15. Vacances, compétition et yeux pétillants
Peu d'informations furent données aux élèves à propos de ce geste de folie. Tout juste le directeur passa-t-il le vendredi soir dans la classe des S1 pour leur indiquer que leur camarade allait très bien, qu'il s'était juste un peu coupé en glissant involontairement dans les toilettes contre le miroir, mais que ce n'était jamais qu'un peu de sang et de bris de glace. Au pire, l'adolescent s'en tirerait avec trois points de suture et sept ans de malheur.
Ces explications ne rassurèrent personne. Les bruits de couloirs parlaient d'un geste tout à fait volontaire. Après tout, son sourire d'une extrême douceur était connu pour cacher bien des choses. Tout son samedi, Kilian le passa accroché à son téléphone et à son ordinateur, essayant par tous les moyens d'obtenir – sans succès – des nouvelles rassurantes, ce qui causa l'énervement de son petit ami :
« Même si t'es mignon, ce n'est pas une raison pour vouloir te sauter dessus ! Alors arrête de te faire du souci pour ce connard frustré. »
« Mais je kiffe ça, moi, les connards qui veulent m'embrasser ! », répondit Kilian du tac-o-tac en soutenant le regard sévère du brunet. « J'les adore, même. J'me souviens, la première fois qu'il y en a eu un pour me chauffer, j'avais quatorze piges. C'était en vacances, je suis tombé sur le plus gros connard de l'univers. Un salaud, t'imagines même pas ! Cet enfoiré, il m'a volé un baiser derrière des douches, sans même se demander si je voulais bien, tu t'rends comptes ? Et tu sais la meilleure ? J'ai fini par coucher avec et même que maintenant, c'est mon petit copain ! Donc si j'avais dû repousser tous les connards du monde, j'serais encore puceau à l'heure qu'il est. Alors zut ! »
La logique blondinienne de son amant poussa Aaron à soupirer en se tenant la tête entre ses doigts fins. Le pire, c'était qu'il ne disait que la stricte vérité. Et le pire du pire, c'était que le brunet n'arrivait même pas à regretter une seule seconde le comportement qui avait été le sien à l'époque.
« Mais moi, c'est différent ! », répondit-il en grognant. « T'étais amoureux de moi sans le savoir, fallait juste que je te l'explique ! Et j'étais dingue de toi ! Cléo, lui, il allume tout le monde mais il n'aime personne. Ce n'est qu'un pauvre type. Malheureux, mais pauvre type. »
« Justement ! », le reprit son petit ami. « C'est bien pour ça que je me fais du souci pour lui. Des fois il est super sympa, et le lendemain, il déconnecte complètement. T'as pas envie de savoir pourquoi il réagit comme ça, toi ? T'as pas envie de comprendre ? Moi, ça m'angoisse... Et puis j'en ai ma claque de me brouiller tous les ans avec des camarades de classe. On est en première, plus au collège. La connerie, ça va bien à un moment. »
Songeur, Aaron n'osa pas répondre. Il n'était pas curieux de savoir pourquoi Cléo se comportait comme cela : il avait déjà plus ou moins compris, mais ne se sentait simplement pas libre d'en parler. Et puis, la maturité de Kilian avait le don de le rendre muet. Malgré son éternel comportement de gamin, son petit blond était touchant et étonnant dès qu'il faisait preuve d'empathie et d'intelligence humaine, ce qui n'était pas si rare. Alors, après lui avoir déposé un baiser sur la joue, le brunet lui demanda de passer son propre bonjour à leur camarade s'il arrivait à le joindre et descendit travailler au calme dans le salon, Mistral à ses pieds et Patapouf sur les genoux.
Le lendemain matin, Kilian réussit enfin à avoir des nouvelles, grâce à Manon. Très proche de Cléo, elle avait envoyé une photo d'eux deux en pleine forme à quelques camarades de classe. Sur le front de l'adolescent, on pouvait simplement une espèce de gros pansement masquant une vilaine coupure. Le message qui accompagnait cet envoi se voulait résolument positif. « Même s'il est ronchon et s'il fait la tête, il va bien ! Bonnes vacances à tous ! »
Rassuré, Kilian passa à l'hôpital rendre visite à son frère en plein exercice de rééducation, puis traina Aaron à la crêperie et au cinéma pour assister à la projection du dernier nanar américain à l'affiche. Le film étant d'un ennui invraisemblable, il s'occupa comme il le put en laissant discrètement sa main se balader sous le t-shirt de son petit ami. Quant au dénouement de cette histoire sans queue ni tête, il ne la connut jamais. La faute aux toilettes bien mal équipées qui n'avaient même pas d'écran pour diffuser le son et les images à ceux pris d'une envie pressante de soulager leur vessie ou leur amour.
