5. Opposition littéraire

Lorsqu'Aaron rentra dans la chambre qu'il partageait avec son tendre petit blond, ce dernier dormait déjà, éreinté par ce week-end si riche en émotions. Pour le brunet, par contre, impossible de trouver le sommeil. Alors, sans un bruit, il descendit dans le salon, s'assit sur le canapé, posa son ordinateur sur les genoux, imprima quelques feuillets de ses quatre premiers chapitres, les glissa dans son sac pour les relire et corriger le lendemain pendant la pause du midi et les envoya par e-mail à Justin, son précieux camarade qu'il avait laissé derrière lui en Suisse. Il voulait absolument connaitre son avis de petit chaton.

Alors qu'il n'avait même pas encore quinze ans, Justin, en avance pour son âge, venait de faire son entrée en première L dans le lycée français Danceny. Quelques secondes après avoir reçu le message d'Aaron, le jeune adolescent se connecta sur Skype pour discuter. La conversation dura toute une partie de la nuit. Pour le lyonnais, c'était un soulagement de voir que celui qui avait été son protégé durant toute une année allait bien. Les cours lui plaisaient, les professeurs étaient agréables, tout le monde veillait sur lui et personne ne lui avait fait le moindre reproche. Pas même quand il s'était présenté avec quelques lueurs violettes sur ses magnifiques cheveux noirs qui tombaient en de multiples petites mèches sur son front, sa nuque et ses oreilles. Le cœur soulagé, Aaron finit par trouver le sommeil vers les deux heures du matin, la tête délicatement posée sur l'épaule de son amoureux. Un énorme sourire béat sur le visage, ce dernier devait forcément rêver de chiens, d'escrime, ou même mieux : de chiens pratiquant l'escrime.

Le lendemain matin, le réveil fut difficile pour les deux amants. Si le brun traina par manque de sommeil, le blond grommela principalement à cause de sa haine du lundi. C'était simple, les seuls lundi qu'il appréciait étaient ceux fériés ou ceux des vacances. Les autres méritaient simplement d'être rayés du calendrier. C'était une bonne idée, ça, si on s'en débarrassait, les semaines commenceraient par le mardi, et le monde s'en porterait fatalement mieux. Bon, après, cela n'aurait fait que déplacer le problème au mardi, mais ce n'était pas si important que ça : il suffisait alors de le supprimer à son tour, et ainsi de suite pour les autres jours de la semaine jusqu'à ce qu'il ne reste que le samedi et le dimanche. À son plus grand désarroi, Aaron lui fit remarquer en baillant devant son chocolat chaud que l'idée n'était pas brevetable et poserait un autre problème de taille : en supprimant tous les jours de la semaine, c'étaient tout autant de câlins qui passaient à la trappe. Pris au dépourvu devant ce paradoxe que son cerveau n'était pas de taille à affronter, Kilian se fourra un morceau de brioche au Nutella au fond du gosier avant de frotter sa joue au museau de son petit Patapouf.

« J'peux l'emmener au lycée ? Il est trop mimi, j'peux pas le laisser ici tout seul, Mistral va le bouffer ! »

Un coup de cahier de maths sur le crâne plus tard, Kilian abandonna cette requête, quand bien même il fallut le trainer par le col pour qu'il se magne et lâche le petit trésor qu'il serrait fort dans ses bras dans l'entrée.

Le premier cours de la journée se passa plutôt bien. Madame Henri, professeur de SVT presque à la retraite, était une femme agréable. Toute l'heure, elle la passa à présenter le programme et les expériences que les élèves feraient avec elle. Aaron sembla tout particulièrement intéressé par la partie traitant de la Terre dans l'univers et de l'évolution du vivant. Son petit ami, lui, sautilla comme une puce sur son siège en entendant qu'on allait lui parler des mécanismes de sexualité et de plaisir chez l'être humain. Même si la chimie du cerveau lui faisait plus peur qu'autre chose – le cerveau d'un blond, c'est tabou, il ne faut surtout pas y toucher –, la simple perspective de pouvoir traduire en faits scientifiques toutes les expérimentations qui avaient été siennes depuis qu'il sortait avec un petit brun suffisait à lui donner l'envie de se lever certains matins.

