39. Opération Benjamin

Choqué par la révélation des sentiments d'Alex, Kilian passa le week-end à retourner cette information dans tous les sens dans sa tête. Il avait été tellement aveugle qu'il se sentait ridicule. Lui plus que tous les autres aurait dû comprendre. Il n'en avait rien été. Avec Aaron absent une nouvelle fois, il n'avait que les chiens avec qui discuter. Ces derniers, attentifs, n'avaient pourtant pas grand-chose à faire de ses états d'âme. Eux, ce qu'ils voulaient, c'était se promener. Et bien soit, ils auraient le droit à leur promenade, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment crevés pour se jeter sur leurs croquette avant de se coucher sur le tapis.

Du coup, encore plus fatigué que les cabots, Kilian dormit plutôt bien. Il avait hâte d'être à lundi pour mettre en application le plan de Gabriel. Même s'il n'avait aucune idée de ce qui allait se passer.

Obéissant aux consignes, il ramena dans un sac un vieux jogging vert qu'il avait adoré porter mais à présent trop petit pour lui ainsi qu'une boite de chewing-gum goût menthe forte. Ravis, l'artiste lui annonça la suite des évènements :

« Ce soir, tu fais ton cours comme si de rien n'était. Demain, on se relaie, comme tu finis le lycée à onze heures le midi, tu fais le pied de grue devant son établissement. Le p'tit Alex sort à quinze heures, donc il est ok de faire la sortie de l'après-midi. Moi, j'm'occupe de mercredi. Mais surtout, on n'intervient pas. Le but, c'est de suivre Benjamin de loin et photographier les mecs avec qui il traine, pour voir s'il n'y en a pas qui le tirent à l'écart. Par contre, sois discret s'teuplait, j'ai pas envie d'aller te chercher au poste de police parce que tu te serais fait chopper par des parents qui te trouveraient louches ! »

Des frissons dans le dos, Kilian obéit aux consignes et se mit en planque à l'heure indiquée, tout comme Alex le fit plus tard et Gabriel le lendemain. Au moment du débrief, chaque membre de la task force fit son rapport. À ce petit jeu, ce fut un blond piteux qui prit la parole en premier.

« Ouais, bah en fait, j'étais mal caché et il m'a cramé tout de suite, donc j'ai sorti une excuse à la con, du genre que j'avais oublié de lui expliquer un truc pour son interro de l'aprèm, et je l'ai invité à bouffer une crêpe. Bon, le négatif, c'est qu'il m'a demandé si je ne le prenais pas pour un con. Mais il y a aussi du positif : personne ne l'a fait chier, il a aimé la crêpe et j'crois qu'il a réussi son devoir. Enfin, j'sais pas, j'ai eu sa mère au téléphone et il parait qu'il n'est pas allé en cours aujourd'hui, qu'il se plaignait d'un mal de ventre. »

Alex grimaça. Il se sentait responsable. Pendant son tour de garde, il avait bien vu trois collégiens emmerder Benjamin et avait même réussi à les prendre en photo de dos, mais il avait très vite perdu leur trace dans la foule. Heureusement, son investigation ne s'était pas avérée inutile. Muni des images que le pré-ado lui avait envoyées par mail, Gabriel avait réussi à pister les cibles dès leur sortie des cours, le mercredi. Avec une casquette rouge enfoncé sur la tête, des lunettes noires sur les yeux et les mains dans les poches, il s'était fondu dans le paysage des jeunes qui sortaient du lycée voisin et qui clopaient en toute discrétion. Invisible, il avait pu espionner la discussion des tortionnaires. À l'écoute de son récit, le blondin grinça des dents.

« C'est bien une bande de trois. Ils sont un peu plus grands que Benjamin, ils doivent être en cinquième ou en quatrième. P'têt qu'il y en a un qui est dans sa classe, mais pas plus. En tout cas, c'est pas lui le chef de bande, c'est un autre, un peu balaise. Ils discutaient, j'ai pu capter deux trois conneries. Ils attendaient Benjamin à la sortie pour l'emmener à « l'endroit habituel », même que ça les a bien fait chier qu'il ne se pointe pas. C'est le troisième qui est arrivé un peu plus tard et qui leur a dit que leur victime avait séché les cours, ça les a foutus en rogne. Après, ils sont rentrés chacun de leur côté, puis j'me suis promené dans le coin pour repérer où ils l'emmerdent. J'ai trouvé le coin idéal : une zone résidentielle où ne vivent que des petits vieux et des petites vieilles qui ne sortent jamais de chez eux. C'est l'endroit parfait pour emmerder quelqu'un, y a pas un chat. Et même s'il y en avait, ils crèveraient d'ennui. En plus, y a qu'un seul accès et tu peux y foutre quelqu'un pour faire le guet. Enfin, j'dis pas ça pour vous, les garçons, vous, ça s'écrit pas pareil. Bref, c'est là qu'on va s'amuser demain... »

