34. L'anniversaire de Gabriel


samedi 13 septembre

The Gardian Fire (12:14) : Tu vas lui dire quand, du coup ? Tu sais qu'il va chialer... Hein que tu le sais ?
Aar-o'-the-wisp
(12:16) : ... Je sais... Mais je devais embrasser cette fille, je n'avais pas le choix ! C'est le seul moyen pour le pousser à faire pareil et à se détacher... Il a de l'honneur mon Kiki, il est blond et un peu concon, mais il a de l'honneur... J'lui dirai quand il se connectera. Hier, il n'est pas venu, il m'a juste envoyé un SMS pour me dire qu'il était crevé et qu'il voulait dormir mais qu'il m'aimait quand même...

The Gardian Fire (12:17) : Tu crois vraiment que le pousser dans les bras d'une fille le rendra heureux ? C'est toi qu'il veut hein... Il en est même insupportable à dire « Aaron par ci, Aaron par là... ». Et quand on essaie de l'étrangler pour qu'il se taise, il gueule parce qu'on abime son collier... celui que tu lui as donné et qu'il n'enlève même pas pour se laver v_v'. Nan mais j'te jure hein ! Un vrai Kilian quand il s'y met !

Aar-o'-the-wisp (12:19) : Je ne sais pas, j'espère. Quand il a accepté tout ça, il savait très bien que je ne reculerai pas. D'ailleurs, puisque tu en parles, ça avance avec Voldemorette ? Celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom !!! Il esquive toujours le sujet quand je lui demande (et vous me faites chier à pas me dire son nom putain >_<' J'ai juste le droit à un surnom débile comme indice, « Lili »... Youpi. Et elle est même pas sur facebook, donc j'peux pas savoir qui c'est...)

The Gardian Fire (12:21) : Plutôt moyen j'dirais... Il sait VRAIMENT pas s'y prendre, ça se voit qu'il fait ça à contrecœur... Enfin, j'dis pas ça parce que tu lui as demandé d'embrasser une fille hein, ça serait un mec, je crois que le résultat serait le même...

Aar-o'-the-wisp (12:23) : C'est con, c'est justement la prochaine chose que je vais lui demander... D'ailleurs, si tu pouvais me faciliter la tâche et m'aider à lui faire franchir le pas, ça serait sympa. Si tu vois ce que j'veux dire...

The Gardian Fire (12:24) : O_o ... Nan... Naaaaaaan ! Si tu penses à ce que je pense, c'est hors de question !

Aar-o'-the-wisp (12:25) : Mon absence le fait souffrir, tu me le dis tous les jours. T'étais partant pour m'aider par tous les moyens à lui faire passer le cap, t'as oublié ? Si je ne le force pas, il restera accroché à son Skype à attendre que je me connecte pendant tout son lycée et il oubliera de vivre. Et ça, je ne pourrai jamais l'accepter. Je te demande pas de te le taper (quoi que...), mais de faire le nécessaire pour qu'il tienne ses promesses, en l'aidant un peu. Je peux compter sur toi ?

The Gardian Fire (12:28) : T'es chiant...Bon, j'te promets rien, mais j'ai peut-être une idée, faut que j'en parle à quelqu'un avant.

Aar-o'-the-wisp (12:28) : À qui ?

The Gardian Fire (12:29) : Ça, c'est mes affaires ;-)

Dans le salon, Cédric soupirait en regardant l'horloge sur la cheminée. Il était presque treize heures, le repas était prêt et Kilian n'était toujours pas levé. Bien sûr, le blondinet qui lui servait de petit frère avait sans doute de bonnes excuses, comme sa fainéantise légendaire et son entrainement d'escrime de la veille qui s'était terminé tardivement et qui l'avait complètement rincé, mais quand même, la table était mise, le poulet attendait dans le four et l'adolescent avait déjà perdu une grande partie de la journée à s'accrocher à son sommier comme si on allait le lui voler. C'en était trop. Kilian était censé l'accompagner faire des courses avant de filer à l'anniversaire de son copain, Gabriel, et non pas roupiller jusqu'au coucher du soleil. Presque en colère, Cédric monta l'escalier d'un air décidé pour sortir son petit frère du lit, par la peau du cul s'il le fallait, puis ouvrit d'un coup sec la porte avant de crier :

« KILIAN, TU VAS TE LEVER BORD... descends, la bouffe est prête, tu prendras ta douche après... Et mets un slip, putain ! »