Le soir, allongé sur le canapé avec les chiens, le blondinet passa un des plus beaux moments de son existence. Un léger feu dans la cheminée réchauffait sa peau. Les yeux clos, il écouta pendant plus d'une heure Aaron s'exercer au clavier qui trônait au milieu du salon. Pris par son écriture, le brunet avait légèrement délaissé la pratique de son instrument depuis le début de l'année, mais avait promis de profiter des vacances pour se remettre à niveau. Là, sur certains de ses airs préférés, il laissa voler ses doigts. Une reprise du générique de Game of Thrones à sa sauce ; la lettre à Élise qui faisait toujours vibrer le cœur de Kilian en lui rappelant d'intenses souvenirs ; une interprétation osée de la bande originale de Titanic ; le Mariage d'Amour de Clayderman... Tous ces airs emmenèrent le blondinet loin, très loin, dans un monde où rien ne pouvait l'atteindre. Au toucher subtil et nuancé d'Aaron répondait un sourire plein de grâce d'un adolescent plus amoureux que jamais. À chaque note, le brunet ne pouvait que penser à ce garçon qui l'écoutait et à qui il aurait bien voulu écrire tous les mots les plus doux au monde, si seulement il ne lui restait pas à les inventer. Et peut-être que s'il avait eu le courage, il aurait aussi pu lui parler de la raison qui faisait s'écouler une à une sur son visage des gouttes qui s'écrasaient et éclataient sans un bruit être les fa bémol et les si dièses.
Le peu de nouvelles qu'il recevait de son père et, parfois, de sa mère étaient loin d'être rassurantes. Mais Aaron avait fait son choix. Il ne pouvait repartir en arrière. Il devait être fort. Le téléphone et Skype l'aidaient à combler une trop longue distance qu'il ne voulait plus jamais parcourir. Cette route qui l'avait pendant un an séparé de Kilian, celle-là même qui avait envoyé Cédric à l'hôpital, il souhaitait ne plus jamais la suivre. Alors, sans un mot, ce fut avec sa musique qu'il s'exprima. Le tempo suivait ses émotions. Les touches s'écrasaient sous l'intensité de sa peine. La mélodie se faisait et berçait son petit ange. Lui dire ce qui le tracassait vraiment, il n'en avait pas le courage. Il devait le préserver, lui qui souffrait déjà si fort à cause de l'état de son frère.
Non.
La vérité était ailleurs. Il ne faisait que se la cacher à lui-même en abandonnant ses doigts et son âme à la musique. Il avait peur. Peur de ce que Kilian, gentil et sensible comme il l'était, lui répondrait. Peur de ce qu'il ne pouvait que lui répondre. Paisiblement installé sur son canapé en se laissant bercer par le talent d'un garçon qu'il aimait en compagnie d'animaux qu'il adorait, ce dernier souriait, heureux, sans même s'imaginer la torture infernale que son petit ami s'infligeait.
Toute la semaine, les deux adolescents vécurent leurs occupations chacun de leur côté, ne se retrouvant que le soir pour partager un petit moment d'intimité qui les faisaient se combler l'un l'autre. Souvent épuisé, Kilian revendiqua le rôle de l'étoile de mer qui le comblait parfaitement et lui donnait des forces pour sa compétition du samedi qu'il voulait absolument remporter pour confirmer à sa fédération tout le bien fondé de ce qu'elle pouvait penser de lui. Obsédé par cette échéance, il s'entraina sans relâche, profitant des pauses où il ne tirait pas pour courir et faire des séries de pompes et d'abdominaux. Son programme, taillé sur mesure, lui permit de s'exercer avec les meilleurs de son club des catégories plus âgées, mais aussi avec son rival de toujours, invité à partager son petit stage. Comme ils se connaissaient par cœur, leurs joutes étaient des plus serrées, même si sur l'ensemble de la semaine, la balance pencha légèrement du côté de Pierre. Qu'importe, ce qui comptait, c'était la grande finale qu'ils étaient presque sûrs de disputer l'un contre l'autre.
