42. Sous pression
mercredi 8 octobre
The Gardian Fire (17:12) : Nan mais tête à claques ton blondinet, j'ai vraiment envie de lui foutre des beignes, et je suis pas le seul... Un jour, y en a un qui va lui en coller une, il va pas comprendre !
Aar-o'-the-wisp (17:15) : Kilian n'aime pas trop être giflé, il réagit plutôt mal. Maintenant, lui taper dessus, ça peut aussi être un « moindre » mal... S'il pète les plombs, c'est sans doute le seul moyen de lui remettre les idées en place. Et là, il est au bord de la rupture nerveuse. Même avec moi il est super dur en ce moment, il m'abreuve de reproches, il me fait la tronche... Et après avoir bien boudé pendant deux heures à la cam, il me dit qu'il m'aime en pleurant... (voilà le résumé de ma soirée d'hier... youpi). En même temps, je peux le comprendre, avec ce qui lui est arrivé jeudi dernier... il a des raisons de pas avoir le moral et de m'en vouloir. Et en plus, je suis sûr qu'il ne me dit pas tout. Vivement les vacances, quoi, que je puisse enfin le voir pour de vrai... Bref, il vous a fait quoi ?
The Gardian Fire (17:16) : Oh, rien de particulier, il fait sa crise d'adoleschiance.
Aar-o'-the-wisp (17:16) : D'adolescence ?
The Gardian Fire (17:18) : Non, chiance. Il est chiant, il me fait chier. Un vrai gosse. Il peut pas passer un cours de français sans se faire jeter dehors, il se fritte avec le délégué pour des conneries, il se fout de la gueule de KoKo... Et t'es pas le seul à subir ses reproches, tout le monde en prend pour son grade ! Limite, on dirait qu'il se venge... Alors okay, ta vache comme il l'appelle, elle lui plait pas. Okay il s'en prend plein la tronche et il en a assez. Okay tu lui manques... mais merde, la prochaine fois qu'il « oublie » de faire sa partie d'exposé parce que ça le fait chier, je lui fais bouffer un de tes chats (pas le mien, je risquerai d'avoir des problèmes).
Aar-o'-the-wisp (17:19) : Arf... c'est ma faute ça, on a parlé beaucoup hier soir (enfin, il a beaucoup boudé hier soir, plutôt) et à la fin, il était trop fatigué, il avait la flemme... désolé les mecs... Vous le faisiez tous les trois ensemble, l'exposé, c'est ça ?
The Gardian Fire (17:21) : Yep, à trois. Nan mais t'en fais pas hein, si je cuisine du chat dans un excès de rage pour ce petit con, j't'en garderai une part ! (enfin bon, j'te jure, c'est pas permis quoi... Mais là, on commence vraiment à se faire du soucis... Il faut qu'il passe un cap, mais il en semble incapable, ça fait chier. Et on ne peut pas lui en vouloir, on sait très bien que ce n'est pas facile pour lui, mais merde, quoi...)
Sohan avait raison.
Tout le week-end, Kilian avait cogité avant d'en arriver à cette conclusion. Si le monde semblait contre lui, il n'avait qu'à se dresser contre le monde. Son partenaire d'entrainement avait de bonnes raisons de prétendre le comprendre, lui, à la différence de Martin – focalisé sur ses problèmes de couple –, de Gabriel – qui s'amusait à des jeux pervers qui faisaient tourner la tête du blondin –, et même d'Aaron qui semblait préférer passer du bon temps dans les bras de sa grognasse en Suisse plutôt que de s'occuper de son lionceau. Sohan avait vécu les mêmes choses, les mêmes souffrances. Il le lui avait clairement dit vendredi soir :
« Moi aussi, j'ai dû quitter mon petit ami à cause des autres, et je te l'jure Kil, je vais me venger ! Ça prendra le temps que ça prendra, mais je me vengerai. Et ne pense pas que tes potes seront là pour toi, ils ne sont jamais là quand t'en as besoin. Après ta compète, la semaine prochaine, faudra qu'on continue à se voir. J'vais te coacher, et pas que pour l'escrime. T'as besoin qu'un mec qui a connu les mêmes merdes que toi te montre comment on prend son pied dans la vie ! »
L'adolescent aux cheveux blonds avait écouté et s'était souvenu de l'étrange homme d'âge mur qu'il avait aperçu, un soir, dans les bras du sportif. Était-ce lui, l'ex en question ? Sohan le rassura, il n'en était rien. Son ancien petit ami avait à peu près son âge. Alors que Kilian s'était interrogé sur les raisons qui avaient poussé son camarade à s'offrir de cette manière à un homme d'une autre génération, la réponse avait fusé, sèche et tranchante.