Adossé à son bureau, un crayon à la main en train de faire ses devoirs, Kilian tourna la tête en direction de son ainé, fort bruyant à son goût. Cela faisait déjà plusieurs heures qu'il était réveillé, mais plutôt que de se jeter dans la salle de bain, descendre regarder la télé, jouer sauvagement aux jeux vidéo dans sa piaule ou écouter de la musique à fond sur son ordinateur, il avait préféré s'avancer dans son travail en silence. Les profs du lycée avaient tous comme défaut de croire qu'ils étaient seuls au monde lors de la distribution quotidienne d'exercices et de leçons à apprendre. En résultait une surcharge assommante pour les adolescents. Ce matin-là, toujours frustré par son mauvais vendredi, Kilian avait jugé plus intelligent de se débarrasser de ses obligations du week-end dans le calme plutôt que de pourrir la vie de ceux qui lui étaient cher. Résister à l'envie d'ouvrir son PC avait été éprouvant, mais il avait tenu bon. Et pour sa tenue des plus légères, elle s'expliquait facilement : il s'était juste trainé en rampant du lit jusqu'à la table sans percevoir l'utilité d'enfiler autre chose que ce dont la nature l'avait vêtu. Au moins, comme ça, dans le cas hypothétique ou Aaron lui intimait l'ordre de lui envoyer un selfie pris sur le vif par MMS, comme il le faisait de temps en temps, l'adolescent avait sous la main de quoi maximiser le plaisir de son brunet.

Après le repas et une douche fraiche, les deux frangins se rendirent au centre commercial pour acheter des réserves de nourriture et quelques vêtements. Kilian repartit fièrement de sa boutique préférée avec une chemise jaune poussin du plus bel effet qui s'accordait parfaitement avec ses cheveux et qu'il prévoyait de mettre le soir même à la place du gros sweat vert qu'il portait présentement pour accompagner son jean bleu clair tendance. Une fois de plus, Cédric avait craqué financièrement devant les caprices de son frangin, mais il y trouvait lui aussi son compte. Gâter et cajoler Kilian lui permettait de jouer à la poupée grandeur nature, même si la poupée en question était de plus en plus imposante et son goût pour les vêtements luxueux de plus en plus onéreux.

Vers dix-neuf heures, le blondinet arriva enfin devant l'appartement de Gabriel. Son camarade habitait avec sa mère un petit duplex situé dans un immeuble pas très loin de chez lui. Au premier niveau, on trouvait le salon-cuisine-salle-à-manger-chambre-de-Renée et la salle de bain. À l'étage, auquel on accédait via une échelle ou par le palier, le royaume du châtain se composait de sa chambre et d'une autre pièce fermée à clé. Malgré la petitesse des lieux, meublés et décorés avec goût, la vingtaine d'invités déjà présents avait pu prendre place sur le canapé et autour de la table sur laquelle étaient posés des paquets de chips, des tartes préparées avec amour par une mère aussi aimante qu'absente, des boissons non alcoolisées et quelques bières. Un fond musical léger aidait à créer une petite ambiance. Ici et là, Gabriel avait déposé des sortes d'énigmes, des mécanismes, des livres et des images pour occuper ses convives. Des cartes de lycanthropes, de sorcières, de chasseurs et de villageois qu'il avait peintes lui-même semblaient donner une indication sur une des activités qu'il avait prévues pour ce soir-là. Les jeunes étaient nombreux à apprécier ce jeu qui se pratiquait à l'aide de papiers indiquant les rôles des participants et où deux équipes s'affrontaient sans savoir vraiment qui était dans laquelle. À Voltaire, en tout cas, il était à la mode pendant les heures de permanence. Une certaine règle spécifiait même que deux personnes, désignées par Cupidon, voyaient leur sort lié au moment des éliminations et devait tout faire pour gagner ensemble. Kilian adorait ce jeu basé sur le mensonge et la manipulation, même s'il perdait tout le temps.