Le reste de la matinée se passa sans trop d'encombre. Le seul fait marquant le midi fut la disparition de Kilian, qui profita de la pause pour faire un saut chez lui voir si son petit Patapouf allait bien. Les belles cochonneries que l'animal avait faites sur le carrelage de la cuisine le rassurèrent sur ce point : si l'animal n'était toujours pas éduqué, au moins était-il tout à fait bien portant. Le MMS que l'adolescent envoya à Aaron pour lui montrer fièrement que son chien faisait déjà popo comme un grand lui valut de se faire traiter d'indécrottable blondiniais scatophile dérangé. Vexé que son amoureux critique son sentiment de fierté envers Patapouf, le blondin bouda pendant tout le cours d'anglais.

Le cours de Français qui suivit fut sans aucun doute le plus désagréable de toute la journée. Suant la mort dans sa chemisette poisseuse à cause de l'été qui refusait de s'en aller, Monsieur Dugerond décida de passer ses nerfs sur ses pauvres élèves et les fit plancher sur un texte de Marguerite Duras. Comble de la cruauté, il demanda à ses apprenants de dire du bien de l'extrait incompréhensible qu'ils avaient à étudier. Expédiant la tâche en quelques minutes, Aaron glissa discrètement ses yeux vers ses propres écrits qu'il n'avait pas finis de relire. Malheureusement pour lui, il ne fallut que quelques secondes à son professeur pour le prendre sur le vif et lui arracher les précieux feuillets des mains. Se délectant avec un plaisir coupable de ce qu'il venait de découvrir, l'adulte décida d'en partager les meilleurs passages avec ses élèves, non sans oublier d'y glisser ses propres petits commentaires.

« Croyez-vous ça, le jeune Aaron se prend pour Zola ? Voyons voir ! Plongé, nu, dans sa baignoire de plusieurs mètres de superficie remplie de molécule d'H20 pures à l'état liquide, l'adolescent ne pensait plus à rien. C'est plutôt mal écrit... Très mal écrit, même... Ah, un passage intéressant, Le magnifique Kili'an ne pouvait que se laisser faire en tournant délicatement sa tête afin d'espérer pouvoir, de ses lèvres, frôler celles de l'homme qui le pénétrait. Eh bien, vous m'en direz tant ! C'est vulgaire... Enfin, je ne pense pas que vos fantasmes intéressent grand monde... Vous avez de la chance que ça ne soit pas un travail noté, vous auriez bien eu du mal à obtenir la moyenne... »

Si quelques ricanements se firent entendre ici et là, la vision d'un Aaron bouillant de rage, debout sur sa chaise en train de foudroyer son professeur du regard calma toutes les ardeurs. Une panthère énervée était de loin l'animal le plus dangereux qu'on pouvait rencontrer en milieu scolaire.

« Plus que Zola, que j'admire pourtant, je préfère m'inspirer de Philip K.Dick, mais je pense que nous n'étudierons jamais cet auteur avec vous. Pour cela, il eut fallu que vous ayez un peu de goût ! »

La répartie décrispa toutes les lèvres. Cette fois-ci, les rires fusèrent, à la plus grande déconvenue de Dugerond. L'adulte était furieux que ses élèves fassent preuve d'un esprit de corps aussi poussé pour soutenir leur camarade. Il répliqua aussi sec :

« Et pour que je daigne vous faire travailler sur vos petits romanciers de science-fiction, il eut fallu qu'ils aient du talent. Mais s'ils vous inspirent, c'est bien normal que vous n'en ayez pas non plus ! »

Loin de se démonter, Aaron rétorqua à son tour, le front levé :

« Et vous, à part votre nom au tableau et des appréciations haineuse sur des copies, vous savez écrire ? On dit souvent que les profs de français sont des écrivains ratés. Je serais ravi que vous puissiez nous prouver le contraire et nous faisant lire votre prose... »

Rouge de colère, Dugerond ne put que subir les ricanements nourris de la classe. Non seulement Aaron ne se laissait pas impressionner ni perturber par les critiques, mais en plus, il entrainait les autres à sa suite. Tous voulurent y aller de leur petit commentaire. Certains considérèrent la volonté d'écrire comme un accomplissement en soi. D'autres critiquèrent objectivement le texte de Duras sur lequel ils étaient en train de travailler. Et les plus curieuses des filles, intriguées par l'extrait ce qui semblait être une merveilleuse histoire d'amour entre deux garçons, digne de leurs meilleurs mangas, elles demandèrent directement à leur camarade où elles pouvaient consulter son ouvrage.

