12. Être soi-même...

« Nan mais si t'avais vu Aaron ce matin avec Patapouf trempé dans les bras, t'aurais été mort de rire ! »

Comme le lundi précédent, Kilian avait rapidement filé après les cours chez la famille Mercier pour aider Benjamin dans son long combat solitaire contre les mathématiques. Bien plus captivé par les conneries à la télé que par ses devoirs, le préado avait ronchonné avant de se mettre au travail. Pour l'amuser entre deux problèmes, le professeur s'était naturellement laissé aller à quelques anecdotes au sujet de sa petite vie bien rangée.

Ce matin-là, alors qu'il pleuvait des trombes d'eau, Aaron avait fait le choix de braver les éléments et le froid pour son petit jogging quotidien en compagnie de Mistral et de Patapouf. Ce matin-là, le chiot avait découvert pour la première fois ce qu'était vraiment le tonnerre. Effrayé par un flash puissant et terrorisé par le bruit, il s'était réfugié en couinant sous un banc. Ce matin-là, le brunet s'était ainsi essayé à un nouveau sport : la marche sous-marine avec chiot trempé – qui commençait à faire son poids –dans les bras. Ce matin-là, il avait fallu plus de dix minutes à Kilian pour calmer sa crise de fou rire qui l'accompagna pendant tout le petit déjeuner. La tête d'Aaron était simplement hilarante : avec ses cheveux en vrac sur les yeux, son visage dégoulinant de toute part, ses fringues trempées jusqu'au caleçon et aux chaussettes et sa manière d'éclabousser tous les environs en faisant vibrer ses lèvres, il ressemblait à un véritable personnage de cartoon. Mais ce qui acheva le blondinet, ce fut surtout l'attitude de Patapouf. Une fois au sec, le chiot était tout de suite descendu des bras de son porteur et s'était mis à aboyer, courir et sautiller dans toute la maison autour d'un brunet plus ténébreux que jamais pour lui demander de jouer avec, comme s'il ne s'était rien passé et qu'il ne s'était pas ridiculisé quelques instants plus tôt avec sa couardise.

« Nan mais sérieux, j'vais l'butter ce chien ! Et ensuite, j'butterai son maitre qui rigole comme un demeuré depuis tout à l'heure... Tu pourrais compatir, merde ! »

Ce fut exactement ce que Kilian se décida de faire, mais avec sa propre définition de la compassion. Serrant son chiot dans ses bras, il le caressa de longues secondes pour le rassurer. Le méchant orage était passé et le vilain Aaron était simplement super mal luné, comme la veille et l'avant-veille ! Et en plus, il puait le chien mouillé, c'était une atrocité !

La réconciliation eut heureusement lieu quelques instants plus tard, sous la douche. Pour une fois, le blondinet l'accepta chaude. Officiellement, ce choix de température visait bien plus à réchauffer son petit trésor à quatre pattes qu'à se plier à la requête d'un amoureux frigorifié. Dans les faits, rien ne l'obligeait non plus à se laver avec son petit ami et son clébard en même temps, si ce n'était l'envie d'être collé à eux. Deux garçons, un chien, une cabine de deux mètres cubes et beaucoup de mousse, voilà ce qui fut le théâtre d'un bien étrange décrassage matinal.

Malgré les mimiques de Kilian, le récit n'amusa qu'à moitié son jeune élève, pris au piège de ces maudits triangles rectangles qui lui pourrissaient la vie.

« Nan mais sérieux Benjamin, rigole quoi... quand j'avais ton âge, je passais mon temps à m'amuser... »

Vexé qu'on ne rigole pas devant son histoire, le professeur s'était mis à gonfler ses joues comme un hamster. Le regardant, son crayon posé sur ses lèvres, le préado esquissa un sourire. Une lueur venait d'éblouir ses yeux verrons. Son corps tout entier se retrouva pris d'une furieuse envie de se foutre de la gueule de son aîné. Il en oublia même les raisons qu'il avait de se sentir mal.

