Partie 1 - Vivre ensemble1. Prologue - Écrire est-il différent d'aimer ?
S'il existe une infinité de façons d'aimer, pourquoi n'en existe-t-il pas autant d'exprimer ce simple sentiment ? Pourquoi sommes-nous limités par les gestes et par les mots ? Pourquoi ai-je tant de mal à montrer à la personne la plus importante à mes yeux à quel point elle compte pour moi ?
J'ai essayé, souvent. J'ai cru y arriver. Et pourtant, aujourd'hui encore, en voyant parfois ses larmes couler, je ne peux m'empêcher de me poser cette simple question : ai-je réussi ?
Ai-je réussi, à travers mes caresses, mes baisers, mes petites attentions, mes tendresses chuchotées au creux de ses oreilles et mes grandes déclarations, à lui faire comprendre à quel point il était important pour moi ? À quel point il comptait dans ma vie ? À quel point je me sens insignifiant sans lui ?
J'ai voulu partager le fardeau de ses plus grandes peines, sans jamais ignorer ni oublier que j'en étais bien souvent la cause. J'ai voulu sécher ses pleurs et réchauffer son cœur, sans pour autant réussir à l'aider à vaincre ses plus grandes peurs. Et pourtant, il a grandi, mon Kilian. Il grandit encore. Il grandit tellement vite qu'il me suffit de passer quelques jours loin de lui pour que naisse la peur de ne plus le reconnaitre. Il grandit et pourtant, il ne change pas. Depuis plus de deux ans que je le connais, il est toujours resté le même petit blondinet sensible et un peu bêta, généreux et boudeur, attentionné autant qu'égoïste. Du jour où mon regard a croisé ses yeux vert émeraude, j'ai été happé corps et âme. Je suis tombé amoureux. Une longue et interminable chute qui ne connait pas de fin.
Je l'aime.
Nous venions d'avoir quatorze ans. Sur mes fins cheveux noirs, je ne portais qu'une simple casquette rouge. Je m'en allais en vacances, seul, comme je l'avais si souvent été. La présence à mes côtés de deux parents qui ont rempli leur rôle et d'une grande sœur avec qui je n'ai jamais été ni complice ni proche était bien insuffisante pour combler le vide qui m'animait. Cet été-là, entre l'année de quatrième et celle de troisième, j'allais passer deux semaines dans une colonie sportive que j'avais déjà fréquentée par le passé. Ce qui était bon pour le physique l'était aussi pour l'esprit, cette expérience ne pouvait pas me faire le moindre mal.
Dans le bus, il s'est avancé vers moi. Nous nous sommes à peine parlé. Je l'ai tout de suite rejeté, sans doute parce que j'avais déjà compris. S'il ne m'avait fallu que quelques secondes pour saisir l'évidence, lui aura mis un peu plus de temps, quelques mois. Peut-être le baiser que je lui ai volé à la fin de nos vacances l'a-t-il aidé à comprendre. Sans doute le temps que nous avons passé ensuite, dans le même collège, et la façon dont j'ai causé puis séché sa peine a joué un rôle clé dans notre relation. Je l'aimais et je voulais qu'il m'aime, sans réussir à vraiment le lui dire. Maudits mots ! Comme s'il suffisait d'en aligner trois ou quatre pour révéler ses pensées profondes !
Alors, n'arrivant pas à m'exprimer clairement, je lui ai montré, sans même le vouloir. J'aurais préféré qu'il me déteste. J'ai tout fait pour. Et pourtant, il a compris mes sentiments. Il a même fini par les partager. Tout était évident. Lui, la tête délicatement posée sur mes genoux en train de pleurnicher. Moi, lui passant la main sur sa joue et dans ses magnifiques cheveux dorés légèrement ondulés, en sentant chaque battement de mon cœur secouer ma poitrine comme s'il devait être le dernier.
