28. Ce que Kilian ferait pour un mars...
« Soirée chez moi le dernier samedi des vacances de février. Je préviens en avance, comme ça, vous pourrez vous organiser ! Ne le répétez pas à vos parents, mais il y aura de l'alcool, et pas du mauvais ! »
En tant que délégué, Jérôme multipliait les qualités. Non seulement il était bon camarade et très beau gosse, mais en plus, il se souciait des autres – au-delà même de sa classe – et de leur bien être en leur organisant des moments agréables. L'invitation lâchée ce lundi matin dans la cour s'adressait en effet aussi bien aux S qu'aux ES et L. Quand Kilian lui demanda pourquoi une telle générosité avec les épiciers et les bibliothécaires, pas foutus de dériver une équation comme il le fallait, Jérôme lui répondit en souriant que s'il voulait être sûr que le blondinet le plus populaire du lycée soit bien présent, il se sentait obligé d'inviter aussi ses potes Martin et Gabriel, et donc d'ouvrir ses portes à tous. Flatté par cette réponse, le concerné se jeta à son cou pour lui placer une petite bise sur la joue et lui glisser une main sous le t-shirt, histoire de palper ses abdominaux magnifiquement dessinés. Après tout, depuis qu'il faisait la tronche à son petit ami – et la « trêve » du week-end passé portait bien son nom étant donné qu'il n'avait pas attendu cinq minutes après la reprise des cours pour relancer les hostilités –, il avait chatouillé plus de la moitié des garçons de sa classe. S'il se refusait tout contact avec Cléo – il n'était pas stupide au point de tenter le diable –, il ne pouvait pas passer à côté du corps presque parfait de son délégué, surtout s'il voulait faire bisquer Aaron qui le regardait de loin avec un air mauvais et jaloux. Chauffer Jérôme était certes une manière peu subtile de mêler l'utile et l'agréable, mais elle fonctionnait pleinement. À un détail près : la réaction gênée de l'objet de sa vengeance. Pas foutue de comprendre qu'il se faisait draguer pour de faux, il se recula d'un coup sec en agrippant le poignet du blondin aux doigts baladeurs.
« Euh, désolé Kilian, mais je suis cent pour cent hétéro... J't'aime beaucoup, hein, crois pas, mais ça va pas être possible... »
Là où la majorité de ses camarades s'étaient par sympathie – et certains par un intérêt qu'ils n'admettraient jamais – laissé tripoter le ventre et les hanches sans discuter, Jérôme venait de lui administrer en public un râteau monumental particulièrement humiliant. Le visage jaune – mélange du rouge de la honte et du vert de la déception –, Kilian tourna immédiatement les talons en le traitant d'imbécile fini et alla s'assoir sur les marches en compressant ses deux joues entre ses poings. Il était vexé, et comme à son habitude, il était bien déterminé à faire payer sa mauvaise humeur au lycée tout entier pendant quelques jours. Il était tellement énervé de s'être fait rembarrer comme une pucelle qu'il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait posé ses fesses juste à côté de Cléo. Ce dernier, qui n'avait pas manqué une seule goutte de la scène, en profita pour enlacer avec son bras droit le ronchon du jour par le cou et lui caressa la cuisse de la main gauche.
« Si tu veux tromper ton mec, on peut s'arranger tu sais ! À force de te voir chauffer tout le monde sauf moi, j'vais finir par être jaloux ou par croire que tu ne souhaites pas réellement avoir une aventure extra-conjugale... Et pourtant, c'est pas l'envie de te faire jouir qui me manque. Je suis sûr que quand la sève te monte, tu trembles de partout et tu rougis comme une fraise. Ça doit être génial à voir, surtout que moi, rien qu'avec mes doigts, je suis sûr de te déclencher un orgasme. En plus, t'es un bel hypocrite, t'as exigé que j'arrête de draguer tout le monde et derrière, tu fais pareil... J'ai bien mérité une petite compensation, non ? »
Accompagnant ces paroles de serpent de gestes particulièrement, Cléo affichait sa sincérité et détermination plus qu'il ne l'avait jamais fait depuis qu'il avait exigé et obtenu un baiser. Ce comportement exaspéra le blondinet qui ne trouva rien de mieux à faire que de lui crier dessus.
« Putain, mais vous vous êtes donné rendez-vous à un diner de con, toi et Jérôme ? Je fais semblant, SEMBLANT, pour emmerder Aaron, abruti ! C'est juste pour l'énerver, tout le monde a pigé même celui que je veux faire chier, sauf vous deux ! Je n'ai aucune envie de faire quoi que ce soit avec quiconque, j'ai la chance d'être en couple avec un connard que j'aime, j'suis pas débile au point de tout gâcher. Et vire ta main, elle me gêne là ! Mets-toi bien profondément dans le crâne que je ne ferais jamais rien de sexuel avec personne tant qu'Aaron vivra avec moi. C'est une question d'honneur, si je faute, je meurs. Je me suis fait cette promesse en fin de seconde. Ou je suis heureux avec lui, ou je ne le suis avec personne. Il m'a laissé la possibilité de voir ailleurs, j'ai vu. Même si des fois, ça se passe pas super bien entre nous, je l'ai choisi lui, et pour l'instant, je n'ai trouvé aucune raison valable de changer d'avis. Alors fous-moi la paix. »
Affichant un sourire non dissimulé sur les lèvres, Cléo déposa un léger smack sur la joue de son camarade puis se dirigea les mains dans les poches en direction de la salle de classe, lâchant simplement quelques murmures en direction de l'aigri du jour.
« Si tu tiens cette promesse, ça me va. Mais fais-moi plaisir, si tu décides de la rompre, pense à moi. Je supporterai assez mal que quelqu'un d'autre te croque à ma place... »
À quelques mètres de là, Aaron avait silencieusement observé la scène, captant quelques morceaux de phrases au milieu du brouhaha de la cour. Entre ce qu'il écrivait dans son roman – dont chaque nouveau chapitre circulait de mains en mains dès publication sur son blog – et les pitreries de Kilian envers les autres garçons, personne n'ignorait la situation particulière que vivait son couple. Enfin, même s'ils ne se parlaient plus que pour échanger des banalités et n'avaient plus été intimes l'un avec l'autre depuis le début du mois, le brunet avait foi dans les sentiments de son petit ami. Les choses ne pouvaient que s'améliorer petit à petit jusqu'à redevenir ce qu'elles étaient et devaient être.
En attendant, il ne restait que deux semaines de cours avant les vacances. La première, Aaron avait promis à Kilian de la passer au chevet de sa mère avant de rentrer pour le quatorze février, un dimanche, afin de passer le reste des congés à Lyon jusqu'à la soirée organisée par Jérôme. Cette année, pas de sport d'hiver ni de voyage. La situation était telle que ni lui, ni son blondin n'avaient particulièrement envie de faire les fous dans la neige, et personne n'était vraiment disponible pour les accompagner. Ce n'était que partie remise pour l'année suivante. En tout cas, c'était ce en quoi il voulait croire.
« Il va te tromper. Ça se voit qu'il est malheureux par ta faute. Et tu sais que j'ai raison en plus, que votre amour, que l'amitié dans votre groupe, c'est du flan. »
« Ta gueule Cléa... », rétorqua le brun sans même se retourner vers la voix qui l'avait interrompu dans ses pensées. « T'es chiante à faire ta jalouse. Ce n'est pas ma faute si tu n'as pas de talent ou si tu es une droguée notoire sans ami, mais je te saurais gré de rester en dehors de ma vie de couple et de dire à ton frangin d'arrêter de faire du rentre-dedans à mon mec. Je sais que tu veux me prouver que mon ange peut être infidèle pour bien me saper le moral, ce qui serait une maigre consolation à ta vie minable, mais ce n'est pas en lui envoyant Cléo dans les pattes que ça va fonctionner.»
Méchamment mouchée, l'adolescente ne se laissa pas pour autant impressionner. Affichant d'un grand sourire ses dents écartées, elle répondit aussitôt avec l'agressivité qui la caractérisait en mimant un geste de cigarette.
« Moi, pas d'amis ? Elle doit être bonne la beuh que tu fumes pour sortir des conneries pareilles ! C'est moi qui apporte l'alcool à la soirée de Jérôme. C'est même moi qui l'ai convaincu d'inviter les potes de ton blondinet, t'as vu, j'suis sympa, comme ça, quand il sera à genoux en train de sucer mon frère, tout le monde pourra constater que j'ai raison. Ton mec est une pute et je l'aurais prouvé avant la fin de l'année. J'ai hâte de voir ce que ça va vous inspirer à toi et à Gabriel, vu qu'il est votre came et que vous n'êtes pas foutu de créer sans lui. »
« Nous, au moins, on crée. », répondit sèchement le brunet sans faire attention à la provocation. « Toi, tu détruis tout ce que tu touches. Tu es obsédée par notre groupe par jalousie du talent de Gabriel. Mais même si Kilian posait à poil pour toi, tu dessinerais de la merde. Même si tu couchais avec, tu ne pourrais jamais comprendre... »
« J'suis lesbienne, connard... », rétorqua l'adolescente dans un mouvement d'humeur, associant à la crispation de son visage un geste particulièrement vulgaire du majeur.
Cette perte de contrôle, le brunet l'exploita immédiatement, comme il savait si bien le faire dès qu'il était question d'écraser ses adversaires :
« C'est surtout que tu es vierge avec les hommes ! T'es sortie avec Manon parce que tu préférais brouter son gazon plutôt que d'affronter les mecs et leur entrejambe. C'est sûr que c'est plus simple de se péter la gueule à l'herbe sauvage que d'assumer ses désirs. Tu crois quoi, que t'es la seule à avoir des dossiers sur les autres ? Ce qui est bien, depuis que Kilian me fait la tronche, c'est que je peux me mettre à côté de qui je veux en cours, ça permet de discuter un peu, d'en apprendre plus sur les autres... »
Ses nerfs, le brunet ne les passa pas uniquement sur Cléa. Tout le long des deux semaines de cours précédant les vacances, alors que Kilian s'efforçait de fuir leur chambre pour s'entrainer, jouer avec Martin, poser pour Gabriel ou aider Benjamin dans ses devoirs, il redoubla d'efforts et de malice dans la lutte qui l'opposait à son professeur de Français. Ce dernier, outré par les propos vulgaires et à connotation sexuelle qu'Aaron tenait dans son roman, essaya de faire interdire le dit ouvrage en construction et de faire fermer le blog de son élève, sans la moindre réussite faute de soutien de la part du corps professoral dans sa cabale.
Auréolé de cette petite victoire, Aaron fit un brillant exposé sur la censure et la liberté d'expression, applaudit par toute la classe jusqu'à son blondinet prêt à défendre bec et ongle le droit incompressible de son imbécile de petit ami à l'humilier de manière littéraire tant que l'histoire le faisait rire. En représailles, Dugérond imposa à cette bande d'insoumis l'étude de certains textes volontairement assommants. Sans grand succès. Rentrant dans le jeu de son adversaire, le jeune brun l'acheva en adoptant l'attitude la plus insupportable qu'un élève détesté pouvait prendre en cours : être le plus studieux, impliqué et hypocrite possible, allant jusqu'à se proposer de faire l'éloge des mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. Par contre, il ne promettait pas de les lire, il ne fallait pas déconner non plus.
Enfin, les vacances commencèrent. La première semaine, Aaron se rendit en Suisse comme prévu, abreuvant son petit ami de SMS auxquels il ne reçut presque aucune réponse. De son côté, Kilian profita pleinement de sa solitude. Depuis son ordinateur, il donnait des conseils à Benjamin, parti au ski, sur ses devoirs. Il passait également ses fraîches matinées à promener les chiens. Mais surtout, cette semaine était l'occasion de rendre visite à son frère. Cédric semblait aller mieux. Il tenait des propos cohérents, une grande partie de sa mémoire lui était revenue et il se permettait même quelques blagues. Physiquement par contre, son dos était toujours bloqué et il était incapable de se tenir debout ou assis, malgré les longues et pénibles séances de rééducation. Malgré l'avis plutôt négatif des médecins qui craignaient que le jeune homme passe le reste de sa vie dans un fauteuil, Kilian voulait absolument croire au fait qu'il puisse un jour remarcher. Pour cela, il était presque prêt à l'accompagner à Lourdes, même si, à force de récolter les malheurs en nombre comme un jardinier du désespoir, lui-même ne croyait plus en rien depuis longtemps. Enfin, un miracle était toujours possible, et il l'attendait fermement. Le soir, après être passé chez Martin jouer aux jeux vidéo ou au ping-pong dans le garage, l'adolescent rentrait simplement chez lui et se laissait tomber sur son lit froid et vide, dans lequel il pleurait sans même savoir pourquoi.
Au moins, cette longue et insupportable semaine lui fut profitable sur un point. Il put réfléchir sans personne pour l'influencer. Après un mois et demi de bouderie et d'abstinence sexuelle, il redécouvrit les joies de l'onanisme. Il ne s'était plus prêté à cette pratique ancestrale depuis le mois de juillet dernier, mais ses draps purent témoigner qu'il n'avait pas perdu la main. Pourtant, l'orgasme, il n'en faisait pas tout un foin. À force de câlins, il avait découvert qu'il préférait de loin s'en approcher plutôt que de l'atteindre. Il refusait même qu'Aaron, une fois sa propre affaire close, lui en donne un manuellement pour le principe. La rareté faisait tout. S'il devait jouir, c'était uniquement pendant l'acte, en sentant le poids de son amoureux s'écraser sur son corps et faire vibrer son ventre. L'amour en lui-même le comblait presque à tous les coups. La jouissance se répandant sur son ventre ou sur son matelas était le bonus qui venait sacraliser ses meilleurs souvenirs. Alors que son homme, lui, il fallait le traire à chaque fois comme une vache ! Pour le blondin, nulle récompense n'était plus savoureuse que celle qui s'échappait de l'entrejambe de son amoureux et qui finissait sa course tantôt sur ses lèvres, tantôt ailleurs, mais toujours là où il fallait.
Aaron lui manquait.
C'était fou à quel point cette simple réalité pouvait lui bruler la poitrine. Il lui suffisait de quelques jours sans la présence de son brunet pour prendre conscience que, malgré les fâcheries, ce dernier était et restait tout pour lui, jusqu'à dans ses rêves et fantasmes qui voyaient sa main se crisper et écraser l'affirmation de sa masculinité. Aaron lui manquait, il l'aimait et il avait une folle envie de lui pardonner, même si cela lui restait compliqué. Bien sûr, le lycéen aux cheveux noirs avait multiplié les efforts. Oui, en prenant une semaine de vacances en Suisse au chevet de sa génitrice et en abreuvant de nouvelles son bien-aimé, il avait tenu sa parole, celle de veiller sur les siens et d'éloigner le mensonge de leur couple. Kilian était bien obligé de l'admettre. Même s'il ne voulait rien lâcher tant que tout ne serait pas pardonné, il ressentait le besoin, lui aussi, de faire un pas en avant. Au moins, il était important que leurs retrouvailles après une semaine de séparation se passent bien, d'autant plus qu'elles tombaient le dimanche de la Saint Valentin.
Toute la journée, le blondinet s'efforça de préparer la soirée la plus romantique possible. Dès l'aurore, il invita son père à s'offrir un bon petit restaurant pour lui laisser la maison. Il ne voulait personne dans ses pattes. Le matin, il parcourut le marché à la recherche des meilleurs produits, sans compter à la dépense. L'après-midi, il dressa la table et décora le salon. Découpant des cœurs et des anges dans du papier crépon, il se fit la réflexion qu'il aurait été plus avisé de demander un coup de main à Gabriel plutôt que de tout faire lui-même. Le résultat, au moins, aurait ressemblé à quelque chose. Heureusement qu'il pouvait compter sur quelques bougies et lampes pour s'assurer un éclairage tamisé, et que la plus belle nappe de la maison, celle qui ne sortait d'habitude que pour les fêtes, était propre et repassée.
Sur les coups des dix-sept heures, le jeune lycéen se mit aux fourneaux. Aaron arrivait normalement à vingt heures, déposé par un oncle. Cela laissait à Kilian plus de temps qu'il n'en fallait pour réaliser des miracles. Quand François ne le pouvait pas, c'était le brun qui préparait le plus souvent le repas – Aaron savait et aimer cuisiner et disposait de plus de temps libre que son escrimeur de petit ami. Pourtant, Kilian n'en restait pas moins tout aussi doué de ses mains. Enfant, il réalisait des gâteaux avec son frère. Collégien, il s'était essayé aux entrées et aux plats salés. À chaque fois qu'une grande occasion pointait le bout de son nez, il aimait rejoindre la cuisine pour faire plaisir à ses proches. À Aaron le quotidien, à lui les repas de gala. C'était une séparation des tâches qui lui convenait bien. Là, suivant à la lettre les meilleures recettes qu'il avait trouvées sur internet, il n'avait qu'une seule idée en tête : combler les papilles de son petit ami avant de, peut-être, combler le reste.
L'entrée qu'il avait choisie était plutôt simple à préparer et faisait toujours un bel effet : une roulade de saumon fumé, fenouil et mascarpone. L'adolescent avait acheté le fromage la veille pour permettre à son appareil de prendre au frigo pendant la nuit. Le secret tenait principalement à l'usage du film plastique pour donner au poisson une forme de papillote. Cette technique, souvent utilisée à la télévision dans les concours culinaires, était d'une simplicité affolante. Même un blond pouvait s'en servir et réaliser des miracles, avec un peu d'entrainement. Placée dans l'assiette avec une petite vinaigrette maison et une petite salade, forcément, Aaron ne pouvait que craquer.
Le plat était plus compliqué. C'était la première fois que Kilian préparait des côtelettes d'agneau au porto et aux fruits rouges. Pour l'alcool, il savait qu'il y avait quelques bonnes bouteilles à la cave. Pour la panure, il avait encore en tête quelques conseils que lui avaient donnés sa tante Suzanne, chez qui il avait passé de longs week-ends dans son enfance et qui lui avait énormément appris. Sa sauce prête, il ne lui restait plus qu'à attendre l'arrivée de son amoureux pour faire roser les côtes.
Pour finir, ce qui lui prit le plus de temps fut le dessert. Voulant mettre les petits plats dans les grands, le blondinet s'était lancé dans un « verre des amoureux », histoire de rentabiliser les kilos de mascarpones qu'il avait achetés la veille. Pour réaliser cette sucrerie, il avait besoin de spéculos, de Nutella, de framboises fraiches et de chocolat en poudre. Le reste ne dépendait que de son talent et de ses sentiments. Se léchant la crème ayant fini sur ses doigts, Kilian se fit la réflexion qu'Aaron ne pourrait qu'aimer, sauf s'il avait une folle envie de dormir sur le canapé.
Enfin, sur les coups de dix-neuf heures trente, juste après la douche, le brunet sonna à la porte vêtu d'une chemise grise et d'un pantalon sombre, plutôt élégant. Tirant son sac de la main gauche, il cachait un bouquet dans son dos de la droite. Réalisant que ces fleurs étaient pour lui, Kilian rougit et se cacha la bouche derrière ses deux poings serrés. La scène était en tous points ridicule, mais touchante. En tant que garçon, le lycéen ne s'attendait pas du tout à recevoir ce type de présent dont les femmes raffolaient. Masquant son air gêné du mieux qu'il put, il se saisit des tiges piquantes et se mit à respirer en pleine narine le doux parfum émanant des pétales. Le bouquet sentait bon. Il était magnifique.
« Ce sont des roses Osiria. Blanches comme notre futur, qu'on doit écrire tous les deux ensemble, et rouges comme mes sentiments, ardents, profonds et sincères ! Et me juge pas, j'avais envie de t'offrir des fleurs. Même si c'est nul, j'assume. Et j'avais pas d'autres idées ! »
Constatant que son brunet semblait aussi embarrassé que lui par cette étrange situation, Kilian pouffa et l'invita à entrer se mettre à table. Après avoir mis les fleurs dans un vase rempli d'eau, il servit silencieusement l'entrée qu'Aaron trouva délicieuse, tout comme le plat et le dessert. Littéralement sur les fesses, le jeune brun avait laissé défiler les plats « de malade » que son amant lui avait servis. Pour la première fois depuis janvier, sans un mot, ils avaient chacun trouvé le moyen d'exprimer leurs sentiments.
Particulièrement silencieuse, la soirée se termina par un petit cognac accompagné d'un chaste câlin dans le canapé où le blondin, épuisé par sa journée, s'écroula de sommeil sur l'épaule de son petit ami. Quelques instants plus tard, Aaron le porta difficilement jusqu'à leur lit. Après l'avoir déshabillé, et sans que Kilian n'oppose la moindre résistance, il l'allongea sur le sommier, lui déposa un tendre bisou sur la joue et laissa ses doigts glisser dans ses cheveux jusqu'à tard dans la nuit, profitant alors d'un faible éclat de lune à travers les rideaux pour discrètement l'embrasser. Pour l'un comme pour l'autre, c'était tout ce qu'ils pouvaient se permettre. Il était encore trop tôt pour que leurs corps se pardonnent.
La semaine qui suivit, Aaron écrivit et retravailla des passages de son roman en hurlant contre son ordinateur. Kilian, lui, vaqua à diverses occupations. Ensemble, ils ne firent qu'un cinéma et une promenade, mais s'affichèrent tout de même en couple au moment de sortir au centre commercial avec Martin et Yun-ah. Rarement mois de février ne leur avait semblé aussi triste. Malgré tous leurs efforts, quelque chose restait bloqué. Une mauvaise nouvelle en provenance de Suisse plongea Aaron dans une profonde déprime. La dernière chimio subit par sa mère n'avait pas été très efficace. Il fallait augmenter la dureté des traitements. Devant sa mine défaite, Kilian se retrouva impuissant. Même s'il multiplia les attentions mignonnes et avoua au creux de l'oreille de son amoureux qu'il était d'accord pour lui faire quelques plaisirs avec la langue pour l'aider à aller mieux, malgré la punition, le brunet n'en profita pas. Il refusait que Kilian se traine à genoux devant lui sans en avoir réellement et profondément envie. Ce refus absurde, le blondinet ne le comprit pas. Il provoqua sa colère et même quelques larmes. Ainsi, ce furent encore fâchés que les deux adolescents sonnèrent à la porte de Jérôme pour profiter de leur dernière soirée de libre avant la reprise des cours.
Très vite, Kilian se servit quelques cocktails. Son délégué n'avait pas menti, l'alcool était présent en quantité généreuse et la qualité était elle aussi au rendez-vous. Star autoproclamée du dancing floor, le blondin se trémoussa dans tous les sens pour afficher son nouveau t-shirt moulant qu'il avait commandé sur mesure sur internet. D'une magnifique couleur vert pomme, il était marqué d'un message particulièrement subjectif à destination de son brunet et de tous les autres garçons qui fantasmaient en secret sur lui : « Je suce pour un Mars... ». Le plus drôle et osé restait cependant la fin du message écrite dans son dos : « ... alors devinez ce que je peux faire pour un Kinder Bueno !* ». Ce soir-là, nombreuses furent les filles – mais aussi quelques mecs – à vouloir lui bourrer le bec de confiseries, simplement pour voir s'il était capable de tenir parole. En y ajoutant les nombreux verres d'alcool qu'il s'envoya dans le gosier, il se sentit assez rapidement mal, suffisamment pour demander à Jérôme s'il pouvait s'allonger dans un endroit calme. Lui ouvrant la porte de sa chambre, son délégué l'aida à s'allonger sur son lit, puis lui demanda naïvement s'il allait tenir parole et gâter tous les invités qui lui avaient tendu une barre chocolatée, provoquant son hilarité.
« T'as pas vu l'astérisque ? C'est une offre promotionnelle réservée aux garçons qui s'appellent Aaron. T'as vu, c'est marqué là en tout petit ! Oh putain, j'ai mal au crâne, j'vais vomir. »
De son côté, le brunet passa une grande partie de la soirée avec Gabriel à surveiller Cléo. Avec un Kilian « joyeux » dans les parages il était sage de tenir à distance tout ce qui pouvait ressembler à une tentation. Ce n'étaient pas qu'ils prenaient au sérieux les délires de Cléa – c'était même plutôt le contraire –, mais il préférait s'assurer que leur camarade ne soit pas tenté de foutre le bordel ni que la soirée, fortement alcoolisée, se termine mal. Pourtant, Cléo semblait avoir bien d'autres préoccupations que de draguer du blondinet comme il leur expliqua avec énervement entre deux chansons.
« Arrêtez de me pister les deux, là, c'est lourd. J'ai Manon qui chiale sur les bras, elle s'est gravement disputée avec ma sœur cette après-midi, toujours pour les mêmes histoires. Et arrêtez d'imaginer que j'agis sur commande. Depuis la rentrée, on est en froid elle et moi. Si un jour j'me tape ton mec, Aaron, ça sera uniquement parce qu'il le voulait, et pas pour donner raison à ma frangine qui se lève tous les jours à quatorze heures et qui est défoncé à quinze. D'ailleurs, je ne sais même pas où elle est ! »
La mise au point, franche et sincère, fut accueillie plutôt positivement par le brunet. Son sixième verre de vodka-orange à la main, il n'était de toute manière plus en état de rouspéter ou d'argumenter. La dernière discussion qu'il avait eue au téléphone avec son père lui avait bien assez sapé le moral pour qu'il s'en prenne à Cléo. Là où d'autres avaient l'alcool joyeux, lui l'avait particulièrement triste, surtout quand il pensait à sa mère ou à Kilian.