Kilian, lui, commença par se planquer le visage entre les mains en imaginant la scène honteuse qui devait à présent être dans tous les esprits, avant de se raviser. Ce passage, sans doute issus du chapitre quatre, il ne l'avait pas encore lu ! Du coup, cela attisa sa curiosité plus qu'autre chose. Voulant absolument savoir comment le héros s'était retrouvé dans une si agréable situation, il se saisit de son téléphone pour regarder si l'auteur n'avait pas mis la suite de l'histoire sur son blog. Et comme elle y était, il proposa à toute sa classe d'envoyer à qui voulait l'URL par e-mail, affichant ainsi fièrement que, pour soutenir son amoureux dans son processus créatif, il était bien au-dessus des moqueries de son professeur.

« ASSEZ ! »

Dugerond eut beau crier, sa voix ne réussit pas à couvrir le brouhaha causé par l'agitation des élèves qui s'étaient réunis autour du brunet pour lui demander plus de précisions sur ce qu'il écrivait. Ce dernier, tout sourire, expliqua qu'il s'inspirait de personnes et situations réelles en forçant le trait pour rendre le tout parodique, mais que tout était naturellement imaginé et qu'il ne fallait surtout pas y voir quoi que ce soit de réel, notamment pour les passages mettant en scène l'intimité de son héros. Ce fut finalement la cloche qui mit fin à cette improbable scène. Au moment de sortir, Aaron toisa fièrement son professeur une dernière fois.

« Si ça vous intéresse, vous serez dans le prochain chapitre ! J'vous l'enverrai par e-mail. »

Un seul élève, subjugué par ce qu'il venait de voir, resta de longues secondes pensif, le cul vissé sur sa chaise. Cette légèreté dans les thèmes abordés, cette confiance mutuelle qui se lisait dans le regard d'Aaron et Kilian, cet aplomb dans la manière de défendre son désir d'écrire... tout cela laissa Cléo sans voix.

Le soir, après une partie de jeux vidéo avec Patapouf en équilibre sur sa tête – ce qui, aux yeux d'Aaron, dégoulinait de mignonitude et de kawaïrie –, Kilian se jeta sur ce fameux chapitre quatre qu'il dévora d'une seule traite, deux fois de suite. Même si certaines scènes étaient abusivement érotiques et gênantes, il ne pouvait s'empêcher d'adorer l'ensemble, même si on était en effet loin de Zola. En fait, il ne regrettait même pas d'avoir balancé le lien du Tumblr de son mec à toute la classe. Il préférait être fier plutôt que gêné. Et puis, tout cela ne restait qu'un roman. Ce n'était pas comme s'il lui arrivait, à lui, les mêmes choses en vrai... Quoique...

« Dis... le truc là, que l'Aar'on fait au Kili'an juste après lui avoir offert son cadeau... Tu veux pas me le faire, aussi ? »

Surpris par cette étrange requête, Aaron refusa. Il était quand même question de dents et de postérieur, et ce n'était pas des choses communes qu'il s'attendait à tester dans sa vie intime. Non, en dehors de légères claques sur le derrière, il était hors de question qu'il fasse mal à Kilian, de quelque manière que ce soit. À la place, il proposa de passer directement au passage lu par le professeur en cours, ce que le blondinet accepta avec un air déçu.

Ce soir-là, ce fut comme si deux êtres amoureux n'arrivaient pas, malgré toute leur tendresse respective, à se mettre sur la même longueur d'onde. Là où Kilian souhaitait amener un peu de fantaisie dans son couple en goûtant à cette humiliante honte qui l'avait excité pendant sa lecture, Aaron répondit par un classicisme s'illustrant par la douceur de ses caresses. Guettant les réactions corporelles de son amant comme autant de signes de la réussite de son entreprise, leur faiblesse le laissa assez désappointé. Heureusement, la soirée se termina plutôt bien avec une discussion animée sur la suite du roman. À ce sujet, le blondinet se montrait encore plus passionné que l'auteur !

