30. Punition !

« C'est une idée à la con, Kilian ! Et franchement, niveau idées à la con, j'en connais un rayon. Et je sais que celles d'Aaron sont toujours les pires ! Bon, maintenant, arrête de bouger et écarte les cuisses ! »

Profitant de la déprime de son modèle favori pour le pousser à faire n'importe quoi – c'était vil et cruel, mais l'art passait avant toutes autres considérations –, Gabriel s'était mis en tête de réaliser sa propre version du célèbre tableau de Courbet « L'origine du Monde », en plus kilianesque. La passion qu'il avait pour cette toile le poussait à imaginer sans cesse de nouvelles itérations. Cela le faisait rire. Plus que ce que son camarade venait de lui raconter, en tout cas. Arrivant pour poser, Kilian avait déballé en grand, en large et en travers sa discussion de la veille avec son homme et l'idée de punition que ce dernier avait eu. Il ne restait que quelques heures à l'adolescent avant d'accepter ou de refuser. Sa décision était presque prise.

« Nan mais t'as raison, c'est hors de question que je fasse un truc pareil. Faut arrêter les conneries à un moment, ça nous a assez fait de mal comme ça. Je parlerais à Aaron ce soir, on trouvera autre chose. »

C'est ainsi qu'en rentrant chez lui et poussant la porte de sa chambre, Kilian prit une grande inspiration et sortit les quelques mots qui s'imposaient :

« C'est d'accord ! »

Le « Eh merde ! Quel con » qui accompagna cette phrase, Aaron ne l'entendit jamais. La pauvre pensée était restée coincée dans le crâne du blondinet qui passa toute une partie de la nuit à se demander pourquoi il était aussi stupide. Peut-être que la discussion qu'ils avaient eue la veille au lycée l'avait conditionné pour cela.

Située au troisième étage, la salle 303 accueillait d'ordinaire assez peu de cours. Plutôt mal foutue et exiguë, les professeurs ne se battaient pas pour y enseigner et les étudiants préféraient trainer entre deux cours dans le foyer ou dans les classes libres du rez-de-chaussée. De fait, et malgré la sublime vue qui donnait sur la rue et un morceau d'espace vert au loin, la salle 303 étaient le plus souvent déserte. Les rares fois où elle se retrouvait occupée, c'était par des élèves qui voulaient s'assurer un minimum d'intimité pour s'échanger des mots doux, des regards, des baisers ou de l'herbe récréative à l'abri des regards indiscrets. C'était aussi le lieu que Kilian avait squatté en compagnie d'Aaron à quelques reprises lors du premier trimestre quand les toilettes étaient trop occupées ou à l'air trop vicié pour s'adonner aux leçons de flute qu'il adorait. Il fallait aussi avouer, à sa décharge, que son instrument de chair à la parure brune faisait un bruit plutôt mélodieux dès qu'il plongeait ses lèvres sur son embout rosé. Là, cela faisait plusieurs semaines que l'adolescent n'avait plus eu l'occasion de monter au troisième.

Après la fin des cours du mercredi, gravissant lentement les marches en direction du point de rendez-vous fixé par son petit ami par SMS, l'adolescent s'était demandé pourquoi ce dernier l'avait convié pour discuter en un tel lieu plutôt que chez lui, dans l'étroitesse de sa chambre. Sans doute le brunet avait-il une bonne raison de choisir cet endroit. Après tout, il fallait bien un terrain neutre pour déminer la situation tendue dans laquelle leur couple était plongé depuis déjà presque deux mois.