Sa peine, causée autant par une situation familiale compliquée que par le bazar que j'avais foutu dans sa tête, était de plus en plus intense et déchirante. Mes gestes, eux, se sont fait de plus en plus intimes. Je l'ai caressé. Je l'ai touché. Je l'ai fait jouir. Il était mien, et je devenais sien sans même m'en rendre compte. Plus les jours passaient, plus on s'apprivoisait mutuellement. Je lui montrais les choses, il s'amusait à les reproduire, jusqu'à ce que nous trouvions chacun notre place et notre rôle.
Nous nous aimions. J'étais enfin heureux. Cet insupportable blondinet me désirait ! Il voulait jouer avec moi. Il voulait que je l'embrasse et que je le serre dans mes bras, que je sois son petit copain, son homme... Nous n'étions que de simple collégiens et, contre le monde entier, nous avancions ensemble, main dans la main, nous découvrant l'un l'autre chaque jour un peu plus, et nous adorant sans borne.
J'avais pourtant tout fait pour m'éviter ce bonheur. Je ne pensais pas le mériter. Il est tellement beau et gentil, mon Kilian... tellement doux, sensible, drôle, intense et sincère qu'à chaque fois que j'essayais de le repousser, une force invisible m'attirait de nouveau vers lui. À mes yeux, même ses plus grands défauts devenaient des qualités, et en sont toujours.
Il boude tout le temps ? C'est parce qu'il est trop vrai pour cacher les choses au fond de son cœur. De par sa grande sensibilité, ces dernières ont toujours eu besoin de s'exprimer par la colère ou par les larmes. Il faut que ça sorte, et à chaque fois, je ne peux que craquer.
Il est obnubilé par son escrime, ses mangas, et ses jeux vidéo ? Jamais je ne lui reprocherai ses passions. Je préfère mille fois les partager, même si elles ne m'intéressent pas vraiment, que de les critiquer. C'est un ado, tout comme moi. Je ne peux pas le juger.
Nous sommes pourtant si différents. De mon côté, outre courir tous les matins, j'aime lire et écrire, je vibre au son des notes d'un piano, je fonds devant les grands romans et l'aventure, j'apprécie la finesse de la littérature, la réflexion, la répartie, l'art de la rhétorique... tout ce qui peut nourrir l'âme. Et forcément, j'adore les petits blonds. D'une certaine manière, on ne peut pas dire que je vaille mieux que lui. Nous sommes opposés sur de nombreuses choses, nous nous complétons. Tout ce qu'il aime, cela fait partie de lui, cela construit sa personnalité, cela génère ses rires, ses blagues et toutes les situations loufoques dont il s'est fait un spécialiste. Il me fait rire, il m'émeut, il m'attendrit. Moi, que je qualifie de monstre, moi, la panthère sombre et solitaire, l'intellectuel beau gosse méchant et méprisant, je me suis ouvert aux autres grâce à lui. J'ai compris ce qu'était de vibrer et de vivre pour quelqu'un. Donner et recevoir. Enseigner et apprendre. Je souhaite l'élever, l'aider à ouvrir son esprit et à s'intéresser à toutes choses. Pour finir, c'est plus souvent lui qui me pousse à la réflexion et qui me passionne dès qu'il ouvre la bouche. Aussi stupides soient ses bandes dessinées japonaises, rien n'est plus merveilleux que de le voir en parler avec moult mimiques et expressions. Aussi vieillot soit son sport, rien n'est plus vibrant que de le voir se fendre sur la piste et toucher son adversaire, avant de jeter son casque au sol et de hurler sa joie dans ma direction. Aussi immature a-t-il pu toujours être, rien n'est plus beau que de le voir grandir, si ce n'est grandir à ses côtés.
Je l'aime.
