33. Un jeudi soir blond et brun.

Vingt-et-une heures trente. Aaron avait laissé filer l'horloge sans y prêter garde. Il fallait absolument effacer de l'appartement de son oncle toutes preuves de cette fin d'après-midi, comme s'il ne s'était jamais rien passé, comme si tout cela n'avait pas existé.

Pourtant, même se balancer quatre fois de l'eau sur le visage en s'avachissant sur l'évier de la salle de bain n'avait pas permis au jeune brun de reprendre une couleur normale. C'était une abomination qui se reflétait dans le miroir. Beau corps, belle gueule, coupe sympa même avec les cheveux mouillés, mais une horreur à l'intérieur... La buée qui se déposait lentement sur la glace semblait être l'haleine brulante du diable. Son ventre le faisait souffrir. Le tenir n'aidait en rien. Il avait mal.

Cela faisait déjà plusieurs heures que Cléo était parti, et pourtant, Aaron pouvait encore le voir, distinctement, abandonné sur le sol en attente d'une vengeance dont il voulait être l'objet à défaut d'en être l'instigateur.

Quelle connerie ! Ah ça, Aaron pouvait bien chialer, maintenant. Cela ne changeait rien à son crime. Pour laver l'honneur du garçon dont il était amoureux, il l'avait trahi et trompé. Belle définition de l'amour. Pourquoi avait-il fait ça ? Lui-même, tremblotant, avait du mal à le déterminer. Faire du mal à Cléa ? En avait-elle simplement quelque chose à foutre de son frère, déjà !?

Bien sûr, dans sa tête trottait une petite phrase que Martin avait plusieurs fois prononcée. « Kilian n'est pas obligé de savoir. » Fallait-il être roux pour oser penser quelque chose de tel ? Aaron pouvait-il simplement mentir à l'être aimé et refermer cette parenthèse comme si elle n'avait jamais existé ? Certes, il n'avait pris strictement aucun plaisir à caresser Cléo. Tout juste avait-il trouvé agréable la douceur de son partenaire quand il lui avait attrapé les poignets. Sans désir ni bonheur, ce n'étaient jamais que deux morceaux de viande qui s'entrechoquaient. En effet, Kilian n'était pas obligé de savoir.

Mais lui, il devait le lui dire.

Mentir n'était plus une hypothèse recevable. Elle ne pourrait plus jamais l'être. Aaron s'était juré de ne plus revivre les larmes de janvier, même si d'autres couleraient fatalement. Forcément, Kilian finirait par savoir. Il finissait toujours par tout savoir. Ce jour-là, en plus de la faute, il y aurait aussi à payer le crime de parjure. La peine appliquée serait alors immédiate et irrévocable. La disparition de la confiance, l'évaporation d'un bonheur rêvé. C'était une double condamnation à perpétuité.

Remontant son col dans la rue pour ne pas frissonner sous les assauts du vent, Aaron s'avança lentement, un pas après l'autre avec une seule pensée en tête. Avouer et légitimer son acte jusqu'à ce que son blondinet le comprenne et l'accepte. Le jeune brun était fort et arrogant. C'était sa nature. Ce qu'il avait fait était une punition appropriée envers ceux qui s'en étaient pris à sa chose. Il était peut-être très réducteur de considérer Kilian ainsi, mais nécessaire, pour une question d'honneur. Au moins, le parfum de vérité aiderait à faire passer le goût nauséabond de la trahison. Et si jamais il se faisait rejeter, si son mec le mettait à la rue pour ça, le brunet trouverait bien un camarade chez qui squatter avant de retourner au chevet de sa mère.

Cette simple éventualité fit s'arrêter net l'adolescent au croisement de deux rues. Son cœur s'emballait trop pour qu'il puisse continuer à marcher. Se tenant la poitrine d'une main et s'appuyant de l'autre sur un mur, il haleta à fortes bouffées d'air puis se mordit la lèvre jusqu'au sang pour stopper le ruissellement de son visage. Si tel était le choix de Kilian, il n'avait d'autre solution que de l'accepter. Il devait lui faire face et ne rien lâcher.