« Nan mais même si c'est pas parfait, j'suis sûr que toute la classe va kiffer ton histoire. Y a de l'action, du mystère, des larmes, de l'humour et du cul ! Si j'te connaissais pas, j'dirais que tu l'as fait exprès pour que ça marche ! Attends, et ça serait vraiment trop cool avec des illustrations ! Cet été, Gaby s'était proposé de les faire, non ? J'vais lui rappeler jeudi quand j'irais chez lui, il pourra pas refuser, j'ai des arguments imparables ! »

Même si Aaron, avec le temps, s'était retrouvé un peu gêné d'avoir demandé l'aide de Gabriel – il aurait bien au moins voulu gratifier financièrement son camarade pour sa participation – la fougue de son amoureux finit de le convaincre de lui en reparler. Mais avant d'embêter l'artiste, le brunet avait une charmante nouvelle à adresser à son petit ami, à propos de leurs prochaines vacances.

« Au fait, tu sais que mon vieux était diplomate au Japon ? Et bah, il avait prévu d'y retourner rendre visite à d'anciens collègues. J'lui ai demandé s'il ne pouvait pas caler ça pendant les fêtes et s'il ne pouvait pas nous prendre avec lui. Bon, au début, il m'a dit d'aller me faire foutre, mais ma mère a réussi de le convaincre que c'était une bonne idée. On partirait à Noël... j'te demande pas si ça te dit ? »

Le pèlerinage en terre nipponne, Kilian en rêvait depuis le milieu du collège quand, avec Martin, il s'était pris de passion pour la néo-culture de cet étrange pays. Apprendre qu'Aaron y avait vécu pendant plusieurs années l'avait rendu vert de jalousie, ce qui allait plutôt bien avec la couleur pomme de ses principaux vêtements. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait supplié le ciel d'y mettre un jour les pieds. En guise de réponse, il se jeta simplement au cou de son amoureux pour l'embrasser avec fougue. La seule chose qui l'intriguait, c'était pourquoi Catherine, qu'il adorait depuis leur voyage pendant l'été en Inde, ne voulait pas venir avec eux. Mais Dieu qu'il était heureux quand même !

Le reste de la soirée, Aaron la passa sur son chapitre cinq, pestant énergiquement contre son ordinateur qui ramait comme Charon et qui lui donnait envie de commettre un meurtre. Vraiment, entre ça et les bisous baveux de Kilian dans le cou, ce n'était pas vraiment pratique pour écrire.

Les jours qui suivirent, le lycéen aux cheveux noirs commença à se lever systématiquement plus tôt que son petit ami : footing avec les chiens, préparation du petit déjeuner, révision des dernières leçons... son programme était bien chargé et justifiait cette nouvelle habitude, que Kilian considéra comme pure folie.

Le mercredi, le blondinet passa son après-midi à Lyon avec son père pour une sombre histoire de procès dans lequel son témoignage était attendu, puis sa soirée à l'escrime pour se préparer pour sa prochaine compétition prévue en octobre. Aaron, lui, resta toute la journée au lycée. Ce dernier ouvrait volontiers ses portes aux jeunes qui voulaient y travailler dans le calme. Dans la cour carrée, le jeune brun put profiter d'un rayon de soleil qui éclairait ses livres de classe.

Autours, d'autres élèves profitaient du beau temps pour flâner. Prise d'un élan créatif, Cléa s'était mise à danser, chanter et dessiner une grande fresque à même le sol à la craie. Avec sa salopette en jean, son débardeur gris trop grand pour elle et ses baskets crades, son style débraillé détonnait en comparaison du garçon qui la suivait comme une ombre, vêtu d'une chemisette à carreau, d'un pantalon en velours noir et de chaussures bien cirées. Ce mélange des genres n'empêchait pas de lire dans le regard de Cléo toute la tendresse qu'il avait pour sa sœur, malgré son excentricité quelque peu gênante. Intrigué par la scène, Aaron laissa ses affaires derrière lui et s'approcha plus près des deux hurluberlus pour discuter un peu. Immédiatement, Cléa se jeta sur son visage, lui caressa le menton et lui sourit en affichant ses dents légèrement écartées.

