10. Un enfant aux yeux arc-en-ciel

Après une fin de semaine calme et samedi consacré à l'entrainement. Kilian se montra très câlin le dimanche matin. Il fallait bien convaincre Aaron de l'aider à réviser le programme de géométrie de sixième pour ne pas passer pour un gros naze lors du premier cours particulier de sa vie où il jouerait le rôle du professeur.

Il n'avait mis que quelques secondes à prendre sa décision. Ce serait oui. Outre l'aspect financier qui n'était pas négligeable, il voyait là une très bonne occasion de montrer qu'il n'était plus un gamin et qu'il pouvait aider les autres comme son grand frère l'avait aidé à l'époque de son entrée au collège. Nombreux étaient les souvenirs des longues soirées passées à pester contre des concepts que son cerveau refusait de comprendre. Mais c'était bien Cédric, en quatrième à l'époque, qui s'arrachait le plus les cheveux. Le tout jeune adolescent avait sacrifié sans peine quelques sorties avec les copains pour aider son cadet à ramener des notes satisfaisantes à la maison, ce qui avait fortement contribué à leur affection mutuelle.

Pourtant, ce dimanche-matin-là, Kilian essuya une fin de non-recevoir. Après avoir passé plus d'une demi-heure enfermé dans la salle de bain au téléphone avec son père – ils ne s'étaient plus parlé aussi longtemps depuis des mois voire des années –, Aaron s'était replongé dans son roman, sans réussir pourtant à trouver assez d'inspiration pour écrire plus d'une phrase.

Un peu vexé que ses charmes ne fassent pas effet, Kilian s'installa devant la télé avec patapouf sur les genoux pour regarder le résumé des buts de la veille. Caressant son chien qui baillait d'une adorable manière, il se demanda quand même pourquoi il se montrait autant hypnotisé par un programme aussi stupide. Sans doute parce que ces abrutis de journalistes refusaient de diffuser de l'escrime – le meilleur et le plus intéressant sport au monde à ses yeux – et qu'il était lyonnais dans le sang, et un peu chauvin sur les bords.

Finalement, après le déjeuner, Aaron accepta d'expliquer à son petit ami tout ce qu'il avait à retenir sur les droites sécantes pour s'en sortir face à son jeune élève. C'était ça ou lui parler de la discussion qu'il avait eu plus tôt avec son père, idée qu'il avait repoussée après toute une matinée d'intense réflexion improductive. Le moment était mal choisi et il ne voulait surtout pas inquiéter son compagnon qui avait déjà fort à faire avec ses propres problèmes, comme la délicate et douloureuse rééducation de Cédric.

« C'est vachement dur quand même... Ils ont pas honte de donner des trucs pareils à des sixièmes ? »

Avec autorité, le brunet lui donna une petite claque sur la nuque avant de pointer du doigt l'exercice en cours.

« C'est pas le programme de sixième, ça, mais je suis obligé de te faire faire des trucs plus compliqués pour que tu puisses expliquer des choses simples ! T'as cas considérer que je nourris ton esprit ! »

S'ensuivit un long silence pendant lequel le blondinet se montra particulièrement appliqué avant, qu'enfin, il ne relève la tête. Comme le montrait son regard gourmand, son attention pour les mathématiques venait soudainement de chuter dans les tréfonds de sa blondeur. Il se laissa même aller à une petite réflexion faussement naïve.

« Dans ton roman, tu me nourris aussi, mais c'est vachement moins philosophique ! »

Au bout des trois secondes nécessaires pour comprendre ce à quoi l'adolescent faisait référence, Aaron explosa de rire, mettant à mal l'image de sérieux qu'il avait essayé de tenir depuis le début de l'après-midi.