Le ventre vide, il poussa la porte de la maison. François regardait la télé dans son fauteuil en caressant Patapouf. Mistral se jeta sur son maitre pour lui faire la fête. Aaron lui gratouilla l'arrière des oreilles avant de le serrer contre lui et de sécher ses dernières larmes dans son pelage neigeux. Ce chien avait toujours été son meilleur ami depuis leur rencontre, toujours là pour lui. Il le prouvait encore. Une voix s'échappa du salon :

« Bonsoir Aaron ! Tu rentres tard mon garçon... »

Le brunet répondit immédiatement avec un ton calme.

« Bonsoir François. J'avais des choses à faire. Kilian est rentré ? »

« Oui, il est dans sa chambre, il finit ses devoirs. Il était de bonne humeur tout à l'heure, ça fait plaisir à voir, c'est rare en ce moment... »

Ainsi, son trésor aux cheveux de blés avait passé une bonne soirée auprès de Gabriel. Cela n'était pas surprenant. Même à moitié dépressif, l'artiste restait une arme de réconfort massive. Soupirant à nouveau, le brunet monta une à une les marches de l'escalier. Arrivé en haut, il préféra tourner à gauche en direction de la salle de bain pour vider ses entrailles corrompues et nettoyer à l'eau bouillante son corps recouvert d'une transpiration souillée. Surtout, cela lui laissait quelques secondes de répit avant le moment qu'il redoutait tant. Il savait déjà ce qu'il devait dire et comment il devait le dire. Droit, le front levé, l'air assuré.

Une serviette nouée autour de la taille et le torse encore humide, il pénétra sur la pointe de ses pieds nus dans la chambre. Penché sur le bureau, Kilian enchainait les équations en chantonnant par-dessus un de ces cd préférés. Sa voix, forcément plus grave que lors de leur rencontre, avait gardé ces touches de douceurs caractéristiques qu'Aaron avait tout de suite appréciées. Si seulement le bel adolescent n'avait pas le chic pour confondre la hauteur des notes sol et la, alors c'eut été un bonheur que de l'entendre pousser la chansonnette. Respirant un grand coup, le brunet se décida tant bien que mal à briser sa quiétude.

« Kili, faut qu'on parle s'il te plait... »

Se retournant sur sa chaise, le blondin baissa le volume sonore qui s'échappait des enceintes de son ordinateur et afficha un immense sourire. Son état oscillait entre joie et excitation !

« Ok, si tu veux ! C'était trop cool chez Gaby, j'ai réussi à faire venir Camille, et on l'a même fait poser ! Putain, il est beauuuuuuuu ce con ! J'imaginais pas à ce point ! Bon, je confirme, c'est bien un garçon, j'ai vu une preuve, même qu'elle est trop choupie, la preuve ! Nan mais sérieux, c'est un truc de fou, à te rendre infidèle ! Attends, j'ai photographié les dessins sur mon téléphone, tu vas voir... Si un jour tu me pousses à un truc à trois, s'teuplait, choisi le lui ! Ou Jérôme. Ou Gabriel. Ou Koa, pourquoi pas. Enfin, un mec mignon quoi ! Et qui veut bien. Ce qui risque de poser problème pour Camillou, Jéjé et Gaby, en fait. Donc du coup, il reste que Koko. Qui est déjà en couple. Et j'suis vraiment pas prêt pour un plan à quatre. Bon ok, c'est la merde, oublie c'que j'viens de dire ! Mais attention hein, interdiction totale de faire ça sans moi, sinon, j'pète un câble ! »

Se passant la main sur le front et le visage, Aaron trembla. La légèreté de Kilian le recouvrait d'un drap de honte. Son ange rayonnait et lui, lui... il s'était appliqué de la pire des manières à tout foutre en l'air. Mais déjà, le blondin s'était retourné vers sa feuille pour noter la réponse à une équation qui lui était venue naturellement au fil de la discussion. N'arrivant plus à respirer, le brunet tomba à genoux et craqua. Les larmes qu'il avait eu tant de mal à sécher firent leur retour sur le vallonnement de ses paupières, de ses joues et de ses lèvres. Sa culpabilité était trop forte. Sa gorge était remplie d'une salive épaisse qui l'empêchait de respirer. Il était bien incapable de garder le front levé tel qu'il l'avait espéré. Il avait honte.

