16. À en écorcher son québécois
Une des sorties que Kilian préférait, et que le reste des vacanciers appréciaient légèrement moins, c'était l'après-midi au lac. Bien sûr, les jeunes aimaient bien se détendre tranquillement les pieds dans l'eau. Mais se les geler dans une étendue glaciale, seul un garçon aux cheveux blonds mi-longs et aux yeux verts pouvait adorer ça. Pour un lundi, il faisait plutôt beau. Kilian avait l'impression que l'orage était derrière lui. La discussion qu'il avait eue avec Aaron la veille au soir lui avait permis d'enfin exprimer ce qu'il avait au fond du cœur, cette putain de soif d'amour, d'affection et de tendresse qui lui donnait l'impression d'avoir le gosier à sec et les neurones emmêlés.
« J'embrasse mieux qu'Aaron ! T'as qu'à essayer si tu m'crois pas ! »
Après un bel aller-retour à la nage à travers le lac et en attendant que le ciel sèche sa douce peau de pêche de plus en plus bronzée en cette période estivale, Kilian n'avait pas trouvé meilleure activité que de tenir la promesse qu'il avait faite à un certain brun quelques heures auparavant. Seul petit problème, il ne savait pas du tout comment s'y prendre. Draguer n'était pas vraiment dans sa nature. Plus le temps passait, plus il se rendait compte qu'il préférait largement endosser le rôle de la proie que celui du chasseur. Remuer les fesses en attendant qu'un ou une malheureuse essaie de le tirer sans jamais y arriver, c'était largement plus kiffant que de partir à l'affut d'un peu de nourriture affective sans savoir sur quoi il pouvait bien tomber. Et puis, si jamais il finissait par se faire attraper, il s'en foutait tant que c'était dans les bras d'Aaron qu'il se retrouvait piégé. Sauf que là, son objectif était clair : Alia était la galinette cendrée qu'il devait ramener en trophée avant la fin des vacances. Simple question d'honneur. Et lui, il était vraiment un très mauvais chasseur. Le rire méprisant et presque affligé de la belle devant sa proposition indécente le ramena à cette triste réalité : Alia n'était pas du genre à se faire voler dans les plumes par n'importe qui. Proie de choix, c'était bien elle qui choisissait qui avait l'honneur de pouvoir la placer dans son viseur. Et elle avait déjà choisi l'heureux élu.
« Désolé, je suis une fille fidèle, j'ai des principes. Il est hors de question que je me tape une réputation de chaudasse en embrassant n'importe qui ! Considère que je sors avec Aaron, et arrête de me draguer, Kilian, c'est super lourd. »
Furieux, l'adolescent plongea ses doigts dans la terre en crispant la mâchoire et en ouvrant légèrement la bouche, tel un vapoteur en manque de nicotine, ce qui laissa apparaitre ses dents à l'émail impeccablement blanc. Car à la différence des accros en tout genre, il était fier de n'être dépendant d'aucune substance nocive, ce qui à ses yeux expliquait en grande partie l'apparence immaculée de son visage d'enfant. Ni l'alcool, ni la cigarette et encore moins la drogue n'auraient jamais la moindre prise sur lui. Il se l'était promis, le jour même où il s'était juré de ne jamais rien faire de stupide par amour. Avoir foiré à tenir une de ses promesses l'obligeait bien à tout faire pour essayer de respecter la deuxième. Mais au moins, il avait une vraie circonstance atténuante pour expliquer ses nombreux manquements à la rationalité. Elle était brune et portait le doux prénom d'Aaron.
Et c'était bien l'image de ce garçon gravée dans son esprit qui le poussait à ravaler sa fierté de mâle, à taire certaines vérités qu'il valait mieux garder pour lui et à tenter de déposer au plus vite ses lèvres sur celles de sa proie, afin de pouvoir enfin passer à autre chose. Ce qu'il rata de manière magistrale lorsque cette dernière se recula pour éviter de céder à cette attitude un poil trop entreprenante. Pris dans son élan, Kilian tomba le nez par terre, juste devant des pieds qu'il reconnut immédiatement. Des taches de rousseur à cet endroit-là, ça ne pouvait être qu'Arthur. Le rouquin, en effet, se tenait devant lui en se grattouillant le crâne.