Les rôles furent répartis de manière précise. Alex avait comme tâche de convaincre Benjamin d'aller en cours par tous les moyens. Il fallait absolument que le pré-ado se présente devant ses tortionnaires pour que Gabriel puisse mettre son plan à exécution. Kilian, lui, devait simplement sécher les cours de l'après-midi et ramener son cul chez son artiste préféré, qui s'absenterait la journée complète pour préparer au mieux son opération.

Le jeudi matin, pourtant, Benjamin fit à nouveau l'impasse sur le collège, ce qui poussa Alex à aller jusqu'à sonner chez lui le midi pour le convaincre de retourner affronter ses nombreux fardeaux. Même si c'était une mission suicide, l'approche que lui avait conseillée l'artiste aux yeux bleus ne pouvait que fonctionner. Et en effet, le résultat fut là et Benjamin accepta de retourner en classe assister aux cours de l'après-midi.

De son côté, Gabriel passa la matinée à préparer le lieu où il présenterait son nouveau spectacle. Étrangement, cette opération sous un soleil à peine luisant à travers les nuages lui donnait l'impression de retrouver quelque chose qu'il avait perdu au fil des mois. Sur les coups de quatorze heures, Kilian sonna chez lui. Il venait de recevoir le SMS d'Alex. Tout semblait en place. Le nez plongé dans son sac, Gabriel tendit son jogging au blondin.

« Tiens, mets ça ! »

Découvrant avec horreur ce que son camarade avait fait de ses anciens vêtements préférés, le blondin laissa échapper un gémissement. Ils étaient troués et rapiécés de partout. Les enfiler lui donnait un air de petit loubard dégénéré.

« Mais... pourquoi t'as fait ça ? Mon Jogging ! »

« Pour qu't'ai l'air cool et badass ! », répondit l'artiste sans même réfléchir. « Attends, tu comptais pas sauver Benjamin avec ton look de minet ? Je sais que ça plait à Aaron, mais là, c'est du sérieux ! »

Son visage plaqué sur son sweat aux manches déchirées, l'adolescent fit mine de pleurnicher.

« En fait, ça servait à rien dans le plan que je te fille mes fringues ! Tu voulais simplement t'amuser à faire du patchwork avec ! »

L'air un brin pensif, Gabriel fit la mou plusieurs longues secondes avant d'acquiescer à demi-mot.

« Aussi... Quoi, la couture, c'est un art comme un autre ! Nan mais t'es classe, t'en fais pas. Fais-moi confiance ! »

Boudeur mais attentif, Kilian écouta les explications de son camarade. Tout était plutôt clair. La première étape consistait à planquer une caméra GoPro sur le lieu du crime afin d'avoir une preuve tangible de tentative de maltraitance.

« Ah, donc c'est à ça que sert le chewing-gum ? »

« Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? », répondit l'artiste, en levant les mains au ciel.

« Bah, pour fixer la GoPro, nan ? »

Interloqué, Gabriel mit quelques secondes avant d'exploser de rire. Non, pour ça, il avait simplement utilisé une bande adhésive. En plus, la caméra était planquée en hauteur dans le renfoncement d'un mur, trop haut pour qu'un simple gamin puisse la voir. Vexé, le lycéen aux yeux verts demanda alors pourquoi son camarade lui avait demandé de lui ramener de la gomme à mâcher. Ce à quoi le châtain répondit le plus calmement du monde en haussant les épaules :

« Bah... Pour mastiquer, quoi. Enfin, c'est du chewing-gum. J'allais pas en faire des sculptures hein ! »

Finalement, le téléphone de l'artiste sonna. L'alarme qu'il avait mise pour seize heures venait de se déclencher. Il était temps d'y aller.

*****

La boule au ventre, Benjamin rangea ses affaires dans son sac. La cloche indiquait la fin des cours. Une libération pour certain, une condamnation à ses yeux.

