37. Priorisation des déprimes
Un week-end sans Aaron, c'est comme une glace sans chantilly. Ce n'est pas forcément mauvais, mais quand même, ça n'a pas le même goût. Encore, s'il y avait eu des petites amandes effilées, des fruits, du chocolat et du caramel, peut-être que Kilian aurait trouvé le moyen de sourire. Mais non, sans sa crème blanche légère venant sublimer le tout et fondre sous la langue, aucune glace ne méritait vraiment d'être mangée. Et aucun samedi d'être vécu.
Le blondinet ne pouvait pas en vouloir à son petit ami d'avoir fait son sac le vendredi soir pour passer le week-end auprès de sa mère. Il aurait pu le suivre, il en avait presque eu envie. Mais passer deux jours enfermé dans un hôpital Suisse était bien trop déprimant pour qu'il fasse partie du voyage. Heureusement qu'un chaton s'était proposé de tenir compagnie à son petit copain. Et puis, de son côté, il devait rendre visite à Cédric.
C'est fou ce que l'impuissance peut-être pesante. Aux yeux de Kilian, elle était insupportable. Bien sûr, son ainé souriait à chaque fois qu'il le voyait passer le bout de son nez et de ses mèches dorées à travers le pas de la porte. Puis ils discutaient pendant une ou deux heures de rééducation, de plan pour l'avenir et de la vie au lycée. Les bons moments uniquement. Ce qui pouvait se passer avec Cléo, Cléa et d'autres ne revêtait pas la moindre importance.
Cédric essayait de voir le bon côté des choses. Sa petite copine ne l'avait pas quitté alors qu'ils n'avaient pas été intimes depuis des mois ! C'était un signe d'amour. Mieux, à côté de ses études, elle avait pris un petit boulot pour mettre de l'argent de côté. Elle souhaitait toujours réaliser leur tour du monde, dès que son homme serait sorti d'affaire. Il avait toutes les raisons d'espérer. Et son frère, toutes celles de désespérer.
« J'lui ai volé une année de sa vie, papa... Et celle qu'il voulait la plus belle. S'il n'avait pas pris la route pour moi ce jour-là... »
Il était rare que François et Kilian se retrouvent seuls à table. Avec Aaron souvent en cuisine ou dans le salon, la maison n'était jamais vide. Si l'adulte avait craint au tout début la présence du brunet, elle s'était révélée plus que positive. Quelle que soit l'heure à laquelle Kilian rentrait, il y avait quelqu'un qui l'attendait et qui s'occupait de lui. Cela permettait à son père de rentrer tard sans avoir à culpabiliser. De fait, entre le travail de l'adulte, les entrainements d'escrime du lycéen, deux chiens et un brun autour de la table, le père et le fils n'avaient finalement eu que peu d'occasion de discuter ensemble. Pour une fois que la conversation était possible, il était malheureux qu'un sujet triste l'emporte sur tous les autres. Mais François se devait de se montrer rassurant.
« Arrête, on dirait ton petit copain ! Vous me cassez les pieds, tous les deux, à vouloir tirer chacun à vous la couverture de la culpabilité ! Je pourrais dire la même chose, j'aurais pu prendre la voiture à sa place, et des fois, je me dis que j'aurais dû le faire. Pour lui mais aussi pour toi... »
Si François et Kilian partageaient plus un nom de famille que du sang, leur relation avait évolué au fil du temps pour devenir plus sincère qu'elle ne l'avait jamais été. Il n'était plus rare que l'adulte exprime certains regrets. À chaque fois, ils touchaient et surprenaient son fils. Une larme sincère au coin de l'œil, Kilian s'autorisa une question qui le perturbait depuis des mois et qu'il avait toujours préféré garder pour lui :
« Dis papa...Je sais que tu bosses comme un malade pour payer les soins de Cédric, donc c'est normal que tu ne sois pas souvent à la maison, et je le comprends très bien. C'est pas un reproche, c'est même le contraire, je t'admire pour ça. Mais des fois, il m'arrive de me demander si tu en aurais fait autant pour moi si j'avais été à l'hôpital à la place de Ced... Comme je ne suis pas de ton sang... Non, oublie, c'est stupide et méchant de te demander ça... »
Se levant, l'adulte trembla un instant avant de forcer un sourire qu'il déposa sur le front de l'adolescent.