« Pardon Kili... pardon... J'suis inexcusable. J'ai agi par pulsion, je voulais faire mal, lui faire mal à elle comme elle nous a fait mal. J'mérite le pire des châtiments, qu'tu me détestes... Je... Pardonne-moi s'il te plait. »

« T'as fait quoi ? », le coupa sèchement Kilian sans bouger d'un iota. « Accouche, au lieu de geindre. »

Mouché par cette répartie sévère, Aaron déglutit. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait commencé par les excuses au lieu de raconter la faute. Il se devait maintenant de le faire entre de multiples reniflements.

« Je... j'ai couché avec Cléo. J'suis désolé Kili, j'devais le faire... Je devais nous venger. J'te jure que j'y ai pris aucun plaisir, c'était juste de la baise, de la défonce. J'voulais lui faire mal pour qu'il raconte à sa sœur et qu'elle se prenne ça dans la tronche. J'lui ai fait mal d'ailleurs, il était d'accord pour ça, il en avait besoin. Y avait pas d'amour, pas de désir, juste... ce putain de sentiment de rage... Je sais que j'te mérite pas, ça fait depuis le tout début que j'le sais. Si tu veux pas me pardonner, et j'le comprendrais totalement, engueule-moi, gifle-moi, jette-moi, crie-moi dessus, mais reste pas immobile comme ça... Parce que même si c'est complètement tordu, c'est par amour pour toi qu'j'ai fait ça... Pour venger ton honneur ! »

Stoïque, le blondin avait écouté sans un murmure. Même ses mèches dorées qui lui tombaient de manière ondulée sur le cou n'avaient pas bougé. Seul le bruit du stylo qu'il tenait dans la main et qu'il avait lâché sur la table avait pu trahir une impression de choc. Les bras le long du corps, il semblait avoir évacué toutes les tensions de son organisme. Ne restait que la vérité qui semblait l'avoir figé sur place. Il fallut plus de trente secondes de silence avant qu'enfin se dessoudent ses lèvres et que s'en échappe quelques mots sur un ton clair.

« Ok. J'te pardonne. »

Incrédule, Aaron écarquilla grand ses yeux. Il n'arrivait tout simplement pas à y croire. Kilian ne pleurait pas. Certes il semblait surpris, mais aussi et surtout songeur. Pire, ce qu'il disait paraissait sincère, ce qui était encore moins compréhensible que le reste.

« Attends... co... comment-ça tu me pardonnes ? J'viens d'te tromper ! Tu devrais pas être en colère ? Me gueuler dessus, m'insulter, me traiter de gros con ? Tu m'fais quoi, là... Tu peux pas t'en foutre quand même ? »

Toujours aussi immobile, le concerné répondit à nouveau avec la même douceur, les mains posées sur son jean bleu clair.

« Tu m'en as voulu quand Cléa a profité de mon état pour coucher avec moi dans ton dos ? T'as été méchant avec moi ? Non, tu as considéré que ce n'était pas ma faute alors que si, ça l'était. Tu m'as tout de suite pardonné et t'as refusé de me punir en préférant me foutre la flippe avec Adrien. J't'ai dit que je voulais une vraie punition, je l'ai. On peut passer à autre chose. J'avais besoin d'un truc pour me sentir moins coupable, une preuve que t'étais aussi con que moi et donc que ce n'était pas grave. Tu t'souviens l'année dernière ? On s'était fixé un deal débile. Ce que l'un fait, l'autre doit le faire aussi. Voilà. J'vais pas te juger pour un truc que t'as fait sans en avoir envie, simplement parce que t'es idiot. Moi, j'aime ça que mon mec soit un peu idiot, ça me permet de pas être le seul à faire des conneries. Même si là, j'dois avouer que t'as été super con... T'es vachement plus manipulable que je le pensais, en fait... »

Toujours agenouillé sur le sol, complètement sonné, Aaron s'était pris cette déclaration en pleine tronche. Il ne put lâcher qu'un seul mot pour traduire son état d'incompréhension :

« HEIN ? »