« L'argent. »
Le Tunisien avait ricané en sortant une liasse de billet de sa sacoche et Kilian, devant cette somme folle, avait simplement écarquillé les yeux. Tout le week-end, il s'était demandé s'il devait lui témoigner du respect ou du dégoût. Ce qui lui donna envie de bruler ses peluches et lui avec fut de réaliser, l'espace d'un instant, que son sentiment se rapprochait bien plus de l'envie. Son ainé était libre, indépendant et fort, alors que lui, il avait beau être un des prodiges de sa génération en matière de fleuret, il n'était pas heureux et tout semblait s'ordonner de manière naturelle dans l'univers pour qu'il ne le soit jamais.
En fait, à part Sohan, la seule autre personne qui ne lui tapait pas sur le système, c'était Alia, ou Lili comme il la nommait devant Aaron pour ne pas risquer de prononcer son prénom. Certes, la belle l'avait un peu humilié en le défendant la semaine passée, mais elle ne s'en était pas rendu compte, elle n'avait pas fait exprès. Mieux, elle semblait lui avoir pardonné une partie de ce qu'elle lui reprochait. La seule chose que Kilian ignorait, c'était de savoir quoi : le fait d'avoir flirté cet été ou bien d'être attaché à un jeune brun transalpin par une sorte de laisse invisible, directement reliée du poignet de ce dernier à son petit collier. Une rumeur dans la classe disait même qu'elle craquait sur lui. Cela faisait rire Kilian. C'était tout bonnement impossible, elle ne pouvait pas aimer un garçon comme lui, aux mœurs si déviantes. Quoique... Enfin, elle au moins, à la différence de Martin et de Gabriel, elle ne le couvait pas comme s'il était un œuf. Et pourtant, l'adolescent ne pouvait nier qu'il en avait la fragilité et même pire, que le grand nombre de coups de marteau assénés à son moral étaient en train de le transformer en omelette, ce dont il n'avait vraiment pas besoin. Après tout, il était déjà une femmelette, comme le prétendait Adan. Comme il n'était pas né hermaphrodite, cela lui semblait bien suffisant. À la limite, il préférait encore les moqueries de son délégué au reste. Au moins, y répondre était l'occasion de revendiquer sa liberté et ses différences.
Avec tout cela, Kilian avait vraiment la sensation d'exploser en vol. Il n'était pas déprimé – il n'en avait pas la mollesse – mais son excitation et son irascibilité étaient à leur paroxysme. Même à la maison, c'était compliqué. Son grand frère travaillait dur pour avoir son bac et, avec la boxe, il n'avait pas beaucoup de temps à lui consacrer. François courrait de séminaires en réunions et de réunions en voyages d'affaire. L'adulte s'en voulait, il aurait tellement voulu emmener Kilian au stade ou juste discuter un peu avec lui... Mais il avait des responsabilités auxquelles il devait faire face, comme tout homme qui se respecte. Il avait une famille à nourrir. Même si elle était en miettes, c'était à peu près tout ce qui lui restait.