« À mon âge ?! T'as que cinq ans de plus que moi, et t'es déjà un vieux con ? Ah nan mais c'est mort, jamais j'irais au lycée, moi. J'veux pas finir grabataire à seize ans ! »

Le souffle complètement coupé, le blondinet secoua la tête devant le visage réjoui du petit insolent avant de se jeter à son cou, de l'étrangler, et de le balancer sur le lit pour mieux le chatouiller. Hilare, Benjamin se tordit dans tous les sens en criant à l'aide, ce qui poussa Laurent à se ruer d'effroi dans sa chambre. Voyant son fils pleurer, ce dernier crut tout d'abord au pire. Il ne lui fallut heureusement que quelques instants pour comprendre que les larmes du préado étaient causées par le rire et non pas par la peine. Immobile, il admira sa propre chair retourner la situation a son avantage en assommant son professeur de toute ses forces, d'un coup de coussin bien placé. Ce ne fut qu'après que Benjamin se soit mis à faire du rodéo sur le dos du pauvre Kilian en le traitant de papy que l'adulte jugea bon d'intervenir.

« Les deux, là, vous pouvez m'expliquez ce que vous faites ? »

Allongé sur le lit le nez plongé sur la couette et les bras le long du corps, le blondinet baragouina quelques explications :

« Des maths... Enfin, on essayait, mais il m'a traité de vieux, alors j'ai voulu le punir, mais il a gagné... Dis Laurent, j'peux avoir un treizième mois et des congés payés ? Au nom de la pénibilité du travail, tout ça... AIE ! Tu fais mal Benjamin, arrête de me taper sur le crâne avec ton oreiller... J'suis fragile du cerveau... »

Ce ne fut qu'au prix d'une intense négociation que l'enfant accepta d'arrêter de martyriser son pauvre professeur particulier ! Sans frémir, il exigea de Kilian que ce dernier accepte une pause de dix minutes au milieu de chaque séance pour un petit Fifa sur sa vieille PlayStation. Le lycéen donna son approbation, à condition de pouvoir tricher et uniquement si Benjamin acceptait de travailler sérieusement entre chacune de ses visites et de faire ses exercices pour le mardi pendant le week-end, afin de pouvoir l'aider sur ce qu'il n'avait pas compris et non pas chercher les réponses à sa place. Après une longue hésitation, Benjamin acquiesça, mais il voulait une petite surprise la semaine prochaine pour compenser cet arrangement qui n'était pas autant en sa faveur qu'il l'aurait espéré.

« Si tu veux, j'viendrais avec mon mec. T'as pas envie de voir mon mec ? Il est trop beau mon mec ! Et puis, si tu bosses pas, il te grognera dessus ! Ou comment joindre l'utile à l'agréable ! »

Après une courte réflexion, le collégien demanda si on ne pouvait pas plutôt remplacer le mec par le chien. En photo, Patapouf semblait quand même bien moins agressif et effrayant qu'Aaron. Sous le regard abasourdi de Laurent qui n'avait rien manqué de cette stupéfiante négociation, les deux jeunes gens se serrèrent la main afin de définitivement conclure le deal. De retour dans le salon, sa femme s'approcha pour avoir des nouvelles et surtout des explications à propos des cris de singe qui s'étaient fait entendre. Encore un peu sous le choc, le père de famille rechaussa ses lunettes et se passa la main sur son crâne de plus en plus dégarni avant de lui résumer la scène, en insistant bien sur ce qui, au final, l'avait le plus frappé.

« C'est fou, Benjamin a plus parlé en cinq minutes que pendant tout le week-end... Et là, ils se sont remis tranquillement au travail... Je ne sais vraiment pas comment Kilian fait... Je ne dirais pas qu'il le passionne, mais il arrive à se mettre à son niveau et à l'impliquer, et Benjamin l'écoute. Toi qui avais peur que ton fils vive mal notre décision de lui imposer des cours, il semble vraiment prendre ça au sérieux... »

Une fois rentré chez lui, le blondinet passa la soirée à expliquer à Aaron à quel point il trouvait son jeune élève adorable, malgré cette foutue tristesse qui se dégageait de son regard à chaque fois qu'il arrivait et repartait.

