à la grève, la plupart des adultes oublièrent qu'ils étaient eux-mêmes syndiqués et qu'ils n'avaient pas toujours assuré tous leurs cours. C'était un simulacre et tout le monde jouait son rôle. Et après ? Si Aaron restait étrangement calme et Justin parfaitement muet, plus les minutes s'écoulaient et plus de grosses gouttes de sueur se mettaient à perler sur le front et le cou de Monsieur Bourgneux. Plus cela allait, moins il voyait comment son élève avait prévu de s'en sortir. Et pourtant, le petit sourire en coin de ce dernier indiquait qu'il était loin d'avoir épuisé toutes ses cartouches. Il attendait juste qu'on lui donne la parole.
« Et bien mon garçon, qu'as-tu à dire pour ta défense ? »
Inspirant profondément, Aaron ferma les yeux quelques secondes pour mieux se concentrer. Il partait en roue libre. Le regard braqué sur Botteron, il pointa son index dans sa direction.
« Cet homme a fait du mal à Justin. Vous le savez tous aussi bien que moi. Regardez sa tête ! Regardez sa mine réjouie ! Regardez au fond de son âme et vous verrez qu'il est la pire des pourritures. Tout ce que j'ai fait, c'est oser le dire ! Vous voulez me condamner pour ça ? Vous vous trompez de cible. La justice à un prix, celui de la vérité. Y a-t-il seulement une personne ici qui ne soit pas trop lâche pour la rechercher ? »
Bourgneux baissa la tête en grognant. Ce discours, malheureusement, il l'avait entendu en long, en large et en travers depuis des semaines et il n'apportait strictement rien au débat, bien au contraire. C'était comme si Aaron s'était moqué de lui, et cela le mit dans une immense colère. À tel point qu'il souhaita abréger ces stupides palabres.
« Bien, si tu n'as rien d'autre à dire, je pense qu'on peut passer aux délibérations, je vais donc maintenant te demander de sor... »
« Vous, bouclez-là ! », le coupa l'adolescent en élevant la voix avec un air mauvais, avant d'avancer de trois pas en direction de Botteron et de le regarder avec la plus malsaine des insistances dans le blanc des yeux. Avec un regard de serpent qui sifflote et les mains fermement posées sur le bureau de l'homme qu'il semblait prêt à mordre, il articula une énième provocation.
« Osez dire que vous ne lui avez rien fait. Allez, dites-le, montrez-nous à quel point vous mentez mal ! »
Alors que Justin s'enfonçait sur sa chaise, l'adulte faillit se lever de la sienne pour rétorquer, voire pour donner une violente leçon de vie au petit connard qui avait osé l'affronter. Au lieu de quoi il resta calmement assis, les mains jointes sous le menton, avec toujours son horrible petit sourire. Se faire piéger par Aaron ? Il n'était pas assez stupide pour entrer dans son jeu. En ricanant, il balaya toutes les accusations portées à son encontre.
« Moi, faire du mal à Justin ? C'est grotesque ! Vous imaginez un professeur s'en prendre à un de ses élèves, comme ça ? Et moi en plus ? En plus de dix ans de carrière, je n'ai jamais eu le moindre problème avec les adolescents, et j'ai même aidé de nombreux jeunes à s'en sortir. Tu délires Aaron, et ça en devient particulièrement désagréable. Le premier à qui tu causes du tort, c'est à ton camarade et c'est déplorable. Je suis bien content de ne bientôt plus te voir, et je suis sûr que tous les professeurs partagent mon opinion. Car c'est l'ensemble du corps professoral, et pire, monsieur le directeur lui-même, que tu as salis avec tes mensonges. »
Tous les adultes, même le plus âgé, acquiescèrent devant cet argumentaire sans faille. Seul Botteron ne semblait pas complètement à l'aise, malgré sa très belle défense. Pourquoi donc Aaron lui souriait-il de cette manière comme s'il avait gagné, alors qu'il était en train de tout perdre ? Pourquoi diable l'adolescent ricanait-il au lieu de pleurnicher et d'implorer la clémence du conseil de discipline ? La réponse arriva avant-même qu'il n'ait le temps de respirer trois fois. Tout en sortant une sorte de boitier noir de sa poche, Aaron l'interrogea à nouveau.
