46. Le dernier nom

« Tu crois qu'il est au courant ? »

« Non, ça sera une surprise complète. Il pense qu'on va le fêter tous les deux, personne ne lui a dit pour le groupe secret sur Facebook, il ne se doute de rien. Demain, je le promène toute la journée. Son père sera à la maison, il vous ouvrira. Sinon, je crois qu'on peut inviter les jumeaux, ça lui fera plaisir... »

Kilian avait passé tout son jeudi à grogner. Désinstaller l'œuvre de Gabriel était certes plus rapide que de la mettre en place, mais la tâche restait particulièrement fastidieuse. Non seulement, il n'avait pas eu sa crêpe mais en plus, il avait été privé de séance de pose chez son pote artiste. En cause, une nana qu'il aurait soi-disant ramener chez lui au lieu d'aller en cours et qui serait restée toute la nuit. Ça, Kilian n'y pouvait pas grand-chose. D'une certaine manière, c'était un peu sa faute. Mais quand même, ça l'avait mis de mauvaise humeur, suffisamment pour passer la soirée à envoyer la balle à son chien en tirant la tronche.

Le vendredi, l'adolescent se montra à peine moins grognon. Cela faisait plusieurs jours qu'il avait l'impression qu'on lui faisait des messes-basses. Dès qu'il s'approchait d'un groupe de copains, celui-ci semblait changer de sujet et parler du soleil et de la pluie. Le blondinet n'était pas dupe. C'était une conversation de vieux et eux, ils n'étaient qu'au lycée ! Il y avait anguille sous roche, mais il avait bien trop de devoirs en retard pour y songer et, surtout, il n'avait pas le temps de s'en occuper. Il devait planifier son samedi ! C'était le jour où il avait prévu de fêter son anniversaire ! Cette année, avec son frère à l'hôpital, il n'avait eu ni le cœur ni l'énergie à préparer une fête. Personne ne lui en avait suggéré une non plus. Du coup, il s'était rabattu sur la proposition de son petit ami : aller passer la journée en amoureux au parc aventure de Sainte Foy-lès-Lyon, de l'autre côté de la capitale des Gaules. Aaron adorait grimper partout – il avait fait de l'escalade pendant plusieurs années – et Kilian aimait bien crapahuter dans les arbres. Celui lui rappelait certains étés d'adolescence dont il avait fini par ne garder que les bons souvenirs. Après un entrainement des jeunes à l'escrime où tous lui firent sa fête à coup de bombes à eau, l'adolescent s'endormit dans l'attente de cette journée si spéciale pour lui.

Dix-sept ans ! Il n'en revenait pas lui-même. Toute l'année, il en avait eu seize. Il s'était plutôt bien accommodé de cet âge, qui lui permettait d'être encore un gamin tout en grandissant à son rythme. Mais dix-sept... un an avant la majorité. À l'escrime, il était dans l'antichambre du monde professionnel. Le bac français était à la fin de l'année, les autres épreuves dans quelques mois à peine. Il était à présent plus vieux que ne l'était son frère quand il avait rencontré Aaron.

Grimpant dans les branches, Kilian avait le vertige. Pas à cause des dix mètres de vide sous ses pieds quand il se situait près de la cime des arbres, mais bien à cause de son âge. Son corps était toujours celui d'un adolescent. Il avait encore pris quelques centimètres, mais son brun était légèrement plus grand que lui. Le sport avait beau lui avoir donné une ligne parfaite, elle ne l'avait transformé en montagne de muscle, bien au contraire. Il était toujours aussi fin et alléchant. Et il avait dix-sept ans.

Les deux amoureux passèrent toute la journée à s'amuser sur des parcours de plus en plus durs sans ne penser à rien d'autre. Sur chaque agrès, ils se chronométrèrent pour voir lequel des deux était le plus rapide. Un seul incident vint obscurcir ce doux moment de complicité. Le midi, au moment du sandwich, Aaron reçut un coup de fil de son père. Le brun ne parla presque pas. Il se frotta simplement ses yeux rouges avant de raccrocher, de sourire et de se jeter sur Kilian pour le chatouiller.