En entrant dans la salle 303, Kilian chercha Aaron du regard. Assis sur une des tables collées au mur, le garçon aux cheveux d'ébène regardait par la fenêtre les passants s'agiter sur les trottoirs gris. Il venait de pleuvoir. Les ultimes gouttes piégées dans les arbres se réunissaient au bout des feuilles avant de chuter et d'éclater sur le bitume, sans que personne y prête la moindre attention. Dans un murmure, et tapotant de la main sur ses cuisses, le brunet invita son camarade à le rejoindre. Immédiatement, le blondinet fut parcouru d'un intense frisson. Il réalisait que le lieu choisi n'avait pour seul but que de recréer une ambiance, celle des longues, nombreuses, douces, tendres et innocentes discussions qu'ils avaient pu avoir en troisième, à une époque où ils passaient le plus clair de leur temps à se fuir l'un l'autre ainsi que leurs sentiments respectifs. Cela ne faisait que deux ans, et pourtant, pour Kilian, une éternité était passée. Dans sa tête, un air de violon ou de piano résonna, comme si sa mémoire associait naturellement les souvenirs doux et innocents à des musiques qui l'étaient tout autant. Alors qu'il semblait s'être perdu en route dans ses pensées, Aaron lui fit un nouveau signe en souriant.

« Allez, viens ! Au collège, tu aimais bien poser ta tête sur mes genoux comme ça ! »

Comme attiré par une force supérieure, le lycéen obéit et s'allongea naturellement sur le flanc sur deux tables, sa joue délicatement installée sur le jean bleu-gris de son petit ami. Pendant que le jeune brun emmêlait ses doigts dans ses cheveux ondulés à la couleur des blés, l'adolescent aux yeux verts recroquevilla ses phalanges près du col de son pull rouge et blanc à capuche. Enfin, après plusieurs minutes de quiétude perturbées uniquement par les doux ronronnements du blondin, Aaron trouva le courage de lancer la conversation.

« Tu voulais qu'on parle du petit Benjamin ? »

Les lèvres contractées, Kilian répondit immédiatement.

« Comment t'as deviné pour les bleus ? Comment t'as su qu'on le frappait ? Pourquoi tu m'en as pas parlé ? »

Surpris par ces questions particulièrement franches, le brunet esquissa un nouveau sourire. Ce qu'il trouvait merveilleux avec ce garçon dont il était tombé fou amoureux un soir de juillet, c'était la finesse de son intelligence qu'il masquait sous une couche de blondeur, une tranche de candeur et une tartine de manque de confiance en ses capacités intellectuelles. Aaron avait glissé des tonnes de sous-entendus dans son roman. Si tout était exagéré, décalé et faussé par rapport à la réalité, restait dans chacun de ses mots l'expression de ses sentiments sincères. Tous n'étaient pas capables d'interpréter et comprendre ce qu'il exprimait vraiment derrière des termes choisis pour dire tout autre chose. Gabriel y arrivait souvent. Justin aussi. Martin légèrement moins. D'autres, quasiment jamais. Kilian, plus qu'il en avait conscience.

« ... Un pressentiment, né de tout ce que tu avais pu me raconter, et de son attitude les quelques fois où je l'ai croisé. Lors de ta dernière compétition. La dernière fois, j'ai voulu chahuter un peu avec lui, je lui ai fait mal rien qu'en l'effleurant. Il avait le même regard que Juju l'année dernière... celui d'un garçon blessé mais qui préfère garder pour lui toutes ces vilaines choses. C'est parce que je voulais te faire réfléchir que j'ai écrit une scène dure dans mon roman. Si je t'avais parlé directement, vu à quel point c'était tendu entre nous, tu ne m'aurais même pas écouté. Et j'arrivais même pas à te parler, de toutes manières... J'avais bien raison, alors ? »

Avalant difficilement la masse de salive qui avait imprégné sa gorge, Kilian serra ses poings et expira par le nez le peu d'air qu'il avait encore dans les poumons, ce qui provoqua un soubresaut dans sa poitrine auquel Aaron répondit par de nouvelle caresse dans le haut du dos. Ainsi, son brunet avait compris les souffrances de Benjamin en quelques instants là où lui, qui l'avait pourtant côtoyé pendant des heures et des heures, était resté parfaitement aveugle. Non, c'était pire. Il avait préféré ne pas voir. Pris de tremblements, le candide blondinet s'essuya les yeux et se mordilla l'index gauche avant de se lancer dans la fine analyse à laquelle il réfléchissait sans discontinuer depuis la dernière fois qu'il avait vu le collégien.