« C'est bizarre, ce n'est pas du tout ce que vous disiez hier après-midi ! »
En un instant, le visage de l'adulte changea de couleur pour devenir aussi blanc que du lait fraichement tiré. Le brunet, lui, appuya juste sur un bouton en entrouvrant la bouche d'un air ravi. Un son s'échappa de l'engin. C'était la voix du professeur.
« Justin... mon petit Justin. Tu sais que tu m'as mis très en colère, n'est-ce pas ? Non seulement tu fuis ton prof bien aimé, mais en plus, tu t'es permis d'évoquer le contenu de nos cours particuliers avec un de tes copains ? Après tout ce que j'ai fait pour toi, tout ce que je t'ai appris, tout le temps passé à m'occuper de toi avec la plus grande des tendresses, c'est comme ça que tu me remercies ? Demain, je te conseille vraiment de ne pas trop parler. Il ne faudrait pas que ça te porte préjudice. N'oublie pas ce que tu es et ce que je suis. N'oublie pas ce que penseraient tes camarades de classe si ils apprenaient ce que tu as fait, et à quel point tu as aimé ça. Je suis le seul à pouvoir protéger notre petit secret. Dans cette affaire, nous sommes alliés, tu comprends ? Et c'est pour cela que demain, tu vas me promettre de rester silencieux, d'accord ? »
Aaron avait le triomphe plutôt modeste. Ce qu'il venait d'asséner à son adversaire n'était qu'un coup de massue qui l'avait mis à terre. Il fallait maintenant l'achever. Alors que tous les adultes présents s'étaient mis à discuter entre eux de manière horrifié et que Botteron cria au faux, à la manipulation, au montage et à l'arnaque, le jeune brun expliqua l'évidence. Il n'aurait jamais laissé Justin seul la veille s'il n'avait pas un plan en tête, à savoir une série de micros planqués sous les vêtements de son petit chaton et une armée de bons copains pour le protéger de loin. Le frêle adolescent avait mis du temps à accepter de laisser l'homme qu'il haïssait plus que tout l'approcher, mais au final, sa foi en Aaron l'avait emporté. Tout ce qui avait suivi n'avait été que pure logique. Botteron était un être cynique, orgueilleux et narcissique facilement manipulable, comme tous les dérangés dans son genre. Il ne pouvait prendre le risque de se présenter à ce conseil de discipline sans s'assurer que sa victime garderait bien le silence. Aaron n'avait fait qu'user de psychologie pour tisser sa toile. Il n'en tirait aucune fierté, il avait simplement voulu croire que tout se passerait comme il l'avait prévu. Il avait eu raison.
Défiguré par la rage, le professeur sembla perdre pied. Tous ses collègues le regardaient à présent d'un air choqué. Il fulminait. Il tremblait. Il rageait. Sans cette assemblée de témoins, il aurait pu commettre un meurtre, séance tenante. Ce n'était pas, en tout cas, l'envie qui lui manquait.
« C'est n'importe quoi ! Il ne s'est jamais rien passé ! Vous n'avez strictement aucune preuve de ce que vous avancez ! C'est un coup monté pour me piéger, je... je vais porter plainte, tout de suite même ! On verra bien si Justin est capable de m'accuser devant la police ! Non, il ne le fera pas, il ne le fera pas car je n'ai rien à me reprocher, et lui, il n'a rien à dire ! »
Devant cette argumentation pitoyable, Aaron joua une fois de plus la carte de la provocation, en alliant main dans les cheveux et soupirs, ce qui suffit à indiquer à toute l'assistance à quel point il dominait et méprisait son adversaire. Il ne lui restait plus qu'à jouer le dernier acte de cette mauvaise pièce. Doucement, il s'approcha de son chaton et lui caressa la tête, avant de lui essuyer son visage dégoulinant avec un morceau de tissus. Le pauvre adolescent souffrait. Son poignet le brulait. Avec calme, Aaron le saisit par les mains et le regarda, un sourire ému et triste sur le visage. Justin était aphone. Pour lui rendre la voix, le brunet lui déposa un léger bisou sur la joue.