« Ah, salut Kil, c'est cool que tu sois là, on n'attendait plus que toi ! Bon, bah voilà, en haut, c'est chez moi, et en bas, c'est chez ma reum. Mais la cherche pas, elle m'a laissé les clés, je suis le seul maitre à bord. Et elle a pris le chat aussi, j'sais pas pourquoi, elle devait avoir peur qu'on le bouffe ! Bon, file-moi ton blouson et va t'amuser ! »

Gabriel avait accueilli avec le sourire un des invités qu'il attendait le plus. Une soirée ne pouvait pas être qualifiée de bonne sans le blondinet pour l'illuminer. Un peu gêné par les regards qui se tournaient vers lui, Kilian se dépêcha d'entrer et de poser ses fesses à côté d'un dessin qui représentait une jeune adulte nue à la poitrine bombée. Admirer ce qui était sans aucun doute possible une reproduction signée par Gabriel n'avait fait que provoquer un rougissement encore plus marqué chez l'adolescent. Si cette femme ressemblait vraiment à son dessin, alors elle avait tout de la bombe sexuelle. Ce fut exactement ce que lui confirma son hôte en chuchotant de manière taquine après s'être appuyé sur ses épaules.

« J'me la suis faites ! Hier soir ! C'est la modèle de mon cours du soir, mais eh, c'est un secret hein, ça reste entre nous ! J'ai pas envie de passer pour un pervers devant tous mes invités ! Juste devant toi, en fait, parce que tes réactions sont toujours trop drôles ! »

Définitivement, Kilian trouvait plus facile de montrer ses fesses ou de parler de ses propres aventures que d'entendre les détails de celles des autres. Alors qu'il se servait un verre de jus d'orange, il en profita pour regarder qui était présent. Sans surprise, le jeune Koa était là. L'adolescent ne l'avait pas remarqué avant, mais son nouveau camarade ne l'avait pas lâché du regard dès l'instant où il avait enlevé son manteau. Plus loin, sur le canapé, le blondin aperçut Alia. La jeune fille s'était faite belle, mais comme la veille, son visage était d'une grande tristesse. Après plusieurs minutes de solitude où elle avait envoyé balader tous ceux qui faisaient preuve de sollicitude en l'approchant, dont un certain garçon aux yeux verts, elle se leva, s'excusa auprès de Gabriel et s'en alla. Kilian haussa les épaules. À tous les coups, c'était encore un coup de Tampax, le dieu des ragnagnas dans la mythologie féminine. Alors, plutôt que de perdre son temps à essayer de comprendre, il entreprit de discuter avec d'autres camarades de sa classe, en évitant par tous les moyens Adan et son air de jeune premier qui lui tapaient sur les nerfs. Et après avoir compris qu'il n'avait pas grand-chose à leur raconter, il chercha Martin du regard. Après tout, avec son meilleur ami, que ce soit manga ou jeux vidéo, ce n'étaient pas les sujets qui manquaient. Ne le trouvant pas, il commença à s'inquiéter et alla s'assoir à côté de Yun-ah, petite amie officielle du rouquin. Cette dernière, toute vêtue de noir comme à chaque fois qu'elle était énervée, grognait dans son coin en reluquant les formes des invités de sexe masculin. Déjà qu'elle supportait mal de ne pas être dans la classe de ses amis, être ainsi délaissé par celui qui était censé s'occuper d'elle l'avait vraiment mise de mauvaise humeur et justifiait sans peine qu'elle regarde ailleurs.

« Dis Yunette, t'as vu Martou ? J'le trouve plus ! »

« Il s'est enfermé tout à l'heure avec Gabriel dans sa chambre, il parait qu'ils devaient discuter d'un truc important. Genre, y a plus important que moi pour mon mec... », répondit sèchement Yun-ah entre deux gorgées, sans détourner son regard des fesses du bel Adan.

« Mais nan y a rien de plus important que toi ! Allez, fais pas la tronche ! J'm'excuse, rho ! »

Alors qu'il venait de descendre l'échelle, et passablement agacé par les crises de plus en plus rapprochées de sa copine, Martin tentait tant bien que mal de recoller les morceaux. Gabriel, lui, se plaça au centre du salon et prit la parole.

« Merci à tous d'être venu, c'est super cool ! Bon bah... On s'fait un p'tit Loup-Garou ? J'suis le maitre du jeu ! Allez, tous en cercle, prenez une carte ! »

Kilian attrapa machinalement le morceau de carton que lui tendait son camarade et la regarda en soupirant. Villageois. La partie risquait d'être fort ennuyante, voire encore plus courte que d'habitude dans son cas. S'il ne se faisait pas dévorer par les loups la nuit, il y avait tout à parier pour que l'assemblée des villageois le désigne pour la potence lors du conseil du lendemain. Les règles étaient vraiment injustes avec les petits blondinets.

