19. Craquage de slip carabiné
C'était la première fois que Kilian revendiquait aussi clairement le titre d'homosexuel, chose à laquelle il accordait pourtant bien peu d'importance. C'était à cause des autres. Rarement il en avait autant voulu aux autres. À Aaron, déjà, qui agissait si bizarrement depuis le début des vacances. À Basile, ensuite, qui s'était empressé de raconter ce qu'il avait vu au lieu de simplement fermer sa gueule. À Arthur et à ses camarades vacanciers, si stupides à ne rien comprendre. À Alia, qui avait réagi de la pire des manières alors qu'il pensait s'en être fait une amie. À Guillaume, cette petite peste, ce rat moqueur et méchant, qui ne savait même pas de quoi il parlait et à qui il avait envie d'écraser la tronche directement contre la porte des chiottes, jusqu'à l'avoir intégralement repeinte en rouge. Et puis un peu à lui-même, enfin, pour avoir réagi de manière si violente au lieu de réfléchir et de s'en moquer. Il aurait dû se lever et rigoler, il aurait dû revendiquer puis riposter. Au lieu de quoi, il avait envoyé chier la seule personne qui se souciait sincèrement de lui, son tendre Aaron, et était parti furieux se calmer en shootant dans un ballon dans le gymnase. Et après s'être pris le rebond trois fois dans la figure, il s'allongea par terre et pleura, cria et gémit jusqu'à ce que toute son énergie s'en aille.
Il était fort. Tout du moins, il voulait l'être. Ce n'était qu'un autre incident sur le chemin du bonheur. Un de plus, qui l'obligeait à un nouveau détour, mais sa destination restait plus que jamais la même. Ces hypocrites allaient voir ce qu'ils allaient voir. Ils regretteraient toutes les insultes, les messes basses, les gifles, les moqueries, et tout ce qu'ils lui avaient fait endurer depuis le jour de sa naissance. Pour la première fois de sa vie, le jeune adolescent aux yeux verts souhaitait prendre les devants. Sa panthère serait fière de lui et pourrait partir le cœur léger pour la Suisse, il en était sûr.
Enfermé dans sa chambre pour réfléchir, le jeune brun pensait à toute autre chose. Il savait où était Kilian. Thomas et Lucas s'étaient chargés, à sa demande, de le suivre à la trace et d'empêcher quiconque voudrait l'emmerder de s'approcher à moins de dix mètres. Il s'en voulait. Ce qu'il craignait le plus au monde, à savoir que son ange souffre par sa faute, était encore arrivé. L'espace d'un instant, il regretta de ne pas être un personnage de roman dont l'auteur pouvait se débarrasser d'un simple coup de plume où l'effacer d'une histoire dans laquelle il n'aurait pas toute sa place. Après tout, s'il n'avait pas existé, jamais Kilian n'aurait pleuré par sa faute. En secouant énergiquement la tête, il chassa cette idée de son esprit. La vie n'était pas aussi simple qu'un bouquin, il devait faire face. Ou il prenait sur lui, ou il commettait un meurtre de masse. Trop jeune pour aller en prison, il ne lui restait plus qu'une seule solution : s'arranger pour que les derniers jours au camp se passent bien avec tout le monde et que personne n'emmerde l'élu de son cœur. Penser ainsi le fit rire. Quelques mois plus tôt, il aurait pris le taureau par les cornes et aurait organisé la plus cruelle de toutes les corridas pour offrir à son fiancé la plus belle de toutes les roses jetées au sol par la foule en délire. Mais là, il ne pouvait plus agir ainsi. Son déménagement le poussait à plus de sagesse. Il se devait de donner à son blondiniais une chance, même infime, d'être heureux. C'était son seul souhait, et ce fut ce qu'il essaya de lui faire comprendre dans le gymnase vide, après une après-midi chaotique passée à s'éviter l'un l'autre.
« Okay, t'as raison, c'est ma faute Kil, j'ai merdé, j'me suis planté, j'pensais que ça serait plus simple si personne ne savait, mais ça aurait sans doute été vachement moins violent si on avait assumé dès la première minute. On s'est fait cramer, on en paye le prix, je sais que tu es furieux, et que tu te sens mal... Surtout vu la position dans laquelle on s'est fait choper ! J'admets qu'c'est pas cool pour toi. Mais on s'en fout, y a pas mort d'homme ! Ce soir, on a qu'à s'embrasser devant eux pour leur montrer à quel point on les emmerde ! Guillaume va apprendre à fermer sa gueule, j'te jure, je sais comment le manœuvrer, j'ai des dossiers sur lui. J'voulais pas en arriver à de telles extrémités, mais c'est bon, si tu me laisses gérer, je te jure qu'il fermera sa gueule jusqu'à samedi ! Alors s'il te plait, calme-toi ! »
Le blondinet l'écoutait sans le regarder, trop occupé à envoyer en boucle la même balle sur le mur, persuadé que l'édifice finirait bien pas céder avant lui quand bien même pas la moindre fissure ne semblait poindre à l'horizon. Et après un nouveau rebond en plein dans les côtes, qu'il se tint fermement en grimaçant de douleur, il se tourna enfin vers celui qui lui parlait.