De son côté, Aaron s'occupa des courses et des repas, qu'il voulait à chaque fois riches et équilibrés pour satisfaire son petit sportif. Son initiative fit la satisfaction de François, ravis de n'être que de corvée de vaisselle. Le reste de ses journées, le brunet les passa sur son roman à terminer le chapitre quatorze et à réfléchir au suivant ; à promener les chiens ; à s'exercer au piano ; à planifier la deuxième semaine de vacances de son amoureux, faites de devoirs et de séances de pose chez un artiste aux yeux bleus ; à le suivre parfois à la salle d'armes pour le voir s'exercer ; et, enfin, à jouer à un jeu en ligne en compagnie de sa guilde dans laquelle on retrouvait un certain chaton savoyard et l'artiste susmentionné.
Le jeudi soir connut la seule exception à ce programme bien réglé. Laurent et Elsa Mercier étant invité à une soirée du Lions Clubs local, le blondinet s'était retrouvé d'astreinte pour garder leur fils, une mission qu'il accepta avec joie en comptant par avance tous les petits billets que cette soirée lui permettrait d'ajouter à sa petite caissette. En parfait petit Harpagon, il avait de nombreuses fois, ses petits yeux pétillants, recompté son petit solde avant de le cacher sous son petit lit, sous le regard abasourdi de celui qui partageait sa chambre.
Arrivant sous les coups des dix-neuf heures, Kilian sonna et entra rapidement.
« Bonjour mon grand, merci à toi d'avoir pu te libérer, c'est super sympa ! »
« Ouais ! Et Patapouf s'est libéré aussi, il avait envie de venir ! Dis bonjour à Laurent, Pata ! Donne la patte... Donne... Allez, donne ! Pfff, j'abandonne, il est trop con, pire que moi... »
Après avoir salué l'animal qui s'était couché sur le dos au lieu d'obéir à son maitre, l'adulte énonça ses dernières consignes :
« Benjam est en haut en train de regarder la télé. Il s'est déjà lavé tout à l'heure, on vous a laissé des lasagnes, tu as juste à les réchauffer au micro-onde. Ah, et une dernière chose, il s'est très mal comporté avec sa mère cette après-midi après qu'elle lui ait coupé l'ordinateur. Il passait ses journées sur un réseau social étrange, Ask je crois. Elsa a vu dans la presse un article très effrayant à ce sujet et il n'a pas supporté sa décision... les jeunes... »
Après cette mise au point, Kilian pianota sur son téléphone puis monta retrouver son élève préféré avachi devant une émission à très faible potentiel intellectuel. Sa première décision fut de couper la télé et de fouiller dans les vieilleries de Laurent à la recherche d'une rareté à laquelle ils pourraient jouer ensemble. Sa bonne surprise fut de tomber sur quelques Final Fantasy ancienne génération qu'il n'avait jamais faits et sur Ridge Racer, un jeu de course qui avait beaucoup perdu avec le temps mais qui restait assez fun.