Alors que tous fermaient les yeux, Gabriel appela le joueur qui possédait la carte Cupidon à se manifester et à lui montrer, discrètement, quels seraient les amoureux dont les destins seraient liés, puis passa derrière tout le monde pour poser délicatement sa main sur la tête des deux désignés. En sentant des doigts lui caresser les cheveux, Kilian comprit qu'il avait été pris pour cible et ouvrit ses paupières à la recherche de son partenaire secret pour le reste de la partie. Et après avoir croisé son regard, il eut presque envie de rire. Koa avait l'allure d'un citron un peu trop pressé. Le jeune Laotien d'origine, qui découvrait le jeu pour la première fois, ne s'attendait pas du tout à devoir faire équipe avec un garçon, et encore moins avec ce camarade qu'il appréciait autant. Les deux adolescents, après s'être échangé un signe de tête, refermèrent les yeux, ce qui permit à Gabriel de passer à la phase suivante, celle où les loups désignerait leur première victime.

« Et le village se réveille sans... Yun-ah ! Désolé ma belle, tu t'es complètement fait bouffer, c'était un massacre, ils en ont foutu partout ! Bon, vous avez cinq minutes pour débattre et trouver le responsable de ce meurtre ignoble. Chut Yun-ah ! Tu es un cadavre, et un cadavre, ça ne parle pas ! Tu peux faire la gueule, mais à condition de la fermer ! »

Furieuse, la Coréenne s'était levée sans demander son reste en direction du buffet. Se faire tuer comme ça, c'était dégueulasse ! Tout juste lâcha-t-elle en direction des joueurs toujours en place un rageur « Ch'est Martin, Ch'uis ch'ur que ch'est lui ! » en enfonçant une part de tarte au fond de son gosier.

Les débats furent tendus. Adan accusa directement Kilian d'être un loup et d'avoir sacrifié sa meilleure amie pour qu'on ne pense pas à lui ! Alors que le blondinet baragouinait qu'il n'y était pour rien, ce fut Koa qui le sorti d'affaire en prenant sa défense. Kilian était trop blond pour mettre au point un plan aussi sophistiqué ! Même s'il agaça quelque peu le rescapé du jour, l'argument fit mouche auprès des autres joueurs. Au final, ce fut Martin qui fut désigné à la majorité pour passer sur le bûcher. Contre lui, les arguments ne manquaient pas : la victime l'avait accusé, du bruit avait été entendu lors du repas des loups dans sa direction et surtout, il était roux. Dans ce type de jeux moyenâgeux, il fallait bien commencer par bruler ceux qui n'avaient pas d'âme, c'était une règle immuable, un simple respect des traditions. Hilare après sa condamnation, l'adolescent se leva et jeta devant lui sa carte, face retournée.

« Raté, vous avez buté Cupidon ! Ça vous apprendra, bande de roucistes ! Allez, j'vais m'occuper de ma meuf au paradis, moi ! »

Après cette envolée lyrique qui permit à Kilian de comprendre que c'était son meilleur ami qui l'avait foutu en couple avec le petit Laotien, ce qui eut pour seul effet de le déstabiliser encore plus, la partie continua de plus belle jusqu'à son dénouement final, annoncé par le maitre du jeu.

« Et donc, vous venez de condamner Adan et vous aviez raison, c'était un loup ! Et la partie est finie vu que Kilian, le villageois, et Koa le loup étaient le couple formé par Cupidon ! Eh les loups, vous vous êtes fait bananer, un truc énorme, Koko vous a manipulé du début à la fin pour que vous y passiez les uns après les autres sans toucher à son chéri, vous y avez vu que du feu ! Bon bah, on félicite les gagnants, vous n'avez plus qu'à vous marier ! Et à vous rouler une pelle ! »

Si Kilian était particulièrement fier d'avoir gagné, même s'il n'y était pour rien, il n'avait pas du tout signé pour la nuit de noce ! Même si embrasser un garçon ne le gênait plus vraiment depuis quelques mois, il n'avait jamais gouté à d'autres lèvres masculines que celles d'Aaron. Koa était très mignon, mais c'était bien là le problème : il était juste mignon, pas attirant. L'assistance se prononça immédiatement pour ce dénouement dont elle était acquise à la cause, surtout du côté des filles. Le jeune Laotien, par contre, rougit comme jamais en serrant les poings sur ses cuisses et en regardant ses baskets. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas, mais il ne l'avait jamais fait. En fait, il ne disait pas non au baiser du vainqueur, mais la foule l'intimidait. Et si elle comprenait ce qu'il ressentait vraiment ? Et si son visage trahissait ses vraies émotions ? Comment pourrait-il le vivre au lycée ? Comment pourrait-il l'expliquer à ses parents ? Ces questions lui paralysaient le visage, et alors que s'approchait de lui un Kilian bien décidé à ne pas se démonter et à montrer à tous comment un garçon bien éduqué doit se servir de ses couilles, Koa laissa sortir de sa bouche un court gémissement que seul le blondinet perçut et qui le déstabilisa. La réaction de son partenaire lui rappela que ce qui semblait être un simple jeu était en fait bien plus que ça. Alors ce bisou, plutôt que de l'appliquer sur ces lèvres à la finesse Asiatique, il le lui déposa tendrement sur la joue, avant de haranguer la foule.