« J'en aurais sans doute fait encore plus... »
Touché en plein cœur, Kilian se jeta dans les bras de cet homme au cou noueux. Les gifles, les engueulades, les menaces, les remarques désobligeantes et les punitions qu'il avait subies jusqu'à ses quatorze ans trouvaient une bien étrange justification. L'amour peut faire faire d'inénarrables conneries. Il n'en reste pas moins de l'amour. Ces deux dernières années, Kilian avait grandi. François aussi.
« Arrête bonhomme... garde tes larmes pour ton petit ami, il les sèche mieux que moi... Et rassure-toi, même si tu ne vois pas d'évolution du côté de ton frère, les médecins notent de réels progrès. Il n'a presque plus de perte de mémoire, il arrive à s'exprimer normalement, le haut de son corps répond mieux et les séances de kiné font du bien au bas. À partir du mois de juin, il pourra rentrer à la maison, les soigneurs viendront directement et je vais embaucher une personne pour rester avec lui la semaine, quand je travaille. Ça prendra le temps que ça prendra, mais il remarchera. Il est fort, ton frère, il est fort... »
Peut-être, finalement, qu'un peu de miel pouvait remplacer la chantilly le temps d'une soirée.
Ragaillardi par ces bonnes nouvelles, Kilian passa son dimanche à préparer des exercices marrants pour son élève de collège qu'il voyait le lendemain. L'idée qui avait germé dans son esprit était plutôt intéressante. Puisque Benjamin refusait de se confier sur l'origine des marques qui assombrissaient son corps, le blondin voulait tester une nouvelle méthode pour faire parler un pré-adolescent récalcitrant. Le sixième ayant quelques lacunes en calcul mental, son jeune professeur entreprit donc de le former à un de ses exercices préféré auquel il s'adonnait souvent sur son téléphone quand il avait un peu de temps. Peut-être ainsi espérait-il pouvoir capter suffisamment son attention de pour le pousser à s'ouvrir sans qu'il ne s'en rende compte.
« Avec les quatre opérations de base et en te servant des chiffres 3, 1, 8, 6, 7 et 75, faut que tu arrives au résultat 747 ! Ça va, elle est super simple celle-là ! Si tu réussis, j'en ai d'autres à te soumettre ! On peut faire un jeu, si j'en trouve dix plus vite que toi, t'as un gage, mais si tu en trouves une plus vite que moi, c'est moi qui prends ! Ok ? »
« Mais... C'est un truc de vieux ! C'est l'émission trop chiante qui passe sur la trois ! Tu veux pas qu'on fasse un Fifa, plutôt ? »
Blessé dans son estime, Kilian grogna. Pour une fois qu'il s'était pris à un jeu intellectuel dans lequel il arrivait à concurrencer son mec – que sur la partie chiffres, pour les lettres, il était aussi nul qu'un candidat de téléréalité à qui on posait des questions de philosophie –, il fallait qu'on lui fasse des remarques désobligeantes ! Bon, il ne niait pas que l'escrime était un sport un poil plus dynamique que le jeu le plus ancien du paf. Mais quoi ? Les retraités qui s'y passionnaient, ils n'avaient pas été jeunes, eux aussi, quand l'émission avait été lancé, en 1975 ? Il n'était même pas né ! Non, sérieusement, l'odieuse crapule qui le dévisageait avec des yeux globuleux et énigmatique méritait bien une leçon pour son insolence !
« Sept moins six, un. Un plus un, deux. Deux plus huit, dix. Dix fois soixante-quinze, sept cent cinquante. Moins trois, sept cent quarante-sept ! Le compte est bon ! Même pas besoin de réfléchir ! »
« Ah, c'est pour ça que tu y arrives, alors ? »
Immobile, Kilian sentit le vent du déshonneur et de l'humiliation lui caresser le visage. Il venait de se faire clasher par un petit collégien qui s'était exprimé avec un naturel tellement violent que cela n'en avait été que plus blessant. Après avoir étranglé le malotru hilare, le blondin rendit les armes :
« Bon, ok pour un Fifa, mais tu me laisses le Brésil... »
Cette fois-ci, le compte fut bon. 4-0, une véritable fessée déculottée digne des plus grands moments de l'histoire footballistique. Mieux ! La soirée étant longue, Kilian eut le temps de plonger son nez dans le placard à jeu vidéo et retrouva une véritable antiquité qui lui procura des frissons jusqu'en bas du dos. Exactement comme quand il pensait à Aaron !
