2. Douce immaturité lycéenne

Six heures du matin... En évitant de trop bouger dans ce lit bien petit pour deux personnes, Aaron regardait les minutes s'écouler tout doucement sur l'horloge de son téléphone. Réveillé depuis déjà un certain moment, il ne voulait surtout pas précipiter la fin de la nuit de l'angelot aux cheveux dorés qui se reposait à ses côtés, même s'il ne pouvait s'empêcher de laisser glisser ses doigts sur son ventre plat.

Cela faisait trois mois qu'ils vivaient et dormaient ensemble toutes les nuits, leurs deux corps dénudés collés l'un à l'autre. Parfois, quand il peinait à trouver le sommeil ou quand il se réveillait en pleine nuit, le blondinet se montrait coquin et frottait son nez sur le visage de son camarade. C'était sa manière à lui d'indiquer qu'il était prêt à ouvrir son cœur et à écarter le reste. Kilian était un jeune adolescent qui savait aussi bien se montrer timide que lubrique, selon ses désirs du moment. De son côté, son petit ami n'hésitait jamais à prendre les choses en main pour lui faire plaisir. L'un vibrait au rythme de l'autre, et inversement.

Six heures dix... dans la pénombre, Aaron ne pouvait qu'admirer le visage fin et parfaitement imberbe qui soupirait à ses côtés. Tel un enfant, Kilian était magnifique quand il dormait. En ce premier jour de septembre, la chaleur d'une fin d'été mêlée à celle produite par deux jeunes corps en ébullition hormonale avait rapidement poussé le drap sur le sol. Les premières lueurs du jour qui s'engouffraient à travers les lattes du volet permettaient au jeune brun d'admirer le garçon dont il était tombé amoureux plus de deux ans auparavant. Ces cheveux d'or qui lui tombaient en de fines bouclettes sur le front et la nuque ; ces pommettes roses ; ce nez rond sur lequel il suffisait d'appuyer pour que sorte du lait ; ces lèvres rouges et généreuses ; ce cou autour duquel était serré un collier tressé lourd de sens ; ce torse parfait duquel semblaient poindre deux jeunes tétons frétillants ; ces pectoraux à peine apparents et pourtant si agréables au toucher ; ces bras légèrement longs terminés par des mains et des doigts d'une douceur incommensurable ; ces cuisses fraiches, blanches et luisantes qui semblaient crier de les embrasser... de la tête au pied, Kilian était une merveille sans pareil. La seule chose qui manquait à Aaron pour que le tableau de son bonheur soit parfait aurait été de pouvoir se mirer un instant dans les magnifiques yeux vert émeraude de son camarade, malheureusement cachés derrière des paupières encore closes.

Six heures quinze... Il ne leur restait plus qu'un quart d'heure de repos avant que le réveil ne ramène le jeune couple à la réalité. La rentrée des classes était là.

Les deux adolescents venaient chacun de fêter leur anniversaire avant les vacances et affichaient tout juste seize ans. En mai, entre autres cadeaux, Kilian avait reçu une tablette tactile et de nombreuses démonstrations d'amour. En juin, Aaron avait pu rentrer en France après un an d'exil forcé en Suisse – ce qui suffisait plus que tout à son bonheur – avec la satisfaction de pouvoir loger avec son chien Mistral chez son amoureux. François, le père de ce dernier, l'avait accepté sous son toit. Tout était ainsi réglé pour qu'ils intègrent ensemble la première S du lycée Voltaire. Et tout aurait pu être merveilleux dans leur vie si seulement un accident de voiture n'avait pas envoyé Cédric, l'aîné du blondin, dans un lit d'hôpital.

Après plus de deux mois de sommeil forcé, ce dernier s'était enfin réveillé, à la fin de la semaine passée. Les médecins étaient unanimes : la période pour complètement récupérer serait longue. En attendant, garder le lit semblait une nécessité. Pour Kilian, la joie de voir son frère ouvrir les yeux avait vite laissé la place à une peine des plus profondes. Le voir abruti de médicaments était un crève-cœur.