« Sérieux, quoi ! Au lieu de faire le con, tu veux pas t'occuper de Julien ? Il est pire que de la glu : mou et collant ! J'arrive pas à m'en débarrasser, c'est ton tour là ! Il veut que quelqu'un aille nager jusqu'à l'autre rive avec lui, il ose pas y aller tout seul, et Basile veut pas, de toute manière, il a trop peur que ce couillon coule à pic ! Enfin, ça serait pas forcément une mauvaise chose, hein, mais j'suis pas sûr que ses parents apprécient autant que nous ! »
Dépité, Kilian s'appuya sur ses deux bras pour se relever. Déjà torse nu et les cheveux mouillés, il n'avait aucune excuse valable pour refuser de rendre ce petit service à son colocataire. Mais ce n'était pas une raison pour souffrir seul. En passant devant Aaron qui faisait la sieste à quelques mètres à peine, des lunettes de soleil blanches sur le nez pour protéger ses yeux et surtout masquer aux autres la direction de son regard, il l'interpela.
« Arrête de mater des culs et viens te baigner ! »
Au bout d'un an, Kilian avait fini par comprendre comment fonctionnait son amoureux. Cela ne le dérangeait même pas, en fait. Car s'il savait qu'Aaron adorait particulièrement la zone postérieure du corps, aussi bien chez les filles que chez les garçons, il avait aussi la certitude que le sien était le plus beau, le plus rond, le plus doux et le plus mignon de tous. Surtout quand son short de bain mouillé faisait ressortir ses formes. Et aussi parce qu'Aaron lui avait déjà répété un bon millier de fois qu'il était prêt à aller jusqu'à mourir juste pour avoir l'autorisation de le caresser.
Tiré par le bras par un blondinet ronchon, le brunet n'eut même pas le temps d'enlever ses lunettes avant de finir la tête la première dans la flotte glacée. Un peu trop à son gout, d'ailleurs. Devant un Julien apeuré, il fit payer à Kilian sa très mauvaise idée en le coulant jusqu'à ce que ce dernier, ravi, n'implore le pardon de son tortionnaire. Ce qui prit un certain moment, tellement le blondin trouvait sa punition agréable. Le mélange de sensations sur son corps entre l'eau froide d'un côté et les mains brulantes d'Aaron de l'autre était sans doute une des choses les plus agréables au monde.
Sur la rive, Alia observait la scène sans sourire. Quelque chose lui semblait étrange. Tout cela, ce n'était pas bien. Elle avait embrassé le brun, car elle le trouvait beau. Mais ce n'était pas elle. Ce n'était pas le genre de fille qu'elle voulait être. Bien sûr, elle avait du gout, son précédent petit copain était même un modèle qui posait pour les magazines, mais elle l'avait justement quitté parce qu'il était trop superficiel et orgueilleux à ses yeux. Et aussi parce que son père avait fini par sentir qu'il y avait quelqu'un dans sa vie, ce qui n'était pas convenable pour une jeune fille de son âge et de sa condition. Peut-être qu'Aaron, physiquement, lui faisait penser à ce garçon et qu'il était tout simplement son style de mec, même si Kilian était au moins aussi mignon. Le problème, c'était que Kilian lui plaisait au moins autant, encore plus pour son comportement, ses mimiques, ses expressions, ses blagues à deux balles et son charisme que pour ses mèches blondes, ses yeux profonds et son charme naturel. Il avait beau être un peu gauche, elle avait la certitude qu'il était un gentil garçon. Du genre de ceux que les filles rejettent par suffisance, mais qu'elles regrettent d'avoir éconduit le jour où elles se retrouvent seules dans leur lit en train de pleurer à cause du connard à qui elles avaient juré fidélité et amour. Et si sa bêtise l'avait éloignée de ce petit blondinet, c'était maintenant sa morale qui la poussait à éviter tout rapprochement trop tendancieux. C'était trop tard, elle avait déjà embrassé Aaron, elle ne pouvait plus faire marche arrière. Et dire que ce goujat ne s'occupait même pas d'elle et faisait mine de l'ignorer, préférant bronzer ou se chamailler avec le blond de service. Pour deux rivaux, ils lui paraissaient horriblement proches ! Trop d'ailleurs. Elle chassa instinctivement l'idée immorale qui était en train de germer dans son esprit. Ce n'était pas improbable, c'était impossible. Elle n'aurait jamais pu tomber amoureuse d'un garçon comme ça.
Le soir, Kilian prit son temps sous la douche. La veillée du jour nécessitant que le soleil soit couché, elle débuterait plus tard que d'habitude. Cela laissait plus d'une demi-heure entre la fin du repas et le début des festivités, pendant laquelle les adolescents étaient libres de faire ce qu'ils voulaient tant qu'ils ne faisaient aucun bruit ni ne dérangeaient leurs moniteurs. En parlant des moniteurs, l'adolescent se fit la réflexion qu'avec José, il était plutôt bien tombé. Celui-là était plutôt sympa, beaucoup moins balourd que Basile. Il s'amusait à faire des blagues avec ses administrés et avait même réussi à sympathiser avec ce foutu Guillaume, ce qui était bien la preuve qu'il était plutôt cool, comme adulte. Et puis, il ne posait pas trop de questions quand les jeunes disparaissaient de manière temporaire et inopinée. C'était parfait.