À la fin de notre année de troisième, nous l'avons fait, au milieu de ses peluches. C'était notre première fois à tous les deux. Je voulais lui offrir le plus beau des cadeaux, il s'est donné à moi. Son corps, je ne lui connais aucun défaut. Aucun petit poil disgracieux n'a jamais eu l'outrecuidance de pousser sur son visage ni sur son merveilleux torse aux légers muscles raffinés. Sa pratique sportive intensive l'a sculpté sans la moindre vulgarité. Sa peau rose et douce m'a toujours fait trembler. Sa timidité aussi, même si elle a toujours su laisser sa place, dès qu'il le fallait, à ce regard coquin que j'aime tant...
Ce regard...
Ce regard qui m'a happé dans son univers dès le premier jour. Ce regard dans lequel je peux me mirer sans trop ressembler à une bête atroce. Ce regard qui m'a toujours fait craquer. Ce regard que j'ai juré de toujours protéger. Ce regard vert clair capable d'exprimer ce que mes mots ont toujours été incapables de faire... Il est sans aucun doute le plus grand de tous les pouvoirs, la plus riche de mes inspirations.
J'ai failli tout gâcher.
Alors qu'il m'aimait enfin complètement, alors que nous nous étions battus comme des forcenés pour que notre couple puisse exister malgré ses particularités – nous sommes deux garçons, ce qui nous a valu quelques ennuis –, alors que j'avais écrasé puis pardonné un camarade jaloux du nom d'Adrien qui nous avait causé tant de tort et alors même que nous avions tout pour être heureux, le pire est arrivé. Mon père, diplomate de son état, a été muté. La mort dans l'âme, je l'ai suivi avec obéissance. Ho, je ne me suis pas retrouvé si loin que cela de mon Kilian, à peine quelques dizaines de kilomètre à vol d'oiseau, avec une toute petite montagne de plusieurs bornes de haut entre nous deux. Avec lui dans la région lyonnaise, moi en Suisse et les Alpes au milieu, nous avons vécu la pire année de notre existence.
Pourtant, même si ses parents lui ont mené la vie dure, Kilian a toujours été aimé. Son frère, Cédric, est son modèle et bien plus encore. Son meilleur ami, Martin, qui souffre de rouquinisme depuis la naissance, a toujours été un camarade et confident admirable. Et même si mes relations avec ce dernier ont été tendues au début, l'affection que nous avions tous les deux pour le même petit blond nous a rapprochés. Nous avions le même objectif, à savoir le voir resplendir, et nous nous nourrissions de la même ambroisie, son petit sourire. Et puis il y a aussi Yun-ah, actuelle petite amie Coréenne du précédent, toujours très proche des deux garçons... Et Gabriel...
Celui-là, il faudrait un roman entier pour parler de sa vie. Il est le premier à avoir compris certaines évidences à propos de Kilian, avant de partir à Paris. Là, il y a vécu ses propres aventures avant de revenir dans la région lyonnaise au moment où je la quittais. Gabriel, c'est un artiste, un vrai. Sa folie, son carnet à dessin et son violon sont ses meilleures armes. Avec, il a toujours su triompher de l'adversité, il a toujours su être là où il le fallait pour protéger ceux à qui il tenait. Avec virtuosité, il a reproduit sur papier toutes les émotions du garçon que j'aimais. En seconde, Kilian est très rapidement devenu son modèle docile et attitré. Mieux que moi, sans doute, Gabriel l'a compris et protégé alors que j'étais si loin, trop loin. Au moment où, suppliant, mon ange en avait le plus besoin, il a eu le courage de réchauffer son cœur et son corps, jusqu'à ses entrailles. Je l'ai accepté. C'était bien. C'était ce qu'il fallait. C'était même ce que je souhaitais. Je voulais que l'homme de ma vie puisse vivre heureux sans moi, qu'il puisse retrouver dans des bras aimants et sincères ce réconfort dont je le privais et dont il avait tant besoin, même si cela me rendait fou. Un sacrifice de ma part tout autant que de celle de Gabriel. Le pauvre n'avait jamais voulu cela, il a pourtant cédé devant les plaintes d'un adolescent meurtri en manque d'amour. Son affection envers Kili, il l'avait toujours ambitionnée pure et immaculée. Son plus grand désir avait toujours été de ne pas en avoir, préférant réserver sa fougue et sa virilité aux cuisses des belles lycéennes et étudiantes qui avaient eu la faiblesse de croiser sa route et de succomber au bleuté de ses yeux.