Et pourtant, il fallait bien vivre. Accroché au bras de son petit ami, il avait survécu à un été bien moins désagréable qu'il ne l'avait craint de prime abord. Aux côtés de celui qui faisait battre son cœur, il était bien décidé de réussir son année de première, de gagner quelques compétitions d'escrime, de poser nu comme un nourrisson pour un de ses meilleurs amis artiste et de profiter de chaque instant. Après tout, ses malheurs familiaux étaient derrière lui. Même s'il était le fruit d'un adultère et si François n'était pas son réel géniteur, la justice avait écouté ses désirs lors du divorce de ses parents. L'adolescent pouvait ainsi rester chez l'homme qu'il considérait comme son père et ne serait pas confié à sa mère avec qui les relations avaient toujours été malheureusement compliquées et haineuses. Tout était bien qui finissait bien, et le nouveau chapitre qui s'ouvrait était placé sous le signe de l'espoir. En attendant, il dormait paisiblement en attendant que le réveil sonne. Il l'avait bien mérité.

Six heures vingt... à force de se rapprocher de son camarade, Aaron l'enlaçait à présent au niveau du flanc et, la main glissée entre ses doigts, il s'était même laissé aller à quelques baisers dans le cou, sur la joue et sur l'épaule. Les effluves de transpiration se mélangeaient aux relents du parfum goût pomme avec lequel les deux adolescents s'étaient mutuellement aspergés pour jouer avant de s'endormir. Le cocktail légèrement alcoolisé faisait frissonner les narines du brunet et lui rappelait tant de moments merveilleux. Rien n'était plus cher à ses yeux que la douce immaturité lycéenne qu'ils avaient adoré partager et qui se composait de câlins, d'embrassades, de jeux coquins, de longues discussions, de repas à deux, de débats, d'amusements et de douches communes qui commençaient toujours par un subtil rapprochement et qui ne finissaient que lorsque le brunet s'écroulait de fatigue et d'extase contre le mur. Malgré le froid du jet d'eau – température exigée par un amant aux goûts douteux– Aaron ne pouvait que succomber face aux caresses douces, exquises et gourmandes de son Kilian. Même s'il lui avait tout appris, son blondin s'était vite approprié les gestes les plus à même d'amener une personne aimée vers un ciel des plus lointains. Faire plaisir avec ses paumes et ses lèvres, ce dernier s'en était fait une spécialité. C'était peut-être là ce qui plaisait le plus à Kilian dans cette relation d'homme à homme. Si l'égalité dans la dignité était un dogme, celle au lit lui semblait pure stupidité. Ce qui le faisait vibrer, c'était avant tout de s'offrir à celui qui possédait le titre tant convoité de « petit copain ». Un mec, un vrai, capable de le protéger, de l'aimer, de le diriger, de dominer la relation, de prendre des décisions et des initiatives, de lui montrer les choses, de l'instruire, de rire à ses blagues et de lui faire découvrir des tas de sensations inconnues et improbables, c'était là ce que Kilian attendait d'Aaron. Et quand il était comblé, alors il pouvait laisser libre cours à sa propre imagination pour satisfaire celui qui lui apportait tant de joie et de réconfort, ce qui faisait leur bonheur mutuel.

Six heures vingt-cinq... Il ne restait plus que quelques minutes avant le réveil fatidique et tant attendu, celui qui lancerait les deux adolescents dans leurs nouvelles aventures. Cette année, Aaron avait décidé de faire de Kilian son héros. Dans la vie, mais aussi dans un roman, Vojolakta, dont il venait à peine de commencer la rédaction et dont il n'avait à l'esprit que l'univers et une trame générale. Pour le reste des péripéties, il avait décidé de laisser les évènements et les rencontres l'inspirer. Sa fiction se passerait dans un futur assez éloigné. Une Fédération régnerait sur la voie lactée, et l'Aar'on – son propre avatar –, sur les humains avec Kili'an comme bras armé et amant. Le brunet avait tant de choses à écrire et à expérimenter avant de rédiger ses meilleures pages. Alors que les secondes filaient et qu'il avait laissé derrière lui ses réflexions quant à l'année qui s'annonçait, une seule question le taraudait encore. Quelle était la meilleure manière littéraire de réveiller un jeune soldat aux cheveux blonds ? Pour obtenir une réponse, il ne pouvait que tester sa meilleure idée.

« Mhhhh, Aachoupinou... arrête... c'est moi qui te suce normalement... Tu me chatouilles... aaaaah... »

Sans même avoir ouvert les yeux et avec une totale contradiction entre ses mots et ses véritables désirs, le blondinet s'était accroché de la main gauche aux draps jetés sur le sol et de la droite aux cheveux noir charbon de son petit ami. Et quand le réveil eut l'aplomb de remplir son rôle, il l'envoya voler au loin sur ses peluches, disposées de manière désordonnée entre son bureau, son armoire et le sol.