« Tu m'emmerdes, chouchou ! Sérieux, là ! Je suis plus un gamin, arrête de me prendre la tête. Comment tu veux que je me calme ? C'est pas toi qui t'es fait enculer devant un enfoiré de Canadien ! », lâcha-t-il colérique, comme si Aaron était responsable à la fois de tous ses malheurs et du ballon récalcitrant qui venait de lui exploser le ventre.
« Nan, certes, mais c'est moi qui t'ai... fait ces choses. Alors t'es gentil, on est deux dans cette affaire, et puis, il a rien vu hein, il est arrivé à la fin. Et je m'en fous, merde, c'est toi qui m'as supplié d'te faire l'amour ! Je savais que c'était une connerie, je sais juste pas t'dire non, j't'aime trop pour te résister ! Et je regrette même pas, c'était juste génial, on a kiffé tous les deux ! Je vois même pas pourquoi on discute de ça, c'est même pas le sujet. On est deux garçons, forcément que ça marche comme ça, c'est pas un scoop et encore moins un secret ! La preuve, je sais que t'a raconté tous les détails à Martin après notre première fois, le jour de ton anniversaire : j'lui ai fait un quizz sur Skype, il a eu tout bon ! Et si on avait inversé les rôles, j'te connais, ça aurait vachement moins bien fonctionné ! »
Si le brunet s'était vainement justifié malgré toute l'incongruité de la situation, il ne put cacher qu'il avait lui-même un peu de mal à y croire. Les scènes qui défilaient dans son esprit le faisaient rougir à un point tel que sa gêne était parfaitement visible.
Devant la réaction gênée de son amoureux, Kilian baissa les yeux au sol. Aaron y allait un peu fort. Enfin bon, c'était normal de s'engueuler, c'était la preuve qu'ils étaient encore un peu un couple, au moins jusqu'à la fin de la semaine. Alors, après un soupir fatigué, le blondinet lui lança le ballon à la figure et, profitant que le jeune brun cherchât à l'éviter en se décalant sur le côté, il se jeta sur lui et le saisit par les hanches, avant de se coller à son torse et de poser sa tête sur ses épaules. Enfin dans cette position, il murmura.
« Je sais, je sais... Oui c'était bien, c'est toujours bien, c'est juste que c'est chiant. Enfin, j'ai honte quoi... S'te plait, laisse-moi gérer. Je ne suis plus cette petite chose fragile qui pleurait dans tes bras sans savoir pourquoi. J'veux t'montrer que j'suis capable de me défendre tout seul, j'veux me battre pour ma dignité. Si j'le fais pas, je sais comment t'es, tu vas te faire un sang d'encre dès que tu seras en Suisse, à te demander si ça va ou pas... Laisse-moi profiter de cette occasion pour te prouver que j'arriverai à survivre sans toi pour me couver. S'il te plait... »
Kilian pensait sincèrement ce qu'il disait. Même si elle avait été dure à prendre, c'était sa décision. Il devait lui montrer qu'il avait grandi. Il en était fier. Sans doute aussi fier qu'Aaron avait peur.
Écoutant son Kilian lui murmurer ces choses à l'oreille entre deux bisous sur la joue, le garçon aux yeux noirs trembla. N'importe qui d'autre aurait salué la maturité tant attendue du jeune blondinet. Seul quelqu'un qui l'aimait vraiment pouvait se rendre compte qu'il était juste en train de péter un câble et qu'il ne savait plus du tout ce qu'il faisait. Derrière une apparente sérénité, son plus grand trésor était en train de perdre le sens commun. Il lui faisait presque peur. Qu'est-ce que cette cervelle de labrador pouvait encore avoir trouvé comme idée stupide ? Qu'est-ce que ce sourire apaisé pouvait bien cacher ? Kilian avait le même regard libéré qu'un suicidaire qui avait enfin pris la décision d'en finir et qui ne pouvait plus reculer.
« Okay, j'te fais confiance... », marmonna simplement le brunet à contrecœur en retenant ses larmes et en serrant très fort son camarade contre lui.