« Vous y avez cru, hein ? Eh bas nan ! C'est pas parce que je suis sois disant pédé que j'embrasse n'importe qui, raté ! Si vous voulez que j'emballe un mec, j'vous donne l'adresse de celui que je veux pour que vous alliez le chercher en Suisse ! »

Même si les demoiselles furent nombreuses à soupirer de déception, la fête put continuer normalement et voir d'autres jeux se succéder jusqu'au gâteau. Une part dans la bouche et le nez planté devant l'échelle, Kilian s'autorisa une question en direction de son hôte.

« Si ta mère dort en bas et toi dans la chambre, là, elle sert à quoi, l'autre pièce ? »

Comme s'il avait attendu cette question toute la soirée, Gabriel sourit puis tira son camarade par la manche. Ses yeux scintillaient.

« Viens, j'vais te montrer ! »

Une fois seuls en haut, le châtain sortit une petite clé plate de sa poche et ouvrit la porte avant de pousser Kilian à l'intérieur de son espace de jeu, éclairé par une faible lumière tamisée. À la vue de tous les trésors entreposés dans cette caverne d'Ali Baba, le blondinet se frotta les paupières. Des toiles vierges et d'autres peintes jonchaient le sol. Des plumes, des pinceaux et une multitude d'outils divers étaient jetés sur un meuble. Les murs étaient recouverts de grandes feuilles multicolores. Sur une au format A5, au milieu de nombreux souvenir de voyages, il aperçut le visage d'un jeune garçon, sans doute asiatique, qu'il aurait juré avoir déjà vu ailleurs. Seule une fenêtre qui donnait sur la rue était vierge de toute parure. Dans un tiroir, des pages et des pages de croquis, de dessins et d'esquisses. Au milieu de la pièce, il aperçut une chaise et un chevalet et, légèrement plus loin, un canapé lit à moitié déplié sur lequel étaient posés un violon, un ordinateur, un appareil photo et une palette graphique. Ce petit espace exigu était à l'image de Gabriel : fouillis, un peu dément, désordonné et magnifique.

« C'est mon atelier ! J'ai vraiment dû négocier dur avec ma mère pour qu'elle accepte de me laisser une pièce rien que pour mes délires. Avant, c'était ma chambre et le salon qui me servaient à jouer. Là, je fous tout mon bordel dedans, comme ça, ma reum est sure de pas retrouver un de mes carnets dans le frigo, comme une fois ! »

Gabriel était vraiment fier de son petit endroit à lui. Il y passait plus de temps que dans son propre lit. Kilian, lui, était juste subjugué. Il savait son camarade profondément attaché à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de l'art, mais il était loin d'imaginer qu'il vivait sa passion si profondément. Le châtain était fou, libre et généreux. Le blondin ne pouvait s'empêcher de l'admirer, et il le lui fit comprendre avec ses propres mots.

« Putain, c'est trop classe ! Eh, mais je kiffe trop ta baraque ! Faudra que tu me réinvites hein ! Et le clic-clac, il sert à quoi ? »

Ce qu'il souhaitait, c'était simplement passer un peu de temps avec son ami Gabriel, rien de plus. La présence du châtain à ses côtés lui faisait du bien et lui permettait de se vider la tête, il en avait conscience. Tout en se saisissant d'une feuille blanche et de plusieurs crayons et pinceaux, l'artiste lui répondit :

« Ah, ça, bah c'est pour les copains ! Vire le PC et pose ton cul, j'vais te peindre vite fait ! »

Tandis qu'en bas, tous les invités faisaient la fête sans prêter gare à l'absence du maitre des lieux, Kilian s'affala sur le lit dépliable en écartant les bras. Pendant un court instant hors du temps, légèrement recroquevillé sur lui-même, il se sentit bien. Gabriel lui parlait et il lui répondait en le regardant tracer des traits colorés dans tous les sens. L'un et l'autre souriaient. Quand enfin le jeune peintre eut fini son œuvre express, il la retourna en direction de son invité. Kilian écarquilla les yeux de stupéfaction. D'habitude, Gabriel le dessinait toujours avec précision au fusain, en noir et blanc. Là, alors qu'il était représenté immobile et roulé en boule sur lui-même de manière grossière, il y voyait la vie.