« Putaiiiiiiin, ton père avait une Nintendo 64 et tu ne me l'as même pas dit ? Avec Mario Kart et Zelda ? Mais c'est les meilleurs jeux du monde ! Arrête, j'ai les versions 3DS, c'est trop la classe ! Pourquoi tu m'as caché ça ? »
L'air fier comme s'il était un grand, Benjamin haussa les épaules ! Il n'avait pas vraiment envie de se prendre une carapace dans le fondement.
« Bof, Nintendo, c'est pour les gamins... »
Une nouvelle fois étranglé par un blondinet en furie – gamin à jamais et particulièrement fier de l'être –, le collégien brandit le drapeau blanc, puis se fit ratatiner à plusieurs jeux avant que Laurent n'apparaisse et fasse remarquer que c'était pour les maths qu'il payait un certain lycéen, et pas pour maltraiter son fils avec une manette. Benjamin eut beau argumenter qu'en termes de mauvais traitements sur les mineurs, Pythagore et Thalès étaient quand même une sacrée paire d'enflures sans la moindre morale, rien n'y fit et il dut retourner au travail.
Dans l'intimité de la chambre du pré-ado, Kilian essaya de démontrer que les Grecs étaient bien moins cruels qu'on pouvait le penser, en tout cas moins que certains de leurs contemporains. Son objectif n'avait pas dévié d'un iota. Il fallait que Benjamin s'ouvre.
« Ça va, tes bleus ? Tu ne voudrais pas qu'on en parle avec tes parents ? Ça me fait peur pour toi... »
Cette question sonna la fin de la session. Pris d'une soudaine envie de faire la gueule, le collégien s'illustra dans cet art en s'enfermant dans les toilettes. Quand Kilian lui demanda pourquoi cette réaction aussi violente et négative, le concerné répondit à travers la porte avec une rare économie de mots et de voix, quand bien même elle était tremblotante et humide.
« T'avais promis... »
Faire la promesse de ne rien dire avait sans doute été la décision la plus stupide que Kilian avait pu prendre ces derniers mois, juste après celle de la tenir. Pourtant, ce n'était pas faute d'avoir multiplié les conneries à côté. Dépité, il rentra en trainant des pieds jusqu'à chez lui, où l'attendait un brunet au sourire radieux et un bien agréable plat de nouilles à la bolognaise maison ! Entre la nourriture qui sentait bon dans toute la maison, les léchouilles de Pata sur le nez et les bisous baveux d'Aaron sur la joue, le blondinet avait tout pour être comblé. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de tirer la tronche.
Indulgent, son petit ami attendit le dessert pour lui caresser les cheveux. Voir son angelot aussi préoccupé était loin d'être un plaisir. Il se proposa de le conseiller. Kilian accepta et vida son sac. Être heureux dans son couple ne lui suffisait pas pour trouver la paix intérieure. Les souffrances des autres autour de lui le prenaient aux tripes.
Certes, il ne pouvait pas faire grand-chose pour son frère et il était suffisamment fâché contre Cléo suite au dernier incident en date pour songer à lui tendre une nouvelle fois la main, mais le mal être de Camille l'insupportait et la tristesse de Benjamin le faisait culpabiliser. Il se sentait tellement faible et inutile qu'il avait envie d'en chialer !
Le coude sur la table et le poing contre la joue, Aaron essaya d'analyser la situation. Il se proposa d'intervenir, mais le blondin rejeta l'éventualité. Il avait promis à son élève de garder le silence, et déjà parler à son mec était un début de trahison. Il ne pouvait pas demander au garçon qui partageait sa couche de parler à son protégé. Même, s'il avait besoin de ses conseils et de son soutien, c'était son combat. Compréhensif, le brunet se contenta de donner un vague avis.
« S'il ne veut pas parler, il faut découvrir la vérité par un autre moyen. Crois-moi, c'est pas un conseil de mec qui réussit tout, mais de beau gros looser qui apprend de ses erreurs. L'année dernière, je savais que Justin avait de graves problèmes, mais plutôt que d'agir, j'ai attendu qu'il m'explique ce qui n'allait pas. Il a fini par le faire... sauf que c'était trop tard, quoi. Enfin, t'es déjà au courant de son histoire... »
Au fil des mots, la voix d'Aaron s'était assombrie et s'était faite plus tremblotante. À chaque fois qu'il évoquait son chaton, il avait les larmes aux yeux. Jusqu'à dans son roman, d'ailleurs, ce qui avait touché Kilian.