« Si je gagne la course, tu me racontes pourquoi c'est si important pour toi d'aller sur cette merde de Ask. Si je perds, je te laisse répondre à une question qui t'a été posée dessus, mais uniquement la plus récente chronologiquement ! »
Après avoir acquiescé timidement, Benjamin n'eut aucun mal à se défaire de son adversaire. Ce dernier eut beau se justifier de toutes les manières possibles – c'était Patapouf qui lui avait fait un bisou pendant la course ; sa manette marchait mal ; son adversaire avait surement triché ; le jeu était plein de bugs –, sa défaite et son humiliation furent totales. Au moins la mauvaise foi absolue du blondinet redonna-t-elle le sourire à son élève. Sourire qui disparut rapidement quand il se rendit compte dans quel piège il venait de tomber. La dernière question en date, c'était Kilian qui l'avait discrètement postée quelques instants plus tôt. Et elle était d'une clarté absolue. « Pourquoi c'est important pour toi ? J'ai regardé vite fait, toutes les questions qu'on te pose sont crades, stupides et dégradantes... »
Furieux de s'être fait avoir aussi stupidement, Benjamin courut s'enfermer dans sa chambre et se jeta sur son oreiller qu'il recouvrit de larmes. Bloqué devant la porte, le lycéen n'eut pas d'autres solutions que de le menacer de supprimer toutes les sauvegardes de ses jeux préférés s'il ne le laissait pas entrer. Le bluff fonctionna à merveille. Le regard humide plein de haine, Benjam déverrouilla la serrure. Plutôt que d'élever la voix, le blondinet eut la présence d'esprit de se saisir d'un coussin et de l'écraser sur la tête de son élève. Ce dernier se vengea aussitôt en se jetant sur son professeur qui tomba au sol. Furieux, il essaya sans succès de le griffer et de lui donner une multitude de petits coups de poings sur le torse. La scène dura une trentaine de secondes avant qu'il ne parte dans un long et profond sanglot.
Le serrant du bras gauche contre lui et caressant sa tête de la droite, Kilian lui chuchota que tout allait bien se passer et qu'il était de son côté, paroles réconfortantes qui permirent à l'enfant de se calmer. Et après quelques minutes de câlin improvisé, Benjamin murmura les raisons qui l'avaient mis dans un tel état :
« Steuplait, laisse-moi répondre aux autres. J'avais promis, j'vais me faire charrier si j'le fais pas... »
Même s'il ne comprenait pas les causes profondes qui poussaient le jeune ado à se donner ainsi en spectacle sur Internet, le blondinet fit preuve de psychologie en acceptant de fermer les yeux pendant qu'il réchauffait le diner et de ne rien répéter à Elsa. Ravi, Benjamin le remercia avec un inatendu mais adorable bisou sur la joue et se jeta sur l'ordinateur familial.
Après le dessert, les deux compères se lancèrent dans une partie de Final Fantasy VII, qu'ils se promirent de continuer ensemble jusqu'à en voir la fin. Certes, les graphismes et le système de combat étaient complètement dépassés, mais le héros Cloud avait un charisme incroyable. C'était d'ailleurs de loin le personnage préféré du collégien qui s'amusait, non sans talent, à le dessiner sur ses cahiers. Enfin, après près de deux heures de jeu et de discussion sur les mangas et le sport, Kilian vérifia que le petit monstre s'était bien lavé les dents puis l'envoya au lit avant de glander devant la télé en envoyant des messages coquins à son petit ami jusqu'au retour des parents.
Lors du débriefing qui suivit, le blondinet fut assez timoré. Il avait tout à fait conscience du manque de joie de vivre de son élève, et il voulait trouver des solutions pour y remédier, se calquant inconsciemment sur la trame du roman d'Aaron, où le personnage inspiré de Benjamin admirait le héros s'entrainer à l'épée.
« Ce week-end, j'ai une compétition d'escrime... si Benjamin n'a rien d'autre à faire, ça serait j'aimerai bien qu'il vienne. Je... je pense que s'il me voit tirer, il comprendra mieux les messages que j'essaie de lui faire passer. Les valeurs du sport, tout ça... »
Enfin, le grand jour arriva. Vêtu d'une nouvelle combinaison que son père venait de lui acheter pour remplacer la précédente devenue trop petite, Kilian sortit sans le moindre problème des poules. Dans sa tranche d'âge, trop peu d'adversaires possédaient la même agilité et technique que lui. Son secret pour enchainer les touches était fort simple : au début de chaque assaut, il se servait du bout de son fleuret pour analyser les gestes et réaction de son adversaire afin de déterminer où se situait la faille. Et s'il n'en trouvait pas, il poussait l'autre à la faute en multipliant les feintes et en l'attirant vers lui pour mieux contre-attaquer. Sa réussite s'expliquait autant par ses excellents réflexes que par sa capacité d'adaptation. Sur la piste, il disait ne penser à rien. En réalité, son cerveau carburait à un régime fou qui l'aurait rendu malade s'il en avait simplement eu conscience.