Le soir, Aaron arriva dans les premiers dans le réfectoire, histoire de s'assurer que tout était en ordre. Après avoir lancé un regard noir vers la table des moniteurs, il s'assit en face de ses couverts et ouvrit son gilet gris puis l'enleva et le posa à côté de lui. Malgré une température plutôt fraiche à l'extérieur, l'atmosphère était brulante. Les autres vacanciers, à l'exception de Kilian, arrivèrent peu après au compte-goutte. Alia passa sous son nez sans même un regard, ce qui le fit rigoler. Il la trouvait pathétique, comme toutes les autres filles, en fait. Si l'autre sexe était vraiment agréable à embrasser et à peloter, il lui manquait vraiment quelque chose pour définitivement lui plaire. Arthur se pointa peu après, mais le rouquin comprit rapidement qu'il était préférable de garder pour lui ses très nombreuses interrogations, même s'il avait toujours du mal à réaliser que son copain Kilian était amoureux de ce gros con d'Aaron. Sans doute une forme évoluée de masochisme propre aux blonds que les roux ne pouvaient pas comprendre. Enfin, après Thomas, Lucas et le reste du groupe G4, Guillaume entra en scène et posa ses fesses directement entre ses copains Nicolas et Juan, juste en face du brunet qu'il toisa du regard.
« J'te comprends pas Aar, t'as changé... En quatrième, t'aurais jamais pris la défense d'une pédale... T'étais comme moi, t'aimais pas ça, tu m'l'as dis... »
« Je suis une pédale, connard ! Si j't'ai dit un truc pareil, c'est sans doute parce que c'était ce que tu voulais entendre. Mais se faire sauter ou sauter un mec, c'est la même chose, arrête de te faire des films ! Et j'en ai toujours été une, j'ai embrassé mon premier garçon avant de te connaitre, putain ! C'est juste que tous les gays ne sont pas aussi clichés que ton grand frère ! », rétorqua le brunet après avoir vidé son verre d'eau. Guillaume, lui, renversa le sien de surprise sur ses genoux. Ça, ça... c'était traitre ! Sortir ainsi ce qui était censé être un secret, c'était même dégueulasse.
« Tu mens, c'est pas la même chose ! Ça a rien à voir ! Et t'as pas le droit d'parler d'mon frère, j'te l'interdis ! MENTEUR ! Si c'était la même chose, il... », répondit la petite peste, au bord des larmes.
Mais avant même qu'Aaron n'eut le temps d'enfoncer le clou et d'expliquer à toute la tablée les origines de l'homophobie, dont il n'ignorait rien, de ce cher Guillaume, un énorme murmure se fit entendre. Devant les regards effarés des vacanciers et des moniteurs, un adolescent se tenait seul, nu, au milieu du réfectoire. Il faisait dans les quinze ans, possédait un corps satiné légèrement sculpté par le sport, mais sans excès de muscles disgracieux. Ses magnifiques cheveux aux milles teintes de blond tombaient dans son cou et sur ses oreilles en de fines bouclettes. Ses yeux, d'un vert éclatant, semblaient taillés dans les émeraudes les plus rares et onéreuses. Sa bouche, en plein centre d'un visage poupon, rose et doux, était faite de deux lèvres naturellement dessinées et généreuses et de dents parfaitement rangées à l'émail le plus pur. Son torse était lisse et se finissait en deux tétons clairs. Ses mains, belles et délicates, paraissaient subtilement entretenues. Son dos, bronzé, ne souffrait d'aucun défaut et quelques vallées se retrouvaient ici et là formées par les os de sa colonne vertébrale. Ses cuisses blanches étaient aussi fermes que son postérieur rebondi. Autour de son cou, un léger collier serrait sa glotte et lui donnait un air d'animal dressé. Enfin, ce qui se dessinait entre ses jambes, à même de choquer les plus jeunes et prudes des vacancières, ne laissait aucun doute sur son sexe. Kilian était beau, nu. Personne ne pouvait dire le contraire. En pleurant déjà, il monta sur la première chaise qui trainait et cria en direction de l'assemblée.