Pris d'un rire nerveux, Kilian se leva, s'approcha de son brunet, le tira par le bras et le jeta sur le lit, faisant tomber par la même occasion au sol la serviette qui lui nouait la taille. Allongé sur le dos dans un état de nudité et de faiblesse absolues, Aaron ne put que laisser son petit ami s'agenouiller à califourchon au-dessus de son bassin, le chatouiller à l'aide de son jean serré et lui caresser les lèvres du bout des doigts avant de les dévorer toutes crues. Avec une délicatesse étonnante à la vue de la situation, Kilian se frotta à son torse et laissa sa langue glisser du haut de sa poitrine jusqu'à son entre-jambe. Paralysé jusqu'au bout de ses doigts posés sur le drap, Aaron se laissa faire. Cela faisait plus de deux mois que Kilian n'avait pas bu à la source la matérialisation de leur amour. Rien ne semblait en état d'épancher sa soif, pas même les petits cris du brunet ni ses supplications.

Quand enfin le bel adolescent eut obtenu l'ambroisie de sa passion, il afficha sa satisfaction en se léchant les lèvres d'une manière particulièrement provocante, jeta ses habits au sol et se colla à son petit ami avec un sourire proche du cynisme. Dans l'oreille, il lui répondit enfin.

« T'es manipulable parce que t'es pas foutu de t'imaginer que je puisse vouloir te manipuler, c'est ça ta faiblesse. Tu crois trop que j'suis gentil et incapable de me défendre et de me venger quand on me fait du mal. Mais ça, c'était quand tu m'as connu. J'ai grandi Aaron, j'suis fort maintenant, et déterminé. Quand je t'ais dis que je voulais une vraie punition, c'est que j'en voulais vraiment une. JE voulais qu'tu te tapes Cléo pour effacer ma connerie et rendre dingue sa sœur, c'est pour ça que j'ai demandé à Martin de te le mettre en tête. Mon rouquin, il était trop heureux de pouvoir se payer ta poire pour une fois. T'étais tellement à la ramasse qu'il n'a eu aucun mal à te convaincre que c'était ton idée et que c'était la seule chose à faire, et ensuite, il a fait pareil avec Cléo. Même si j'te faisais confiance pour le draguer, c'était mieux si Martou accélérait un peu les choses. Enfin, j'imaginais quand même pas que ça irait aussi vite, ça m'a surpris tout à l'heure quand tu me l'as dit ! J'pensais qu'tu bossais sur un exposé de Latin avec Augustin. »

Complètement abasourdi par cette révélation – il n'avait pas imaginé une seule seconde que son mec soit capable d'une telle turpitude – Aaron promit de se venger de Martin en lui arrachant un à un tous les poils orangés qu'il avait sur le corps avant de les lui faire bouffer en chili con carne. À ces mots, Kilian rigola et lui intima avec un incroyable aplomb de se mettre à plat ventre. Il avait une soudaine envie de se coller à son dos. Il était temps de passer à la dernière étape de son plan machiavélique, celle censé définitivement convaincre Aaron qu'il avait changé et pris de l'assurance, quand bien même elle était totalement feinte.

« Euh, attends, Kili, tu fais quoi là ? », demanda le brun, particulièrement stressé par cette situation qu'il ne maitrisait pas.

« J'veux te prouver que je ne suis plus le gamin dont t'es tombé amoureux, c'est tout. Tu me l'as demandé plein de fois, et bah là, c'est le moment. Ça va, ça fait des plombes depuis Noël que tu m'as pas fait l'amour, j'vais pas attendre encore cent mille ans, alors je prends les devants. Tu m'as dit que ça te rassurerait qu'on inverse une fois pour voir ? Ok ! De toute manière, j'ai décidé de réaliser tous tes fantasmes ... Bon, tu l'as planqué où, ton gel intime que t'utilises d'habitude avec moi ? »