« Des hématomes sur tout le corps, des anciens, des récents... Quelqu'un le cogne. Plusieurs personnes, c'est une certitude, sans doute des types de son âge ou un peu plus grand. Pas des adultes... J'pense pas. Pas ses parents en tout cas, ils en seraient incapables. Ils s'inquiètent pour leur fils, c'est pour ça qu'ils m'ont demandé de l'aide, mais ce p'tit con leur dit rien et leur cache tout, jusqu'à ses avant-bras toujours recouverts de t-shirts à manches longues... C'est ma faute, Aaron... J'ai mis des mois avant de comprendre que ce n'était pas une crise d'adolescence en avance, et maintenant, j'me retrouve piégé comme un con. J'lui ai promis de ne rien dire à personne... J'suis qu'un débile, si je lui demande de me balancer qui lui a fait ça, il va refuser de me répondre et ça continuera. Si je préviens ses parents, j'perdrais sa confiance et ça sera encore pire. J'le connais, il préférerait mentir plutôt que de balancer le nom des enflures qui le prennent pour un punching-ball... J'suis nul Aaron, j'sais pas quoi faire... »

Après avoir lâché un soupir compatissant, le brunet caressa à nouveau la tête de son petit ami. Il ne connaissait malheureusement pas de solution miracle pour faire parler un garçon qui ne le voulait pas. Lui-même n'en avait pas trouvé à l'époque où Justin avait eu besoin de lui. Et il s'était détesté de la pire des façons.

« C'est pas ta faute, mais ça le sera si tu ne fais rien. Ou tu préviens ses vieux et tu acceptes qu'il te déteste, si c'est le prix à payer pour son bien-être, ou tu arrives à le faire avouer directement. Dans tous les cas, le lâche pas d'une semelle et essaye de le convaincre de se mettre à table, et si ça continue ou empire, réfléchis pas et va voir des adultes. »

À ces mots, Kilian acquiesça timidement. Sa résolution était de protéger Benjamin, dût-il trahir sa parole, tant qu'il faisait le maximum pour que son jeune protégé ne souffre pas plus par sa faute qu'à cause de ce qu'il endurait déjà. S'ensuivit un silence long d'une dizaine de minutes, fait de cajoleries et de murmures. Le lycéen le brisa pour aborder un tout autre sujet, toujours en rapport avec les écrits de son petit ami. Entre rires, amusement et profond malaise sur la fin, il aborda en rafales plusieurs thèmes plus ou moins liés.

« Au fait, Martin m'a dit tout à l'heure de te dire que Yun-ah voulait te tuer, qu'il était d'accord pour lui fournir l'arme et que ce n'était pas sa faute si je m'étais fait turluter par une folle. Et qu'être roux, c'est trop la classe et que tu n'es qu'un imbécile aigri. J'crois qu'il n'a pas aimé le tout dernier chapitre que t'as écrit et foutu sur ton blog... moi, j'ai trouvé ça drôle, pourtant... et pas loin de la réalité ! Faut vraiment qu'il se fasse greffer des couilles et qu'il couche avec Yunette, parce que là, il devient chiant avec ça... Limite il était jaloux que je me sois tapé Cléa... enfin tapé... »

Alors que son brunet écoutait sans un mot son discours en effleurant encore la même touffe de cheveux dorés, Kilian se redressa et partit dans une sincère crise de larmes. Il fallait qu'il extériorise.

« J'suis désolé Aaron ! Pour ça et pour tout le reste ! J'ai été injuste avec toi ! J'étais tellement en colère après tes mensonges que j'ai refusé de voir que tu souffrais. Même si je t'en veux et que j'ai des raisons de t'en vouloir, j'aurais pas dû être aussi sévère et te tourner le dos dans notre lit. J'suis qu'un hypocrite. Après l'accident de Cèd, j't'ai dit que je voulais qu'on avance ensemble, mais j'ai même pas respecté ça ! Et là, à la soirée chez Jérôme, avec Cléa, simplement parce que j'étais bourré, j'ai fait le truc le plus ignoble que j'aurais jamais pu te faire. Et le pire, c'est que j'ai même pas fait exprès ! J'suis pitoyable... Alors s'il te plait, pardonne-moi, mais punis-moi avant. Montre-moi que tu m'aimes toujours, que t'es mon mec et que tu refuses de me laisser faire des conneries sans réagir... Je ferais tout ce que tu veux, tout... Si t'as un fantasme inavouable, c'est le moment de demander, parce que je suis prêt à tout accepter pour me rattraper... »

Un peu surpris mais ému par cette déclaration, Aaron se frotta les yeux du plat de la main, ce qui lui permit de masquer ses larmes naissantes mais pas la teinte rouge de son visage en ébullition. Comme libéré d'un poids, il s'exprima à son tour avec cette sincérité qui lui avait manqué ces dernières semaines. Telle les gouttes de pluies sur la chaussée, sa peine née de sa culpabilité s'écrasa et éclata en un flot irrégulier sur le carrelage.

« T'es pas responsable ! C'est à elle que j'en veux ! Elle t'a fait faire des choses alors que tu n'étais ni conscient, ni consentant. T'étais pas dans ton état normal et elle en a profité... C'est elle que je punirai, je sais pas encore comment, mais cette salope va l'payer. Et toi, j'veux juste que tu restes en dehors de ça et qu'tu m'juges pas pour ce que je vais lui faire subir, c'est tout. Elle a touché à mon trésor le plus absolu, elle va le regretter... Pour le reste... c'est pas toi, Kili... C'est mon mensonge qui a tout foutu en l'air. Comme le dernier des abrutis, j'avais peur de te faire du mal, alors que j'aurai dû te parler dès que j'ai su pour maman... T'imagines pas à quel point j'm'en suis voulu et comme j'm'en veux encore. Mais j'étais trop fier pour te le dire et pour m'excuser proprement. J'ai bien mérité que tu me fasses la gueule, parce que tout est ma faute. Et j'veux pas te punir pour un crime dont t'es pas l'auteur, ni faire mon salaud parce que ça serait mon rôle. Je ne veux plus jamais que tu te dévalorises devant moi. Je refuse une relation dans laquelle on ne serait pas égaux... »

Touché par ces excuses qu'il avait tant attendues et qui enfin libéraient son cœur, Kilian porta sa main gauche à son visage. Ses ongles parfaitement taillés recouvrirent sa bouche à l'expression chancelante. Dans ses yeux, des larmes de joies se mélangèrent à d'autres de frustration. Il était hors de question que son brunet s'en sorte aussi bien sans lui donner la punition qu'il était persuadé de mériter !

« Mais on n'est pas égaux ! T'es super intelligent et moi, j'suis tout juste normal ! T'es super doué en tout et j'fais que des conneries. Les autres t'admirent et moi... j'suis dans les autres, et même le premier d'entre eux. T'es dominateur là où j'kiffe sentir le poids de ton corps sur moi ! Jusqu'à nos cheveux on est inégaux ! T'es brun et j'suis blond ! T'es... »

Affichant un sourire apaisé et humide, Aaron posa délicatement son index sur le museau du blondin pour l'empêcher de terminer sa phrase. Il avait bien trop envie de l'embrasser pour cela. Subissant de plein fouet le baiser doux, sucré, intense et profond de son petit ami, Kilian suffoqua et pleurnicha de plus belle. Si ça, ce n'était pas une preuve de tout ce qu'il disait... Et pourtant, Aaron semblait vraiment s'en moquer.

« T'as raison, on n'est pas égaux, les blonds sont mille fois plus classe que les bruns... t'en vaux mille, des comme moi... »

Pris au dépourvu devant une telle déclaration d'amour, Kilian chercha le premier argument qui lui passait par la tête, aussi mauvais pouvait-il être.

« Mais... dans ton roman... les bruns dominent clairement les blonds ! Enfin, j'ai pas besoin de te faire un dessin ! Le Kili'an est un bien meuble complètement soumis à l'Aar'on ! »

« Dans mon roman, l'Aar'on est un con... », murmura simplement l'auteur avant de saisir son amant par les poignets, de le coucher violemment sur les tables et de replonger sur ses lèvres colorées qu'il bouffa pendant plus de dix minutes sans discontinuer.

Le baiser dura jusqu'à ce qu'enfin Kilian ouvre grand les yeux, prenne conscience qu'il était en train de se faire avoir, se dégage et exige une nouvelle fois la punition qu'il pensait mériter et qui seyait le plus à sa personnalité ainsi qu'au rôle plutôt soumis qu'il adorait jouer. Forcément, lorsque le brunet, toujours attaché à son principe d'égalité, lui proposa d'inverser les rôles au lit, l'adolescent aux yeux verts se mit à rougir et exclut d'office cette éventualité. C'était une punition, qu'il voulait, une vraie, une qui ferait tripper son mec. Or, Aaron n'était pas vraiment connu pour son désir prononcé de tenter la chose. Lui-même, en tant que blondi-niais, se sentait bien incapable de le dominer au pieu. Et non, ce qui avait pu se passer en seconde avec une certaine fille pendant leur longue séparation n'était en rien une preuve du contraire. Pour cause : Aaron ne ressemblait pas vraiment à une fille.

« T'es mon mec, alors comporte-toi comme un mec un peu ! C'est quoi tes désirs inavouables ? »

À bout de nerf devant l'entêtement de son petit ami, le lycéen aux cheveux corbeau finit par craquer et par lui sortir la pire idée qui ne lui était jamais passée par la tête, en espérant qu'elle l'effraie suffisamment qu'il abandonne sa requête.

« Quand j'étais en Suisse, ça m'est arrivé de me toucher le soir en pensant te vendre à un mec et regarder par le trou de la serrure ! Voilà, t'es content ? C'est stupide comme fantasme, j'sais même pas pourquoi j'ai pensé à un truc pareil, mais sur le moment, je trouvais ça érotique, et ça me permettait de me venger intérieurement de toi quand tu sortais avec Alia en me disant que, si tu étais prêt à te prostituer pour moi, c'est que tu m'aimais plus qu'elle ! »

Blafard après cette discussion, Kilian avait quitté la salle du troisième étage pour rejoindre précipitamment son cours d'escrime. Il était en retard.

Ainsi, l'adolescent avait passé son mercredi après-midi et son jeudi à penser à cette angoissante proposition, avant d'en parler à Gabriel, de se laisser convaincre qu'il était hors de question de s'y plier et de finalement donner son accord à Aaron. Si c'était une preuve d'amour, alors bon... il était quand même très amoureux.

Les deux jours suivants, la boule au ventre, Kilian se demanda pourquoi il avait été assez stupide pour accepter. Plus les heures passaient, plus l'angoisse montait. Pourtant, moins il avait envie de réaliser le fantasme de son petit ami, plus sa détermination à le faire augmentait. C'était sa punition, il préférait en être fier, même si, comme il l'avoua à Patapouf le samedi après-midi alors qu'Aaron était sorti se promener à la recherche du « client », c'était vraiment une grosse idée de con. Malheureusement, son chien ne trouva rien de mieux à lui répondre que « ouaf » en remuant la queue et en tournant autour de sa balle pour qu'on la lui lance, ce qui était loin d'être réconfortant. Le pire moment de l'existence du blondin fut sans doute quand son téléphone vibra sur la table – le faisant sursauter d'angoisse – et quand s'afficha une demi-seconde plus tard le SMS d'Aaron, à même de le faire tomber suffisamment fort dans les pommes pour ouvrir un commerce de tartes.

« Tout est arrangé. J'ai le client. Un type cool et safe qui paye bien. On a planifié ça à demain pour que tu n'aies pas trop le temps de te remuer le cerveau. »

Cette nuit-là, Kilian se força à dormir, même si son mal de ventre et ses intenses nausées le réveillèrent plusieurs fois. Alors que les moineaux commençaient à chanter dehors et après avoir vomi pour la deuxième fois au-dessus des cabinets et essuyé nerveusement sa bouche du dos de la main, il confirma en grinçant des dents que cette volonté d'être puni était vraiment la plus stupide de toute son existence. Ce que personne, et certainement pas Aaron qui roupillait comme un loir, ne put entendre.

Le dimanche midi, Kilian mangea très peu, puis passa un long moment dans la salle de bain à réfléchir. Finalement, il n'était plus tant persuadé que ça de vouloir être puni... Pourtant, son honneur le poussait à se préparer, tel qu'il en avait l'habitude. C'était le fantasme de son mec, il se devait de le réaliser, ce n'était jamais qu'un mauvais moment à passer. Et puis, après tout, Aaron avait dû chercher un client tout à fait correct. Peut-être même qu'en fin de compte, la chose pouvait se révéler agréable ! Sur le chemin, en direction de l'endroit où il était censé être vendu, Kilian essaya de s'imaginer l'identité de son partenaire du jour. Jérôme ? Ça aurait été le pied, mais son délégué, aussi beau gosse pouvait-il être, semblait tenir à son hétérosexualité. Gabriel ? Sans doute le meilleur choix possible ! Pour un aussi bon coup que l'artiste, Kilian était largement prêt à écarter les cuisses, et même plus encore. C'était le client parfait, à condition qu'Aaron arrive à le convaincre. Peu crédible, mais pas impossible. Gaby avait beau grogner, il se laissait souvent influencer par le brun. Sinon, il y avait Koa, même si le blondin avait du mal à imaginer ce grand timide objectivement passif prendre les devants. Martin ? Ça, ça aurait été marrant, mais peu probable. Enfin, toujours plus que Cléo ! Aaron ne serait jamais tombé aussi bas ! Enfin, cela pouvait être n'importe quel mec du lycée où même d'ailleurs, que Kilian le connaisse ou pas. La curiosité de savoir par quel genre de pervers il allait être bouffé était peut-être ce qui lui permettait d'avancer un pied devant l'autre. Sans ça, il aurait été bien probable qu'il s'enfuit en courant dans la direction inverse ou qu'il se cache derrière un arbre. Des arbres, il y en avait d'ailleurs un certain nombre autour de lui.

« On va faire ça dans la cabane, on sera tranquille. J'suis passé allumer le poêle ce matin pour que tu n'aies pas froid. »

L'assurance et le calme du brun étaient sans doute ce qui impressionnait le plus le blondinet. Son petit ami le tirait joyeusement par la main – sans doute pour éviter qu'il s'échappe –, comme si de rien n'était. Pire, il esquissait un léger sourire en coin ! Pris d'un frisson, Kilian se fit la remarque qu'il était bel et bien foutu et qu'il n'avait plus qu'à accepter son sort, en espérant secrètement que le client soit Aaron lui-même et qu'il lui fasse sauvagement l'amour, chose qui n'était pas arrivée depuis deux mois. C'était complètement stupide, mais il avait bien le droit d'y croire, non ?

Arrivé à destination, l'adolescent enleva sa grosse doudoune rouge qui l'avait couvert pendant tout le trajet et s'assit sur le matelas en posant ses poings tremblotant sur ses genoux. Le regardant avec exaspération, Aaron lui ordonna d'enlever d'autres couches :

« À poil, s'il te plait ! »

« Comment ? »

« Mon client m'a payé cent soixante-dix euros hier. Cinquante pour une pipe, cent pour l'amour, dix pour que tu l'appelles maitre tout du long et dix pour un baiser. À ce prix-là, il s'est permit d'exiger que tu l'attendes à genoux à poil. Alors vire-moi vite tes fringues avant qu'il n'arrive ! Tiens, v'la une capote pour quand il te prendra. »

Apeuré mais obéissant, Kilian obtempéra immédiatement. Quand Aaron grondait de la sorte, il n'osait pas le contredire ! Après s'être débarrassé de son pull, de son t-shirt et de son bas de jogging, le blondinet se sépara avec difficulté de son boxer. Pour la première fois de sa vie, il ressentait une honte intense à se retrouver nu. Puis, prenant la position qui lui avait été intimée, il observa Aaron sortir pour accueillir le fameux client qui venait d'arriver. Enfin, il y était. Il avait peur. Il était terrorisé à l'idée de ce qui l'attendait. De ce qu'il devait faire. La totale, en plus ! Rien ne semblait pouvoir être pire que ce qu'il vivait ! Rien n'aurait pu ! Enfin, cela, c'était ce qu'il pensait encore une demi-seconde avant que la porte s'ouvre et qu'apparaisse l'homme qui avait acheté un instant de douceur en sa compagnie.

« Ah nan, là, plutôt crever... »

« Ah bah nan, attends que je te saute, quand-même ! Depuis le temps que j'attends ça ! »

Livide, Kilian avait reculé d'un mètre dès l'entrée de son partenaire désigné, un jeune adolescent de son âge plutôt bon chic bon genre aux cheveux châtain pas bien longs et à l'air prétentieux. Bigleux, il avait troqué ses lunettes pour des lentilles qui permettaient de lire toute l'envie qui se dégageait de ses yeux marrons. Sans même prêter attention à la proie qui l'attendait à quatre pattes en pleurnichant en anticipation de ce qui allait lui arriver, l'invité se mit à son aise en enlevant son manteau et son pull.

Si Kilian avait une envie folle d'appeler au secours Aaron qui devait être en train d'observer toute la scène par le trou de la serrure, il se retint. De toute manière, aucun son ne semblait pouvoir sortir de sa gorge. Se relevant, au bord des larmes, il fixa le monstre prêt à lui bondir dessus et murmura péniblement son prénom :

« A.. Adrien... Fais pas le con, s'il te plait... j'ai pas envie... »

« Je ne suis pas là pour te demander ton avis ! », rétorqua l'ancien camarade de classe du blondin. « Je suis là pour te punir ! Et ça me fait très plaisir... »

Tremblotant nu devant cet être habillé, Kilian se colla au mur, comme si rajouter quelques centimètres de distance entre lui et son destin pouvait encore le sauver. Ni laid ni beau, Adrien compensait allégrement sa normalité physique par une intelligence largement au-dessus de la moyenne, proche de celle d'un certain brun, d'ailleurs. Pendant tout le collège, il avait refréné une étrange pulsion, celle de voir le blondinet de la classe finir à ses pieds. Oh, il n'était pas homosexuel, en théorie. Ce qui l'excitait chez Kilian – et ce qui se voyait parfaitement à la déformation de son pantalon –, c'était l'idée de le soumettre corps et âme à sa personne. Mais après avoir fait vivre une année de troisième atroce à l'adolescent aux cheveux flavescents, il avait admis sa défaite et s'en était tout simplement allé, jusqu'à ce que Kilian le recroise par hasard lors de l'anniversaire des jumeaux, en novembre. Malgré l'enterrement de la hache de guerre, le pauvre lycéen n'avait jamais cessé d'avoir peur face à son tourmenteur.

Et là, il allait lui servir de jouet sexuel pour le plaisir d'Aaron, ce qui était de très loin la plus grosse saloperie qui pouvait lui arriver, justifiant largement les chaudes larmes qui coulaient jusqu'à son menton. Pourtant, dos contre le mur, il ne chercha pas à fuir plus encore. Fataliste, il laissa ses bras chuter le long de son corps et accepta son funeste destin. Il n'était qu'un simple morceau de viande. C'était sa punition.

S'approchant de la bête terrorisée, Adrien commença par délicatement lui caresser le visage avant d'essuyer le surplus de peine qui brulait ses petites joues irritées d'adolescent sorti trop tôt de l'enfance. Puis Kilian déglutit lourdement et hocha la tête pour indiquer qu'il autorisait – bien malgré lui – ce qui allait suivre. Immédiatement, le monstre fondit sur ses lèvres et introduisit sa langue dans sa bouche. Le pauvre lycéen suffoqua. Il ne ressentait qu'une profonde nausée au contact de cette muqueuse sans goût ni odeur qui prenait possession de son palais et l'empêchait de respirer. Pire, c'était tout son corps qui était sous le joug de son bourreau. D'une main, Adrien se saisit de ses poignets pour les maintenir au-dessus de sa tête. De l'autre, il lui caressa tour à tour le cou, le torse, le ventre, les flancs, les fesses et les cuisses avec une étrange et incompréhensible douceur, n'esquivant de ses doigts crochus que la zone la plus sensible de son corps. Puis il le relâcha et Kilian, que ses jambes ne portaient plus, s'écroula sur le sol en attente du reste de son supplice. Amorphe, il n'osait bouger. Il attendait. Et cela ne venait pas.

Étrangement, plutôt que de lui présenter l'instrument de sa virilité, Adrien s'accroupit pour se mettre à son niveau et lui glissa affectueusement les doigts dans ses cheveux blonds en lui adressant un sourire à la fois triste et sincère.

« Arrête de flipper, j'vais rien te faire. C'était une simple idée de ton mec pour te donner une leçon. J'lui ai juste filé dix euros pour le bisou ! Tu sais, il t'aime ce con. Et toi aussi tu devrais l'aimer... de toutes tes forces. J'te jure, t'as intérêt à le combler, parce que la prochaine fois que se représentera la possibilité de coucher avec toi, j'reculerai pas. »

Puis, après lui avoir lâché un dernier baiser sur le front, Adrien se releva, enfila son manteau et s'effaça exactement de la même manière qu'il était apparu. Quelques secondes plus tard, Aaron avait déjà rejoint son trésor et le serrait tendrement dans ses bras en l'embrassant nerveusement dans le cou. Encore sous le choc, Kilian pleura, gémit et hoqueta comme jamais. Intérieurement, il ne savait pas s'il devait être furieux d'avoir été peloté par cet enfoiré d'Adrien ou d'avoir été trompé par ce salaud d'Aaron qui, pour finir, ne l'avait pas du tout vendu et s'était bien foutu de sa gueule !

« Bon, maintenant que l'autre con est parti, on couche ensemble ? »

Devant cette proposition inique, Kilian s'emporta violemment ! Après une si humiliante duperie, son brunet pouvait bien aller se faire foutre, tiens !

« T'avais qu'à te payer toi-même, connard ! »

Ce refus, en réalité, tenait seulement à son état de fatigue et de stress qui le tétanisaient sur place, mais sa fierté l'empêchait de l'admettre. Hilare après avoir compris le ridicule de la situation aux gesticulations de son petit ami, Aaron l'enlaça avec encore plus de tendresse.

« Okay, okay, on attendra encore un peu avant de faire notre retour triomphal sur le terrain ! Enfin, tu voulais être puni, tu l'as été, non ? Du coup, maintenant que c'est fait, tu peux m'écouter ? Rebelle-toi, Kili, ne laisse-plus les autres t'écraser ou te renvoyer une image négative de toi. T'es un trésor sur patte ! N'attends pas qu'on te punisse pour des choses dons tu es la victime. Venge-toi ! »

Reprenant difficilement son souffle après toutes ces émotions, Kilian murmura son ultime réponse avant de s'assoupir dans les bras de son amoureux.

« Ça oui, j'me vengerai ! J'te le promets, tu regretteras de m'avoir mal puni ! »

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