« Il te manque, Justin, hein ? Tu peux me le dire, je ne serais pas jaloux. Je sais ce qu'il représente pour toi... »
Reniflant et souriant, Aaron se frotta le haut des joues. Son petit ami venait de lui sortir une des phrases les plus adorables possibles.
« Nan, ça va, on se parle souvent sur Facebook, je like toutes ses photos ! Et puis, on s'est vu ce week-end, il avait les cheveux mauves, c'était marrant. Il va souvent voir maman. Il dit que c'est pour me remplacer, parce qu'il m'aime et qu'il sait que je suis trop occupé avec mon crétin de l'autre côté des Alpes. Il est génial, mon Juju... J'espère qu'il est heureux, ce con... »
Après une bonne nuit de sommeil, Kilian repartit à l'attaque. L'angoissante déprime de Benjamin n'était pas la seule à laquelle il devait faire face. Il subissait aussi celle de Camille au quotidien. Il devait y mettre fin. Enfin, au moins essayer. Sa première décision fut de chopper Cléo par le col pendant la récré. Les conneries avaient assez duré.
« Fous la paix à Camille. Tout c'que tu veux, mais fous-lui la paix. C'est vraiment dégueulasse c'que t'as fait jeudi. T'es pas amoureux de lui, tu le harcèles simplement pour me faire chier, c'est minable. »
Comme dans un état second, l'adolescent aux fins cheveux noirs soupira en se laissant secouer dans tous les sens, les bras le long du corps, avant d'enfin protester.
« Et s'il me plait, j'ai pas le droit ? Franchement, t'étais moins chiant quand j'me suis tapé ton mec... »
Complètement abasourdi, Kilian lâcha sa prise et se retint de laisser sa main décrire un arc de cercle en direction de la joue de son camarade. Au lieu de quoi il réussit à se retenir, au prix d'un très profond soupir.
« Qu'est-ce que tu veux ? Balance tes conditions, qu'on en finisse... »
Un léger rictus s'emparant de son visage, Cléo se mordilla la langue avant de se lécher de manière provocante la lèvre supérieure.
« Après avoir eu le brun, j'me serais bien fait le blond... mais ça ne changerait rien à ma vie de merde. Alors arrête d'essayer d'être gentil avec moi, Kilian. Je l'mérite pas, tu perds ton temps. Tu veux que je foute la paix à Camille ? Ok, j'arrête de le draguer. Mais toi, fous-moi la paix aussi. Oublie-moi et laisse-moi crever à petit feu seul dans mon coin. Deal ? »
Même si abandonner son camarade sur le bord de la route ne faisait pas du tout partie des objectifs qu'il s'était fixés, le blondinet grinça des dents et tendit la main. Ce n'était que partie remise. Camille était sa priorité.
À ce sujet, il avait bien du travail. Suite à la scène du jeudi précédent, le seconde se comportait de manière encore plus taciturne que d'habitude et s'habillait même comme le dernier des sacs, ce que le blondin trouvait insupportable.
Plus que le rentre-dedans que lui faisait Cléo, c'était la véracité de ses propos qui avait participé à plonger Camille dans la dépression. Oui, son corps changeait. Oui, sa voix était de plus en plus nettement celle d'un garçon malgré quelques belles petites pointes aigües qui ressortaient. Non, il ne pouvait plus prétendre être une fille avec la même facilité que quelques mois plus tôt. Ce n'était pas tout. Margot avait beau passer plusieurs heures par jour au téléphone avec lui, elle refusait toujours qu'ils se remettent en couple. Pire, elle ne voulait plus sortir le week-end faire les magasins avec lui tant qu'il n'aurait pas accepté le sexe qui lui avait été attribué à la naissance.