« C'est toi le petit brun qui se prend pour un romancier dont m'a parlé mon frangin ? C'est pas mal du tout c'que tu écris, j'aime bien... »

La première chose que remarqua Aaron, c'était que cette fille était plutôt grande, autant que lui, alors qu'il était déjà loin d'être petit. La deuxième, c'est qu'elle affichait sans honte quelques traces de scarification ici et là au niveau des bras, ce qu'elle expliqua être une forme d'expression dont elle s'était déjà ventée devant toute sa classe. La troisième, c'est qu'elle était sans doute aussi délurée et spontanée que Gabriel, peut-être même encore un peu plus, comme si rien dans sa vie n'avait vraiment d'importance. Gêné par l'attitude un peu trop directe et déplacée de sa sœur envers un de ses camarades de classe, Cléo lui adressa un regard mauvais. Le reste de l'après-midi, les trois adolescents parlèrent ensemble de l'histoire du brun. Flatté d'avoir une audience qui s'intéressait à ce qu'il écrivait, ce dernier glissa quelques indications sur l'univers qu'il avait imaginé. Voyant l'heure défiler, il s'enfuit en toute hâte, sois disant pour sortir les chiens. Déjà loin, il n'entendit pas ce que Cléa murmura à l'oreille de son frère. Quelques mots que Cléo accueillit en levant le front, le regard braqué sur son camarade qui disparaissait au loin. Sa bouche légèrement entrouverte laissait s'échapper un filet d'air.

« Surveille-le... »

Le lendemain matin, Dugerond organisa l'élection des délégués. Mettant en question l'intégrité de la tutelle censée vérifier le bon déroulement du scrutin, Aaron refusa d'y participer. Ce n'était là rien d'autre qu'une excuse pour décliner le rôle que ses camarades voulaient le voir endosser et qui ne l'intéressait guère. Même Kilian détourna le regard quand on le lui proposa. Il était encore trop marqué par son échec l'année passée lorsqu'il avait brigué le poste pour se soumettre à un tel suffrage. Faute de candidats se furent Manon et Jérôme qui furent désignés par acclamation de la classe, suite à une proposition du blondinet.

« Elle, elle est sympa, et lui, euh... il est beau ! Alors moi, j'voterais pour eux ! »

Un peu gêné d'être désigné principalement pour son physique mais fier de la confiance qu'on lui accordait, le nouveau délégué jura de prendre très à cœur sa mission et d'être le plus droit et juste possible, trait de caractère qu'Aaron nota immédiatement sur un papier pour être sûr de bien s'en inspirer pour ses propres histoires.

Le soir après les cours, Kilian fonça chez lui récupérer Patapouf, avant de filer chez Gabriel pour une séance de dessin. Une fois arrivé chez l'artiste, il se jeta à son cou et déposa ses lèvres sur ses joues.

« Joyeux anniv Gaby ! Avec deux jours de retard, mais bon j'ai pas oublié ! Bon, pour fêter ça et pour remplacer le cadeau, j'peux poser avec mon chien ? T'as vu comme il est beau ? C'est Aaron qui me l'a offert ! »

Avec flegme, le châtain clair fit remarquer à son camarade qu'il était normal que ce dernier n'ait pas oublié étant donné que c'était affiché en gros sur Facebook. Il lui avait même rappelé personnellement la veille qu'il le fêterait le samedi qui venait, que la présence du blondinet était tout naturellement requise et qu'il avait même pris le parti d'inviter quelques nouvelles têtes, histoire de faire plus ample connaissance.

Chagriné que son effort de mémoire soit ainsi minimisé, Kilian grimpa deux à deux les barreaux de l'échelle qui menait à l'étage du petit duplex, puis il se laissa tomber à la renverse sur le clic-clac en plein milieu de la pièce qui servait d'atelier à son camarade, en face de la chambre de ce dernier. Sans même attendre que son artiste ne monte à son tour en lui apportant sa collation réglementaire – un grand verre de lait froid et quelques cookies achetés au supermarché –, l'adolescent fit voler les deux pièces de son jogging, son caleçon et ses chaussettes avant de se poser le dos contre le matelas, une jambe fuyant vers le sol et son chien allongé sur son ventre. Après une première esquisse silencieuse, Gabriel lui demanda de se retourner afin qu'il puisse voir toute la courbure de son flanc, obligeant l'animal à s'installer au niveau des omoplates de son maitre.

Rapidement, Kilian profita que sa tête soit installée sur un coussin moelleux et que la pose soit agréable pour lancer la discussion. L'avantage, quand il allait chez Gabriel, c'est qu'il économisait une petite fortune en frais de psychologue. Après avoir évacué ses peurs quant à la santé de Cédric, il se confia sur l'attitude de son mec qui, parfois, l'étonnait. Depuis le début de la semaine, il trouvait Aaron étrange, comme si ce dernier n'arrivait pas complètement à se réjouir de leur bonheur. Le petit câlin lundi soir, surtout, avait été à ses yeux un véritable fiasco.