Du coup, le lycéen aux yeux verts passa la semaine qui précédait sa compétition d'escrime à se comporter de la manière la plus stupide qui soit. Comme un petit con. Et ce qui le rendait encore plus furieux que tout le reste, c'était qu'il en avait parfaitement conscience, mais qu'il n'arrivait pas à faire autrement. Chaque critique gratuite, chaque geste de mauvaise foi, chaque provocation et chaque désir égoïste étaient autant de cris sourds et d'appels au secours. Il n'était pas triste, il était en colère. En colère contre ce monde injuste qui lui avait offert le bonheur pour mieux le lui reprendre, mais surtout contre lui-même, incapable de se calmer, de réfléchir et d'avancer sur le chemin qu'il s'était fixé. Mais comme il ne pouvait pas décemment se cogner lui-même, il ne lui restait plus qu'à suivre à la lettre les consignes de Sohan : s'en prendre aux autres.
Celui qui souffrit le plus de cette attitude durant ces quelques jours, ce fut Koa. Il fallait bien avouer que le jeune Laotien passait des nuits compliquées. Ses doigts et son esprit s'accordaient sur une version de lui-même qu'il n'aimait pas, mais qu'il ne pouvait pas rejeter plus longtemps. Alors le lundi, après un week-end d'intense réflexion, il avait pris son courage à deux mains et était allé trouver le blondinet pendant la pause déjeuner.
« Je crois qu'en fait, je suis peut-être amoureux de toi, mais c'est pas sûr hein, j'en sais rien... oh et puis merde, oublie ! »
En guise de réaction, Kilian avait juste explosé de rire. Cette confidence était un véritable secret de polichinelle. Sa réponse fut cruelle. Au moins aussi cruelle que tous les mots méchants qu'il avait pu recevoir en pleine face depuis plusieurs mois.
« Mhhh, t'avoue être pédé ? »
Le blondin le savait bien, la question était particulièrement stupide. Il détestait qu'on la lui pose. Koa n'était pas si différent de lui. Tous deux étaient en pleine construction. Tous deux refusaient d'être réduits à ça, à un terme inutile qui ne représentait même pas la vérité. C'était bien parce qu'il en avait conscience que Kilian avait méticuleusement choisis ses mots. Il se vengeait, tout simplement, même si la victime de ses règlements de compte avec le monde n'y était pour rien dans ses souffrances.
Malgré cette réaction immature et surprenante de la part du beau garçon aux mèches dorées, Koa ne se démonta pas et garda pour lui la tristesse qui lui montait aux narines. Même s'il le montrait peu, il avait un certain sens de la répartie et il savait s'en servir quand on lui cherchait des noises au sujet de ses burettes.
« Nan, j'avoue que j't'aime ! Connard ! »
Le mardi, le Laotien tourna toute la journée autour de sa nouvelle cible pour lui prouver la sincérité de sa démarche. Si Kilian ne détestait pas être courtisé, il voulut se montrer distant et même parfois blessant, simplement pour énerver son prétendant. Martin et Gabriel critiquèrent cette attitude qui ne lui ressemblait pas et qui était même contraire à ce qu'il était au fond de lui. Vexé, il se vengea en leur reprochant un ensemble de choses stupides et en procrastinant jusqu'à pas d'heures au lieu de travailler sa partie d'exposé. Le soir, Aaron eut lui aussi droit à son lot de reproches jusqu'à satiété.
Le mercredi, Kilian ne regarda même pas Koa et passa presque toute la journée à l'escrime sans penser à rien qu'autre qu'à sa compétition du week-end. Il avait peur de ne pas être à la hauteur, comme cela avait été le cas à ses yeux en juillet. Si sa panthère ne pouvait être à ses côtés, il voulait au moins lui envoyer un autoportrait de lui sur la plus haute marche.
Le jeudi, enfin, pris d'un excès de folie alors que le jeune Laotien épris s'était timidement approché de lui pour lui demander ce qui n'allait pas, le blondinet l'avait traîné jusqu'aux toilettes par la manche et l'avait plaqué violement contre le mur avant de l'embrasser trois fois avec fougue en photographiant la scène maladroitement sous plusieurs angles avec son téléphone. Pour le jeune lynx, la surprise n'était rien à côté du plaisir et de la honte qu'il ressentait. Rose comme un pamplemousse, il lui fallut plusieurs secondes après ce vol pour retrouver sa respiration et ses esprits. Et quand il demanda à son agresseur si beau et si blond pourquoi il lui avait fait ça, Kilian répondit la simple vérité, avec un air des plus cruels.