« Dis-le Juju. Dis-le. Tu dois le dire, tu le dois à tes parents qui t'aiment, tu le dois à tes profs qui doivent savoir, tu le dois à tes potes qui te soutiennent, tu me le dois à moi... Dis le Justin. Dis ce qu'il a osé te faire. Montre leur ton poignet. Montre leur jusqu' où il t'a poussé. Tu dis que t'as pas de preuve ? Que personne te croira ? Mais moi, je te crois, je te crois parce que tu as une preuve, la plus forte de toute. Ton regard ! Ton regard ne ment pas ! La vérité est dans tes yeux ! Sa méchanceté a trop duré, tu es l'seul à pouvoir l'empêcher de continuer à faire du mal. Dis-le. »
Sa poitrine d'adolescent sortant trop tôt de l'enfance brulait Justin. Dans son regard des plus humides, la détresse semblait plus vivace que la vérité. Ce qu'il avait écrit le jour de Noël, il voulait l'exprimer, il voulait le crier, tout simplement le dire, mais sa gorge restait trop sèche. La peur paralysait son corps et ses cordes vocales. Il essaya, mais tout ce qui sortit de son larynx ne fut fait que de petits grognements et de longs râles torturés. Il s'en voulait, même, de ne pas être capable de parler, mais c'était juste au-dessus de ses forces. Alors qu'il faisait le signe « non » de la tête en larmoyant, il sentit une main chaude se poser sur son épaule. Le directeur avait quitté son siège et s'était agenouillé à côté de lui. À l'air habituellement sévère du vieux monsieur se mêlait à une sorte de peine et de tendresse sincère. Il ne semblait pas en colère, bien au contraire. Il semblait humain. Avec sa voix épaisse qui avait si souvent fait trembler les murs, il délivra son élève.
« Aaron a raison Justin, dis-le. Personne ne remettra en cause ta version des faits, personne ne te traitera de menteur. Ton camarade l'a démontré brillamment, tu n'en est pas un. Ton état l'indique clairement. Nous sommes avec toi mon garçon. Ce n'est pas à toi de baisser la tête, ce n'est jamais aux victimes de le faire. »
Ces quelques mots prononcés par un adulte qu'il craignait eurent un effet apaisant sur l'adolescent. Aaron avait réussi à prouver qu'il n'était pas un menteur ? Son ami avait réussi ce prodige impossible ? C'était bien vrai. Après s'être essuyé tant bien que mal ses yeux rougis avec le dos de ses petites mains douces, Justin renifla bruyamment pour essayer de calmer le flot de ses larmes, avant d'enfin réussir à murmurer ce qui le détruisait depuis trop longtemps. Une seule phrase prononcée à voix basse avant qu'il ne reparte dans le plus profond de tous les sanglots auxquels Aaron répondit en le serrant contre lui et en lui embrassant sauvagement le visage.
« Il... il m'a violé... Botteron... »
Furieux, l'homme accusé fit voler sa chaise et se jeta sur l'élève. Après avoir poussé et fait chuter lourdement le brunet sur le sol, il attrapa Justin par le col et hurla. Le flot informe de haine qui sortit de sa bouche semblait né de Thanatos et d'Érèbe.
