17. L'anniversaire des jumeaux
Le lundi de la rentrée, la seule chose qui importa à Kilian fut de prendre des nouvelles de Cléo, de retour après son accident la veille des vacances.
Le Panda aux yeux gris bleuté n'avait gardé comme souvenir de sa rencontre avec le miroir des sanitaires qu'une petite marque sur le front, cachée par une mèche de cheveux noirs. Son tempérament semblait s'être adouci avec les congés. Après un échange de sourires, il avait accepté de s'asseoir à côté de Kilian à la cafèt pour partager un brownie. Après un échange d'amabilités un peu gênant, le blondin mit les deux pieds dans le plat et lui demanda ce qu'il s'était passé. La réponse décevante que Cléo lui fit le laissa circonspect.
« De ? Le vendredi avant les vacs ? Nan, rien, t'en fais pas, j'ai simplement glissé. Et merci pour tes petits messages, même si je n'y ai pas répondu, c'était sympa. Bon, sinon, toi et ton brun, vous faites quoi ce week-end ? Avec ma sœur, on organise une petite soirée pour notre anniversaire ! On va avoir seize ans, on est de la fin de l'année. Ça serait cool si vous veniez, elle m'a chargé de faire passer le mot aux gens que j'aime bien dans ma classe, et elle s'occupe de la sienne. »
Devant le visage paisible et souriant du lycéen, Kilian ne savait pas s'il devait s'étonner de sa quiétude où s'inquiéter de l'expression soumise qu'il avait affichée pendant une demi-seconde lorsqu'il avait évoqué sa jumelle. Chassant ces drôles de pensées de son esprit, il accepta l'invitation. Lui, les anniversaires, il adorait ça, surtout quand on pouvait danser torse-poil sur de la musique endiablée des années quatre-vingt, ce qui correspondait plus ou moins à la préhistoire à l'échelle de sa génération. Et puis, apprendre de la bouche de son camarade qu'il était le roi du Mojito, forcément, ça donnait envie, même si le blondinet savait pertinemment qu'il devrait ruser pour obtenir un supplément de rhum sans éveiller les soupçons d'Aaron.
Il lui fallut cependant plusieurs minutes pour convaincre son petit ami du bien-fondé d'une telle sortie. Même si les jumeaux s'étaient très bien intégrés à leurs classes respectives, ils ne faisaient pas partie de la même bande. Cléo trainait toujours avec Manon, sa sœur et quelques autres, là où le blondinet était le centre de gravité d'un groupe assez soudé autour de sa personne. Et le ticket d'entrée pour l'intégrer n'était pas donné. Mélanger ces deux mondes n'était pas forcément ce qu'il y avait de mieux à faire, surtout connaissant le caractère assez imprévisible des deux zigotos. Devant ces arguments, l'adolescent aux cheveux dorés ne put que protester en faisant vibrer ses lèvres :
« Mais on s'en fout de ça ! En fait, c'est juste que tu supportes pas que Cléo ait envie de me sauter ? Ouais, bah j'vais pas sacrifier une bonne soirée parce que tu m'fais pas confiance. J'sais me tenir, tu sais, si tu me demandes d'être fidèle, j'le serai et j'embrasserai personne ! Même si tu m'fais chier là. Embrasser, c'est pas tromper... Enfin, pas quand on est bourré... »
En soupirant, le brunet reposa sa canette de coca zéro sur la table puis se frotta le nez. Kilian était parfois fatiguant avec sa manie de comprendre les choses de travers.
« C'est pas toi le problème, c'est eux ! Et je n'ai pas peur que tu sois bourré vu que je t'empêcherai de l'être. C'est juste que j'ai du mal à les sentir, c'est tout. Je sais que Cléo n'est pas méchant, mais t'as vu comment il est depuis ce matin ? On dirait qu'il est sous antidépresseurs. Et encore, tu l'as pas regardé pendant la récré, tu discutais jeux vidéo avec Martin, mais il n'a pas lâché sa sœur d'une semelle. Il portait son sac, elle le traitait comme de la merde et lui, il souriait comme un demeuré. Donc oui, j'me méfie, c'est tout. Il t'a quand même sauté dessus comme un forcené l'autre jour ! Enfin, bien sûr que si tu veux y aller, on ira... Mais voilà, ouvre l'œil, tu verras que c'est étrange... »
Et en effet, certaines choses l'étaient. Bien que ravi que son homme ait cédé à son petit caprice, Kilian passa la semaine à observer avec soin la situation. Avec Martin, trainé de force, et Gabriel, très content de pouvoir jouer comme quand il était en sixième, il fonda un éphémère groupe de détective dont la principale mission était de filer Cléo et de noter tout ce qui sortait de l'ordinaire dans son comportement. En une semaine, trois faits intriguants furent relevés : une crise de colère après que Manon lui ait rapporté que sa sœur s'était fait exclure de cours à cause d'une attitude étrangement stone et joyeuse ; une humiliation silencieuse où Cléa avait, en rigolant, renversé le contenu de son sac dans la cour et lui avait demandé de le ramasser ; un étrange ordre, enfin, auquel il avait obéit et qui avait consisté à se dénoncer et à s'excuser pour des insultes proférées contre un camarade de manière anonyme sur internet. Après ses aveux, nombreux furent ceux qui se demandèrent pourquoi Cléo avait traité Jérôme de suce-boules. Le délégué avait beau être extrêmement timide malgré sa grande taille, il n'hésitait jamais à s'opposer aux professeurs pour défendre ses camarades, même quand cela pouvait lui porter préjudice. De toutes les critiques qu'on pouvait lui faire, celle de vendu à l'autorité scolaire était loin d'être la plus légitime. Néanmoins, cela n'empêcha pas le principal intéressé de confirmer sa gentillesse en pardonnant immédiatement à celui qui venait de se confesser.
Kilian, lui, garda l'épisode en travers de la gorge. Certaines choses ne passaient pas, comme il l'expliqua le vendredi soir entre quatre-z-yeux au coupable auto-désigné en commençant par hausser le ton.
« Déjà, suce-boules, c'est une insulte de merde ! Ça peut blesser beaucoup de couples, tu sais ? Y en a, ils adorent, ils trouvent ça très sensuel et pas pervers du tout, et ça se fait trop pas de l'assimiler à de la lèche avec les profs... »
Reprenant son souffle pour se gratter, la joue, l'adolescent continua en baissant petit à petit le volume, jusqu'à finir par chuchoter.
« Enfin, va pas croire que j'le fait avec Aaron hein, c'est pas c'que j'ai dit... Et même si j'avais envie, j'aurais le droit de le faire ! En plus, c'est même pas toi qui a emmerdé Jérôme, c'est ta sœur ! Et elle t'a demandé de t'excuser à sa place. J'le sais, Martin l'a vu te demander... Enfin merde, quoi, j'ai le droit de faire c'que j'veux avec mon petit copain.... »
Les yeux écarquillés, Cléo avait dévisagé l'étrange blondinet qui, non content de le faire suivre, venait argumenter de manière confuse à propos de quelque chose qui ne le regardait pas du tout. Enfin, après avoir grimacé, l'adolescent souffla et passa aux aveux. Son petit manège mis à jour, il ne voyait plus l'intérêt de nier.
« Pffff, c'est entre elle et moi, ça ne te concerne pas. Tu sais très bien que parfois, elle déconne, alors j'essaie de limiter le truc en prenant pour moi ses conneries, c'est tout. Elle savait même pas qui elle insultait, elle était complètement pétée et elle a utilisé un de mes faux comptes dont j'me sers pour des rencontres, donc c'était grillé. Je lui ai dit que j'assumerais si elle faisait des efforts, c'est tout. Sérieux, m'emmerde pas avec ça, Kilian... J't'aime bien, mais un conseil : reste loin de ma sœur... Et arrête de me stalker, c'est d'un chiant... »
Satisfait par cette confession, même si elle avait le goût de l'aigreur, Kilian prononça la dissolution de sa petite agence de détective. Il avait de toutes manières des chats bien plus importants à fouetter. Ce vendredi soir, il devait accompagner Benjamin à l'escrime pour sa première séance. S'inscrivant bien après la rentrée, le pré-ado avait ressenti une intense gêne et avait tout d'abord refusé de s'y rendre, avant de changer d'avis à condition que Kilian soit là aussi. Le blondinet avait accepté avec joie et s'était immédiatement proposé d'animer la séance aux côtés de son maitre d'armes, toujours ravis de voir ses grands s'investir de la sorte. Avec ses excellents résultats en compétition et la facilité avec laquelle il se défaisait d'adversaires plus âgés, Kilian était un peu devenu la coqueluche du club et une star aux yeux de la jeune génération qui adorait le regarder s'entrainer. Forcément, quand il passait leur faire coucou, c'était toujours la fête, surtout lorsqu'il défiait en duel J.P, et qu'il gagnait.
Observant sur le bord de la piste le duel opposant le maitre à l'élève, Benjamin laissa ses yeux se gorger d'étincelles. De près, c'était encore plus impressionnant que dans les gradins. Ce sport où ce n'était pas forcément le plus massif ou le plus costaud qui gagnait le fascinait. On pouvait être fin, chétif – même homosexuel dans le cas de son idole, ce qui était peu dire, – et quand même l'emporter avec une facilité déconcertante.
« Bon, tous, pendant que Jean-Pierre se remet de la raclée que je viens de lui mettre... Eh ! vous moquez pas, hein, il n'y a qu'en fleuret que j'ai le niveau ! En épée, sa spécialité, ou au sabre, j'me fais exploser... Bon, je disais, laissez-moi vous présenter un nouveau copain. Il s'appelle Benjamin, et il va tout déchirer ! Enfin, si vous l'aidez à saisir les bases et à progresser, donc je compte sur vous ! »
Plus qu'entendre ces mots pleins de tendresse, ce fut d'hériter d'un vieux fleuret et d'une vieille combinaison du blondinet qui toucha le plus le jeune pré-ado. Après quelques exercices sur l'apprentissage des rudiments du déplacement, il affronta son premier adversaire dans un match qu'il perdit quinze touches à deux. Avoir réussi à marquer à deux reprises l'avait rendu particulièrement fier, même s'il n'était pas dupe au point d'ignorer que son adversaire du jour s'était laissé avoir pour lui faire plaisir. Il s'appelait Alex, avait le même âge, des cheveux châtain plutôt courts, une taille de guêpe, une allure élancée, un sourire contracté, un nez fin, des joues naturellement rouges, un regard sévère et une immense admiration pour Kilian, qui représentait à ses yeux un idéal à atteindre. Pour faire bonne figure devant le blond qu'il admirait, il n'hésita pas à conseiller et à corriger la position de son camarade entre chaque assaut. Ravi de cette expérience et de s'être fait un nouveau copain, Benjamin parla plus à ses parents à table ce soir-là que pendant toutes les vacances. Kilian, lui, s'endormit un énorme sourire aux lèvres avec la satisfaction du devoir accompli.
Le lendemain, après des devoirs expédiés le matin, lui et Aaron passèrent leur après-midi à se préparer pour la soirée d'anniversaire des jumeaux. C'était avant tout une bonne excuse pour passer un peu de temps au centre commercial pour faire les boutiques. Mèches rebelles obliges, les deux amoureux passèrent chez le coiffeur. Si Kilian se comporta en véritable diva en exigeant qu'on s'occupe de ses petites bouclettes une à une pour que tout le monde comprenne qu'il était allé chez le coiffeur tout en donnant l'air de ne surtout pas y être allé, Aaron s'autorisa un véritable rafraichissement. Lui qui s'était laissé pousser les cheveux principalement pour contenter son petit ami qui adorait y glisser les doigts, il opta pour une coupe en brosse qui le changeait du tout au tout et le rendait encore plus irrésistible aux yeux de la gent féminine, ce qui poussa Kilian à bouder sur son siège. Non mais, il fallait le comprendre, aussi, il ne tenait pas du tout à ce qu'on le lui pique, son Aaron, surtout que maintenant, avec cette tête, il faisait plus adulte...
« T'en fais pas, je les laisserais repousser pour toi pour que tu puisses jouer avec... Mais je les ai eus à la garçonne, je les ai eus mi-longs, mais c'est la première fois que j'essaie comme ça... J'trouve ça classe. »
Au niveau des vêtements, le brunet craqua pour un pull léger bleu ciel qui se portait sans t-shirt, avec un col en V large. Il décida même de le mettre le soir-même au lieu de ses éternelles chemises blanches, grises et noires. Devant un tel changement de look et ce style minet qui lui allait à la perfection, Kilian prononça avec tristesse à précisément dix-sept heures et vingt-huit minutes le décès de ses deux derniers neurones, pour cause d'électrocution mentale. La bouche béate, il mit plus de trente secondes avant d'arriver à répondre quand Aaron lui demanda ce qu'il en pensait :
« J'peux embrasser le haut d'ton torse ? »
De son côté, le blondinet se montra plus sage que d'habitude : un jean, une chemise blanche à rayure, pas de couleur criarde ni de coupe trop près du corps... il tenait à être élégant sans pour autant provoquer les regards.
Sur les coups des vingt heures, le petit couple arriva à l'adresse transmise par Cléo. Kilian sonna, Aaron portait les cadeaux et les bouteilles qu'ils avaient achetés dans l'après-midi. Étrangement, ce fut Manon qui leur ouvrit et qui se jeta à leur visage pour leur faire la bise.
« Ah, c'est cool que vous soyez là, entrez ! Vous prenez directement les escaliers, la fête est dans le garage. Mes parents rentreront après minuit, donc on a le temps de s'amuser. Descendez ce qui se boit, mais posez les paquets à côté de l'entrée, on leur offrira tout à l'heure quand tout le monde sera là ! »
Bourgeoise, cette bâtisse ancienne de deux étages correspondait plus au style de Cléo qu'à celui de Cléa. Pourtant, ni l'un ni l'autre n'y vivaient. Elle appartenait au père de Manon. Ce ne fut qu'en se rendant aux toilettes pour une envie pressante – dans la précipitation, il avait oublié de faire son petit pipi avant de partir de chez lui –, que Kilian s'en rendit compte. La peinture sur les murs et les décorations correspondaient à ce qu'il avait pu voir sur les images que Manon avait envoyé au début des vacances pour rassurer tout le monde quant à l'état de Cléo. La soirée avait lieu chez elle, et non pas chez les jumeaux... sans doute un problème de place et d'agencement, songea le blondinet assis sur son trône, avant quand même d'aller vérifier cette hypothèse auprès de la principale intéressée. En plein dans la fête, l'adolescente répondit en se remuant sur le danse floor, un verre d'une drôle de substance à la main. La musique, un peu sourde, l'obligeait même à crier pour se faire entendre :
« En effet, il y a de ça... et puis aussi le fait que c'est compliqué de faire ce genre de choses chez eux, pour des raisons familiales. Mais te prends pas la tête, amuse-toi Kil ! On a passé l'aprèm avec Cléo à faire des tartes et des cocktails, fais-toi plaisir ! »
Pour ceux qui avaient besoin d'un peu de calme, une pièce avait été réservée pour discuter à l'étage, ses fenêtres avaient même été grandes ouvertes pour permettre aux quelques addicts au tabac – et à d'autres choses – de s'en griller une petite entre deux chansons.
Reléguant son frère au bar, Cléa avait fait de cette petite salle sa base arrière pour papoter avec ses amis dans une ambiance détendue. Quelques narguilés, des cigares piqués en douce, des clopes roulées et un pétard passaient de mains en mains. Pour respirer un peu, Aaron et Gabriel avaient abandonné le garage pour rejoindre cet étrange temple embrumé. Dès qu'elle les vit, l'adolescente se jeta à leur cou en leur caressant la joue de l'un puis de l'autre. Elle se sentait bien. Elle avait envie de parler. Elle rigolait entre chaque phrase. Et elle tirait une taffe entre chaque rire. Elle était stone.
« Il est vraiment bien votre roman, et ça me fait trop plaisir d'être dedans, j'comprends mieux pourquoi Gaby, tu me dessinais discrétos en cours... C'est assez délire, et j'adore gagner contre votre petit héros. Il est tellement ridicule... et vous l'aimez tellement... Ça m'dégoute en fait... »
Elle se sentait mal. Elle avait envie de crier. Elle reniflait et se frottait les yeux entre chaque mot. Et elle tirait, et tirait encore... Elle était stone. À un point tel qu'Aaron, ne supportant plus ce triste spectacle, abandonna Gabriel à ce face à face sordide et sortit prendre l'air après lui avoir posé une main sur l'épaule. Cléa, elle, en profita pour se coller au châtain qui la regardait, la mort dans l'âme.
« Aaron écrit bien, tu dessines bien... pourquoi vous gâchez votre talent avec Kilian ? Pourquoi c'est toujours lui qui revient. Pourquoi quand j'regarde tes dessins d'lui, j'ai envie d'chialer ? Pourquoi c'est si beau ? C'est quoi l'secret ? Vous l'fumez par quel bout ? »
Pris d'un rictus, le jeune artiste attrapa une bière qui trainait sur une table, la descendit presque cul-sec puis se releva, prêt à s'en aller.
« Il n'y a qu'Aaron qui le fume, et je ne vois qu'un seul bout pour ça ! Mais désolé ma vieille, Kil n'est pas une drogue... À la différence de tes merdes, il inspire sans détruire les neurones. Moi, il me fait rire, il me fait chialer, il me pousse à bout, il me retourne la tête... Le secret, c'est sa personnalité. Elle te donne toujours envie de te surpasser, d'être digne de lui... »
Alors qu'il parlait, Gabriel s'était mis à sourire sans s'en rendre compte. Devant son visage tendre, sincère et éblouissant, Cléa craqua. Se redressant à son tour, elle attrapa son camarade par le poignet, se colla à ses lèvres et expira toute la fumée présente dans sa bouche. En réflexe, le châtain porta sa main à son visage. L'odeur lui donnait envie de vomir. Il toussa. Elle répondit par un rire cynique en se mordillant la langue et en lui remuant sa cigarette conique sous le nez.
« T'aimes pas les soufflettes ? Tu parles, mais tu sais rien, Gabriel. Je suis sûr que toi et tes beaux discours, vous n'êtes même pas foutu de tirer sur mon oinj. La vérité, si tu méprises autant la drogue, comme tu dis, c'est que t'as pas les couilles d'essayer et tu te cherches des excuses... »
Impassible, le châtain fixa de ses yeux bleus les iris de la reine de la soirée. Seul l'air qui sortait de ses narines indiquait son agacement. Il savait que répondre à la provocation ne servait à rien, mais là, c'était plus fort que lui, il devait lui clouer le bec. Alors d'un coup sec, il se saisit du joint, le porta à ses lèvres, aspira, puis souffla de toutes ses forces sur le visage de Cléa avant de le lâcher de manière provocante et de l'écraser sur le sol avec le talon.
« Et moi, je suis sûr qu't'as pas les ovaires d'affronter le vrai monde... Continue à fuir, j'm'en fous... »
Observant Gabriel disparaitre derrière la porte, Cléa n'eut même pas la présence d'esprit de jubiler. Certes, elle avait enfin réussi à faire fumer son meilleur adversaire, mais l'arrière-goût que lui avait laissé cette confrontation était des plus amers. Et là, tout ce qui lui importait était de récupérer à même le parquet ce qui pouvait encore être sauvé. À quatre pattes, elle hurla à tous ceux qui avaient assistés à la scène de sortir. Elle avait besoin d'être seule, pour s'en rallumer un petit. Avachie sur un pouf, elle tira de longues taffes en fermant les yeux. Gabriel n'avait définitivement rien compris. Ce qu'elle vivait, c'était le bonheur. Son monde était parfait. Rien ne pouvait le troubler, si ce n'était une petite voix aiguë et tremblotante...
« Aa...Aaron n'est pas là ? »
Complètement perdu et passablement éméché, Kilian avait bien du mal à tenir debout. Ce qu'il venait de vivre dans le garage l'avait laissé dans un état second. Pourtant, la soirée avait très bien commencé. De nombreuses filles, mais aussi Cléo, s'étaient jetés sur sa chemise pour la lui arracher et couvrir son torse de baisers. Mais tomber nez à nez avec une certaine personne lui avait coupé les jambes. Après quelques minutes de discussion qui lui avaient semblé des heures, il avait fui la piste de danse à la recherche de bras réconfortants, sans grand succès. Pour Cléa par contre, cette apparition était presque inespérée. C'était un gâteau tombé du ciel. Elle voulait croquer dedans. S'approchant du Candide, elle attrapa son visage, se saisit de son éternel collier et se perdit dans ses yeux émeraude. C'était donc « ça », la source d'inspiration de sa Némésis ? C'était la première fois qu'elle le voyait d'aussi près. Et en effet, son aura avait quelque chose d'attirant, de pur, d'aphrodisiaque... À l'ouest et sans voix, cela ne le rendait que plus désirable.
« T'es vraiment mignon quand tu fermes ta gueule, on aurait presque envie de coucher avec toi. Mais que quand tu fermes ta gueule ! »
Alors que le blondinet allait protester sauvagement, l'index de l'adolescente posé sur sa bouche bloqua ses paroles. Immobile, il ne pouvait que se laisser faire. Et quand Cléa approcha ses lèvres de son doigt, Kilian comprit qu'il était bien trop tard pour refuser ce baiser dont il n'avait aucune envie. Les paupières grandes ouvertes, il sentit sa température monter d'un seul coup, jusqu'à atteindre des sommets. Il ne se sentait pas mal. C'était pire que ça. Et pourtant, il se laissait faire.
« Pose pour moi... Là... maintenant... à poil, que je te dessine ! »
Faisant le tri dans son esprit embrumé, le jeune lycéen arriva à la conclusion qu'il était très malpoli de refuser quelque chose à quelqu'un qui fêtait son anniversaire. Et puis, poser, ça, il savait faire. Alors, sans réfléchir, il laissa glisser sa chemise sur ses épaules et autorisa sa camarade à déboutonner son jean, jusqu'à ce qu'une main qu'il connaissait bien le fasse sursauter en lui saisissant l'épaule.
« Bon, nous, on va y aller ! Merci pour tout, c'était super cool, mais il est tard, et ce blond commence à perdre la boule ! »
Dans la rue, Kilian souffla en se tenant la poitrine. Aaron venait sans aucun doute de le sauver avec un timing parfait.
« J'te cherchais partout, j'te trouvais pas... et je suis tombé sur elle, elle était trop zarb... »
« Je sais... c'est pour ça que je suis sorti. Puis au moment de rentrer, j'ai regardé Gabriel vomir... Sacrée gerbe ! Elle a réussi à le faire fumer, il ne faisait pas le fier... C'est la première fois que je le voyais comme ça... Et toi ? Tu t'es bien murgé mon cochon, tu tires une de ces tronches... »
Dans un flash, Kilian se rappela ce qui l'avait mis dans un tel état. Ce n'était pas l'alcool, le responsable. Certes, il avait passé la soirée à tester tous les étranges mélanges que Cléo, derrière son bar, lui faisait boire entre chaque chanson, mais ce n'était pas ça qui l'avait perturbé. C'était des souvenirs. Des souvenirs de troisième. L'année où il est tombé amoureux d'Aaron.
À cette époque, un garçon s'était acharné contre lui. Profil premier de la classe, obsédé par sa personne, véritable tyran des cours de récréation, manipulateur, fourbe et ordurier... ce camarade n'avait pas hésité à lui pourrir la vie, allant jusqu'à balancer à tous la réalité de sa sexualité naissante. Kilian l'avait détesté. Aaron l'avait écrasé. Et de leur vie, il avait disparu.
« Tu... tu savais que l'oncle de Cléo et de Cléa était le parrain d'Adrien ? Il a changé, il a des lentilles maintenant, il est plus grand... Et ils s'entendent bien, il m'a raconté qu'ils avaient passés des vacances ensemble... Il les considère presque comme des cousins. »
Après un long et profond soupir, le brunet enlaça son petit ami, puis lui embrassa l'oreille et le cou.
« Oui... je le savais... On se parle des fois. Il m'envoie des e-mails pour demander de tes nouvelles... c'est tout. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top