« Pour faire chier celui que j'aime ! Sur Facebook, j'vois plein de photos ou il embrasse quelqu'un d'autre, ça me fout les boules, j'vais lui rendre la pareille ! Merci de me filer un coup de main ! »
De tous les élèves, Gabriel fut le seul à comprendre pourquoi Koa avait les yeux rouges et gonflés en revenant en classe. L'artiste comprenait facilement ce genre de souffrances. Les comportements des jeunes de son temps en perdition ne lui étaient pas plus opaques que du verre. Le soir, alors que Kilian posait une nouvelle fois pour lui, il ne manqua pas de le lui faire comprendre entre deux consignes.
« Allonge-toi sur le ventre, j'vais dessiner tes fesses, ça sera un bon exercice et ça fera plaisir à ton p'tit brun, elles sont belles tes fesses. Par contre, arrête de gigoter, t'es chiant ! Tu bougeais moins les autres fois, c'était mieux... Sérieux Kili, je sais pas ce que tu as en ce moment, mais t'es lourdingue... Déjà que tu nous as planté Martin et moi pour l'exposé, tu pourrais au moins essayer de te racheter en évitant de me donner envie de t'étrangler ou de t'enfoncer mes pinceaux au fond de la gorge ! Et t'as été dégueulasse avec Koko ce matin, je ne sais pas exactement ce que tu lui as fait, mais il a vraiment de la peine, ça se voyait trop, et franchement, c'est nul ! »
Pour Kilian, la critique était acerbe et désagréable. Il faisait de son mieux pour poser convenablement, il n'y pouvait rien s'il avait des fourmis dans les jambes et le diable au corps. Gabriel était injuste avec lui, comme tous les autres. En fait, il était encore pire qu'eux. Des reproches, même s'il les gardait pour lui, le blondinet en avait des centaines à lui faire. Le châtain réussissait toujours à le cerner, mieux que quiconque, et c'en était désagréable. Il arrivait à faire tourner en bourrique Musquet sans jamais se faire punir là où les autres récoltaient des heures de colle à la pelle, et c'était injuste. Il passait son temps à discuter dans son dos à son sujet avec Martin, et c'était fatigant. Surtout quand les deux gus faisaient mines de rien quand Kilian captait leur manège. Et puis surtout, l'adolescent aux yeux verts se sentait attiré par son drôle de camarade un peu chtarbé, alors qu'il ne l'aimait pas – en tout cas, pas comme il pouvait aimer une certaine panthère exilée en Suisse –, et c'était perturbant. En fait, Kilian ne savait même pas ce qu'il ressentait pour son pote, ce qui n'était qu'une bonne raison de plus de lui en vouloir. Gabriel lui était important. Il ne savait pas pourquoi ni à quel point, mais il lui était diablement important. Le blondin avait tellement de raisons d'en vouloir à son camarade qu'il avait décidé de lui pardonner le baiser volé de la semaine passée, afin de ne pas trop l'affliger. Il était d'ailleurs plutôt fier de ce geste de grandeur de sa part. Mais là, pour le coup, il regrettait presque sa miséricorde. Gabriel l'engueulait pourquoi, au juste ? Pour avoir fait à Koa ce dont il avait été lui-même la victime même pas une semaine plus tôt ? C'était grotesque ! Si le Laotien avait apprécié la chose autant que lui lorsque l'artiste avait caressé ses lèvres, alors il aurait dû lui dire merci, au lieu de se mettre à pleurer !
« Si ça te va pas comment je pose, j'peux me casser, c'est pas toi qu'est obligé de te trimbaler le cul à l'air au nom de l'art, merde quoi ! Et fous-moi la paix avec Koa, c'est pas tes affaires ! », cria Kilian en direction de son camarade, alors qu'il peinait à trouver la bonne position pour le satisfaire.