« Tant que tu n'auras pas mis de l'ordre dans ta tête et tant que tu ne seras pas qui tu es et ce que tu es, ça ne servira à rien, Cam. Si tu veux être une fille, très bien, mais moi, je ne suis pas lesbienne, désolée. Si tu veux être un mec, sois en un pour de vrai... »
Sincère, le conseil n'en restait pas moins cruel. Entre Margot et Cléo qui le poussaient absolument à renier une partie de lui-même et son propre organisme qui le tiraillait de toute part, le lycéen avait de quoi sombrer. Et il ne s'en privait pas.
Seul Kilian semblait vouloir croire qu'un autre chemin était possible.
Alors que Camille expliquait une énième fois à quel point il trouvait son corps monstrueux quand il se regardait dans une glace – ce qui faisait s'étrangler le blondinet en repensant à la merveille qu'il avait pu observer chez Gabriel –, il lui proposa une sortie :
« Comme c'est le printemps et que dimanche, la météo annonce du beau temps, avec Aaron, on va aller au parc. C'est là qu'on s'est rencontrés l'été dernier, tu te souviens ? Ça serait cool que tu viennes avec nous... Comme cet été... Si tu vois c'que je veux dire... En plus, c'est Pâques, donc le week-end fait trois jours, donc pas d'excuses ! »
Une fois le brunet mis au courant du programme, – Kilian avait omis de lui en parler avant, mais en même temps, ce n'était pas très important, ce n'était pas comme si on pouvait lui refuser de chercher des œufs en chocolat à quatre pattes dans un buisson ! – toute la petite troupe se retrouva près d'un banc. Le blondin s'était vêtu tout de blanc pour célébrer les cloches, Aaron avait enfilé une petite laine noire avec un col en v qui laissait voir le haut de son torse et Camille avait fait le choix d'un débardeur rose pâle, d'une jupette en jean et de sandales qui laissaient voir ses ongles recouverts d'une couche de vernie brillante. Sur son visage, un peu de maquillage sombre mettait en lumière ses yeux bleus et une pointe de gloss faisait briller ses lèvres. Le tout le rendait mignon à craquer et causer un certain nombre de nœuds au cerveau de Kilian, comme il en témoigna discrètement à son petit ami :
« Est-ce que c'est normal pour un gay de se sentir hétéro quand il a une érection en regardant un mec habillé en fille ? »
Amusé, Aaron répondit avec un air taquin avant d'aller faire la bise à Camille.
« Pour ce que ça te sert, de bander ! »
Blessé dans son estime pendant au moins cinq minutes, Kilian bouda les mains dans les poches. Il attendait que son amoureux le prenne tendrement par la taille pour lui murmurer à l'oreille pourquoi cette blague le vexait.
« Dans un rodéo, tu peux pas avoir deux cavaliers ! Faut forcément qu'il y en ait un qui fasse le cheval ! Et toi, c'est pas ta faute hein, mais t'es un canasson de merde ! J'm'en suis rendu compte quand on a essayé, ça vaut mieux pour nous deux que je me réserve cette partie-là ! Et même si ça me sert pas, t'aimes bien quand ça m'arrive, t'adores me voir réagir comme ça sous tes caresses, ça t'excite. »
Amusé, Aaron passa ses doigts sous le t-shirt et le caleçon de son petit copain, autant pour confirmer ses dires que pour provoquer Camille qui assistait impuissant à cette scène de débauche pascale.
« Si un certain Jésus vous voyait tous les deux, il refuserait de ressusciter... »
« S'il nous voyait tous les trois, alors ! », s'opposa Kilian avant de se jeter à son cou. « Deux pédés et une ladyboy, mieux vaut pas qu'on aille à la messe... Tu me fais un bisou ? »
Étrangement, cette matinée fut un mélange de joies et de déceptions. Kilian adora courir dans tous les sens pour se disputer avec des enfants de primaire la propriété des œufs que la municipalité avait caché à l'aube et qu'il avait découvert en premier. Il abdiqua tout de même à chaque fois devant les yeux peinés des mioches et se retrouva en sérieux manque de chocolat. Camille, lui, se montra particulièrement câlin. Refusant de se mettre en avant pour éviter que se dévoile devant les mères de famille son genre véritable, il resta accroché un long moment aux bras d'Aaron, qui lui fit la grâce de poser plusieurs fois sa main sur ses cuisses. Une maigre consolation devant le fiasco de son existence. Oui, il adorait pouvoir se coller aux deux garçons qui, pour lui faire plaisir, jouaient absolument le jeu et se comportait comme s'il était une fille véritable. Mais malgré les câlins, les caresses, les sous-entendus et les bisous dans le cou, cela ne restait qu'un simple jeu qui masquait mal une vérité assez désagréable. Ses vêtements trop petits le serraient. Les gens se retournaient sur son passage et l'observaient toujours avec des yeux étranges. Le ciel s'assombrissait. Des camarades de classes le croisèrent et ricanèrent avant de poursuivre leur route.