Foutu Alex, en même temps ! Quelle idée stupide avait bien pu le prendre pour venir toquer à SA porte pour lui faire CETTE chose ? Le pré-ado était perdu. Certes, il savait toute l'affection que son camarade avait pour lui, mais ce genre de sentiments ? C'était vraiment trop bizarre. Pourtant, ses larmes et supplication avaient réussi à la faire céder.

« Retourne en cours s'il te plait, juste cette aprèm ! »

Alex n'était resté au bas mot que cinq minutes sur le palier de l'entrée. Outre les mots, il n'y avait eu qu'un seul contact, fugace, intense et sincère, accompagné d'une étrange chaleur. Benjamin n'avait pas compris pourquoi son camarade d'escrime était venu chez lui ni pourquoi il tenait autant à ce qu'il retourne en classe. Se passant ses doigts fins sur le visage, il avait simplement accepté. Il était de toute manière trop sonné pour refuser. Sauf qu'à présent, alors qu'une masse le regardait avec envie dans le couloir, il regrettait déjà. Cela faisait des mois que son calvaire durait. Il avait commencé vers la fin du CM2. Un certain Sofiane, pas très intelligent ni sympa, avait fait ami-ami avec lui. Naïf, Benjamin avait accepté de le suivre après les cours. Ce fut là qu'il rencontra Fabio et Anthony, deux gamins un peu plus âgés. Les présentations furent rapides : une baffe et des menaces. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Benjamin se retrouva déchu de son statut d'être humain pour celui de jouet et de chien. L'amusement que ses tourmenteurs préféraient était simple : dix euros ou un gage. Ils y jouèrent une petite dizaine de fois avant une première libération, les vacances d'été.

Elles accordèrent au pré-adolescent un moment de répit pendant lequel il préféra se refermer sur lui-même au lieu de s'ouvrir. Son entrée au collège représenta un doux espoir, très rapidement douché. Sofiane était à nouveau dans sa classe, Fabio et Anthony étaient en quatrième. Son calvaire reprit de plus belle.

Ce collège, les parents de Benjamin l'avaient choisi avec soin. Privé, catholique, d'excellents résultats au brevet, une discipline de fer, des professeurs exigeants, un personnel encadrant sévère... Le bonheur d'après les adultes ! Tout était propice à l'obtention de bons résultats. Et ce qui pouvait arriver en dehors de l'enceinte de l'établissement n'avait aucune importance tant que les notes suivaient. Oh, bien sûr, le pré-ado avait songé à se plaindre, une fois ou deux. La première, en début d'année, on ne l'avait même pas écouté. Comme il refusait de donner des noms, on l'avait accusé de mentir. La deuxième, il s'était défilé. Les regards et menaces avaient suffi à le contraindre de reculer.

« Si tu jactes, ça va mal se passer ! » « Si on ne joue plus avec toi, on jouera avec d'autres, c'est c'que tu veux ? » « Tu veux qu'on balance les photos ? »

À chaque fois, Benjamin avait baissé les yeux. À contre cœur, il accepta les règles qu'on lui avait fixé. Quand il ne pouvait payer son dû, il était condamné. Avec son maigre argent de poche, cela arrivait plutôt souvent. Toujours, il était conduit au même endroit, dans cette impasse où rien ne venait troubler le calme de ses corrections. La peine dépendait toujours d'une seule et unique chose : l'humeur des joueurs présents. Outre Sofiane, Fabio et le petit chef de cette bande d'escrocs, Anthony, le pré-ado dut souvent subir la présence d'une certaine Vanessa, petite copine attitrée du leader et sans doute la plus cruelle du lot. Son kiff à elle ? Le pousser à baisser son froc pour se moquer de son petit tuyau. Ah, elles étaient belles, les photos...

Les trois affreux laissaient souvent libre cours à leur imagination. Pieds et poings faisaient partie du quotidien. Les crachas, ils aimaient ça. Fréquemment, Benjamin se retrouvait à terre, roué de coups. Le plus drôle ? C'était quand il acceptait de pleurer et de supplier. Ça, des baskets, il en avait léchées. Ce qui provoquait les bleus, ce n'était pas tant la violence des baignes que leur fréquence. Chez lui, il pleurait en silence. Dans la classe, personne ne disait rien. Quelques rires complices montraient que certains savaient. D'autres devaient avoir peur d'être les prochains sur la liste. Son enfer, tout le monde s'en foutait.