Pas un jour durant mon absence, il n'a failli à sa promesse de m'envoyer des messages pour me dire comment les choses se passaient dans la vie de celui que j'aimais, même si cela me donnait envie de pleurer et de me faire du mal. Pas une fois il n'a renoncé à remplir le rôle que je lui avais confié, à savoir tenir jusqu'à mon retour la main d'un certain blondinet, sans jamais la lâcher. Notre passion pour la même personne nous a rapprochés. Mon désir intense et volcanique pour Kilian a rencontré son platonisme et ses idéaux artistiques. Notre rencontre a débouché sur ce qu'aujourd'hui je considère comme une de mes plus grandes et sincères amitiés. Et Dieu qu'elles sont rares.
Solitaire, je l'ai toujours été. Petit enfant, toujours le nez plongé dans mes bouquins et avec à mes côtés une sœur souffrant du syndrome d'Asperger, je n'avais pas vraiment le choix. Je n'avais rien ni personne. Moqué par les autres, je suis devenu moqueur. Tyrannisé, je suis devenu tyran. Mais je ne m'en prenais jamais aux plus faibles, que je préférais protéger. Mes cibles étaient ceux qui faisaient leur loi, les petits caïds, les gros prétentieux. Avoir vécu l'injustice m'a fait comprendre à quel point elle était détestable. J'ai ainsi réfréné mes pulsions destructrices et violentes au nom d'un idéal. Pourfendeur de torts et donneur de leçons, c'était un rôle qui me plaisait bien. Et malgré cela, malgré ma prétention et mon orgueil, je n'ai jamais réussi à m'apprécier moi-même. J'étais trop conscient de mes mauvais côtés et de mon potentiel destructeur pour faire comme si de rien n'était. C'est ma vie, c'est comme ça...
La moitié de mes années collège, je les ai passées au Japon. Ce que j'y ai fait ? Imposer ma loi et expérimenter mes premières expériences affectives. Malgré toutes les filles de mon âge avec qui je suis sorti, c'est un garçon, Akémi, qui m'a le plus touché. Caresser ses lèvres fut le premier baiser que je n'ai pas regretté. Des amis à cette époque, j'en avais bien peu, mais je l'avais lui et cela me suffisait. Enfin, j'avais aussi mon chien, Mistral, un magnifique berger blanc offert par mes parents pour combler le vide qu'ils avaient eux-mêmes causé par leurs absences et leur indifférence.
Je ne peux pas leur en vouloir. Ma mère est une bonne mère et je l'aime, elle a fait de son mieux, et puis, elle m'a compris et a accepté mes choix. Elle s'est simplement souvent montrée maladroite. Mais avec le temps, nous nous sommes rapprochés, jusqu'à prendre un réel plaisir à partir ensemble en vacances, comme cet été. Avec mon père, cela a toujours été plus compliqué. Il s'est toujours montré bien plus passionné par son travail que sa famille. C'est ainsi, c'est son comportement. Ses choix et ma propre incapacité à lui tenir tête m'ont pourri mon année de seconde, mais j'ai fini par me libérer de ses chaines. Enfin, seul, je n'y serai jamais arrivé. Prisonnier de mon géniteur, il aura fallu que Kilian vienne me chercher.