« J'vais rentrer, les garçons. C'était super sympa, mais je suis fatiguée... »
Peut-être si l'adolescent n'avait pas eu les joues humides au moment de prononcer ces mots, les deux autres auraient-ils pu y croire.
De retour chez eux, Kilian s'effondra sur son lit. Son opération de Pâques « Sous chaque œuf se cache un cœur tendre » laissa sa place à « Mon mec, ce lapin en chocolat sans le chocolat ». Malgré toute la démonstration physique de l'amour d'Aaron, le blondin ne pouvait s'empêcher de considérer sa journée comme un profond échec. Il s'en plaignit, même, avec une certaine véhémence :
« J'comprends pas pourquoi Camille ne s'accepte pas... On a tout fait aujourd'hui pour qu'il se sente bien, et nan, ça marche pas... C'est chiant... »
En guise de réponse, Aaron soupira. Son petit ami n'y était pas du tout.
« Son problème, ce n'est pas le regard qu'il porte sur lui-même, c'est le regard des autres. C'est ça qui le tiraille, et c'est beaucoup plus compliqué à changer que des fringues... »
S'ensuivit une après-midi où Aaron écrivit beaucoup et où Kilian fit des recherches sur son propre ordinateur. Loin de vouloir abdiquer, il décida de mettre en place son plan suivant. Puisque l'opération œuf tendre n'avait pas fonctionné, il passerait à l'étape supérieure en se débarrassant du superflu. Tout serait réglé avant la fin des vacances qui approchaient à grand pas. Ou pendant. C'était en tout cas son souhait.
« Chouchou ? Tu peux venir voir s'teuplait ? »
Le programme prévu pour les congés d'avril était jusqu'alors fort simple. Le brunet devait passer quelques jours en Suisse. Le blondin devait se faire chier à l'attendre. François avait trop de travail pour s'occuper des deux adolescents, mais acceptait de leur payer des sorties pour les aider à passer le temps, voire leur offrir un petit week-end quelque part. Il leur en avait en tout cas fait la proposition.
Regardant le site que lui montrait son petit ami, Aaron se frotta trois fois les yeux avant de hurler sa désapprobation.
« Moi vivant, plutôt crever ! »
« Nan mais attends, c'est super con ce que tu dis ! Si tu crèves, tu seras plus vivant. Donc ça veut dire que tu veux bien ? »
Épuisé par cette logique blondinienne qui le prenait en défaut, le brunet passa sa main sur son visage. Non, là, clairement, c'était bien trop lui en demander. En plus, fin avril, c'était un coup à se cailler les miches. Et même, il était hors de question qu'il mette un jour les pieds dans un endroit pareil, ne fût-ce que pour trois jours. Il se connaissait, il savait qu'il en était incapable. Chacun sa pudeur, mais la sienne lui interdisait pareil cirque ! Et puis, qui pour les accompagner ? Ils étaient encore mineurs. Même si ce n'était que du camping en mobil-home, il était préférable d'avoir un adulte avec eux en cas de tracasseries administratives !
« Si on lui demande, je suis sûr que le père de Cam va bien vouloir venir avec nous. »
Circonspect devant cet argument sorti de nulle part, Aaron ricana nerveusement.
« Jean-Marc ? Attends, il nous connait à peine, on s'est simplement côtoyés quinze jours cet été ! Pourquoi il accepterait de nous emmener dans un endroit pareil ? »
Un petit sourire en coin accompagné d'un léger rire, Kilian tapota de l'index sur la table. Il avait sa réponse.
« Parce que je vais proposer à Cam de venir avec nous. Nan, j'vais même pas lui laisser le choix. Et à toi non plus, du coup. Bon, pendant que tu te fais à cette idée, moi, j'vais préparer mon cours pour Benjamin. Même si c'est férié demain, j'compte bien lui sonner les cloches mardi à la place ! »
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