« C'est pas qu'il fait la tronche, mais il est toujours dans son monde, comme s'il n'était pas à l'aise avec les gens... Mais dès que t'arrives à l'amuser, il est vraiment génial, drôle, intelligent et chahuteur, sans être violent... On peut discuter avec lui, c'est pas un de ces p'tits merdeux de cours de récréation qui font chier leur monde en se croyant les meilleurs. Le problème, c'est qu'il se renferme toujours sur lui-même, et personne comprend pourquoi, ni ses vieux, ni ses profs. Un psy leur a dit que c'était l'adolescence qui arrivait en avance, que c'était normal, qu'il avait besoin de son espace à lui, de calme, d'intimité, de couper le cordon... Mais moi, j'ai pas l'impression qu'il fasse sa crise, j'ai surtout l'impression qu'il a un truc en travers de la gorge qu'il arrive pas à cracher... »

Grattouillant amoureusement le crâne de son petit ami après s'être levé de sa chaise, Aaron s'allongea à ses côtés et apposa ses lèvres à sa joue. Touché par le discours du blondin, le brunet avait du mal à masquer son émotion. Alors, n'arrivant pas à parler, il lui picora simplement le visage. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, alors qu'il le serrait dans ses bras les yeux fermés en humant profondément le parfum qui se dégageait de son cou, qu'il arriva à matérialiser en mots ses pensées.

« Tu sais qu't'es beaucoup moins con que tu n'l'penses ? Tu l'sais, ça ? Faudrait que tu m'le présentes, ton élève, que je découvre le visage du p'tit salopard qui ose pousser mon mec à réfléchir ! »

Au lycée, les deux premiers jours de la semaine se passèrent sans heurts. Dugerond en congé maladie pour cause de début de dépression, Aaron se proposa de le remplacer pour la semaine, ce que le directeur refusa assez fermement. Non, définitivement non, le Guide du voyageur galactique de Douglas Adams n'était pas au programme, et il n'était pas question de mettre la note maximale à ceux qui répondraient « 42 » dans leur dissertation. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir cherché d'autres explications cohérentes à la mauvaise foi et à la triste incompétence de son professeur principal.

Le seul véritable malaise de ce début de mois d'octobre vint d'une classe de seconde. Si les bruits de couloirs et les insultes sur Facebook avaient cessé aussi vite qu'ils avaient commencé, Camille avait bien du mal à supporter certaines pressions, à commencer par celles provenant de son propre corps. Vivant seul avec son père depuis un tragique accident, il se posait nombre de questions sur sa propre existence et sur son identité. Le mardi matin, ce fut en larmes qu'il arriva en cours, et ce fut auprès d'Aaron et de Kilian qu'il se confessa, le midi, à l'abri des regards indiscrets.

Le problème tenait en peu de chose. En tant que garçon, il appréciait Margot et voulait bien sortir avec, mais il préférait de loin la considérer comme sa meilleure copine dès lors qu'il s'habillait en fille. Et ces derniers temps, il avait besoin de se travestir plus que tout. Les heures qu'il pouvait passer dans la salle de bain à s'épiler – information qui choqua Kilian, abasourdi qu'on puisse endurer pareille torture de manière volontaire –, à se maquiller, à se coiffer, à essayer des tenues toujours plus féminines – bref, à se faire belle – étaient sans doutes les plus agréables de la semaine. Elles lui permettaient de se sentir bien. Le must, c'était le samedi après-midi, quand il pouvait sortir habillé selon ses vrais goûts. Là, il était vraiment lui-même. Débardeur, jupe, talons, bottines, soutien-gorge, dentelle, mascara, verni, gloss... tels étaient les éléments qui le faisaient rêver. Alors, devoir subir en cours ces t-shirts trop larges, ces jeans usés et sa tête de p'tit branleur qui muait très doucement, mais qui muait quand même, c'était insupportable. Mais ce n'était rien à côté du regard des autres, qui voyaient en lui le garçon qu'on l'avait forcé à être et non pas la fille qu'il était vraiment.