Ni un an passé loin l'un de l'autre, ni mes erreurs et bêtises ne l'ont jamais empêché de m'aimer. Alors que j'étais la principale cause de sa peine, que ses parents se déchiraient sur fond de divorce et qu'une fille de sa classe, Alia, l'avait retenu près d'elle telle la nymphe Calypso, il prit malgré tout la décision de me choisir et de se battre pour m'avoir près de lui. Devant sa volonté, sa sincérité et celle de son regard, mon géniteur n'a eu d'autre choix que de rendre les armes, tout comme sa propre famille. J'avais enfin le droit de rentrer en France, pour vivre sous son toit et dormir dans ses bras. Ainsi se refermait la page la plus pénible de mon existence.
En quittant la Suisse, je n'eus qu'un seul regret : laisser derrière moi Justin, un jeune camarade de classe que j'avais surnommé chaton en référence à ses doigts en forme des coussinets et à son petit museau qui me faisait craquer. Lui, il a souffert bien plus qu'il n'en fallait. J'espère qu'il s'en sortira.
Est-ce là la fin de cette histoire ? J'ai voulu croire naïvement que tout serait enfin plus simple. Avec Kilian, rien ne pouvait plus nous empêcher de nous aimer et de passer tout notre temps ensemble. Je l'adorais et je voulais le lui dire, de la manière la plus forte et la plus intense qui soit. Je voulais que ma passion sèche à jamais ses larmes et qu'elles n'aient plus jamais à couler sur son doux visage. Cette folle passion qui m'anime, je me suis mis à vouloir l'écrire. Je me suis ainsi lancé dans Vojolakta, un roman dont il serait le héros, tout simplement parce qu'il est le mien. Un roman dans lequel je pourrais lui dire ce que je n'arrivais pas à montrer, et lui montrer ce que je n'arrivais pas à lui dire. Une déclaration d'amour... une preuve ultime... traduire par les mots ce que mes lèvres lui ont si souvent murmuré en caressant les siennes... être digne de lui et de tout ce qu'il a fait pour moi.
Il m'a sauvé, après tout. De la solitude, de la haine, et de tout ce que j'aurai pu être si je n'avais pas un jour croisé son regard, si je n'avais pas laissé mon cœur chavirer à la vue de son sourire et si je ne l'avais pas si intensément aimé. Il m'a sauvé...
Et pourtant, en cette fin d'été, alors que je me mets à la rédaction de mon ouvrage, je ne peux m'empêcher de penser que ses larmes n'ont jamais été aussi nombreuses, régulières et sincères que ces dernières semaines, malgré mes efforts et ma volonté pour les faire disparaitre. Quelque chose s'est cassé en juin dernier, quelque chose dont je suis la cause et que j'essaie tant bien que mal de réparer. Il ne m'en veut pas et je le crois sincère, mais il ne peut cacher ses émotions. Il est trop vrai et sensible pour cela. Dans la détresse, il m'a demandé de rester avec lui quoi qu'il advienne. Je ne compte pas lâcher sa main, jamais. Le voir grandir, souffrir en silence et se détacher est sans doute la peine qui m'a été infligée pour me punir d'exister. C'est ma culpabilité et mon fardeau.
J'étais dans cette voiture. C'était à moi que Cédric, son grand frère, servait de chauffeur au moment de l'accident qui l'a plongé plus de deux mois dans le coma et qui l'a privé de l'usage de ses jambes, sans que nous ne sachions s'il le retrouvera un jour. Si je n'avais pas existé, si Cèd n'avait pas pris la route pour me ramener auprès de son cadet, rien de tout cela ne serait jamais arrivé.
Et le pire, en fait, c'est peut-être que Kilian ne m'en a jamais tenu rigueur. Au contraire, c'est dans mes bras qu'il est immédiatement allé chercher le réconfort dont il avait besoin. C'est ensemble que nous avons traversé cet été, fait de voyages et de rencontres. Je l'ai emmené en Inde, je le trainerai jusqu'au Japon, ce pays qu'il rêve de visiter. Je lui en ai fait la promesse. Et je lui offrirai même un kimono féminin, comme je lui ai offert un sari, autant pour rigoler que parce que je lui ai dit que je le ferai, et que je suis un homme de parole, même dans la déconne. Tout au long de ces interminables vacances, je l'ai soutenu. Nous avons rapproché nos corps aussi souvent que nécessaire. Je lui ai donné les gestes qu'il me réclamait, liant nos doigts, me collant à son dos et allant et venant en son sein.