Dans le parc, de nombreuses familles assistèrent impuissantes à cette débauche de bons sentiments. Certains parents, outrés que deux garçons puissent ainsi se rouler au sol lèvres contre lèvres, cachèrent les yeux de leurs plus jeunes. Ces derniers, au contraire très intéressés, firent leur maximum pour observer la scène à travers les doigts de leurs géniteurs. Toute cette attention provoqua l'ire du blondin. Dans parc « aventure », il y avait le mot « aventure ». Lui, il trouvait ça très aventureux d'embrasser son mec sur le sol comme dans les airs, donc il était parfaitement dans le thème. D'ailleurs, toute l'après-midi, il exigea un bisou à chaque fois qu'Aaron et lui se retrouvaient sur la même plate-forme.

À la fin de cette magnifique journée, Kilian pleurnicha dans le bus. Un moment à deux comme ça était exactement ce qu'il avait souhaité. Poser sa tête sur l'épaule de son homme faisait disparaitre les courbatures comme par magie. L'année avait été longue et pénible, mais il ne pouvait pas dire qu'il avait été malheureux. Malgré l'état de son frère, malgré les disputes et les prises de bec avec son mec, malgré les problèmes des gens qui l'entouraient... il en retenait du bon. Avec un peu de recul, quand il faisait abstraction de tout ce qui l'avait dérangé, le bilan ne pouvait être que positif. Il avait eu la chance de vivre un an avec Aaron sous le même toit. Cédric progressait et était toujours en vie. Benjamin avait retrouvé sa joie de vivre. Camille ne déprimait plus. Même Cléo et Cléa semblaient enfin prendre la vie par le bon bout. Pour la première fois, il n'avait pas eu l'impression d'être le héros de sa vie mais un acteur dans celle des autres. Étrangement, cela le rendait presque triste. Chacun continuait sa route de son côté. Il n'y avait pas de cohérence à tout ce qu'il avait fait. Ce n'étaient que des actions sans lien les unes avec les autres. Où qu'il se plaçait, il n'arrivait pas à avoir une vue d'ensemble de son année de première. Il se sentait bête. Un peu seul, même. Aaron rigola puis le tira par la manche deux arrêts avant le leur. Les dernières centaines de mètres, ils les feraient à pied, le temps de passer à la boulangerie acheter un petit gâteau. Kilian choisit un fraisier, avec beaucoup de crème. Le brunet le paya avec le sourire. Puis ils marchèrent côte à côte en discutant. Le blondin essaya de deviner le cadeau qu'il pourrait ouvrir en soufflant ses bougies, en tête à tête. Des fringues ? Un sextoy ? Un massage ? Des mangas ? Un bisou ? Du poppers et des menottes ? Tout lui faisait envie !

Au moment d'insérer la clé dans la serrure, Aaron l'agrippa par le poignet. Il semblait trembler. Kilian se retourna, étonné, avant de se faire plaquer contre le montant. Les lèvres du brun lui dévorèrent le visage. Ses mains lui bouffèrent le torse. Le blondin se laissa faire, amoureusement. Ce n'était que la cinquante-septième fois que son mec l'embrassait aujourd'hui. Il les avait toutes comptées. Les yeux fermés, il laissa l'odeur de pomme de son homme embaumer ses narines. C'était agréable. Le moment aurait pu durer des heures, il n'aurait rien eu contre. Il ne dura que quelques minutes, avant qu'Aaron ne soupire et ne lui chuchote quelques mots à l'oreille.

« Ton cadeau est derrière cette porte. J'espère qu'il te fera plaisir... »

Stressé par cette information, le blondinet se jeta sur la poignée et entra d'un coup sec. Rien. Pas même les chiens qui d'ordinaire lui faisaient toujours la fête. Étonné, il avança jusqu'au salon. Ce qu'il vit le fit tomber à la renverse, les fesses par terre.

« SURPRIIIIIIIIIIIIIIISE ! »

Ils étaient tous là. Martin, bien sûr, son ami de toujours ; Yun-ah, son asiatique préférée ; Gabriel les bras croisés derrière la tête ; Jérôme, Manon, Koa et Matthieu, la moitié de la classe voire des premières ; Benjamin, Alex et tous ses meilleurs potes de l'escrime ; son père ; sa tante Suzanne ; Camille en mode garçon accompagné de Margot ; même Cléo et Cléa, l'air grognon, étaient du voyage. Mais ce qui émut le blondin aux larmes, ce qui le fit chialer de toutes ses forces les doigts contre le visage, ce qui le fit grimacer de la plus intense des émotions, c'était quelqu'un d'autre, qui se déplaçait très difficilement avec des béquilles, mais qui était debout...

« C...Cèd... »

Sous les applaudissements nourris de l'assistance, le jeune adulte s'approcha de son cadet.

« Salut p'tit frère. J'suis sorti de la clinique ce matin avec l'approbation des médecins. Je vais continuer ma rééducation à la maison. Ça va être long, mais je vais remarcher, j'te le promets, et ensuite, j'partirai faire le tour du monde avec ma meuf ! Bon, en attendant, j'vais dormir au rez-de-chaussée. Les escaliers, c'est pas encore mon truc. »

Le visage de l'adolescent se retrouva tellement humide qu'il fallut plus d'un quart d'heure d'efforts et de câlins de la part de tous les invités pour qu'il arrive enfin à retrouver son état normal. Jamais il ne s'était senti si heureux. Son mec, ses amis, sa famille... Tous s'étaient donné le mot pour lui faire cette surprise. Furibond, il tapota du poing sur la poitrine de son petit copain en le traitant de filou, de fieffé menteur et de délicieuse ordure. En réponse de quoi le concerné lui vola son cinquante-huitième bisou de la journée.

« Moi, je n'ai fait que gérer l'organisation et les invitations et te sortir toute la journée. C'est Martin et Gabriel qui ont tout préparé pendant qu'on faisait les cons dans les arbres. Allez, arrête de chialer et profite de ton anniversaire ! »

Le blondin ne se fit pas prier. Le thème de la soirée était « bonbons, sucreries et kilianiaiseries ». Puisque le héros du jour avait fait le choix d'être un éternel gamin, il fut décidé de ne pas proposer une seule goutte d'alcool, mais de se faire plaisir sur les confiseries, jus de fruits et anecdotes. Tour à tour, les invités prirent la parole pour expliquer à Kilian pourquoi ils l'aimaient, en rappelant une aventure rigolote qu'ils avaient vécue ensemble. Pris par l'émotion et par la gêne provoquée par l'évocation de toutes ces bêtises, l'adolescent aux cheveux dorés passa la soirée à renifler en rougissant.

Il fallait aussi avouer que les petites piques remplies d'affections étaient toutes particulièrement hilarantes. Martin ressortit des cartons une vieille photo de vacances où on voyait son meilleur ami, au début du primaire, se présenter nu sur un plongeoir de cinq mètres d'une piscine municipale. La raison de cet exhibitionnisme juvénile ? Le blondinet avait peur de perdre son slip en sautant et de se taper la honte, et avait donc fait le choix de le laisser en bas. Cette anecdote rappela à Cédric un autre moment brillant d'esprit contrarié de la part de son petit frère, cette fois-ci en sixième. L'histoire fit hurler de rire le jeune Benjamin, à s'en fêler les côtes, et il y avait de quoi. Son père, particulièrement sévère à l'époque, avait refusé de lui acheter un nouveau jeu vidéo. Frustré, Kilian avait décidé de se le payer lui-même en vendant certaines affaires dont il pensait pouvoir obtenir un bon prix, dont sa combinaison d'escrime. Surpris, son aîné lui avait demandé s'il comptait arrêter son sport adoré. Sans se démonter, le blondin avait répondu que non, mais que cela ne le gênait pas de concourir en caleçon. De toutes manières, comme il était le meilleur de sa génération, il n'avait pas peur de se prendre des touches ! Il n'avait donc aucunement besoin de protection.

Devant l'hilarité générale, l'adolescent se gratouilla le crâne et chercha une justification.

« Oui, bon, j'étais jeune... Et puis, en plus, ça s'est pas fait. Cèd à tout balancé à J.P, j'me suis fait engueuler comme jamais ! Nan, Benjamin, arrête de rire s'teuplait, c'est pas drôle... Rha, vous me faites tous chier, j'vous adore, mais vous me faites chier ! »

Aaron, lui, préféra parler de sa première vraie dispute avec son petit copain, à une époque où ils ne sortaient pas encore ensemble. Une belle connerie de gamins où le brun ne tenait pas le bon rôle. C'était l'été de leur rencontre, dans un camp de vacances sportif, derrière des douches...

« Nan, Chouchou, tout mais pas ça... S'teuplait... C'est trop la honte ! »

Sans se démonter, le brunet continua son récit :

« Ce couillon, à l'époque, il se croyait cent pour cent hétéro ! Oui, je sais, vous avez du mal à y croire, moi aussi, mais à l'époque, il était sincère ! Du coup, pour lui faire plaisir, j'lui ai montré qu'on pouvait voir dans les douches des filles. Bah ce p'tit coquin, il s'est bien rincé l'œil. Comment elle s'appelait déjà ? Lana ? »

« Léna... »

« Ouais, voilà ! Même qu'à la fin des vacances, il est sorti avec, j'déconne pas, c'était même assez mignon à voir ! Par contre, croyez-moi ou non, mais ce qui l'a le plus émoustillé derrière les douches, ce n'était pas de voir la nana à poil, mais de me regarder la main dans le slip ! Vous faites pas d'idées, hein, c'était de la pure provoc de ma part, mais ça a bien marché ! Ça la tellement gêné sur le moment qu'il m'a fait la gueule pendant trois jours. Non parce qu'en plus, à l'époque, môssieur Kilian n'admettait pas qu'il était un p'tit branleur ! Donc ça a heurté ses principes d'enfant sage, vous voyez ? Au fait, t'as attendu combien de temps avant de te toucher en pensant à moi, mon cochon ? »

La tête cachée sous son t-shirt et les mains rouges serrées sur les cuisses, le blondinet préféra ne pas répondre. Là, c'était clair, il était bon pour l'exil en Nouvelle-Papouasie. En plus, il ne se souvenait même plus de la première fois où ce foutu brunet s'était invité dans ses fantasmes. Une seule chose était sure, c'était plus tard, vers la fin du premier trimestre de troisième. Mais quand exactement, il était bien incapable de le dire...

La soirée poursuivit tranquillement son cours, anecdote après anecdote. Les témoignages qui touchèrent le plus l'adolescent furent ceux des personnes qu'il avait aidées cette année. Benjamin avoua devant tous ce qu'il avait subi et le sauvetage héroïque du blondin et de Gabriel. Camille parla de leur voyage en Inde et de ce que lui avait apporté cette amitié. Sa dernière déclaration alla jusqu'à recevoir des acclamations, même si elle lui valut aussi une gifle de la part de sa meilleure amie.

« Voilà, j'ai décidé de me travestir en mec au lycée ! Mais rien ne changera ce que je suis. Une fille bisexuelle piégée dans le corps d'un garçon. Margot, tu veux coucher avec moi ? »

Bouche bée, Kilian avait observé cette étrange évolution et le retour définitif de ce sourire qui l'avait toujours fait craquer. Camille resplendissait comme lors de leur première rencontre.

Puis Cléo prit la parole. Son discours fut assez court. Il ne fit que s'excuser et afficher ses regrets. Il voulait faire partie de ce groupe, même si ça prendrait du temps, et remerciait ceux qui l'avaient invité. Fièrement, Kilian le rassura en affichant une mine réjouie, ce qui provoqua sa sincère émotion.

« T'en fais déjà parti ! »

Cléa, enfin, ne parla pas en public. Pour elle, c'était un peu spéciale. Cela faisait deux jours qu'elle n'avait pas touché à de la drogue, même si les mains d'un certain châtain qui parcourait discrètement son dos semblaient en être une nouvelle. Une addiction en chasse vite une autre. Ce fut en tête à tête qu'elle s'exprima. Elle était au courant de tout ce que Kilian avait essayé de faire pour elle. Sensibiliser les autres, parler, pardonner... Cette gentillesse et cette naïveté l'insupportaient. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de penser un mot, qu'elle devait lui dire.

« Merci. »

Bien sûr, cela ne réglerait pas son problème. Mais le fait que tout le monde soit sympa avec elle et lui tende la main, ce n'était pas rien. C'était le signe d'un espoir, le début d'un long chemin pour arrêter de se détruire et de détruire les autres, et elle le devait en partie à cet insupportable blondin.

Il n'en fallut pas plus à Kilian pour s'enfuir dehors prendre l'air. Pris d'une bouffée de chaleur, il avait besoin de respirer. Il faisait nuit, le ciel était clair. Il s'assit sur la chaussée. Putain d'année. Toutes les mauvaises pensées qu'il avait accumulées se retrouvaient chassées. C'était sans doute le plus bel anniversaire de sa vie. Il voyait enfin un sens dans tout ce qu'il avait accompli. Alors qu'il repensait à tout cela en regardant les étoiles, son chien vint le rejoindre et posa sa tête sur ses genoux. Il n'en fallait pas plus à l'adolescent pour exploser. Là, il était heureux.

Une voix le tira de ses pensées. Celle de Martin.

« Eh, tu fais quoi tout seul dehors ? Tout le monde t'attend, c'est l'heure des gâteaux ! »

Suivant son meilleur ami au pas, le blondin eut le droit à une nouvelle surprise. Gabriel à son violon et Aaron au clavier se lancèrent dans un petit concerto. Le morceau était magnifique. Il ne connaissait pas le nom, on lui glissa qu'il s'agissait du Canon de Pachelbel. Ça lui revenait, Aaron s'était à plusieurs reprises entraîné dessus au fil de l'année, certains soirs. C'était la première fois qu'il entendait cette version à deux instruments. Elle était douce et mélodieuse et symbolisait à merveille le temps qui passe, qui s'accélère, qui reboucle et où tout recommence sans cesse. Elle était belle. Tout le monde l'écouta religieusement. À court de larmes après une soirée particulièrement émotive, il tremblota en se mordillant la langue et en reniflant à chaque note. Puis les deux musiciens changèrent de rythme et se lancèrent dans un morceau plus à propos. Tous les invités reprirent en cœur « Joyeux anniversaire » au moment où Martin, Yun-ah et Camille ramenaient les gâteaux de la cuisine. Le fraisier qu'il avait acheté avec Aaron, mais aussi une charlotte aux poires, un fondant au chocolat et une crêpe Banane Nutella Chantilly, sur laquelle on plaça l'une des dix-sept bougies. « Ohlala » furent les seuls sont que l'adolescent réussit à prononcer en voyant à quel point il avait été gâté. Et encore, ce n'était rien à côté des cadeaux ! Des mangas, des fringues, des bonbons, des jeux vidéo.... Jamais il ne s'était senti aussi pourri. Le présent qui le fit le plus rire fut celui de Gabriel, un t-shirt noir sur lequel était floqué le message « Please, don't feed the models ». Là, pour le coup, il était fan.

Puis de la musique pop se fit entendre et le salon se transforma en piste de danse. Il y eut même des slows, pendant lesquels Cléa embrassa le châtain, officialisant une relation que tout le monde avait pressentie depuis le jeudi. Même Camille arriva à ses fins en emballant Margot après lui avoir chuchoté à l'oreille son meilleur argument.

« Tu m'as toujours dit que c'était mieux qu'on reste ami... mais dans sex-friend, il y a friend, non ? »

Puis la soirée continua de plus belle. Au bout d'un moment, Aaron tira son petit ami par la manche. Il avait encore un dernier cadeau à lui offrir, et ça ne pouvait pas attendre. Fonçant dans leur chambre, les deux adolescents durent malheureusement faire marche arrière. Franchement, Gabriel abusait ! Il y avait d'autres lieux pour honorer sa petite copine que le lit d'un blondinet ! Que cela ne tienne, Aaron essaya la chambre d'amis. Il en ressortit très rapidement, piteux, en s'excusant auprès de Koa.

En bas, bien installé dans le fauteuil, Cléo se fait la réflexion à haute voix que cette maison ressemblait de plus en plus à un baisodrome, et qu'il devenait urgent que lui aussi trouve un ou une partenaire avec qui finir la soirée. Pour cela, il demanda à son voisin direct s'il n'était pas d'accord ou intéressé.

Rouge comme une tomate, Martin déclina la proposition.

« Désolé, j'ai déjà une petite copine. »

« Ah ? Et vous l'avez déjà fait ? », demanda naïvement l'adolescent aux yeux gris-bleu.

Passant un nouveau stade dans la coloration de ses joues, qui devinrent aussi écarlates que le sang qui les parcourait, le rouquin détourna le visage. Avec ce qui se passait autour de lui, il se sentait vraiment con.

« Pas encore. Et ça ne sera pas pour ce soir, elle ne veut pas. »

« Ah... et t'es vraiment sûr de ne pas vouloir essayer avec un garçon, avant ? Nan, parce que tu ne vas quand même pas rester puceau toute ta vie ? »

Ça, Martin en était sûr et certain. Il préférait encore se faire couper les couilles que de se les faire lécher par un mec. Mais, quitte à faire, c'était sûr qu'il souhaitait plutôt les garder encore un moment, au cas où sa meuf se déciderait enfin à leur rendre leur utilité.

Autour d'eux, les invités dansaient au rythme de la musique, sous l'augure des cotillons et des serpentins. Il était déjà vingt-trois heures passées. Le père de Benjamin appela son fils. Il était sur le chemin pour venir le chercher. Compréhensif, le collégien accepta de se préparer pour rentrer, puis chercha le héros du jour pour lui dire au revoir. Après s'être prit plusieurs coussins sur la figure, ses pérégrinations le menèrent tout droit dans la salle de bain. Il n'avait aucun mérite. Nul besoin d'être un brillant détective pour retrouver celui à qui il voulait dire bonsoir, il suffisait de se guider à l'oreille. Avec le bruit que faisait Kilian en braillant que cela n'allait pas du tout, que ce n'était pas normal, mais qu'il fallait quand même que son chouchou d'amour continue, on l'entendait sans aucun problème du couloir.

La première remarque que se fit Benjamin, c'était que le blondinet et son petit ami auraient quand même pu verrouiller la porte. La deuxième, c'était que le brunet semblait s'y connaître en cadeau d'anniversaire. En tout cas, il semblait prendre un malin plaisir à offrir, et encore plus à recevoir.

Plaqué au mur le jean et le caleçon aux mollets, Kilian subissait en transpirant l'affection de son cher et tendre. Le présent qu'Aaron avait choisi était fort simple et tenait en quelques mots qu'il avait prononcés quelques dixièmes de seconde avant de se mettre à l'ouvrage.

« J'vais te faire la gâterie de ta vie. »

Comme pour magnifier cette soirée déjà presque parfaite, le jeune brun avait tenu à se mettre à genoux, meilleure position du monde pour une déclaration d'amour. Il voulait faire plaisir à son copain jusqu'à la dernière goutte. Il s'y employa du mieux qu'il put. Le dos collé au carrelage du mur, le blondin ne pouvait que succomber en rappelant tout de même qu'il n'était pas du tout d'accord qu'on lui pique sa place préférée, mais que vu que c'était son anniversaire, il acceptait de faire une petite exception. Ce ne fut qu'après un long gémissement qu'il remarqué la tête du collégien glissée discrètement à travers le montant.