« Tu veux que je change ? Que je rajoute un peu de pâte à tartiner dans ton régime alimentaire ? Quoique, de la gelée aaronesque au Nutella, ça doit être spécial... »

Horrifié par cette idée ignoble, le blondin secoua énergiquement la tête. L'histoire lui plaisait très bien comme ça pour l'instant ! Il appréciait tout, même ce qui l'énervait. Et il avait beau crever de honte à chaque page, voir le héros être traité un peu à la dure le faisait horriblement triper. Cela changeait des autres romans qu'on l'avait obligé à lire dans son enfance. Non, autoriser Kili'an à se gaver de sucrerie, c'eut été faire la même erreur que celle commise trop souvent par des parents un peu trop laxistes envers un enfant capricieux ! Au contraire, il souhaitait que l'auteur ne cède pas à cette facilité et ponde même au plus vite de nouvelles règles pour contraindre le personnage principal à obéir à son maitre. C'est vrai, quoi ! Comment pouvait-il un seul instant songer à sauver la galaxie s'il n'était pas dressé pour ?

« Si tu veux, t'as qu'à tester de nouvelles punitions sur moi, comme la semaine dernière dans la cabane. Et si tu trouves que ça marche, tu les intègres dans ton histoire ! »

En cette fin d'après-midi, les livres de maths finirent jetés par terre, histoire de laisser au blondinet suffisamment de place sur le bureau pour s'y allonger, ce qui ne dura que quelques instants avant qu'il ne finisse sur son lit. Après une fougueuse embrassade qui avait vu bien des vêtements rejoindre les manuels, Kilian arriva à convaincre Aaron de se prêter à quelques expérimentations afin de rendre plus réalistes ses écrits. Naturellement, tout ce qui se passa dans la chambre des deux amants ce soir-là se déroula au nom de la recherche d'une certaine perfection littéraire et certainement pas pour répondre à de quelconques pulsions animales ! Non, entre gentilshommes, il fallait avant tout que la démarche reste scientifique. La première précaution prise fut de bander les yeux de l'adolescent aux cheveux dorés afin qu'il ne songe même pas une seule seconde à utiliser son adorable regard pour troubler la concentration de son homme en l'amadouant. La deuxième fut de lier ses poignets au-dessus de sa tête avec une ficelle accrochée au sommier, afin qu'il ne se débatte pas pendant les expériences et qu'il laisse pure la magnifique vue de son torse perlant d'une très légère sueur. Enfin, la troisième fut de fermer la porte à clé afin que personne ne puisse venir troubler le bon déroulé des manipulations, alerté par un cri ou deux non maitrisés.

Après quelques expériences riches en enseignement, il fut décidé de régler une bonne fois pour toute la question du régime alimentaire. Se badigeonnant tour à tour de confiture, de chantilly, de beurre de cacahuète et de Nutella, le brunet nota avec attention ce que son camarade préférait laper. Et il fut vrai que ce fut la « Nutellade » qui apporta le plus intense plaisir, autant au cobaye qui en redemanda en tirant la langue et en désignant de l'index le fond de son bec qu'au scientifique en herbe qui donna de sa personne jusqu'à sa dernière goutte de sueur. L'abus de mélanges, malheureusement, donna vite la nausée au pauvre blondinet. Les yeux toujours bandés, il baragouina qu'il avait bien raison depuis le début et que c'était une véritable erreur de céder à sa gourmandise, quand bien même il pouvait bouffer tout ce qu'il voulait sans prendre un gramme. Non, tout ce dont il avait besoin, en fait, c'était d'un peu d'amour. Et mêlé à de la noisette, cela avait un drôle de goût.

Le lendemain, Kilian stressa toute la journée. La famille Mercier habitait à un quart d'heure à pied de son domicile, non loin d'une rue commerçante à l'allure de petit village. Leur fils venait de faire son entrée dans le collège privé catholique du coin, après cinq années dans l'école primaire qui y était rattachée. Plutôt bien côté de par ses résultats, l'établissement était aussi connu pour sa vision assez particulière de l'égalité des chances, avec comme petite variable d'ajustement le salaire et l'importance des parents de ses élèves dans l'establishment local. Si les Merciers n'étaient pas à proprement parler des notables, ils avaient mené tranquillement leur petite vie. Le père était cadre commercial dans un des fleurons de l'automobile française, la mère assistante de direction dans le service jeunesse de la mairie de la ville voisine. Il s'appelait Laurent, elle se nommait Elsa. Suzanne, la tante de Kilian, les avait rencontrés à l'époque où elle voulait s'acheter sa première voiture neuve et que « Lolo » n'était alors qu'un simple vendeur. Et de l'aveu du concerné, ce fut cette opération sur laquelle tous ses collègues d'alors s'étaient cassé les dents qui lui avait permis de prendre du galon et d'envisager une véritable carrière. Si, pour finir, Suzanne n'avait gardé son moyen de locomotion qu'une petite année – le temps qui lui fut nécessaire pour l'encastrer dans un platane –, l'amitié, elle, avait perduré. Comme elle s'occupait énormément de Kilian quand il était petit, ce dernier avait par la force de choses beaucoup fréquenté le couple Mercier, avec qui il avait gardé plutôt bon contact même s'il s'était retrouvé à moins les côtoyer une fois au collège. Malgré tout, entre un père à l'époque rigide et violent et une mère alcoolique et dépravée, il avait vu en eux ce qui se rapprochait le plus d'une famille et leur laissait de temps en temps un message sur Facebook pour leur donner des nouvelles en leur promettant de passer leur rendre visite un jour très proche, dès qu'il aurait un peu de temps.