Le dos parcouru d'un intense frisson, Aaron s'agrippa à ses draps et posa son menton sur son oreiller. Là, définitivement, la soirée prenait un cours qu'il n'aurait jamais pu prévoir, même dans ses délires les plus fous. Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes avant de grimacer en serrant la mâchoire. Ses « Attends, Kil, j'sais pas si là... » restèrent sans réponse. Dans sa nuque, il entendit distinctement son petit blond grommeler « Rha, putain, comment ça marche cette merde ! » en tentant tant bien que mal de trouver le chemin le plus adéquat vers le bonheur recherché. La gaucherie de Kilian était telle qu'Aaron en eut rapidement les yeux humides. Sa chevauchée sauvage partait d'un bon sentiment, mais son incapacité à tenir la bête sans glisser hors des rails et sa manie de vouloir y aller par à-coups en s'imaginant donner plus de plaisir à son partenaire transformèrent très rapidement la scène en double torture. Ce n'était pas que Kilian ne savait pas comment s'y prendre. Aaron lui avait montré des dizaines de fois que la douceur était la clé permettant d'ouvrir toutes les portes. C'était simplement que le stress avait regagné le corps du blondinet dès la première seconde de ce coït d'un genre inhabituel. Il n'était pas mauvais. Il était affreux. Et forcément, voir son petit ami mordre dans son coussin pour éviter de beugler de douleur, cela ne l'aidait pas vraiment à prendre confiance en lui et en ce qu'il faisait. Au bout de dix minutes de souffrance et de foirage continu, après avoir très mollement prétendu avoir joui, l'adolescent aux yeux verts se jeta hors du lit pour aller pleurnicher dans la salle de bain. La dernière fois qu'il avait eu honte comme ça, c'était pendant un camp de vacance l'été de ses quinze ans. Pour le coup, il avait encore bobo à son estime de soi et souhaitait toujours tenir sa promesse de raser le Canada de la carte le jour où il serait maître du monde. Presque immédiatement, le brunet le rejoignit avec une démarche maladroite qui trahissait quelques tiraillements dans le bas du dos, puis lui essuya le surplus de larmes qui recouvrait ses yeux.

« Allez Kili... chiale-pas... c'est super d'avoir tenté le coup, déjà. Attends, quand j'suis rentré tout à l'heure, j'étais persuadé que tu allais me tuer. Au lieu de ça... t'as juste essayé... »

Tout en reniflant intensément, le blondin secoua la tête. Il n'était pas d'humeur à rire aux plaisanteries de son brunet.

« Arrête, c'est la honte totale ! J'peux pas faire ça avec un mec... pas comme ça... J'suis nul... »

Remuant doucement son visage pour feinter la réflexion, Aaron finit par simplement acquiescer en lui caressant la joue.

« Ouais, c'est vrai, j'confirme, t'es nul, mais ça, j'm'en fous. C'est pas grave, c'qui compte, c'est l'intention. »

Tournant la tête à quatre-vingt-dix degrés sur le côté pour se dégager des doigts de son amoureux, Kilian contracta encore plus fort la mâchoire. Avec une toute petite voix gênée d'enfant grondé, il demanda confirmation de ce qui semblait être une évidence.

« Donc t'as pas aimé ? »

Faisant semblant d'hésiter, Aaron inspira bruyamment de l'air avant d'expirer sa réponse.

« Euh... comment te dire. Pas trop en fait. Attends, j'te critique pas d'avoir voulu tenter, ça, ça me fait super plaisir, un truc de fou. J'voulais qu'tu comprennes que t'as l'droit d'avoir ces désirs, et que je serais toujours d'accord pour toi. Après... c'est sûr que c'est pas mon truc .J'aime trop garder le contrôle, le perdre ça m'excite pas. Mais bon, une fois dans l'année ou de temps en temps, ça peut être sympa, à réessayer. Mais avant, faut que je t'explique deux trois trucs quand même, parce que j'veux pas finir à l'hôpital à cause d'une déchirure anale. »

À peine rassuré, le blondin continua de renifler avec un air particulièrement bougon. Si Aaron voulait se venger, là, il s'y prenait vachement bien avec son humour foireux.