Kilian voulait être propre, le plus possible. Il souhaitait que chaque centimètre carré de sa peau sente le savon, à commencer par son intimité qu'il frotta énergiquement entre deux jets tièdes. En y passant les doigts, il se fit la remarque que son aine était admirablement dessinée et séparait ses cuisses de son buste d'une manière presque parfaite. Aaron adorait ce genre de traits physiques. En imaginant son amoureux y glisser ses phalanges, celui-ci le fit soupirer de plaisir. Le réflexe qui lui vint juste après fut de regarder du côté des aérations si personne n'y jetait un mauvais coup d'œil. Ce n'était pas qu'il était contre le fait d'être épié après avoir épié lui-même, c'était juste qu'il préférait que son excitation, qui découlait naturellement de ses pensées quelque peu obscènes, soit un peu moins visible, quand bien même il trouvait son apparence dans ces moments-là tout à fait à son gout. Sous la douche et sans son boxer pour le gêner, il pouvait observer avec plaisir les effets de l'adolescence sur son corps et laisser respirer son anatomie. En référence niaiseuse à son excitation et à ses cours d'Histoire sur les conquêtes de Jules César, il préférait largement cette petite Gaule chevelue et frétillante qui s'excitait sous son nez à la Gaule en toge, comprimée dans son fut. D'autant plus que sa toison était de la même couleur que ses magnifiques cheveux, et en se résumant à une petite masse située bien en-dessous du nombril, elle avait l'avantage de ne pas trop s'éparpiller dans tous les sens. Le reste de son corps était parfaitement glabre. C'était d'ailleurs bien là le seul avantage qu'il voyait à être le fruit d'un adultère. Les gènes que son père biologique lui avait transmis lui permettraient en toute logique de faire de belles économies en frais d'épilation sur le torse, le dos, les bras et les jambes. Et pour le reste, il verrait plus tard, cela dépendrait surtout des gouts et des désirs de son compagnon auxquels il était fermement décidé à se plier, même si penser devoir sacrifier par amour le petit pelage qui lui avait poussé dans le slip lui faisait déjà un peu mal.
De son côté, Aaron ne traina pas pour se laver. Il se devait de découvrir qui serait le prochain mort d'envergure de la saga de George R. R. Martin qu'il dévorait sur son lit et dont il avait commencé la lecture juste après avoir quitté le Rhône et englouti tous les épisodes de la série télé avec Kilian. Et pour cela, il devait faire vite avant que son blondinet ne revienne et ne réclame son gage. Le brunet ne savait pas quand cela aurait lieu, mais il pensait bien que c'était pour ce soir. Son regard, ses gestes et ses attitudes le trahissaient. L'adolescent aux yeux verts avait beau être un fier garçon, il était clairement en chaleur et son corps tout entier réclamait la saillie et le mâle. Chose dont personne dans la chambre n'avait conscience, fort heureusement. Seul Aaron pouvait sentir ces phéromones-là !
Lors du souper – Basile avait insisté pour que tous se mettent à l'heure québécoise en l'honneur de ses fières origines –, Kilian ne tint pas en place et gesticula tout seul sur sa chaise en se trémoussant, en croisant et décroisant ses jambes toutes les cinq secondes, en ne touchant même pas à son assiette et en regardant Aaron du coin de l'œil avec insistance et envie. Son visage légèrement rose et son front brulant trahissaient largement son état, mais personne n'y prêtait attention. Une dispute violente entre Guillaume et Arthur au sujet des carottes râpées qui leur avaient été servies au moment de l'entrée avait monopolisé l'attention de la tablée. Et lorsque vint l'heure de sortir du réfectoire, le jouvenceau aux yeux clairs attrapa le t-shirt de son amoureux en rougissant et en montrant, d'un signe de la tête, la direction du gymnase. Discrètement, Aaron lui indiqua qu'il l'y rejoindrait au plus vite, juste le temps de lancer de fausses pistes, au cas où certains étaient plus perspicaces qu'ils ne le laissaient croire.
Quand l'adolescent aux cheveux corbeau arriva enfin au lieu du rendez-vous, Kilian l'y attendait déjà, à genoux dans l'herbe, les poings posés sur les cuisses et ses vêtements bien pliés à côté de lui. Sa tête baissée avait pour effet de masquer ses yeux de ses quelques mèches dorées, ses joues brulantes brillaient de mille feux dans la pénombre. En le voyant, Aaron sentit son sang ne faire qu'un tour. D'un seul coup, il réalisa à quel point, lui aussi, il avait besoin de toucher sa peau, ce que trahit immédiatement la déformation de son bas de jogging gris.