« J'me sens trop mal dans cette peau. J'vous jure, j'étouffe, j'suis pas bien, j'suis moche... Quand je suis en mec, j'ai l'impression de mentir à tout le monde... aux autres, à moi-même, à Margot... »

Séchant tant bien que mal ses larmes avec ses doigts fins et le dos de ses mains délicates, Camille avait du mal à cacher sa peine. Avec beaucoup de tendresse et de compassion, Kilian l'enlaça par le cou, sous le regard compréhensif d'Aaron. Même s'il n'était pas doué pour réconforter les gens, le blondinet se sentait toujours obligé d'essayer, avec sa maladresse et ses mots à lui.

« T'as le droit d'être triste et de te sentir mal, mais t'as pas le droit de dire qu't'es moche ! T'as pensé ce que ressentent les mecs de ta classe quand ils te regardent ? Hein ? De la jalousie ! Ouais ! Ou du désir, mais dans ce cas-là, va planquer ton cul sous une robe, comme ça les pédés te foutront la paix... Oh et puis tu fais chier, j't'aime comme t'es, j'm'en fiche de comment tu te fringues ! Gabriel, en ce moment, il se ramène en rose ou en violet, personne lui dit jamais rien. Alors on devrait tous avoir le droit de venir comme on veut, toi en fille, moi en ayant la classe ! »

Alors que Camille reniflait et essayait de sourire devant autant de bêtise et de gentillesse, Aaron coupa son petit ami en le regardant d'un air langoureusement provoquant.

« Toi, si tu avais vraiment le droit de venir au lycée comme tu veux, tu viendrais à poil ! Enfin, du coup, t'aurais p'têt plus la classe qu'avec tes joggings verts et tes t-shirts moulants ! »

Plus que la moquerie en elle-même, ce fut la réaction du blondin, rouge comme une fraise, qui fit s'esclaffer l'élève de seconde. Vexé, l'animal se jeta comme un fauve sur son brun en lui fourrant son t-shirt dans la bouche et en criant que, s'il n'aimait pas ses fringues, il pouvait toujours les bouffer comme le faisait le grand Goinfrr de son stupide roman ! En plus, le dernier chapitre publié sur le blog était sans doute le pire et le plus humiliant de tous depuis le début ! Il l'avait adoré ! Même s'il ne l'avait lu qu'une seule fois super vite et qu'il n'avait pas encore tout compris, il l'avait adoré. Et puis, ce n'était qu'une question de temps avant que tout lui paraisse clair ! Il suffisait que son cerveau chauffe un peu !

Enfin, alors que la sonnerie retentissait dans la cour, l'élève de seconde se leva. La discussion lui avait fait du bien. Elle l'avait aussi fait réfléchir. Il se devait d'avancer pour être heureuse. Il devait s'affranchir de ce qui la retenait. Il devait vivre la vie qu'elle s'était choisie.

Le soir, au téléphone, Camille eut une longue conversation avec Margot. Leur échange se termina par une double crise de larmes. Ce n'était pas que c'était fini, mais simplement qu'il avait fait son choix. Il voulait s'affirmer en fille. Il ne se sentait pas prêt à en être une tout en sortant avec une autre.

« Laisse-moi essayer d'être normal dans ma différence ! », fut son cri du cœur.

« Si tu penses que je ne suis pas capable de t'aider à surmonter tes troubles... alors tu as raison, mieux vaut qu'on arrête... », fut la réponse de l'adolescente, cruelle sans même s'en rendre compte.