« Ça vous fait marrer les pédés ? Vous en avez jamais vus ? Bah voilà, en voilà un ! Et vous savez quoi ? J'm'en fous ! J'm'en fous de vous. J'en ai marre des messes basses et des rumeurs que tout le monde s'échange depuis ce midi ! Ouais, j'aime un mec, et alors ? On a fait des choses ensemble, ça vous gêne ? Vous êtes jaloux ? Ouais ! C'est ça, vous êtes juste jaloux ! Garçons comme filles, vous êtes tous des hypocrites ! Vous aimez pas c'que je suis, mais je suis sûr que vous avez tous envie de me sauter ! On fait un sondage ? On baisse les slips pour voir combien de mecs sont en train de bander juste parce que je suis à poil devant eux ? Que l'garçon qu'a pas envie de me baiser me jette la première pierre, tiens ! Mais vous savez quoi ? J'M'EN TAPPE ! Allez tous vous faire foutre ! J'coucherai jamais qu'avec Aaron ! »
Avant même que Basile ou d'autres moniteurs n'eurent le temps de réagir, Aaron s'était déjà jeté sur Kilian et l'avait recouvert de son gilet gris pour mieux le tirer vers lui et le serrer contre son corps. Ce que le brunet avait pressenti s'était bel et bien réalisé. Son crétin de blondinet avait bien pété un câble et venait de produire le plus grand suicide social du siècle, voire du millénaire. Ce qui revenait exactement à la même chose. En pleurant comme un enfant dans les bras de son homme, Kilian tremblotait de froid et de honte. Basile, José, Guillaume... ils l'avaient tous déshonoré. Quitte à en crever, il voulait au moins tenir le couteau. Il ne savait même pas pourquoi il avait fait ça. Cette idée avait germé de manière inconsciente dans son esprit entre deux crises. Il pensait juste que cracher la vérité, toute la vérité, de la manière la plus violente qui soit à la tronche de tous les ferait regretter. Ou au minimum, au moins réfléchir. À ce niveau-là, il fallait bien avouer que son plan avait parfaitement fonctionné. Que ce soit du côté d'Arthur, de Julien, de Thomas ou même d'Alia, personne ne pipait mot. Aucun ni aucune ne pouvait nier le caractère courageux de ce pétage de plombs en règle. Et beaucoup, même s'ils le gardèrent pour eux, durent bien avouer qu'il était vraiment bien foutu, cet adolescent. Suffisamment pour ne pas réussir à détourner leurs yeux de son corps, fort agréable à regarder.
La mine blafarde, les dents serrées et le regard vide, Aaron comprima Kilian contre lui, masquant avec ses bras et son torse tout ce qu'il pouvait afin de préserver l'intégrité de son amoureux. S'il avait pu, il l'aurait embrassé, juste embrassé, comme si plus rien n'avait d'importance. Il n'en avait pas la force. Une fois de plus, il s'en voulait. Une fois encore, il avait été incapable de le protéger des autres et de lui-même, ce qui ne faisait que rendre les choses encore plus cruelles.
« T'es cinglé, Kil, t'es un gros cinglé... », lâcha-t-il simplement en serrant inconsciemment ses doigts à même la chair de celui qui couinait en se blottissant contre son cœur.
Très vite, un attroupement se fit autour des deux garçons. Et étrangement, il était plutôt composé de sympathisants. Un mec avoua, pour rigoler, que Kilian lui avait foutu la gaule, ce qui fit tendrement sourire l'adolescent aux yeux verts. Une fille asiatique expliqua qu'il avait trop raison, que c'était du gâchis et qu'elle était jalouse, mais qu'elle kiffait ça et que c'était encore mieux que dans ses meilleurs mangas. Arthur indiqua qu'à tout choisir, il préférait garder sa couleur de cheveux, mais qu'il avait quand même trouvé ça classe. Julien demanda à ce qu'on lui explique, car il n'avait pas tout compris, ce qui réussit à faire rire même Aaron. Alia, elle, se leva et traça sa route sans dire un mot, ce qui représenta sans doute la plus belle victoire du petit couple. Enfin, les moniteurs, menés par Basile, engueulèrent Kilian pour la forme, et indiquèrent à l'assemblée que le premier qui l'ouvrait ou qui se permettait la moindre remarque homophobe gagnait un retour express tous frais payés, direction sa maison, et que si les deux amoureux recommençaient leur cinéma, c'était eux qui sautaient, ce qui déclencha l'ire de la majorité des présents, plus concernés par le blondinet que par eux-mêmes.
De l'autre côté du réfectoire, toujours attablée, un autre garçon parut bouleversé et renifla bruyamment en s'essuyant ses paupières rouges. Ce n'était pas juste. Aaron n'avait pas été juste avec lui. Non seulement il avait éventé son pire secret, mais en plus, il n'avait d'yeux que pour cette foutue pédale aux cheveux jaunes. Tout le monde la regardait, d'ailleurs. C'était dégueulasse. Kilian n'avait pas le droit de gagner, pas comme ça. Et lui, il ne pouvait pas perdre, pas encore, pas comme toujours. Avec toute sa rage coincée en travers de la gorge, Guillaume se tourna vers Nicolas et Juan et leur lança un regard mauvais. Que ses deux compères hésitassent entre réconforter leur bon copain, sans même savoir pourquoi il réagissait comme cela, ou se joindre à la foule compacte pour essayer d'entrapercevoir Aaron et Kilian en son centre lui était tout bonnement insupportable.
« Chiche ! Puisque cette tarlouze le veut, on va la lui jeter sa putain de pierre. Et Aaron n'aura pas d'autres choix que d'avouer que j'ai raison ! »
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