Pourtant, il n'avait aucune envie de s'en aller. En quelques semaines, le jeudi soir était devenu le moment de la semaine qu'il attendait avec le plus d'impatience. Il aimait servir de modèle, il appréciait que Gabriel le regarde et il adorait les remarques que lui faisait Aaron quand il lui montrait les esquisses du dessinateur. Il n'y avait qu'à l'étage de ce petit appartement exigu que Kilian pouvait être lui-même, qu'il n'avait pas besoin de se cacher, au sens propre comme au figuré. Le châtain acceptait l'existence de son corps nu et toutes les expressions naturelles qui en découlaient, fussent-elles un peu déplacées. Cela lui était précieux. Mais alors que, d'habitude, il aurait juste baissé la tête en répondant poliment et de manière soumise « Oui, m'sieur », il n'arrivait tout simplement pas à rester en place et à se calmer. Le jouvenceau avait été trop secoué depuis le début de l'année. Telle une bouteille de champagne sous pression, un rien était capable de faire péter le bouchon. De ses mots tranchants, Gabriel préféra le sabrer.
« T'en a pas marre de fuir ? Depuis la sixième c'est comme ça, dès qu'un truc va pas, tu boudes, tu te renfermes sur toi et tu te planques là où on pourra pas te faire chier. Ton père était méchant avec toi ? Tu fuyais. Ta mère te détestait et te le montrait ? Tu fuyais. Aaron est contraint par ses vieux de changer d'air ? Tu fuis. J'te dis tes quatre vérités ? Tu me menaces de fuir ! Toujours, toujours, toujours la même chose ! Franchement, si tu veux te casser, j'te retiens pas, la porte est pas fermée à clé ! Juste, oublie pas ton slip, il fait frais dehors, j'veux pas que tu tombes malade à cause de moi ! Nan mais c'est vrai, ça, si t'es cloué au lit, après, tu pourras plus fuir, ça serait couillon quand même ! Ou alors, j'te propose autre chose : tu manges un cookie, tu bois une gorgée de lait, tu t'allonges sur le ventre, tu bouges plus et tu la boucles ! »
Il n'y a que la vérité qui blesse ? Cette expression est un doux mensonge. Elle ne blesse vraiment que quand elle sort de la bouche de quelqu'un qu'on aime. De la part d'Adan ou d'autres bouffons, elle passait devant le lycéen comme le vent qui souffle. De la part de Gabriel, elle était insupportable. La coupe était pleine. Les larmes n'avaient plus qu'à sortir de leur calice, objet qui prenait la forme de beaux yeux verts. D'un geste ferme, Kilian se saisit d'un biscuit qu'il avala presque d'un coup, puis de son verre de lait qu'il descendit cul-sec. Mais plutôt que de plaquer son nombril sur le drap, il s'assit, s'appuya sur ses mains et regarda l'artiste en grimaçant de longue secondes avant d'enfin craquer et se mettre à hurler.
« MERDE, j'en ai marre, MARRE, t'entends ? RAS-LES-FESSES ! Vous êtes de mèche pour me faire souffrir, c'est ça hein ? Vous vous êtes donné le mot ? Vous... vous avez tous quelqu'un à votre bras ! Martin, il y a Yunette ! Toi, t'as ta pétasse d'étudiante, et Aaron... Aaron... Il a... cette grosse truie aux gros seins ! Et moi, j'suis tout seul, TOUT SEUL, j'ai jusque Koa qui me fait chier à me coller au cul ! J'en peux plus Gaby, j'en peux plus ! J'en peux plus ! À part toi, le dernier garçon qui m'a touché, c'est Adan et c'était pour me foutre une mandale et me traiter de pédale ! C'est Sohan qu'à raison ! Vous voulez tous mon malheur ? Je me vengerai, t'entends, j'me vengerai... »
Mêlé à des sanglots, le dernier mot fut tenu plus longtemps que le reste de la diatribe. Kilian venait d'exploser, et maintenant, en se liquéfiant sur place, il implosait. Gabriel se leva, vint se placer à hauteur de blondinet et lui glissa les doigts dans ses cheveux. Son visage était ferme, sa main froide et ses magnifiques yeux bleu Maya, vides. Sa respiration troublée était à peine plus audible que ses mots. Et pourtant, il suffisait à Kilian de regarder les lèvres de son compagnon pour comprendre ce qu'il disait, et comme toute vérité sortant de la bouche du châtain, elle lui faisait mal.