Dans le public, ses supporteurs étaient nombreux. On y trouvait la moitié du club, mais aussi François qui s'était juré de ne plus manquer ces moments importants, Martin et son père, fidèles habitués des gradins, et Aaron qui se transformait à chaque match en la plus bruyante des groupies. À côté, d'autres têtes moins attendues avaient aussi fait le déplacement, comme Sandra, la copine de Cédric qui avait promis à son petit ami de lui faire des vidéos, de Gabriel qui fuyait le compagnon de sa mère et de la famille Mercier au grand complet. Même si Benjamin avait trainé des pieds pour la forme, c'était peut-être lui le plus impatient de voir Kilian performer sur la piste centrale. Déjà en chemin, excité comme une puce dans la voiture, il était sorti de son habituel silence pour insulter les autres conducteurs qui ne roulaient pas assez vite et qui le mettaient en retard – notamment les plaques 75 qu'il détestait par-dessus tout –, à la plus grande gêne de son paternel.
Dans les tribunes, le jeune garçon s'était assis mécaniquement à côté d'un adolescent aux cheveux noirs. Ce ne fut qu'après l'apparition du blondinet pour son quart de finale, alors que son voisin s'était mis à crier aussi fort que lui, que Benjamin se tourna et le dévisagea :
« Mais... toi... T'es l'pédé, là, celui dont Kil est amoureux ? »
Après s'être étranglé de crispation à défaut de pouvoir serrer de ses mains le cou de ce petit effronté, Aaron toussa bruyamment afin d'alerter le père de la mauvaise éducation du bonhomme. L'initiative restant sans réaction, il s'autorisa un petit retour à l'envoyeur :
« Mais... T'es le p'tit con qui veut m'piquer mon mec... Kilian t'a pas dit que j'étais méchant ? Le dernier qui m'a traité de pédé, j'l'ai enculé. Tu voudrais pas qu''il t'arrive un truc pareil, quand même ? »
Déglutissant de peur, le collégien se recroquevilla en faisant non de la tête. L'énergumène était encore plus effrayant en vrai qu'en photo. Plutôt que d'admirer le blondinet humilier son adversaire, Benjamin passa le match à trembler, les yeux fixés sur Aaron qui beuglait pour encourager son homme. Cette attitude un poil trop enthousiaste, d'ailleurs, causa la désapprobation des officiels qui allèrent jusqu'à mettre un carton jaune pour anti-sportivité à l'adolescent trop bien soutenu par son camp. Furieux de cet accroc sans incidence, Kilian passa le peu de temps libre qu'il avait avant son match suivant pour sermonner son petit ami. L'escrime était un sport de gentlemen ! On pouvait crier, mais avec bienséance. Bougon, Aaron croisa les bras. S'il n'avait plus le droit de s'emporter par amour et si son petit blond se mettait à être plus sage que lui, c'était qu'il était temps pour les poules d'aller chez le dentiste soigner leurs caries.
Profitant de cet interlude, Benjamin interpella son mentor et lui demanda cyniquement s'il était au courant que son petit ami s'était amusé à copuler par-derrière avec le dernier qui avait osé lui dire qu'il était homosexuel. À voix basse pour ne pas se faire entendre par les adultes présents, Kilian répondit en haussant les épaules :
« Bah oui j'le sais ! C'est de moi dont il s'agit ! C'était hier soir en plus. J'sais plus pourquoi, j'lui ai sorti qu'il était gay, il a pas apprécié... Enfin, c'est Aaron hein, faut pas faire attention... Chouchou, arrête de traumatiser Benjam, tu veux ? Eh, franchement, si mon brun t'embête trop, demande au rouquin et au châtain derrière toi de te protéger, c'est des copains. Bon, j'y retourne. Apparemment, Pierre aussi est en demi, ça sent bon pour la finale, ça ! »
Quelques instants après, la compétition reprit son cours normal. Attentif, Benjamin s'intéressa aux différents athlètes. C'était la première fois qu'il voyait de l'escrime en vrai et le spectacle l'impressionnait plus qu'il ne l'aurait imaginé. Surtout Kilian. Impérial en demi, la tornade blonde brillait tellement que chacune de ses fentes suffisait à éclipser toutes celles des autres. Sous ses beaux habits blancs, on devinait un corps fin et taillé pour ce type de duel. Derrière son casque, on imaginait son regard émeraude féroce et intimidant. Son fleuret tendu devant lui, il n'était plus un homme, il était un super-héros de comics, un guerrier de manga et un mousquetaire de littérature, tout ça à la fois. Les yeux écartés et la bouche grande ouverte, le collégien s'accrocha au siège devant lui pour ne pas trop trembler. Il était tout simplement fasciné. Sur le siège voisin, Aaron avait baissé d'un ton et prenait des notes dans un petit carnet en échangeant des regards avec le châtain assis derrière lui qui, de son côté, dessinait des croquis basiques des différentes postures.