Un mot, un seul mot empêcha Camille de dormir cette nuit-là. Un mot qu'il n'arrivait pas à accepter. Un mot qui le poussa à s'enfermer dans la salle de bain le mercredi matin et à arriver au lycée avec près de deux heures de retard. « Trouble. »

Lorsque dans la cour, ses camarades de classe la virent arriver, ce fut comme si le temps s'était arrêté. Une mèche sur le côté, des bracelets multicolores aux poignets, de petites décorations aux oreilles, un sourire charmeur sur le visage, un sac à main en bandoulière, une jupe, des collants et des bottines... Camille était ravissante, personne ne pouvait le nier. Mais entre tolérance et acceptation, il y a souvent une légère et subtile nuance. Insulté par une fille qui le traita de travesti pervers et malade, ce fut chez le directeur, avec le CPE en arrière-plan, que l'adolescent termina.

« Je vais immédiatement convoquer ton père pour lui expliquer le problème. En attendant, rentre chez toi et habille-toi normalement ! Ce que tu fais en dehors des heures de cours ne nous regarde pas, mais il n'est pas question de te laisser déroger au règlement intérieur ou de transformer mon lycée en lieu de militantisme ! Je pense que nous avons assez été à l'écoute de tes problèmes et de tes revendications. Maintenant, ça suffit ! Non mais ça sera quoi la prochaine fois, une perruque ? Un tampon ? »

En larmes en sortant du bureau froid et austère, ce fut naturellement Kilian et Aaron que Camille chercha, sans réussir à les atteindre. Sur son chemin, il ne trouva que Margot qui le fixa avec un air des plus désolés. Non, c'était encore pire que ça, c'était de la déception qui se lisait très clairement sur son visage. De la déception, et de la colère.

« T'es content Cam ? Tu crois que c'est ça qu'elle voulait ? Tu crois que Max est fière de toi là où elle est ? T'as raison, mieux vaut qu'on arrête. Toi et moi c'est trop compliqué. Mieux vaut qu'on reste amis. I-S ou I-ES, à toi de voir, moi, j'm'en fous... »

Pris d'un accès de rage, l'adolescent arracha le coton qu'il avait délicatement placé contre sa poitrine et le jeta au sol. Ses joues ruisselantes de larmes, il ne fit même pas attention à sa voix rauque. Les mots venaient de briser son esprit d'une manière encore plus profonde que toutes les insultes, remarques et réprimandes qu'il avait pu subir jusqu'alors. La mâchoire grimaçante de douleur, il cria sa vérité en serrant les poings :

« ET MOI ? C'que j'veux moi ? Ça intéresse quelqu'un ? T'as pas l'droit... T'as pas l'droit d'utiliser Maxime contre moi ! T'as pas l'droit... »

Le mal était malheureusement fait. Le boucan avait fait sortir plusieurs élèves de leurs classes. Au loin, au fond du couloir, Cléo détourna le regard. Plus proche, sa sœur savourait l'instant comme si elle assistait à une performance artistique. À côté, Aaron vint couvrir son camarade de son blouson pour l'amener à l'écart et l'escorter jusqu'à son domicile. Quelques secondes plus tard, les cours reprenaient comme si de rien n'était.

Lorsque la cloche sonna, Kilian resta un long moment devant l'établissement à essayer de jouer au gendarme, apostrophant tous ceux qui commentaient sans savoir.

Le drame de Camille, personne n'avait le droit d'en parler sans chercher à le comprendre. Et c'était bien là le problème. Personne ne cherchait vraiment. Tous se satisfaisaient d'une information prémâchée, facile à digérer et à assimiler. D'avis de blondinet, ces attitudes étaient à gerber. Mais le plus difficile à vivre, c'était sa propre faiblesse, celle d'un adolescent qui essayait de bien faire et qui, en ces moments compliqués, ne pouvait que constater son inutilité.

Pourtant, son attitude, ses remarques et ses invectives ne laissèrent que peu de monde indifférent. Il y avait du vrai, dans ce qu'il disait.