La bouche béate, après une dernière contraction qui lui fit lever son bassin de quelques millimètres au-dessus du sommier, il s'écroula sur le matelas, les yeux fixés sur son plafond blanc et ses doigts aux ongles parfaitement taillés toujours emmêlés aux cheveux mi-longs de son amoureux. Bien qu'il n'eût pas la moindre envie de se lever pour sa première journée de cours, il se sentait particulièrement bien et détendu. Si seulement il avait pu rester ainsi dans son lit quelques heures encore... Une légère tape sur le front le ramena à la réalité. Le regard menaçant et sévère de son homme, qui s'était jeté à califourchon sur son torse et qui lui contractait fermement le visage entre ses paumes avec un sourire presque sadique aux lèvres, indiqua immédiatement au blondin qu'il avait sans doute fait une bêtise sans s'en rendre compte, et que la punition avait toutes les chances d'être agréable.

« Aachou ou chouchou, j'veux bien, mais Aachoupinou, c'est hors de question, c'est trop naze ! Je suis ton mec, pas ta peluche ! Tu mérites que je te gifle, tiens ! Aller, hop, hop, des petites gifles ! Dis-le que t'es désolé et que tu ne recommenceras plus ! »

Alors qu'il sentait les mains de son camarade tapoter ses joues sans grande violence, Kilian se mit à feinter des gémissements, sans doute plus pour plaire à celui qui s'amusait avec son visage qu'à cause d'une douleur particulièrement inexistante.

« Aie ! Désolé, m'sieur copain ! Euh si tu veux me punir... tu veux pas me mettre une fessée, plutôt ? Mais dépêche-toi parce que j'ai faim et que tu dois me faire chauffer mon choco. »

La préparation du chocolat chaud tiède presque froid était tout un art auquel Aaron s'était formé sur le tard. Fine bouche, le brunet avait plus de notions en cuisine que son cher et tendre. Cet été, quand François avait été trop pris par son travail, c'était lui qui avait pris l'habitude de se mettre derrière les fourneaux. Rien n'était trop beau ni trop bon pour son amoureux, même si les goûts de ce dernier étaient des plus précis : la brioche devait avoir été grillée d'un côté uniquement ; le Nutella devait être en quantité nécessaire pour qu'on ne sente plus la brioche ; le chocolat devait être servit bouillant et devait reposer de longues minutes afin que le blondinet retrouve le goût de celui qui lui préparait son frère quand il était enfant ; le jus d'orange devait être sans pulpe ; enfin, une banane coupée en morceaux dans un yaourt versé dans un bol était un véritable plus.

Après avoir puni Kilian comme il se devait de le faire, Aaron s'était jeté sous la douche puis s'était attelé à la préparation du copieux repas, laissant son compagnon trainer pendant sa propre toilette matinale. Un t-shirt vert fluo sur les épaules et son caleçon sur la tête, l'adolescent aux cheveux dorés se jeta en titubant sur le comptoir pour avaler, debout et les fesses à l'air, la précieuse nourriture qui lui avait été servie. Et devant le regard intrigué de son père qui finissait de déguster son café en lisant le journal, il lâcha un profond soupir.

« Nan, c'est pas c'que tu crois ! Enfin si, c'est c'que tu crois si tu penses que je ne peux pas m'assoir et que c'est pour ça que je suis debout, mais nan, c'est pas c'que tu crois pour la raison pour laquelle j'peux pas... et... tu fais chier papa ! Tu pourrais compatir, j'ai super mal ! Putain chouchou, moins fort la prochaine fois ! J'ai le derrière tout rouge à cause de toi ! »

L'adulte ne réagit même pas. À force, il s'était habitué aux pitreries de son fils et elles le faisaient même doucement sourire.

Après une lutte faite de chatouilles et de menaces avec son petit ami, Kilian accepta de s'habiller pour se rendre au lycée. Sur le chemin, il ne put s'empêcher de sautiller partout, s'arrêtant juste devant quelques pigeons pour leur tirer la langue avant de repartir de plus belle.

« T'es vraiment si heureux d'aller à l'école ? », demanda le brunet.

« Non, je suis heureux d'y aller avec toi ! On dit souvent que, ce qui compte, ce sont les bonheurs les plus simples. Pendant un an, j'ai été privé de celui-là ! Alors laisse-moi déguster ! »

Adossé à un jeune chêne, le blondin laissait le vent le décoiffer en regardant le ciel bleu et les quelques nuages blancs qui filaient à toute allure. Pour quelques jours encore, l'été était là. Les quelques rayons du soleil faisaient briller ses cheveux jaune pâle.