« Elle est belle ta chemise, c'est sympa à peindre, et puis, ça va vite, c'est la même couleur et les mêmes reflets que tes cheveux ! J'ai pas soigné les détails hein, j'voulais juste saisir ta position globale... Bon bah... t'as plus qu'à la ramener chez toi, cadeau ! »

Kilian ressentit un peu de gêne face à ce présent. Même si c'était dans les habitudes de son camarade de toujours offrir ses dessins à ses modèles, cela restait difficile à accepter. Alors, en baissant le regard, il rougit en se triturant les doigts.

« C'est gentil, mais... c'est ton anniversaire et c'est toi qui me fais un cadeau, c'est pas super juste ! Tu veux pas que j't'en fasse un aussi ? Y a quoi qui te ferait plaisir ? »

Toujours assis sur sa chaise, Gabriel tourna la tête sur le côté pour faire mine de réfléchir, puis s'approcha du blondin, le fixa droit dans les yeux et lui passa la main sur le visage avant de lui répondre en chuchotant.

« Ta présence à mon anniv est déjà un cadeau, et te revoir comme ça tous les jours, ça m'avait manqué. Après, si vraiment tu veux me faire plaisir, j'avoue qu'il y aurait bien un truc... T'es toujours aussi impudique qu'en cinquième ? »

Le reste de la soirée, Kilian la passa en tête à tête avec une part de tarte et un verre de coca-cola et le dessin que Gabriel venait de lui offrir sur les genoux. La demande que son camarade venait de lui faire, il ne s'y attendait pas du tout et n'avait même pas su quoi y répondre. Bien sûr que l'adolescent était toujours aussi impudique, c'était même une de ses marques de fabrique. Avant, il montrait ses fesses car il ne voyait pas le problème d'être nu devant les autres. Maintenant, il les montrait car c'était sa manière de se battre et d'élever la voix même quand les mots ne sortaient pas de sa bouche. Gabriel lui avait tout de suite expliqué le fond de sa pensée. S'il excellait en nu féminin, il n'avait jamais trouvé de modèle masculin qui l'inspirait suffisamment pour progresser. En quittant la capitale, il avait promis à sa professeure de remédier à ce petit problème. Kilian était la solution qu'il avait tant recherché, c'était une évidence. Le blondin alliait grâce, innocence et beauté. Et surtout, une vraie relation de confiance et d'amitié qui avait survécu à deux ans de séparation les liait. Il n'y avait qu'à lui que Gabriel pouvait demander ça. Cette sorte de déclaration avait touché le garçon aux yeux émeraude, mais il ne savait pas s'il pouvait accepter. Il devait en parler à quelqu'un, avant. Ce collier qu'il avait autour du cou était tout un symbole, il ne s'appartenait plus vraiment à lui-même. Et même s'il acceptait de poser sans le moindre vêtement pour son camarade, ce bijou, il ne l'enlèverait jamais. Et tant pis si ça gâchait l'esthétique des dessins !

Pour conclure la soirée, Gabriel sortit son violon pour entonner un petit air qui lui tenait à cœur. Le cycle de la vie, tiré du dessin animé le Roi Lion. C'était un magnifique moyen de narguer Yun-ah, elle aussi violoniste hors pair, mais aussi et surtout d'adresser un petit message à un adorable lionceau d'à peine quinze ans qui devait apprendre à vivre sa vie.

Vers deux heures et demie du matin, Aaron se réveilla en trombe après un horrible cauchemar. À part quelques SMS et un selfie dans un magasin de fringue, il n'avait pas eu de nouvelles de Kilian de la journée. Il avait peur. Et si quelque chose s'était passé ? Pour se rassurer, il se jeta sur son ordinateur et lança Skype. Un message frais l'y attendait et le rassura, même s'il n'était pas signé de son amoureux.

The Gardian Fire (02:11) : Ce que tu voulais a failli se produire ce soir, mais ça a foiré au dernier moment ! Mais ce n'est pas grave, le plan A est bien embarqué et j'ai même mis en place un plan B. Le reste dépend principalement de toi, maintenant !

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