À la traine, Cléa ne put s'empêcher de faire un petit peu de provocation devant Gabriel. Même si elle avait observé de loin toute cette agitation avec intérêt, elle trouvait particulièrement énervant de voir le blond de service s'exciter dans tous les sens pour défendre l'honneur d'un mec complètement tordu qui était parti chialer dans sa piaule après s'être pointé en jupette au lycée. Elle trouvait cela simplement ridicule. Et le châtain n'était pas du tout de cet avis :

« T'as cru quoi ? Que t'étais la seule à avoir une personnalité torturée ? Mais tous ceux qui tournent autour de Kilian sont super zarbs ! Lui, c'est une étoile, et toi, t'es qu'une planète comme les autres, même si ça te déplait ! »

Un peu surprise d'être ainsi renvoyée sur son orbite, la jeune artiste ne se démonta pas pour autant. Cette théorie, intéressante, semblait connaitre quelques failles :

« Et Aaron, il est quoi dans ce cas-là ? »

« Un trou noir, sans doute », répondit Gabriel à voix basse. « Il absorbe la lumière de Kilian dans ses bras et l'empêche de s'en échapper... Ah, l'amour... cette saloperie... »

De son côté, Kilian cherchait surtout à convaincre l'ensemble de sa classe de montrer leur solidarité. Son idée était simple : pendant une journée complète, il fallait que tous les garçons mettent une barrette dans les cheveux, comme un symbole de tolérance de d'acceptation de la différence. Et pour arriver à son objectif, il n'avait qu'une seule cible, Jérôme, son délégué beau gosse qui ne savait plus où se mettre devant cette étrange proposition. En plus, lui, la semaine dernière, il les avait coupés super courts, presque rasés même, ses cheveux. Alors y foutre des babioles... En plus, avec sa timidité légendaire, il se voyait mal négocier une autorisation avec l'administration locale, déterminée à ne pas céder. Et pourtant, la fougue de ce petit blondinet qui refusait de lui lâcher le bras avant d'avoir eu gain de cause le touchait. Ils étaient jeunes, c'était leur rôle d'être transgressif et de défendre leurs valeurs. Cédant finalement à son camarade, il promit d'envoyer un e-mail à toute la classe l'après-midi même.

« Franchement, t'as une sacrée personnalité toi... Faudra vraiment qu'un jour, tu m'expliques comment tu fais pour toujours réussir à obtenir ce que tu veux. »

Comprenant la question complètement de travers – comme seul lui pouvait la comprendre –, Kilian rougit et trembla jusqu'aux oreilles avant de baragouiner une bien étrange réponse :

« Euh, bah... euh... c'est super gênant, mais j'veux bien te montrer. Enfin, si Aaron est d'accord, bien sûr... Il est où celui-là encore ? Eh, quelqu'un sait où est Chouchou ? J'dois lui demander si j'ai le droit de sucer Jérôme ! »

Si le visage cadavérique de son camarade étonna le candide adolescent, la claque que Martin, qui passait par là, lui balança sur le bas du crâne suffit à lui faire comprendre qu'il avait très mal interprété les pensées de son camarade. Enveloppé de gêne et de honte, il s'enfuit immédiatement en direction de la salle d'arme où il s'entraina sans un mot pendant toute l'après-midi.

Toujours piteux au moment de rentrer, il baissa la tête et leva les yeux devant son petit ami avant de lui avouer sa petite boulette et d'enchainer immédiatement sur son projet #barrettedanslescheveux qui avait bien avancé. Et en effet, Aaron témoigna avoir déjà reçu l'e-mail de leur délégué, même si cette idée, bonne en principe, lui semblait malheureusement vouée à l'échec.

« Comment ça ? », demanda le lionceau.

Fataliste, le brunet porta son index au front et son pouce sur la tempe.

« Tout à l'heure, quand j'ai raccompagné Cam chez lui... il était inconsolable. Un truc s'est vraiment brisé, j'ai rien pu faire, il ne m'écoutait pas. Son premier réflexe a été de foutre toutes ses fringues et ustensiles féminins dans un sac et de les balancer à la benne avant de s'enfermer dans sa chambre. Avec son père, on a récupéré tout ça, mais pas moyen de lui parler... C'est sûr déjà qu'il ne viendra pas au lycée demain, et même vendredi c'est pas gagné... En tout cas, je ne pense pas qu'on le reverra de sitôt en fille... »

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