« Des fois, j'ai l'impression qu'il ne comprend pas que je me moque d'avoir un orgasme à chaque fois... Ce que j'adore par-dessous tout, c'est sa tronche au moment où ça vient pour lui. Ce qui me rend fou, c'est qu'il prenne son pied en prenant mes fesses, ça m'excite à mort... Moi, c'est après, si je lui ai bien fait plaisir, mais faut pas que ça soit une habitude ou une obligation... J'préfère cent fois un truc complètement explosif et un peu fou de temps en temps plutôt que la routine. Ça me fait chier, la routine... Quand ça vient, j'veux que ça soit une récompense, que ça soit exceptionnel, dans tous les sens du terme, j'veux pouvoir m'en souvenir... »

Un sourire paisible et sincère aux lèvres, Gabriel écoutait les pensées extravagantes du garçon qu'il dessinait. En accompagnement en fond sonore, un CD jouait les divers concertos d'Albinoni, tous d'une douceur amenant une sorte de calme irréel et hors du temps à l'instant présent. C'était fou à quel point Kilian avait changé depuis qu'ils se connaissaient. De petit adolescent gêné et mal à l'aise à chaque fois qu'on parlait de « la chose » devant lui, le blondinet avait fini par complètement assumer ce qu'il était et ce qu'il voulait. Il avait tellement grandi... Et pourtant, au fond, il restait le même, avec ses quelques défauts et ses innombrables qualités. Sa fougue, sa sincérité, sa candeur, son sourire, sa façon d'exprimer naturellement tous ses sentiments sur son visage... Kilian était la plus riche de ses sources d'inspiration.

« Pour le roman d'Aaron, au fait, j'ai vu ton mail, c'est toujours d'accord. J'ai lu ce qu'il a foutu sur son blog, c'est marrant. Bon, c'est un peu tordu, et je pense qu'un lecteur lambda qui ne connait rien à sa vie risque de trouver vite ça lourdingue, mais c'est marrant. Là, j'ai fait plusieurs dessins de toi dans différents styles, en axant sur un côté granuleux comme il m'avait expliqué. J'me suis basé sur son chapitre quatre, au moment où le héros fait son rapport à poil sur le lit de son maître. J'vais lui demander ce qu'il préfère, et comme ça, la prochaine fois, on pourra s'y atteler sérieusement. Mais en échange, j'veux que tu me rendes service aussi... J'ai vraiment besoin de toi, cette année. »

Intrigué par cette étrange requête, Kilian tint d'abord à assoir leur accord : tous les jeudis avant que le livreur de pizza ne sonne, Gabriel se consacrerait à l'illustration des principaux passages de l'histoire d'Aaron, notamment ceux mettant en scène le héros de l'histoire, et il travaillerait un peu pendant le reste de la semaine aux décors et aux espèces nouvellement créées. En échange de quoi, le blondinet resterait toujours une ou deux heures après manger pour que l'artiste puisse se servir de son corps comme source d'inspiration pour ses propres besoins artistiques.

« Deal, bon, alors, t'as besoin de moi pour quoi ? »

Alors que la sonnette indiqua aux deux adolescents qu'il était l'heure de se repaitre, Gabriel s'avança vers son modèle, l'agrippa au niveau des poignets et le huma longuement, avant de laisser ses doigts courir sur son visage, son flanc et ses fesses. Gêné et effrayé, Kilian piailla sous la douceur des phalanges arrondies de son camarade. Après un soupir, l'artiste se releva en éclatant de rire et indiqua d'un signe de la tête à son modèle de se couvrir d'au moins quelque chose avant de se faire péter la panse.

« Nan mais j'déconne, j'vais pas t'violer, hein ! Si tu voyais ta tête... Nan, là, j'ai besoin de toi pour un concours organisé par les profs d'art, c'est une carte blanche à rendre en novembre dont le thème est le rose... J'veux faire un ensemble d'œuvres à l'aquarelle, à la gouache, à la tablette et à d'autres trucs en jouant sur la couleur de ta peau et en exagérant le côté pink. J'suis sûr que je peux sortir un truc extra... Rien qu'avec tes fesses et tes joues quand t'es gêné comme là, j'ai large de quoi chopper le premier prix ! »

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