« Pourquoi il est aussi chou alors que je ne suis qu'un gros con ? Pourquoi, bordel ? »
À cette question existentielle, Gabriel eut bien du mal à répondre. Après plusieurs secondes d'intense réflexion, le châtain haussa simplement les épaules et murmura qu'il était ici question de Kilian. C'était dû à son côté un peu neuneu quand il était amoureux, la logique ne s'appliquait plus vraiment dès qu'il entrait dans l'équation. L'hypothèse, certes crédible, ne satisfit pas vraiment le brun. Le mieux, c'était peut-être de demander directement au principal concerné. Oui, seul Kilian avait les clés de cette énigme. Où était-il passé, d'ailleurs ? Cela faisait bien une demi-heure qu'il avait disparu de la piste de danse. Pris d'une angoisse soudaine, Aaron sortit son téléphone et pianota à toute vitesse le numéro de son petit ami.
Allongé sur le lit de Jérôme, Kilian avait la bouche pâteuse et l'esprit englué. Plus aucun de ses muscles ne répondait. Il le savait, pourtant, qu'il ne tenait pas l'alcool, mais à chaque fois qu'il était contrarié et que l'ambiance était un peu festive, il se lâchait, comme si se faire du mal était le meilleur moyen d'en faire aussi à Aaron. Stupide brunet qui ne voulait même pas se faire sucer ! Mais Kilian n'y pouvait rien si se mettre minable était sa manière à lui d'extérioriser sa culpabilité... Celle d'avoir été méchant avec son Aaron adoré pendant tout le mois de janvier là où ce dernier avait au contraire besoin de lui et de sa douceur. Ah ça, pour sûr, ça lui donnait envie de chialer. Heureusement qu'il contractait fortement ses paupières, sans quoi son visage s'en serait retrouvé inondé. Et qu'est-ce qu'il avait mal au crâne ! Et chaud entre ses cuisses ! C'était étonnant, ça, d'ailleurs. Les yeux fermés, il ne pouvait pas voir qui avait baissé son caleçon et gobé sa tige. C'était agréable, d'ailleurs, cette sensation. Depuis qu'Aaron la lui avait fait découvrir en troisième, il l'avait toujours adorée, ne la délaissant que pour d'autres qu'il préférait plus encore. Très vite, la baguette qui devait pointer vers le ciel obéit aux lois de la nature, provoquant un ricanement ravi de la part du sorcier qui la manipulait. Kilian avait chaud. Monstrueusement chaud. Ce rire, il le connaissait. Et pourtant, il n'arrivait pas à y mettre un nom. Tout se mélangeait dans son esprit. Rêvait-il ? Oui, forcément ! C'était son imagination qui lui jouait des tours. Sinon, pourquoi aurait-il senti une sorte de latex froid recouvrir son intimité ? Pourquoi, allongé sur le lit, aurait-il sentit quelqu'un le chevaucher, caresser ses pectoraux et son visage ? Pourquoi des cuisses fermes, extrêmement serrées et humides se seraient-elles emparées de sa virilité ? Pourquoi aurait-il eu cette si désagréable impression de faire l'amour alors qu'il n'en avait aucunement envie ? Pourquoi donc les palpitations de son corps auraient-elles permis à son lait de s'échapper en trois gémissements sans son autorisation ? Cela ne pouvait être qu'un rêve. Un rêve qui se transforma en cauchemar au moment où la sonnerie de son portable le sortit de sa léthargie et lui fit ouvrir les yeux.
D'un regard absent et sadique à la fois, le monstre qui se tenait toujours au-dessus de lui le dévisagea en effleurant son jeune torse délicatement musclé. Pris d'un éclat de rire, il se retira, arracha le morceau de latex accroché au bout du pauvre adolescent puis le jeta de manière provocante avec toutes ses souillures sur son ventre.
« Tiens, tu diras à ton mec que je ne suis plus vierge avec les hommes ! »
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