Pendant le match pour la troisième place qui le passionnait beaucoup moins, le jeune pré-ado se tourna timidement pour demander à l'artiste ce qu'il pouvait bien faire avec le méchant brun, question à laquelle ce dernier répondit sans même lever le nez :
« Je fais les dessins de son histoire dont Kil est le héros, t'en a pas entendu parler ? Elle est vachement cool, mais j'la déconseille aux enfants. Par contre, comme t'es dedans toi aussi, ça serait gentil si tu pouvais me faire un beau sourire le temps que je te tire le portrait. Allez, lâche-toi ! Kilian m'a dit que tu étais adorable ! »
Complètement sous le choc de cette révélation à laquelle il ne s'attendait pas du tout, Benjamin se sentit flatté. Lui, personnage de roman ? C'était trop la classe. En même temps, c'était aussi effrayant, vu que l'auteur était un brun qui grognait. Souhaitant tout de même faire bonne figure, il força ses zygomatiques, avec un résultat crispé qui fit exploser de rire Gabriel.
Enfin, la finale commença. Et comme prévu, elle opposa les deux meilleurs jeunes de toute la vallée du Rhône.
Si Pierre prit rapidement l'avantage, Kilian se démena pour revenir au score. Après plusieurs minutes d'une lutte intense, ils se retrouvèrent à quatorze touches chacun. La bouche grande ouverte, Benjamin se mit à prier pour la victoire de son professeur particulier. Et lorsque la petite lumière verte s'alluma, il exulta et se jeta mécaniquement dans les bras de la personne juste à côté de lui qui partageait sa joie.
Ce ne fut qu'après quelques secondes qu'il se rendit compte qu'il faisait la fête avec Aaron, peut-être finalement moins méchant qu'il en avait l'air, surtout quand il chantait à tue-tête que son petit blond qui serrait le poing fièrement en sa direction était vraiment le meilleur.
Après la remise des récompenses, François invita tout ce petit monde dans un bar à côté du stade pour le verre de l'amitié. Avec sa médaille en or autour du cou, Kilian descendit cul-sec son coca avant d'enlacer son rouquin de meilleurs copain, de frotter sa joue contre celle de Gabriel et d'embrasser avec fougue son petit ami qu'il avait choppé par le col.
Un peu tassé sur lui-même devant son Orangina, Benjamin admira un long moment le héros de la journée avec des yeux pétillants avant de se décider à se tourner vers ses parents. Prenant son courage à deux mains, il leur demanda presque en chuchotant s'il pouvait s'inscrire à l'escrime pour devenir comme Kilian. Si la nouvelle de voir leur fils s'intéresser à quelque chose d'autre que ses jeux émut Laurent et Elsa, ce fut sur le visage du blondinet que s'afficha le sourire le plus radieux. Heureux comme jamais que son plan se trouve couronné de succès, il se jeta sur le jeune garçon et le câlina comme une peluche en lui caressant la tête et en lui promettant d'en faire une graine de champion.
Dans la voiture sur le chemin du retour, sa tête ravie posée sur l'épaule d'Aaron, Kilian lui demanda ce qu'il pensait de Benjamin, maintenant qu'il l'avait vu. Songeur, le brun mit quelques secondes avant de répondre. Malgré son côté un peu provocateur, le collégien lui avait fait plutôt bonne impression. Avec Gabriel, il l'avait observé discrètement toute l'après-midi, surtout quand il se perdait seul dans ses pensées. Et leur verdict était sensiblement le même :
« Il n'est pas heureux. Son regard me rappelle un peu celui de Justin, en moins alarmant quand même. Je pense qu'on lui fait du mal. Je ne sais pas qui ni comment et encore moins pourquoi, mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a peur. »
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