« Mensonge ! Dis-leur Justin ! Dis-leur que je ne t'ai rien fait que tu ne voulais ! Que tu as toujours tout accepté en échange de bonnes notes ! Dis-leur que tu étais d'accord ! DIS-LEUR ! »
Mais avant même que l'élève puisse comprendre ce qui se passait, Monsieur Villeneuve, le professeur de sport, avait ceinturé son collègue au sol. La vérité était dite. Cet aveu de Botteron, tout le monde l'avait très clairement entendu. Le pauvre fou avait définitivement perdu la raison. Le choc était dur à encaisser. Une professeure d'anglais ne put s'empêcher de pleurer, un de français ravala sa fierté tout en gerbant sa honte. Le directeur, lui, se saisit de son téléphone et s'adressa à l'assemblée :
« Bien, ce conseil de discipline est terminé, nous savons tout ce que nous devions savoir. J'appelle tout de suite la police pour porter plainte au nom de l'établissement. Monsieur Botteron, vous êtes mis à pied. Je vous prierai d'attendre, dans le calme, l'arrivée de la maréchaussée. »
Puis, se tournant vers Aaron :
« Merci mon garçon. Tu as notre gratitude et mes excuses personnelles. Je vais encadrer ta lettre et la placer sur le mur de mon bureau, pour ne jamais oublier ce qui s'est passé aujourd'hui. »
Quelques minutes plus tard, les hommes en uniforme emmenèrent Botteron. Au poste de police, tout en tenant son camarade aux cheveux noirs par la main, Justin raconta son calvaire dans les moindres détails, n'omettant aucune date, ni aucun geste. Les larmes l'avaient quitté. Son cœur semblait à nouveau battre. Quand il enleva son bracelet éponge, les policiers purent constater jusqu'à quelles extrémité les sévices dont il avait été la victime l'avaient poussé. Suite à sa garde à vue, le professeur fut immédiatement placé en détention préventive et inculpé pour agression sexuelle sur mineur de moins de seize ans – comme le prévoyait la loi locale – avec de très nombreuses circonstances aggravantes.
Quand les parents de Justin arrivèrent pour récupérer leur fils, ce dernier se jeta dans leur bras et, en pleurant, s'excusa de ne leur avoir rien dit, ce à quoi les deux adultes répondirent par des larmes encore plus chaudes qui s'égouttèrent sur ses cheveux orangés. Une dernière fois, Aaron fut invité à passer la nuit chez eux pour veiller sur Justin. Dans sa chambre et enfin calme, ce dernier s'autorisa une petite colère.
« T'es vraiment un gros con ! Tu lâches vraiment rien ! C'était pas prévu que je balance tout dans le plan que tu m'avais dit ! Connard de Roron ! T'as de la chance que j't'aime ! »
Allongé à même le parquet, Aaron sourit. Il n'avait plus la moindre once d'énergie. Son chaton pouvait bien l'insulter, il n'en avait cure. Il s'était battu, et il avait gagné. Il n'en retirait pas la moindre fierté, tout juste un apaisement soudain qu'il n'avait plus connu depuis des mois. À voix basse, il répondit à son félin faussement boudeur.
« J'ai promis de n'pas révéler ton secret, et j'ai tenu parole, c'est toi qui a tout dit Juju, en décidant de me faire confiance ! Et c'était clairement prévu dans le plan, c'est juste que, pour qu'il fonctionne, je pouvais pas tout te révéler. Logique, non ? »
Une dernière chose restait à dire. Après s'être blotti contre son protecteur comme il savait si bien le faire, Justin s'en chargea.
« Merci... Tu m'as sauvé Roron, je sais pas de quoi, mais j'crois bien que tu m'as sauvé. Alors sauve ton Kilian aussi... Il a besoin de toi, non ? T'as pas arrêté de recevoir des textos de France depuis la rentrée, et t'y répond même pas. »
La main droite repliée sur son poignet gauche, Aaron soupira. Ces quelques mots le replongèrent dans sa tristesse. Son chaton non plus ne lâchait vraiment rien. Pour la première fois, le brunet exprima une horrible vérité : sa peur la plus profonde.
« Je ne sais même pas s'il m'aime encore ! »
C'était là tout le problème. Même si Kilian le harcelait de messages, le doute s'était installé si profondément dans son esprit qu'il ne pouvait que rester inerte la bouche légèrement ouverte à même le sol, son regard vide braqué sur la faible lumière du plafond. Il entendit à peine Justin lui répondre en grognant.
« Comment tu voudrais qu'il ne t'aime plus ! Moi, j'ai essayé de te détester et j'ai même pas réussi ! Alors le laisse pas faire des conneries comme moi... »
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