« Tu fais fausse route, Kili. Aaron, Martin, moi... on cherche juste ton bonheur. Ton foutu brun, il est sans doute aussi malheureux que toi. Non, il l'est certainement plus, car non seulement tu lui manques, mais en plus, il a fait le choix de garder toute sa rage, tout sa haine, toute sa colère et toute sa tristesse pour lui, pour que tu n'aies pas à te soucier de ça... Martin, il jongle entre sa Coréenne et ton bonheur, et j't'assure, c'est pas facile... Là encore, il préfère m'en parler à moi plutôt que de t'emmerder avec ses problèmes de couple, il a trop peur que ça te fasse mal et il pense qu'il n'a pas le droit de se plaindre devant toi. Et moi, moi, tu n'imagines pas ce que je serais prêt à faire pour toi et ta foutue tignasse blonde pleine d'immaturité. Même moi, ça me dépasse complètement... »
Les lèvres de Gabriel étaient froides, pensa Kilian, presque aussi glaciales que les siennes étaient brulantes. Le blondinet ne pouvait que s'étonner devant ce choc des températures. Plus l'artiste avait avancé dans son monologue, plus il s'était rapproché de son visage, jusqu'à enfin le toucher au moment du point final. Kilian avait frémi, puis s'était laissé faire en espérant que ce moment ne s'arrête jamais, puis après que ce dernier ait trouvé son apothéose, il avait repoussé violement son camarade sur le sol. Ses yeux étaient brillants et remplis de veinules. Ses joues étaient humides et irritées. Sa peau était rendue bouillante à cause du sang ardent qui s'écoulait à toute vitesse dans son corps jusqu'à toutes ses extrémités, à l'exception de son cerveau encore moins bien moins irrigué que d'habitude. Il aurait pu, il aurait même dû baisser les armes et simplement se jeter dans les bras du châtain pour pleurer jusqu'à l'assèchement. Son esprit choisit un autre chemin, un qui semblait vouloir dire « Achève-moi ! ».
« Connard, arrête de me prendre pour ta pute parce que j'ai accepté de poser pour toi ! »
Le visage toujours inexpressif, Gabriel baissa les yeux au sol. Il comprenait le message. Il y répondit de la manière la plus appropriée. La plus directe, aussi. Un simple mouvement de la main qui voulait tout dire.
Kilian ne hurla pas. Il ne prononça pas le moindre mot. Il renifla trois fois et ravala ses larmes. En se tenant sa joue endolorie, il se leva et se rhabilla en silence. Sentir le plat de la paume droite de son camarade s'écraser sur son visage ne lui avait pas fait mal. Gabriel n'avait pas tapé fort. Et puis, à force de s'en prendre, des baffes, il s'était fait le cuir. En réalité et contre toute attente, cette gifle l'avait calmé. Il en avait besoin, il la méritait. Il la réclamait à travers son comportement depuis plusieurs jours, en fait. Et maintenant qu'elle était là, il pouvait enfin souffler. Alors que le châtain, confus, cherchait à s'excuser en lui disant qu'il l'avait frappé de manière instinctive pour l'empêcher de se détruire, l'adolescent aux yeux verts ne répondit pas. Son honneur exigeait qu'il feigne la colère.
Sur le seuil de la porte, Gabriel l'empoigna.
« Pardon Kilian, j'aurai pas dû faire ça, pardonne-moi... Ça ne se reproduira plus, j'te jure... J'ai besoin de toi... J'en supplie, reste mon modèle... Dis-moi qu'tu reviendras... »
Kilian ne se retourna pas. D'un petit coup sec, il dégagea son bras. Le regard fixé sur le sol, il ne put murmurer que deux mots, avant de plonger dans l'escalier.
« Oui, m'sieur »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top