« J'me... j'me suis bien préparé et tout ! Euh... Ouaf ? »
Vêtu comme au jour de sa naissance, seul son collier serré autour du cou habillait encore Kilian. Ce présent lui avait fait plaisir, mais lui avait aussi donné des idées étranges dont il avait autant honte qu'envie. Plus l'adolescent regardait Aaron, plus son souffle était roque et sonore et plus il avait chaud, malgré la rosée fraiche qui tombait sur son jeune corps dénudé. Et pour que son amoureux comprenne ce qu'il avait en tête sans pour autant devoir rajouter des mots aux aboiements, il fit glisser ses mains vers le sol jusqu'à ce que son ventre soit parfaitement parallèle avec la terre tout en relevant au plus haut l'extrémité basse de son dos.
Aaron, lui aussi, suffoquait. Céder à Kilian ici et maintenant était sans aucun doute possible une très mauvaise idée. Il le savait. Il s'en foutait. Sentir la bête en lui prendre le dessus sur l'être de réflexion, ce que pourtant il était, lui sembla étrange, mais pas désagréable. Alors que son blondinet fixait à présent le sol les yeux presque clos en attendant son heure, Aaron se dévêtit à son tour, puis l'enlaça dans ses bras et caressa chaque parcelle de son corps.
« C'est vraiment ce que tu veux, Kil ? Et tu le veux comme ça ? C'est assez... animal, non ? »
Le garçon aux cheveux clairs acquiesça timidement. Oui, c'était ce qu'il voulait. Et oui, il le voulait comme ça. Il ne savait pas pourquoi, mais il le voulait. Il voulait qu'Aaron l'aime, il voulait s'offrir à lui, il était prêt. Être à quatre pattes ne lui faisait pas peur, au contraire, cela exacerbait juste son désir. Et quand cela arriva enfin, il manqua de pleurer de plaisir, mais se retint. Rien ne pouvait ni ne devait gâcher l'instant. La douceur d'Aaron lui provoqua des milliers de frissons, sa bestialité le fit gémir de surprise et le poussa à planter profondément ses ongles dans le sol, et ses bisous, enfin, qu'il lui déposait dans le cou en gémissant des « je t'aime », le rendit tout simplement heureux.
Même s'il n'avait jamais eu autant honte de toute sa vie, Kilian ne pouvait s'empêcher d'adorer ce qu'Aaron était en train de lui faire, et la manière dont il le faisait. Il n'espérait plus qu'une seule chose, que le plaisir soit partagé. Un râle profond dans ses oreilles, les bras du jeune brun serrés contre sa taille et tout le poids du corps de ce dernier sur son dos le rassurèrent suffisamment, pour, qu'à son tour, il laisse son cerveau s'abandonner à un tsunami d'endorphines, comme si deux volcans entraient en éruption en même temps.
« Mais... qu'est-ce que vous faites ? »
D'un seul coup, l'ère glaciaire fit son grand retour sur terre. Cette voix venait du froid. Du Canada, pour être précis. Basile, chef de la colo de son état, ne pouvait qu'écarquiller les yeux. Il ne s'attendait aucunement à tomber sur deux de ses vacanciers ainsi embrochés.
Deux secondes plus tard, alors que Kilian était resté immobile la bouche grande ouverte dans une position des plus humiliantes, Aaron se jeta sur ses sous-vêtements et menaça le moniteur en serrant les dents et en le regardant fixement, les yeux rouges de colère.
« Un mot, un mot à qui que ce soit, et vous êtes tous morts ! Tous ! Tous... TOUS ! »
La rage, l'animosité, la peur et le désespoir se lisaient sur son visage. Alors que son camarade, toujours paralysé, ne s'était même pas rendu compte qu'il était en train de pleurer, Aaron avait pleinement conscience de ce qui venait de se passer et des conséquences que cela pourrait avoir. Une seule chose importait à présent, une seule et unique : protéger coute que coute l'honneur de celui qu'il aimait, fût-ce au prix du sien. Et sa volonté était tellement effrayante que la montagne de muscles québécoise qui les avait surpris sembla terrorisée comme un éléphant devant une petite souris. La logique n'avait plus cours. Basile savait à quel type d'adolescent il avait affaire. Il n'ignorait pas de quoi Aaron était capable. Devant de telles menaces, le Canadien ne pensa même pas à engueuler les deux garçons pris en flagrant délit d'affection, mais tout juste à étouffer au plus vite l'affaire. Cette scène surréaliste réussit même à lui faire retrouver ses vieilles expressions québécoises, non sans s'emmêler dans ses propres jurons.
« C'que vous faites... j'm'en câlisse le tabarnak ! Mais... le faites plus ! »
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