« T'es chiant. J'étais trop fier de mon effet, j'voulais trop t'impressionner, te faire la totale. Mais c'est pas ma faute, je sais bien qu'c'est cent fois mieux quand c'est toi qui diriges. Même si je suis grand maintenant, j'ai besoin d'être protégé et aimé, moi... J'savais qu'c'était une connerie d'inverser les rôles, j'suis trop con... C'est beaucoup plus stressant que de faire ça avec une fille, en fait... Moi, j'ai besoin de me perdre dans les bras de quelqu'un qui soit fier et arrogant, qui me domine, me montre le chemin, me tient par la main... C'est ça ce qui me plait chez toi. Si j'avais voulu d'une gonzesse gentille et tout, je serais pas sorti avec un mec, et encore moins avec un brun. Mais plus de mensonge ni de cachotterie, c'est important, ça... Compris ? »

Compréhensif et souriant pour la première fois de la journée, Aaron lui déposa un baiser sur le front. Ça, pour avoir compris la leçon, il l'avait parfaitement comprise. Et il jurait de ne plus jamais mentir, sous-estimer son mec ou le frustrer au pieu. Enfin, pour ce dernier point, il promettait surtout d'essayer. S'ensuivit sous la douche une conversation détaillée sur ce qu'Aaron avait fait avec Cléo. Kilian avait besoin d'entendre l'entière vérité.

De retour dans leur chambre, le blondinet s'exclama :

« Mais du coup, t'as pas bouffé ? Attends ! J'vais te chercher un truc ! Et ensuite, dodo ! »

Touché par le geste, le brunet attendit plus de cinq minutes avant de s'étonner du temps que mettait son petit ami à remonter avec un paquet de biscuit. Descendant à pas feutré en slip jusqu'à la cuisine, il le trouva à quatre pattes en pleine discussion avec son chien. Techniquement, il était même en train de l'engueuler.

« Franchement, Pata, t'as vraiment des idées de cons ! Encore pour Cléo, ok, t'avais raison ça a marché, mais pour l'inversion des rôles, j'aurais jamais dû t'écouter, c'était nul de chez nul ! »

En pleine hallucination devant cette scène ridicule, Aaron trahit sa présence par une question spontanée.

« Quoi ? Mais... mais qu'est-ce que tu parles avec ton clebs, comme si c'était lui qui... »

« Bah quoi ? », répondit Kilian en haussant les épaules. « Tous les génies du mal ont un acolyte super intelligent qui pense pour eux, c'est normal ! Le problème, c'est que le mien... il pense « ouaf », et c'est pas toujours super clair à comprendre. »

Après une crise de fou rire nerveuse qui réveilla François et une partie du voisinage, Aaron avala trois BN et tira son adorable et candide blondinet dans leur chambre avant de se plaquer à son dos, une main délicatement posée sur son ventre. Pour la première fois depuis le premier janvier, ils se sentaient parfaitement bien l'un dans les bras de l'autre. La fenêtre et les volets légèrement entrouverts laissaient filer un courant d'air frais dont ils avaient besoin pour ne pas suffoquer sous la chaleur dégagée par leurs deux corps nus protégés par un simple drap défait. Dans l'interstice, quelques étoiles brillaient. Pour s'aider à s'endormir, les deux adolescents discutèrent quelques instants à la lueur de la lune. Le blondin, surtout, avait encore d'ultime murmure à exprimer.

« On est un couple. On vit ensemble, on souffre ensemble. Tu m'as aidé comme un fou avec mon frère, moi je t'aiderai avec ta mère. Ceux qui veulent foutre la merde entre nous, on les dégagera de notre chemin et puis c'est tout... »

Puis ils parlèrent de tout et surtout de rien. Le roman d'Aaron fut évoqué entre deux bâillements. Le blondinet promit à son petit ami de lui écrire un poème « à la Kilian » qu'il pourrait mettre dans son prochain chapitre. Pris d'une inspiration soudaine, il lâcha même quelques vers entre humour et dépravation en ricanant naïvement à ses propres blagues, laissant son homme les noter sur un bout de papier. Alors que le réveil indiquait une heure particulièrement tardive, le sommeil sembla enfin les gagner. Recroquevillé comme un fœtus dans les bras protecteurs de son jeune brun, Kilian lui posa une toute dernière question.

« Tu m'aimes ? »

Après une longue respiration, Aaron lui déposa ses lèvres sur le bas du crâne. Un mot s'imposait naturellement plus que tous les autres. Il le prononça en fermant les yeux.

« Oui »

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