Le lycée Voltaire proposait cinq classes de premières : deux S, une ES, une L et une STMG qui venait d'ouvrir. Les deux adolescents avaient ainsi une chance sur deux de se retrouver l'un sans l'autre, ce qui restait particulièrement improbable. Il aurait fallu être fou ou inconscient pour avoir la bêtise de les séparer, ou alors avoir fait le choix volontaire et inconscient de jeter sans les lires la dizaine de lettres que le lycéen aux yeux verts avait envoyées pendant les vacances pour exiger ce qui lui semblait un droit naturel de l'homme, du citoyen et du blondinet. Mais il avait fort heureusement gardé les accusés de réceptions à tous ses recommandés, histoire de prouver en cas de conflit sa bonne foi.

« Vous me portez ? »

À peine Kilian et Aaron s'étaient-ils remis en route l'un à côté de l'autre qu'une ombre s'était jetée sur leurs sacs à dos. De tout son poids, l'énergumène aux cheveux châtain clair s'était agrippé au cou des deux amants, avant de claquer une bise au blondin et de simplement décoiffer le brun. Il avait beau être fou, il n'était pas inconscient.

« Gaby, t'es lourd ! », rétorqua Kilian en pensant autant au sens propre qu'au figuré.

Se moquant de cette remarque, Gabriel grimpa sur le dos de son camarade jusqu'à ce que ses pieds décollent du sol et que sa pauvre monture improvisée se rétame devant le regard désolé et désabusé d'Aaron. À califourchon sur le torse du blondinet qui se tenait la nuque en geignant, le jeune artiste le dévisagea à l'aide de ses beaux yeux bleus, avant de partir dans un fou rire.

« Okay, t'as raison, je suis lourd ! Pourtant, je fais de l'exercice, j'ai pas de graisse ! Du handball toutes les semaines, et du sport de chambre aussi souvent que possible ! Bon, allez, je file, j'vais être en retard l'appel de ma classe est juste avant la vôtre, la S1! Ça me fait chier d'être le seul littéraire de la bande, mais bon... on se croisera pendant les pauses, et puis Kil, oublie pas que t'as séance de dessin tous les jeudi soirs, j'compte sur toi ! J'ai déjà négocié avec ton mec, il est d'accord pour que tu me serves de modèle une année de plus ! Donc en fait, réfléchis pas, t'as pas le choix ! »

Voyant le châtain galoper au loin, Kilian se redressa péniblement sur ses deux jambes. Ce n'était pas tant le poids de Gabriel que quelques petites douleurs matinales qui l'avaient fait choir. L'air interrogateur, il fixa un Aaron qui baillait en accusant le contrecoup de son réveil précoce. Deux choses l'intriguaient. Déjà, qu'il soit l'objet d'une négociation : il était évident qu'il se prêterait à nouveau à des séances de poses sans discuter ! Non seulement il adorait ça, mais en plus, il tenait bien à forcer Gabriel à réaliser toutes les illustrations du roman de son chéri. Ensuite, comment diable le châtain pouvait-il avoir la certitude que lui et Aaron serait dans la même classe alors qu'il y avait deux S ? L'air attristé par tant de naïveté, le brunet secoua délicatement la tête de gauche à droite avant de se remettre en route en soupirant la résolution de l'énigme

« On a discuté hier soir, tes lettres ont toutes fini à la poubelle, mais il a fait pression sur le CPE qui se tape sa prof de français et de philo de mère pour qu'il accède à ta demande. Le mec, Musquet je crois, a fini par céder à condition que Gabriel promette de ne plus jamais lui faire à bouffer. Dis, la légende est vraie, c'est vraiment aussi dégueu que ça, ce qu'il prépare ? »

Avec une grimace lui rappelant quelques souvenirs douloureux de cinquième où il avait vomi de toutes ses forces après avoir malencontreusement croqué dans un sandwich moutarde-abricot-avocat-saumon fumé, le blondinet hocha la tête de haut en bas. Si « dégueu » n'était pas forcément le bon mot, la triste vérité était qu'il n'en existait pas de meilleur dans le dictionnaire. Même immangeable semblait être un euphémisme.