Benjamin avait peur, il était effrayé, il avait promis de ne pas parler. Bien sûr, il y avait Kilian... Le blondin représentait toujours une bouffée d'air. Le lundi soir, c'était un des seuls moments dans la semaine où il se sentait vraiment bien. Il jouait, il déconnait, il pouvait être serein. Voir son prof particulier tirer à l'escrime l'avait fait rêver. Il voulait lui ressembler.

Et puis rien.

Malgré toute l'estime et l'admiration qu'il avait pour son modèle, Benjamin n'avait jamais réussi à être honnête avec lui. Tout juste lui avait-il montré la vérité sans la lui expliquer, et c'était tout. Le blondinet avait beau avoir le cœur sous la main, il était impuissant, comme tous les autres. Personne ne pouvait aller contre la marche de son histoire. La voix de Sofiane le tira de son court moment de léthargie :

« Eh Benjamin, tu nous avais manqué ! T'avais quoi ? Bon, faut que tu me suives, les autres ont envie de jouer ! Garde tes sous dans ta poche, aujourd'hui, c'est baffe ! »

Le jeu de la baffe... Un classique. À tour de rôle, ses partenaires d'amusement le giflaient, et il devait désigner celui qui lui avait fait le plus mal. Le grand vainqueur gagnait le droit de lui balancer quelques coups de pieds en plus. C'était tellement drôle ! Enfin, c'était toujours moins douloureux que lorsqu'il devait se mettre en caleçon et que l'objectif était de le frapper à coup de règles en plastique jusqu'à ce qu'une se casse ! Bien entendu, il devait la rembourser sur ses propres deniers. Qui avait osé dire que la jeune génération manquait d'imagination ?

Voilà qu'il était déjà arrivé à l'endroit où avaient lieu toutes ces distractions, au fond d'une impasse cachée des fenêtres voisines par de grands arbres. Personne n'y venait jamais. La place était idyllique pour se faire frapper. La première gifle lui fit à peine mal. La deuxième un peu plus. Les insultes qui les accompagnaient étaient désagréables. Mais cette fois-ci, il n'y en eut pas de troisième.

« Souriez, vous êtes filmés ! »

Surpris, les trois terreurs se retournèrent. Derrière eux se tenaient deux lycéens au style de racaille mais au visage de petits princes. Un blond très mal fagoté se plaçait en retrait les mains dans les poches. Un châtain au sourire alléché les regardait avec un air provoquant.

Kilian devait bien admettre que Gabriel envoyait du lourd. Sa casquette rouge vissée à l'envers sur la tête lui donnait un air de gamin insouciant. Son torse nu bronzé et légèrement musclé par le handball lui donnait un air impressionnant. Son jean largement troué au niveau des genoux, ses baskets aux lacets défaits, la chaine qu'il avait autour du cou, les bracelets de métal qu'il portait autour des poignets, ses lunettes de soleil hors de prix sur les yeux et le chewing-gum qu'il mâchait d'un air provoquant finissaient d'assoir le personnage. Véritable sale gosse en puissance, Gabriel semblait tout droit sorti d'un reportage parodique sur les petites terreurs des cités, ce qui n'empêchait pas du tout Kilian de le trouver monstrueusement attirant. Mais c'était bien pour secourir Benjamin que l'artiste avait fait le déplacement. Pour cela, il avait amené avec lui un pinceau assez particulier : une barre de fer qu'il avait récupérer sur un chantier et qui s'ajustait parfaitement à son épaule.

S'ensuivit une étrange scène. Benjamin se frotta plusieurs fois les yeux afin de s'assurer qu'il n'était pas en train de rêver. Les petites crapules bombèrent le torse en laissant leurs genoux jouer des castagnettes. Kilian acquiesça nerveusement à chacune des phrases de Gabriel au doux parfum de menthe.