L'arrivée dans sa vie d'une avalanche brune – qui l'avait enseveli sous son amour et un véritable flot d'emmerdes – avait indéfiniment différé ces inévitables retrouvailles, jusqu'à ce coup de fil auquel il repensa en chemin. Après un échange d'amabilités poli, Laurent avait expliqué à l'adolescent la raison de son appel. Les deux premières notes en math de l'année de son fils avaient été catastrophiques et faisaient suite à une fin de primaire assez compliquée. Au-delà de la simple inquiétude scolaire, le père de famille sous-entendit que la phase de préadolescence de son garçon ne se passait pas aussi bien qu'il l'aurait espéré, et qu'il pensait qu'une crème comme Kilian pourrait lui parler et le comprendre bien mieux que lui et sa femme n'en étaient capables. Cette marque de confiance avait touché le lycéen en plein cœur. Les quelques dizaines d'euros promis pour son aide l'avaient quant à elles atteint en plein dans le portefeuille. Déjà, il s'imaginait tout ce qu'il pourrait faire avec cet argent, comme s'acheter un nouveau fleuret de rechange au cas où il brisait le sien lors d'un assaut un peu trop musclé, où se procurer la petite chose qu'il avait vu la dernière fois qu'il était passé à la FNAC et pour laquelle il s'était mis à économiser de toutes ses forces. D'un seul coup, son projet le plus fou devenait réalisable. Cette perspective avait achevé de le convaincre.

Arrivant au pavillon des Merciers, il sonna en observant le jardin et la façade à travers la grille. Cette maison de deux étages sentait bon la quiétude. Un grand saule pleureur apportait de l'ombre à une pelouse bien entretenue. Les murs, faits de briquettes roses, amenaient une touche de couleur qui se mariait très bien aux parterres de fleurs. Alors qu'il y était venu plusieurs fois quand il était enfant, Kilian reconnut à peine les lieux. Tout juste se souvenait-il que la cuisine, ancienne, et le salon étaient en bas, et les chambres et le bureau en haut.

« Ah, c'est toi Kilian ! C'est fou comme tu as grandis ! Entre, entre, on t'attendait... Et merci encore d'avoir accepté. Tu sais, ta tante ne tarit pas d'éloges sur tes résultats en maths. À chaque fois qu'on la voit, elle ne nous parle que de toi ! Au fait, ton Koala va bien ? »

En entendant simple mot, Kilian se retrouva rouge d'embarras. Maudite Suzanne ! Cette appellation pour désigner celui dont il était tombé amoureux datait de la troisième, quand les circonstances l'avaient jeté du haut du placard. Que de souvenirs ! Bon, au moins, une chose était à présent certaine, il n'avait pas à se soucier de l'avis des Merciers quant à ses attirances sexuelles, ce qui était plutôt apaisant. Les parents acceptant de facto son orientation, il pouvait pervertir leur fils en lui inculquant le goût des beaux garçons sans que personne ne puisse le lui reprocher, gniark gniark. Ou pas. Après tout, il en avait suffisamment chié lui-même pour ne pas emmerder les autres avec ce qu'ils devaient aimer ou non. Et puis, le gamin dont il devait s'occuper était bien trop jeune et innocent pour penser à ce genre de choses, non ? En tout cas, c'était le souvenir qu'il en avait. Quand il était âgé d'à peine une dizaine d'année, le blondinet kiffait jouer à la peluche vivante avec cet adorable gosse de cinq ans son cadet, quand il ne lui apprenait pas à taper dans un ballon dans le jardin. S'il avait toujours adoré être le petit frère de Cédric, Kilian n'avait pas du tout détesté ces quelques instants où il s'amusait à faire le grand.