« Ouais ! Enfin c'est cool, même si ça va me manquer de pas être avec lui... Déjà que je serai séparé de mon Martou vu qu'il passe en ES, si je m'étais retrouvé tout seul, j'aurai pas tenu ! Nan mais t'as pas vu la tronche de Yunette l'année dernière quand elle s'est retrouvée dans une autre classe, c'était à te filer des frissons dans le dos ! »

Au final, les prédictions de Gabriel se révélèrent exactes. Lors de l'appel, le châtain se retrouva en L, classe qui accordait le plus de place aux arts plastiques. Martin, le meilleur ami aux cheveux orange de Kilian s'avança fièrement vers son destin, la première ES, en compagnie de Koa, un jeune laotien anciennement timide. Depuis qu'il s'était assumé après qu'un certain blondinet lui ait trop fait tourner la tête, ce dernier s'était mis à draguer les garçons et même à sortir avec un, malheureusement pour lui dans un autre lycée. Enfin, ce fut au tour des S de se faire appeler. Contre toute logique, le professeur principal de la première des deux classes scientifiques enseignait le français et non pas les maths ou la physique. Âgé d'une cinquantaine d'années mais ayant toujours un look d'étudiant soixante-huitard, Monsieur Dugerond était réputé comme un orgueilleux ayant une très mauvaise image de ses élèves et n'hésitant pas une seule seconde à les rabaisser afin d'assurer sa domination sur le groupe. C'était en tout cas ce que Cédric, qui l'avait eu à deux reprises dans sa scolarité, avait expliqué l'air désabusé à son cadet devant un de ses mauvais bulletins de notes.

« Oh, pas lui... », geignit Kilian en malaxant fermement la main de son amoureux.

L'année passée, il avait eu la chance d'avoir la mère de Gabriel dans cette matière. Même si elle était autoritaire, Renée de Saint-Ferrand était vraiment une très bonne prof. Et en dehors des cours, elle restait la maman d'un de ses meilleurs amis, ce qui était toujours appréciable. Là, l'adolescent se retrouvait avec un vieil acariâtre à lunettes. Heureusement qu'il avait son petit ami brillant en lettres pour le soutenir, sans quoi le bac Français aurait été bien mal embarqué. Avoir au moins quinze à cette épreuve était d'ailleurs un de ses trois principaux objectifs de l'année, à côté de soutenir son aîné dans sa longue et dure rééducation et de combler son mec. Et comme il l'avait expliqué de manière déterminée l'avant-veille au moment de préparer en avance son sac : « Maintenant qu'on vit ensemble, va pas falloir me faire chier avec les emmerdes ! Le Kilian qui s'en prend plein la gueule, c'est terminé, j'passe mon tour ! Maintenant, place au Kilian qui reçoit des câlins ! »

En réalité, une seule chose aurait pu le faire plus chier que de ne pas être avec Aaron ou de tomber sur de mauvais professeurs : se retrouver avec Alia, belle demoiselle d'origine Tunisienne avec qui il avait plus que sympathisé l'année passée, pendant l'exil en Suisse de son amoureux. S'il ne regrettait rien de ce qui s'était passé entre eux et s'il assumait pleinement cette relation, aussi fugace qu'intense, elle n'avait été qu'une parenthèse qu'il avait décidé de refermer en raccrochant fermement son collier autour du cou, celui-là même que son camarade lui avait offert et qui symbolisait leur appartenance mutuelle. Et là, il ne pouvait faire autrement que de la fixer au loin en écrasant les phalanges d'Aaron.

« Arrête de stresser ! Gabriel s'est débrouillé pour qu'elle soit en S2, et il parait que ça l'arrange aussi ! Je pense que c'est mieux comme ça. Elle a promis de nous foutre la paix, faut juste espérer maintenant qu'elle tienne parole. Ah, et sinon, on est avec Yun-ah aussi, il parait. »

Kilian avait à peine eut le temps de saluer Martin et la petite copine de ce dernier avant le début de l'appel. Avec ces deux-là, ils formaient depuis la sixième un trio infernal. Seules des histoires de cœur avaient pu mettre à mal la cohésion de leur petite bande. Leur amitié, elle, avait largement survécu.

Cette double nouvelle réjouit le blondinet plus qu'il n'en fallait. Même si l'absence de son roux préféré et de Gabriel se ferait forcément ressentir, la présence de son amoureux et d'une amie proche était l'assurance de ne pas passer une trop mauvaise année.