« Z'êtes en quoi ? En quatrième ? Ah le collège, ça me rappelle des souvenirs ! Moi, dans le mien, les connards étaient d'un autre niveau, ils se battaient à coups de couteau. Des fous furieux, y en a même qui ont fini à l'hosto. Et à la fin de l'année, devinez qui on a viré ? Bibi ! Le dirlo pouvait plus me voir, j'étais trop taré à ses yeux ! Alors en troisième, ma mère m'a envoyé chez les p'tits cathos, histoire de parfaire mon éducation, que je réussisse ma vie, quoi. Vous êtes aussi chez les cathos, non ? J'me souviens, il y avait un type, il s'amusait à emmerder un copain, il était aussi débile et méchant que vous. Bah à la fin de l'année, le pauvre, il chialait à mes pieds. J'ai même pas eu besoin d'utiliser Bécassine. Vous connaissez pas Bécassine ? C'est ma copine, dans ma main, là ! Vous voulez qu'elle vous fasse la bise ? Nan ? Vous avez raison, pas sûr que votre dentiste apprécie. Par contre, c'est un de mes potes que vous emmerdez, et j'aime pas trop ça, qu'on emmerde mes potes. Ça me stresse. Et le stress me rend violent. Du coup, mes copains du hand, le blond et moi, on a un jeu à vous proposer. Ça s'appelle le « casse-toi avant que j't'en colle une ». Faites gaffe ! Si moi j'suis une terreur, lui c'est un champion d'escrime ! Ouais, dit comme ça, c'est p'têt moins cool que la boxe ou le karaté, mais j'peux vous assurez qu'une épée dans l'cul, ça fait super mal ! »

Alors que Sofiane et Fabio commençaient très sérieusement à mouiller leur froc, leur chef Anthony osa une répartie. Il n'était pas du genre à se laisser menacer sans réagir, à la différence de ses deux acolytes.

« Tu bluffs, bouffon ! »

Vexé par cette remarque très désobligeante, Gabriel hotta ses lunettes de soleil, les fit tomber au sol et les explosa de toutes ses forces avec sa barre de fer en mâchonnant vigoureusement son chewing-gum.

« La prochaine fois, c'est ta tête. »

Cette fois-ci, Anthony rendit les armes et s'enfuit en courant. Face à ces tarés dont il ne connaissait rien, il n'avait pas envie de prendre de risque. Gabriel, lui, soupira de soulagement. Après avoir enfilé un t-shirt, il grimpa sur un mur récupérer sa caméra puis exigea que Kilian leur paye une glace, à lui et Benjamin !

Incrédule, le collégien suivit les deux lycéens. Il avait au moins aussi peur de Gabriel que ses tortionnaires. Amusé et la bouche pleine de chantilly, l'artiste le rassura :

« Nan mais l'autre, il avait raison, c'était que du bluff ! Jamais j'aurai osé lui cogner dessus, j'suis non violent, j'ai jamais tapé personne ! À part Kil, mais lui, c'est normal, c'est mon modèle et il est chiant. Bon, c'est pas tout, mais faut que j'y aille, ma mère va me tuer. C'est ça d'être élève dans l'établissement ou sa reum enseigne, on peut pas sécher sans qu'elle soit au courant. Dès que j'suis chez moi, j'vous envoie le morceau de vidéo ou on voit qu'ils t'ont tapé ! Kilian, j'te confie le reste ! »

En tête à tête avec son protégé, le blondinet ne mâcha pas ses mots. Grace à son intervention, Benjamin avait gagné un sursit certain. Mais il fallait que cela cesse. Il y avait des preuves et des témoins.

« Tu dois parler. Maintenant. On va voir tes parents et on règle ce problème une bonne fois pour toute. »

En larmes, Benjamin évoqua les chantages et les sévices. Sa peur était toujours intacte. S'il avouait, qu'en serait-il du regard des autres ? Il ne se sentait pas capable de l'affronter. À ce sujet, le blondin se montra rassurant. Gabriel avait déjà tout prévu. Si on ne pouvait pas changer un endroit, il suffisait d'aller voir ailleurs. Finalement, tête baissée, le collégien accepta de suivre son modèle. Sur le chemin, lui tenant la main, il resta silencieux. Puis devant Elsa et Laurent, il raconta le calvaire qu'il avait vécu depuis de longs mois, montrant son corps comme preuve. À toutes les questions gênantes, ce fut Kilian qui répondit. Avec une certaine maturité, le blondin rassura comme il le put les deux adultes effarés. La culpabilité se lisait à un point tel sur leurs deux visages qu'ils en étaient difficilement reconnaissables. Ce soir-là, une famille toute entière pleura. Et le lendemain, après un tour chez le médecin pour constater les sévices, ce fut une plainte contre les agresseurs mais aussi contre l'établissement que le couple déposa.