« Aaron va bien ! C'est mieux d'utiliser son prénom, il préfère, même si moi, j'aime bien l'appeler Chouchou, Aachouchou, Choupinou, ou Aarounounet. Mais faut faire gaffe, car après, il grogne et il me rend la vie impossible. Bon, le monstre est là ? »

« Oui, bien sûr ! », répondit l'adulte après avoir broyé la main de son jeune invité. « Enfin, il doit être devant la télé, tel que je le connais... BENJAMIN, DESCENDS, C'EST POUR TOI ! »

Moins de trente secondes plus tard, le préadolescent déboula des escaliers en chaussons. Malgré les années passées depuis leur dernière rencontre, Kilian remarqua que son futur élève n'avait pas tant changé que ça. Le plus impressionnant, et ce qui le rendait reconnaissable entre tous, c'était ses yeux. À l'époque, le blondin les avait qualifiés d'Arc-en-ciel. En forme d'amandes, ils possédaient des teintes particulièrement uniques. Le gauche affichait un dégradé partant d'un bleu foncé sur l'extérieur et allant vers un bleu très clair au plus près de la pupille ; le droit était un mélange de gris et de vert éparse. Une véritable tuerie oculaire à même de faire miauler d'affection n'importe quel petit lionceau.

Ses cheveux en bataille présentaient le même genre de merveille. Si les racines étaient châtain clair, plusieurs mèches viraient naturellement au blond dès qu'un rayon de soleil les éclairait. Pour le reste, Benjamin avait encore le visage et le corps d'un enfant, avec l'innocence comme seul mot pouvant le définir. Sa lèvre supérieure ressemblait à une accolade. Une parenthèse refermait cette bouche qui avait tant de mal à montrer ses dents, même quand elle souriait. Son cou était fin et marqué. Ses bras maigres étaient recouverts d'un t-shirt d'un blanc dont il serrait les manches longues entre ses doigts. Son jean, remonté au niveau des genoux, laissait apparaitre des mollets fragiles, protégés par de simples chaussettes de supermarché. Tout en lui montrait qu'il n'était rien d'autre qu'un de ces innombrables gamins aussi timide qu'adorable. Tout sauf son regard, trahissant des sentiments qui ne sortaient jamais de sa bouche, tel l'inquiétude, la solitude et le manque de confiance en soi.

« Benjamin, tu te souviens de Kilian ? Tu jouais avec lui quand tu étais petit. Il est venu t'aider en math, tu lui montres ta chambre ? »

Au lieu de répondre par des mots, le jeune garçon ne fit que hocher la tête de haut en bas, avant de remonter à l'étage, au plus grand désespoir d'un père qui espérait un peu plus de chaleur. Alors que Kilian contractait un sourire gêné indiquant qu'il ne savait pas bien ce qu'il devait faire, Laurent soupira et lui posa une main sur l'épaule.

« Excuse-le, il est plus sauvage qu'à l'époque où tu l'as connu. Cela fait plusieurs mois qu'il est comme ça. Même si on ne peut pas se plaindre de son comportement ni de ses résultats, ça nous inquiète. À part en maths, il ramène toujours de bonnes notes, et il n'a jamais aucun mot dans son carnet. Mais il est taciturne, il ne parle que pour le strict nécessaire et il nous a même interdit l'accès à sa chambre et à sa salle de bain à sa mère et moi. Je sais que c'est l'âge, mais parfois, on s'inquiète un peu. Il est toujours dans la lune, obsédé par ses mangas et ses jeux vidéo... Depuis qu'il a mis la main sur ma vieille Playsation, il ne joue plus qu'à ça, seul dans son coin. Il devait être en train de faire une partie, là, d'ailleurs. