16. Une semaine de bonheur
Sa victoire avait transfiguré Kilian. Débarrassé de ses entrainements intensifs jusqu'à sa prochaine compétition, il pouvait enfin faire ce qu'il préférait au monde : dormir, manger, jouer aux jeux vidéo, dormir, glander, sortir, lire des mangas, dormir, aider Gabriel, gâter Aaron, dormir... Il avait déjà son programme en tête pour toute la semaine à partir du lundi. Certes, il aurait bien voulu s'amuser le dimanche aussi, mais Aaron lui avait dit non. La journée était sacrifiée aux devoirs. Entre la dissertation de Français et les autres travaux à rendre, son petit ami se montra intraitable.
« Tu ne sors pas de ta chambre tant que tu n'as pas tout terminé ! J'veux pas que ta fainéantise nous pourrisse la fin des vacances ! Là tu te débarrasses de tout, il nous restera juste à réviser les interros dimanche prochain. Oublie pas que le dossier, c'est super important pour la suite, même si tu ne sais pas encore ce que tu veux faire plus tard. »
Ronchonnant dans sa barbe inexistante, Kilian se repencha sur sa feuille et gribouilla dans la marge un dessin plutôt mal fait d'un pauvre adolescent en pleurs en train de se faire fouetter par un brun démoniaque au sourire pointu. Prenant conscience d'à quel point l'écart entre son talent et celui de Gabriel était grand, il chiffonna le papier en boule, le jeta vers la poubelle, grogna en voyant qu'il était tombé à côté et laissa violemment sa joue choir sur le bureau. Regardant son homme avec des yeux de chien battu, il essaya sans succès de négocier une petite procrastination nécessaire à son équilibre :
« J'veux pas m'orienter ! J'veux rester au lycée avec toi pour toujours ! On a qu'à redoubler une dizaine de fois, comme ça, pas besoin de bosser, et on serra heureux. Du coup, j'peux regarder un dessin animé ? »
Malheureusement pour le blondin, son amant – qui avait déjà terminé depuis longtemps ses propres devoirs – fut inflexible. Dans ses délires, Kilian demanda même s'il ne pouvait pas plutôt aller à la messe puisque c'était le jour du seigneur, avant de se rappeler que la messe le ferait profondément chier et qu'il ne croyait plus trop en Dieu depuis qu'il avait compris qu'il ne pourrait jamais se marier devant un curé avec Aaron. Ainsi, il avait excommunié de son esprit la sainte église Romaine pour développer sa propre religion, l'Aaronisme. Son petit ami en était la principale divinité tutélaire ; Gabriel un ange – là, il avouait avoir un peu copié – ; lui le principal saint et prophète – il était bien le seul au monde à pouvoir piger pourquoi il était capital d'adorer un être aussi vil, acariâtre, détestable, désagréable, brun, autoritaire, prétentieux, intelligent et sexuellement attractif que son mec – ; ses copains des infidèles qui ne comprenaient rien au dogme ; le roman qu'Aaron écrivait sa bible ; le plaisir que ce dernier pouvait lui donner quand il le serrait dans ses bras, enfin, le plus grand de tous les miracles. Cette religion ne connaissait qu'un seul défaut : si le brunet en était le Dieu, alors il était normal d'obéir à ses commandements divins et donc de remplacer les prières par des devoirs, ce qui du coup était un peu piégeux quand on voulait glander le dimanche. Pour pallier à ce petit inconvénient, Kilian passa la moitié de la journée à essayer de faire le schisme dans sa propre tête, sans succès étant donné que son amour était bel et bien un et indivisible. Enfin, il réussit tout de même à finir tous ses exercices, ce qui lui permit de passer une semaine radieuse.
Du lundi au vendredi, ce fut toujours le même rituel. Réveil vers les dix heures. Glandage, petit-déjeuner, promenade des chiens et douche jusqu'à onze heures ; jeux vidéo jusqu'à midi puis repas à la maison ou dehors en couple. Ensuite, si le temps le permettait, courte visite à l'hôpital pour saluer Cédric puis, jusqu'à dix-sept heures, sortie au ciné, au parc, au bois ou au centre commercial avec les copains volontaires. S'ensuivaient toujours trois heures de pose intensives chez Gabriel. Le littéraire souhaitait avancer les préparations de son concours et réaliser de nouvelles illustrations pour le roman d'Aaron. Le brunet gratifiait d'ailleurs ses camarades de sa présence pendant la première heure et demie de chaque séance, où il écrivait dans son coin pendant que le châtain dessinait. Les deux profitaient de ces moments pour échanger à propos de l'avancée de l'histoire et de leur vision des lieux et personnages, puis le lycéen aux cheveux noirs s'éclipsait pour préparer le diner, laissant son petit ami et l'artiste seuls jusqu'à vingt heures. Enfin, quand Kilian rentrait, il se jetait sur la nourriture avant de sortir les chiens. Puis, au choix, il lisait, regardait la télé, jouait ou caressait les cheveux et le ventre de son homme qui s'était fixé d'écrire encore au moins une heure avant de se détendre avec une série puis un câlin bien mérité. La journée se terminait toujours de cette tendre manière. Toujours, sauf quand Kilian se jetait en sursaut du lit pour aller vérifier s'il n'avait pas oublié de remplir la gamelle d'eau de Patapouf pour la nuit.
D'après Aaron, l'animal était au moins aussi stupide et attachant que son maitre. Il n'hésitait pas à gratter à la porte de la douche quand il se sentait délaissé, à courser le blondinet qui courrait dans la rue et à regarder bêtement la télé sans rien y comprendre, simplement parce que son propriétaire était complètement absorbé par les images et que cela devait donc être intéressant. Par mimétisme, à chaque fois que Kilian essayait une nouvelle connerie, comme faire le poirier sur le canapé ou se retenir de respirer pendant une minute, le golden retriever en faisait une à son tour, en déchirant un coussin plein de plumes avec ses petits crocs ou en allant vomir à côté de sa gamelle. Dans ces moments-là, même Mistral regardait son jeune camarade de quatre mois avec un certain dépit avant d'aller se coucher aux pieds d'Aaron. Kilian, lui, était on ne peut plus fier de son petit compagnon avec qui il jouait à se disputer une balle et à glisser sur le carrelage de la cuisine jusqu'à s'encastrer dans les meubles. Patapouf était tout à son image : blond. Et pour Aaron, c'était une façon de résumer bien suffisante. Enfin, ce qui lui importait le plus, c'était que son Kilian soit heureux et que le chien le fasse rire et sourire. Dans cette optique, rien n'était plus attendrissant que de les voir allongés l'un à côté de l'autre sur le parquet à se faire des bisous et des léchouilles.
Le mercredi fut sans doute la meilleure journée de la semaine. Accompagné de Gabriel, Martin, Yun-ah, Jérôme, Koa et son petit ami Matthieu, les deux amoureux passèrent presque trois heures dans un centre de jeux. La partie de bowling fut facilement remportée par Yun-ah, qui enchaina les strikes. Kilian se vengea au air hoquet et au baby foot, où ses réflexes en faisait un très bon goal. Pour les jeux d'arcades, ce fut le rouquin de la bande qui, fort de sa grande expérience en jeux vidéo, écrasa la concurrence. Mais le moment le plus intense fut sans aucun doute la partie de Laser Game en équipe. Du côté des rouges, Kilian, Aaron, Gabriel et Jérôme formèrent un groupe soudé. La stratégie de leur équipe était plutôt simple : le brunet pensait à un plan tordu, le blondinet s'en fichait complètement et fonçait dans le tas en criant, le châtain passait derrière pour abattre une à une les cibles qui avaient survécu et le délégué, enfin, se planquait timidement dans un coin, touchant quand même avec talent ceux qui fuyaient dans sa direction. Après une victoire sans appel, une nouvelle organisation fut instaurée pour la deuxième manche : les couples seraient séparés. Du côté des rouges, on retrouva donc Aaron, Martin, Jérôme et Koa ; les quatre autres héritèrent de la couleur bleue. À cela s'ajouta une règle particulière pour les amoureux : À chaque fois que l'un ou l'autre réussissait à toucher son partenaire de cœur et adversaire de jeu, la victime se retrouvait obligée d'offrir un baiser au vainqueur, sauf dans le cas de Gabriel et de Jérôme qui, n'étant pas en couple, furent autorisés à simplement s'échanger une poignée de main. Les rouges écrasèrent ainsi sans aucun problème leurs adversaires, la faute notamment à Kilian qui, profitant de la pénombre, passa plus de temps accroché aux lèvres de son homme qu'à jouer, le suppliant de le toucher encore et encore pour que leur étreinte ne connaisse pas de fin. Pour fêter la fin de cette agréable après-midi, enfin, toute la troupe se retrouva au bubble tea bar du centre commercial, où le blondinet eut la révélation de ce qui devait être la boisson sainte de sa propre religion : un thé aux perles au Nutella, ce qu'il fit très fortement comprendre à son homme.
« Même dans ton roman, y a pas un truc aussi génial ! »
Cette douce journée se poursuivit tranquillement dans la chambre qui servait d'atelier à Gabriel. Les fesses posées sur une petite chaise dans un coin, son ordinateur sur les genoux, Aaron admira Kilian montrer les siennes. Depuis plus d'un an qu'il posait de la sorte, le blondinet avait fini par ne plus ressentir la moindre gêne. Tant que la température était agréable et qu'on lui préparait des biscuits, à boire et quelques bonbons, il faisait complètement abstraction de son état de nudité. Après avoir jeté en boule ses habits dans par terre, il tira le drap entre ses dents et s'étira de profil debout devant ses deux camarades. Trouvant la position intéressante, Gabriel lui demanda de la tenir plusieurs minutes, ce que l'adolescent fit avec la plus grande obéissance malgré quelques courbatures. De par l'éclairage tamisé d'une petite lampe créant une ombre presque fantomatique en arrière-plan, l'utilisation d'un drapé recouvrant l'important sans cacher l'essentiel et la silhouette fine du blondinet qui semblait tout droit sortie d'un livre d'images, la scène paraissait parfaitement irréelle. Malgré les mois qui passaient, l'allure de Kilian était toujours aussi fine, ses muscles sculptés par le sport toujours aussi discrets, ses mouvements toujours aussi gracieux, son ventre et ses cuisses toujours aussi doux et son visage toujours aussi tendre. Kilian vivait ses seize ans tel la sculpture d'un Eros. Sa peau claire luisait dans la pénombre. Ses yeux verts brillaient telles deux émeraudes éclairées dans la nuit. Ses cheveux dorés qui lui tombaient en plusieurs mèches bouclées sur la nuque et le front renvoyaient chaque grain de lumière en de multiples reflets emplis de contraste. Sortant son Reflex de sa sacoche, Gabriel laissa tomber quelques instants sa toile pour une séance de shooting improvisée, histoire de capter l'expression du blondinet mieux que ses pinceaux n'auraient jamais pu le faire. Le drap toujours coincé entre ses dents ivoirines, le modèle s'en étonna :
« Qu'est-che que tu fais, Gaby ? »
« Rien, c'est juste que j'avais l'impression que tu étais photoshopé en vrai, c'est ultra perturbant... Et puis, la photo, c'est un art aussi. Bouge surtout pas, j'vais essayer plusieurs réglages et filtres, faut que j'arrive à faire ressortir le rose de la scène... »
Toujours en retrait sur sa chaise, Aaron s'était depuis de longues minutes arrêté d'écrire pour observer en silence les différents jeux de lumières parcourant le corps de son amant. Un filet d'air chaud sortait de sa bouche entrouverte. Son léger sourire trahissait ses émotions. Après plus de deux ans de passion, il se sentait toujours autant amoureux. Pas seulement parce que Kilian était beau, mais bel et bien pour celui qu'il était au plus profond de lui-même, pour la journée agréable qu'ils venaient de passer, pour ses blagues, ses expressions, ses délires, ses joies et ses peines. Protéger ce sourire, cette naïveté, cette innocence qui avait toujours agis comme un bouclier face à la cruauté de la vie... à cet instant, dans ces quelques mètres carrés pleins de fouillis, le brunet ne pouvait rien désirer plus fort.
« Kilian, il faut que je te dise... »
« Après chouchou ! Che poche là ! Ah putain, cha douille ! Ch'vais m'péter le dos chi cha continue... »
Oui, son ange posait, et c'était sans doute bien plus important que tout le reste. En souriant, Aaron se repencha sur son ordinateur. Il se sentait bête. Rien ne pressait. Il avait encore un peu de temps avant de lui parler de ce qui l'angoissait. Même s'il devait la vérité à cette cervelle de moineau qui faisait battre son cœur, il ne pouvait pas briser la douceur d'un tel instant.
Après plus d'une demi-heure immobile, Kilian reçut l'autorisation de s'allonger sur le clic-clac pour reposer ses muscles et ses reins, ce qu'il fit avec plaisir. Sa relaxation fut cependant de courte durée. Après s'être échangé un regard complice, Aaron et Gabriel sortirent des cordes d'une malle et s'approchèrent du blondinet, passablement inquiet de ce qui l'attendait.
« Vous allez faire quoi ? J'angoisse là ! Je sais que j' devrais pas, mais j'angoisse ! Jusqu'à présent, y a rien avec des cordes dans le roman. J'sais pas c'que vous voulez faire, mais je ne suis pas au courant ! »
Avec un air particulièrement sadique, Gabriel se passa la langue sur la lèvre supérieure, puis commença à saucissonner son modèle devant le regard approbateur du brunet. Bras, ventre, torse, cuisses, jambes, pieds, main, poignets, cou, mollets, pubis et même petite intimité, tout le corps de l'adolescent fut recouvert par le cordage. Ce ne fut que lorsque le châtain lui demanda en souriant d'ouvrir la bouche que Kilian comprit de quelle scène il était question, ce qui provoqua l'immédiat rougissement de son organisme tout entier. Sans pour autant oser se débattre, il demanda à ses camarades de lui confirmer ce qu'il redoutait :
« Chérieux les mecs, vous allez pas faire chette chène ? Nan mais chérieuchement ? Ch'est chuper porno là ! »
Se caressant le menton, Aaron se fit songeur. Il répondit en haussant les épaules.
« Bah, on a discuté, c'est quand même le passage le plus important du chapitre treize. Et puis, sur des esquisses qu'il m'a montrées, il a super bien représenté Poulpi le Pieuvr, exactement comme je l'avais en tête. Tu te rends pas compte, mais au lycée, c'est le truc qu'on nous a le plus demandé la semaine dernière après le sauvetage du chapitre onze, mais ça, Gaby veut pas... »
Devant cet argumentaire à la noix qui était très loin de le convaincre mais qui s'imposait comme une parole divine, Kilian déposa les armes. Après tout, lui, il n'était que l'esclave de l'art. Suçotant pendant de longues minutes sa cordelette comme une tétine, il se décida à jouer le jeu à fond en laissant couler quelques larmes de honte sur ses joues écarlates, comme l'avait fait son avatar dans le récit. Et quand enfin il fut libéré de ses entraves et découvrit le résultat, il s'étrangla de toutes ses forces avant de se recroqueviller sur lui-même dans un coin.
« Putain, c'est encore pire quand on le voit que quand on le lit... Et j'peux même pas me plaindre de c'que vous faites vu que je suis complice et que je participe... Ah ça, vous m'avez bien baisé... »
Quittant les lieux pour préparer le diner, Aaron laissa seuls l'artiste et son petit ami. Boudeur mais quand même fier d'être un merveilleux modèle, Kilian attendit plus d'une heure pour rouvrir la bouche. Une question lui titillait la langue, à savoir où en était Gabriel dans la préparation de son concours. Son camarade lui détailla son plan : il voulait produire dix œuvres ayant toutes le même thème, le rose, et le même sujet, à savoir le blondinet et sa très chère nudité. Son objectif était surtout de montrer toute sa maitrise artistique après plusieurs années de pratique. Gouache, aquarelle, peinture à l'huile, crayons de couleur, photographie, crayons pastel, palette graphique, pointillisme, truelle et craie étaient les dix techniques qu'il avait retenues. Avec les clichés qu'il venait de prendre plus tôt et le dessin qu'il était en train de réaliser à l'instant, il en était déjà à sept et espérait finir la huitième avant la fin de la semaine. Mais plutôt que de regarder le résultat, Kilian préféra se réserver la surprise pour la grande expo qui aurait lieu en novembre dans les couloirs du lycée. Il voulait tout découvrir d'un seul coup. Enfin, il était l'heure de rentrer chez lui.
Après s'être rhabillé et donné quelques petites gifles sur le visage pour se remettre les idées en place, Kilian se mit à courir sur le chemin. Aaron lui manquait déjà horriblement, plus que d'habitude. Rien ne pouvait expliquer le désir fou qu'il avait de se jeter dans ses bras, ce soir-là plus que tous les autres. Quand enfin il arriva et vit qu'un bon repas chaud l'attendait sur une table déjà mise, il se mordilla la lèvre inférieure. En même temps, son mec faisait divinement bien les pâtes, notamment celles à la crème fraiche, citron vert et menthe, une petite recette de sa création. Entre deux bouchées, les adolescents discutèrent une fois de plus du roman. Kilian se vit expliquer que « Geb » était un surnom utilisé par Gabriel dans un meuporg – ou MMORPG pour les non profanes – dans lequel l'artiste campait un troll. Lui, Aaron et d'autres y jouaient souvent quand le blondin s'entrainait à l'escrime.
« Han, c'est comme ça que t'as eu l'idée alors ? J'me suis fait avoir comme un bleu à rien capter... J'crois que je suis aussi con que mon personnage, en fait... »
Cette confession pleine d'autodérision fit sourire Aaron. Se levant pour débarrasser les assiettes vers l'évier et le lave-vaisselle, il en profita pour déposer un baiser sur le front de son chéri.
Ce qui conclut merveilleusement cette belle journée, ce fut les quelques dizaines de minutes qui suivirent la fin du repas, après que Kilian ait demandé à Aaron de lui parler de ce qu'il voulait lui dire plus tôt, chez Gabriel. Incapable de répondre la vérité, le brunet botta en touche et improvisa un tout autre discours que celui qu'il avait prévu, à la plus grande joie de son petit ami qui lui sauta amoureusement au cou.
« Euh... Cette après-midi, t'as parlé à Martin de votre convention manga, qui a lieu cette année fin novembre... J'me disais que j'avais bien envie de venir avec vous, pour partager un peu ta passion. Et comme je voulais te faire plaisir, j'accepte de me déguiser aussi, mais c'est vraiment, vraiment parce que je t'aime... »
En sentant la langue de Kilian s'enrouler nerveusement à la sienne, descendre sur son torse et flirter avec le vide bien trop plein qui séparait ses jambes, Aaron se fit la remarque qu'il était vraiment plus simple d'annoncer une bonne nouvelle que d'évoquer ses problèmes familiaux. Alors que son petit ami lui avait furieusement arraché le t-shirt et déboutonné le jean, il continuait à lui cacher certaines choses. Il se sentait honteux. Quasi nu sur son fauteuil devant son écran posé sur le bureau, il prétendit que le moment était plutôt mal choisi pour le remercier et qu'il devait encore écrire. À cela, le blondinet répondit sans relever la tête ni lâcher l'objet qu'il recouvrait amoureusement de ses lèvres.
« Bah continue à écrire ! Cha peut être cool ! cha va te donner de l'inchpiration ! Mais chut maintenant, laiche-moi faire ! »
Et en effet, les mots virent tout seul. Habillé uniquement de ses lunettes de lecture posées sur le bout de son nez, Aaron laissa ses doigts rédiger tous seuls ce qui était sans aucun doute la scène la plus érotique qu'il n'avait jamais écrite. Comble du hasard, il s'était arrêté dans son histoire juste au moment où le Kili'an se retrouvait une nouvelle fois face à l'Aar'on, pour un tête-à-tête particulièrement intime. Non seulement, il était en train de réaliser un putain de fantasme, à savoir écrire tout en se faisant déguster, mais en plus, le plaisir qui animait Kilian – plus heureux que jamais de gâter la source de sa joie et de son bonheur – était parfaitement tangible. Les capteurs sensitifs du brunet ne le trompaient pas : son petit ami était dans un état peu commun d'excitation et de plaisir partagé. Et quand, les muscles complètement paralysés par un amour trop intense, Aaron sentit les endorphines libérées par son cerveau irriguer tout son corps, il ne put que laisser ses doigts glisser du clavier jusqu'à la chevelure dorée de son petit lionceau adoré. Sans le moindre bruit, il la lui caressa de longues secondes. Dans cet exercice où il était toujours difficile de choyer sans vulgarité et d'aimer sans perversité, Kilian avait vraiment rendu une de ses plus belles copies.
Entre le lundi et le vendredi, le blondinet rendit trois fois visite à son frère et passa plus d'une heure au centre commercial pour lui acheter son cadeau d'anniversaire. Le jeune adulte avait fêté ses dix-neuf ans quelques jours plus tôt. Avec la complicité du personnel hospitalier, ses proches avaient profité du samedi pour lui faire une petite surprise. Nombreux furent ceux qui firent le déplacement : ses amis de lycée, sa petite copine toujours aussi impliquée dans son rétablissement, son père, sa tante, des amis dont la famille Mercier, et même sa mère qui, présente avant tout le monde, était partie en vitesse avant l'arrivée des convives. La croisant avec surprise dans le hall, Kilian eut bien du mal à la regarder en face, et s'accrocha fermement au bras de son brunet. Sans dire un mot, la pauvre femme fit un signe de tête aux deux adolescents avant de sortir. Aaron, lui, caressa la nuque de son petit ami pour lui redonner un peu d'énergie.
« Ne la juge pas trop négativement il parait qu'elle vient souvent voir ton frère. Malgré tout ce qui s'est passé entre vous, je crois qu'elle a été marquée par l'accident, et qu'elle regrette beaucoup de choses. Je sais qu'elle a toujours été une mauvaise mère et que c'est trop tard pour qu'elle répare ses erreurs, mais ne lui interdit pas d'essayer... »
« Je sais... », répondit le blondinet dans un sanglot. « Je lui reproche pas de venir, c'est juste que ça me bouffe qu'on ne puisse pas être tous ensemble... comme une famille... Elle devait me rappeler, qu'on bouffe ensemble de temps en temps, mais on dirait qu'elle n'ose pas. Et comme moi j'ai pas envie de la voir... ça me gave, c'est tout... »
Après plusieurs minutes immobile devant la porte de Cédric, Kilian se sentit suffisamment fort pour frapper. Tombant sur sa tante Suzanne, il se jeta à son cou pour l'embrasser puis s'approcha de son frère. Toujours alité, ce dernier semblait aller mieux depuis qu'il avait rouvert les yeux, même s'il était loin d'avoir recouvré toutes ses facultés. Après plus d'une heure à discuter, à s'amuser et à grignoter arriva le moment d'ouvrir les cadeaux. Les attentions de ses proches touchèrent le jeune adulte. Celle de Kilian le poussa à se frotter les yeux, geste dans lequel il mit toute son énergie.
« Merci Kili, ces gants de boxe sont magnifiques... Je sais que tu as envie que je m'y remette, moi aussi, mais je ne peux pas te le promettre. Je ne sais même pas si j'arriverais à remarcher un jour... Allez, ne fais pas cette tête, j'te dis que ça me fait plaisir... Putain Kili, tu vas me faire chialer là, j'les aime tes gants... et j't'aime p'tit frère... »
L'émotion, trop intense, poussa le blondinet à s'excuser et à sortir de la chambre. Pour pleurer, il n'avait besoin que d'un mur pour poser son dos et d'un couloir vide pour que raisonnent ses cris. Il serrait les dents. Aaron, lui, ne le rejoignit que quelques secondes plus tard, après avoir offert son propre cadeau à Cédric et avoir reçu comme consigne de faire tout son possible pour faire le bonheur de Kilian et veiller sur lui. Le lycéen avait promis en ravalant ses propres larmes, puis s'en était allé rejoindre l'amour de sa vie.
Sur le chemin, marchant à pas lents en tenant la main de son petit ami, l'adolescent aux yeux verts sentit le froid de l'automne glacer son dos. Malgré la semaine de bonheur qu'il venait de passer, il se sentait triste. Et là, il avait besoin d'un bon remontant.
« En rentrant... fais-moi l'amour... sauvagement... »
Après une courte douche, Kilian s'allongea sur le ventre sur son lit et obtint ce qu'il avait réclamé. Sans bouger, il se laissa porter par les mouvements violents et intenses de son homme. Partant de son bassin, ils se diffusaient par vagues jusqu'aux extrémités de son corps. Le visage encore marqué par la peine et l'humidité de la douche, il regarda le mur en face de lui en soupirant entre deux sensations de douleur et de plaisirs mêlés. Rarement Aaron avait été aussi peu précautionneux avec son anatomie. Rarement, aussi, il ne lui avait donné une telle satisfaction dans un moment de déprime passagère.
Se plaquant à son dos en bout de course, le brunet laissa couler une larme dans son cou. Lui aussi était éreinté. La phrase qu'il lui murmura à l'oreille résuma parfaitement ses impressions torturées du moment.
« Te faire l'amour, c'est comme déchirer l'innocence à coup de rein ! »
« T'as de ces images... »
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