Ainsi commencèrent les vacances de printemps. Le mardi, Kilian se leva aux aurores. Il avait un rendez-vous qu'il ne pouvait pas manquer. Forcément, après un câlin avec son chéri qui avait un peu trop duré, il arriva légèrement en retard. Devant les portes en métal d'un établissement qu'il connaissait bien, il retrouva Benjamin et tenta de le rassurer comme il le put :

« Tu vas voir, elle fait peur, mais elle est super gentille ! »

Une voix coupa court à la discussion. Elle appartenait à une femme entre deux âges à l'allure fière et aux cheveux grisonnants. Son ton était sec et sévère, mais possédait tout de même une touche de douceur commune à tous ceux qui aiment vraiment les enfants.

« Monsieur Juhel, toujours fâché avec votre réveil à ce que je vois.... »

Amusé, le blondinet rendit un sourire à son ancienne surveillante générale.

« Bonjour Madame Stricker. J'ai en effet eu quelques soucis diplomatiques avec la Suisse, d'où un boycott massif de ma part avec tout ce qui ressemble à une horloge ou à une montre ! Merci de nous recevoir pendant les vacances ! »

Le rendez-vous dans le bureau du proviseur se passa parfaitement bien. Même s'il n'était pas dans l'habitude du Collège Voltaire d'accueillir des élèves en cours d'année, ce cas particulier justifiait une admission précipitée. Naturellement, l'implication dans cette prise de rendez-vous de Renée de Saint-Ferrand, professeure au lycée du même ensemble scolaire, fut passée sous silence. Nuls n'avaient besoin d'entendre que Gabriel avait accepté une corvée d'un mois de vaisselle pour la bonne cause. À la fin de l'entretien, Benjamin avait un nouvel établissement.

Dans la rue, profitant du soleil qui brillait étrangement haut dans le ciel pour un mois d'avril, Kilian soupira. Tendrement, son élève vint se blottir à ses côtés. Le visage presque écarlate, n'ayant pas de mot pour exprimer sa gratitude, il évoqua à la place quelque chose qui le tiraillait depuis plusieurs jours :

« Dis, toi qu'es gay, ch'uis dans la merde, j'ai b'soin d'tes conseils »

« Hein ? »

« C'est Alex... Jeudi dernier, il est venu chez moi, il était au bord des larmes ce con... Il m'a embrassé par surprise... Putain, c'est la merde ! »

Flatté d'être celui que son élève avait choisi pour se confier sur ce sujet épineux, Kilian bomba le torse. Il avait mille conseils à prodiguer, sur la normalité de ce type de sentiments, la manière de s'accepter, celle de trouver le bonheur et la meilleure façon de soutenir le regard des autres. Encore plus gêné qu'auparavant, Benjamin le coupa timidement en multipliant les grands gestes des mains.

« Ah mais nan, mais nan, c'est pas ce que tu crois... Je... euh... j'suis hétéro, moi ! J'craque sur Julie, une fille de l'escrime ! J'ai jamais osé lui avouer, mais elle me plait trop ! Nan, c'est surtout que j'sais pas quoi dire à Alex, j'ai peur de lui faire de la peine, moi ! C'est un super pote... »

Manquant de s'étrangler, Kilian abaissa sa tête qu'il plongea dans sa main. Là, il ne voyait pas bien ce qui pouvait effacer sa honte après une telle méprise. Si ce n'était se taire. Ce pour quoi il était très doué quand il se donnait un peu de mal.

Sur le chemin du retour, le blondin passa chez Gabriel. Il n'avait pas envie de poser, simplement de dire bonjour. Mélancolique, l'artiste peignait les passants par la fenêtre. Comme deux vieux amis qui pouvaient tout se dire, ils évoquèrent Benjamin, les soucis du quotidien et les personnes qui souffraient autour d'eux. Camille, Cléo, Cléa... nombreux étaient ceux à avoir des problèmes. Pris de soupirs, Gabriel posa son pinceau sur sa palette puis se leva. Un doux sourire était de retour sur son visage. Il le déposa avec délicatesse sur les lèvres de son camarade, immobile, en chuchotant quelques petits mots :

« Merci... Aaron avait raison, c'était un bon plan de te suivre. Sauf que maintenant, j'dois mettre un terme au bordel dans ma tête. J'vais passer quelques jours sur Paris, on se revoit à la rentrée. Passe de bonnes vacances, Kil... »


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