Au moment de son appel, Kilian s'avança avec un air plutôt satisfait. Derrière, les secondes prenaient déjà place pour être répartis dans leurs propres classes. Le blondin s'amusa à jeter un coup d'œil discret pour voir à quoi ressemblaient les nouveaux entrants, et s'il n'y avait pas ici ou là le propriétaire d'un physique avenant et agréable à regarder. Après tout, être amoureux lui imposait peut-être une certaine fidélité mais n'était pas pour autant synonyme de castration. Alors que son professeur principal discutait avec le directeur au lieu d'avancer et malgré ce qu'il pensait, ce fut une fille qui attira l'attention du blondinet. Une jeune adolescente assez rayonnante qu'il était certain d'avoir déjà croisé quelque part...

« Cette nana, je suis sûr de la connaître... »

« C'est parce que tu la connais ! », répondit, amusé, Aaron. « C'est Margot, on l'a croisée cet été avant les vacances en Corse avec Martin, tu te souviens ? Margot... la copine de Camille... Je t'ai pas dit qu'ils entraient à Voltaire en seconde ? »

Après quelques secondes de vide, les deux neurones principaux de Kilian s'entrechoquèrent. Camille était « une jeune fille » que lui et Aaron avaient rencontrée peu avant le quatorze juillet. Même si elle avait un an et demi de moins qu'eux, ils avaient immédiatement sympathisé. Une visite dans une association LGBT et une fête foraine plus tard, ils s'étaient retrouvés par hasard en Inde, lors d'un voyage organisé où ils avaient vécu des aventures aussi effrayantes que palpitantes.

Kilian adorait Camille. Son sourire, surtout, le transportait toujours. Jamais il n'avait rencontré de fille si charmante. Bien qu'un peu plate, elle était presque parfaite. Ses yeux bleus sombres étaient fascinants. Sa coupe à la garçonne lui donnait un air rebelle. Sa voix douce-aiguë lui donnait un air langoureux. Sa capacité à embrasser sans rougir tous les mecs qu'elle trouvait mignons avait presque retourné le cerveau des deux amants victimes de sa fougue, surtout celui du plus blond. Sa garde-robe, multicolore et travaillée, faites de débardeurs, de jupettes, de sandales et d'autres accessoires participait à lui donner un style unique. Son maquillage, toujours parfait, faisait à chaque fois ressortir son maudit sourire envoutant... Ce sourire...

Non, il n'y avait rien à dire, Kilian trouvait Camille parfaite, au point même de conseiller à Gabriel par SMS de la prendre pour modèle.

« J'te jure Gaby, elle est géniale ! Et elle peut poser comme garçon ou comme fille vu qu'en fait, c'est une nana piégée dans un corps de mec, truc compliqué, j'expliquerai. Enfin, c'est toi qui choisis ! Pour un artiste, ça doit être le pied, tout en un ! »

Oui, aussi féminin pouvait-elle être, Camille était née avec des gènes masculins. Et au lycée, il valait mieux dire « il ». Si Kilian avait su que son camarade finirait dans le même lycée que lui, sans doute n'aurait-il jamais osé parler de son secret de manière aussi libre avec un de ses amis.

D'un seul coup, un frisson lui glaça le dos. Pour la troisième année consécutive, une personne qu'il avait rencontrée pendant l'été se retrouvait avec lui à Voltaire. Et alors qu'il tremblotait comme jamais, Aaron claqua des doigts à côté de ses oreilles pour le faire sortir de son état léthargique, ce qui le fit sursauter. Déjà le reste de la classe s'en était allé à travers les couloirs.

« On a discuté sur Skype il y a quelques jours quand tu étais à l'escrime, j'aurais dû t'en parler, j'ai oublié. Mais c'est ta faute aussi, j'voulais, et puis quand t'es rentré, tu m'as trainé sous la douche, puis au mac do parce que t'avais faim, puis au ciné, et ensuite tu voulais pas dormir sans que je ne te raconte encore l'histoire du grand méchant copain et du petit chaperon timide avec les gestes et tout et du coup ça m'est complètement sortit de la tête ! Bref, ouais, son père l'a inscrit à Voltaire, normal quoi, c'est le meilleurs lycée du coin. Et il a fait le choix d'y venir en respectant son sexe biologique et de garder son travestissement pour le week-end... Tu comprendras qu'il compte sur notre discrétion, même s'il m'a dit qu'il s'en fichait si on en parlait à des gens de confiance. Laisse, on lui dira coucou tout à l'heure... »

Au moment de traverser la porte de la cour intérieure, Kilian jeta un simple œil discret derrière lui. Apercevoir au loin ce sourire qu'il aimait tant le laissa quelques instants dans un état second avant que son cœur ne se remettre en marche. Quel dommage que Camille ait un an de moins, songea-t-il bêtement avant de rejoindre la classe attitrée des S1.

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