« Heu, papa est là, j'dois y aller, j'voulais te dire au revoir. À Lundi ? »

L'air complètement paniqué, Kilian gesticula dans tous les sens. S'il n'avait pas déjà eu assez honte ce soir, là, c'était le coup de grâce. Choppé en plein câlin par son protégé, il ne savait plus du tout ou se mettre.

« Attends, Benji ! Ce... C'est pas du tout c'que tu crois ! »

L'air faussement choqué, le collégien répondit du tac au tac. Ce qui causa le plus de gêne du côté du pris sur le fait fut peut-être l'étincelle de malice que son élève avait dans le regard :

« C'est p'têt pas ce que je crois, mais quand même, ça ressemble beaucoup à ce que je vois ! Quand j'vais dire ça à mon papa ! Ohlala ! Kilian, il est tout pédé pour de vrai ! Mon dieu, c'est foutu, j'vais plus pouvoir dormir ! »

Devant autant de provocation, les deux amants se regardèrent, puis d'un commun accord, se jetèrent sur ce témoin un peu trop gênant qu'il valait mieux faire taire. Hilare, Benjamin s'enfuit dans le couloir en criant à l'aide :

« Au secours ! Au meurtre ! À l'assassin ! On vient de tuer mon innocence, et maintenant, on veut me finir ! Y a des amoureux dangereux qui s'aiment dans cette maison, appelez la police ! »

Enfin, une fois le pré-ado appréhendé et remit en bonne main à son géniteur, la soirée toucha à sa fin. Les uns après les autres, les convives quittèrent les lieux jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un seul. François conseilla aux jeunes d'aller se coucher. Il serait tout à fait temps de faire le ménage le lendemain. Obéissant, Kilian grimpa dans sa chambre. Elle était en bordel, mais ceux qui l'avaient squattée avaient eu la politesse de refaire le lit avant de partir. Ereinté par cette folle journée, il se jeta sur le sommier, la tête sur la poitrine d'Aaron. Les deux étaient trop fatigués pour quoi que ce soit d'autre que dormir. Pourtant, le brunet avait encore des choses à dire. Un souci d'honnêteté qui ne pouvait attendre. La voix tremblotante, il relâcha la pression :

« Tu voulais que je te dise la vérité sur maman, voilà, ça ne va pas mieux. En tout cas, c'est ce que papa m'a rappelé aujourd'hui. Je ne peux faire aucun plan pour le moment, mais maintenant, il faut que tu sois au courant des différentes options... »

L'index sur les lèvres de son petit ami, le blondinet lui intima de se taire. Là, la tête contre ses pectoraux et les yeux fermés, il était trop bien pour penser à cela.

« Shhhht. Ne me refais pas le coup d'il y a deux ans. Là, laisse-moi juste profiter encore un peu de mon rêve éveillé... Je t'aime. »

Compréhensif, le brunet ferma à son tour les paupières, un doux sourire inscrit sur le visage. Son ange avait raison. Il ne pouvait pas gâcher cet instant. Il lui parlerait quand il serait prêt.

« Moi aussi je t'aime, Kili. Très très fort... »

Le lendemain matin, ce fut l'adolescent aux yeux verts qui se leva le premier, aux aurores, même. S'il avait bien dormi, un petit quelque chose le tracassait. Après avoir fait le tour de la maison et nourri les chiens qui s'étaient éveillés à son passage, il remonta dans sa chambre. Dans le lit, Aaron soupirait toujours, épuisé comme un bébé. Assis en boxer sur la chaise de son bureau, Kilian l'observa un long moment en silence. La surprise de la veille était encore profondément inscrite dans son esprit. Il était heureux. Machinalement, il sortit du tiroir une feuille, sur laquelle étaient inscrits des noms. Benjamin, Camille, Cléo, Cléa... Il les raya tous avec application, un sourire de satisfaction aux lèvres.

En dessous de ceux qu'il avait barrés, il n'en restait qu'un.

Aaron.

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