Quand vient le moment de complètement nous unir, c'est souvent de cette manière que cela se passe entre nous, sans bien que je sache pourquoi. C'est toujours ce qu'il me demande, sans jamais oser réclamer d'autres choses. Depuis que nous sommes ensemble, il a toujours préféré m'offrir sa croupe sans jamais me demander la mienne, comme si le fait de me voir vibrer en lui faisait son propre bonheur. Parfois, j'aimerai simplement avoir la certitude de pouvoir lui donner autant qu'il m'apporte...
Enfin, fort heureusement, Cédric s'est réveillé il y a quelques jours. Toutes ses idées ne sont pas encore en place, et la rééducation sera longue, mais ce dénouement est porteur d'espoir. Il faut avancer, comme tant de personnes se sont efforcées de nous le montrer. Une, surtout, nous a marqués. Pendant ces congés, nous avons fait la connaissance de Camille, adolescent haut en couleur et dont l'histoire tragique nous a fait relativiser nos propres peines. Malgré la perte de sa mère puis de sa sœur, il a toujours su afficher un certain sourire sur son visage. Il s'en sert pour masquer ses blessures les plus profondes. Autre pièce dans son attirail pour arriver à ce but : son maquillage et les robes et jupettes qui font sa garde-robe. Changer de peau l'apaise et lui permet de se sentir vraiment lui-même. Personne n'a le droit de le juger, pas sans avoir au moins essayé de le comprendre. On n'apprend vraiment que des autres, on ne grandit réellement qu'à leur contact...
Grandir... depuis que je connais Kilian, j'ai l'impression de n'avoir fait que ça, et pourtant, alors que je rentre en première, j'ai toujours du mal à me considérer comme un futur adulte... À la fin de l'année arriveront les épreuves anticipées du bac, et ensuite, la dernière année du lycée, l'orientation, la majorité, les études... tout cela va tellement vite. Hier encore, j'étais un enfant qui jouait au grand dans une cour de collège où je connaissais mes premiers véritables émois. Aujourd'hui, je ne suis plus le même, mais je reste faible comme un gamin, dépendant des autres et incapable de survivre seul.
Kilian, lui, il a beau grandir tout autant que moi, il ne changera jamais. Tout ce que j'ai aimé chez lui, à partir du jour de notre rencontre, est toujours là.
Nous avançons, ensemble, parce que tel est notre choix, laissant derrière nous deux années de galères, de peines et de luttes. Nous avons tout pour être heureux, tout... Cédric s'est réveillé, Kili va bien mieux qu'en juin, nous vivons ensemble sous le même toit, chez son père, et irons dès demain dans le même lycée, sans doute dans la même classe. Et pourtant, aujourd'hui devant ma feuille blanche, tout me reste à écrire. L'histoire que j'ai voulu lui dédier, mais aussi ma vie. Notre vie, commune, que j'espère belle.
J'ai peur.
C'est ça, la sombre vérité. J'ai peur de ne pas être à la hauteur, j'ai peur de ne pas être capable de lui dire tout ce qu'il sait pourtant déjà, j'ai peur de ne pas le rendre heureux, j'ai peur que son regard se remplisse une nouvelle fois de tristesse plutôt que de joie... j'ai peur qu'il grandisse trop vite où d'un jour le perdre, qu'il se rende compte que je suis la cause de son malheur et de l'accident de Cédric et me rejette... j'ai tellement peur...
Peur qu'il en vienne à moins m'aimer... là où je l'aime toujours si fort...
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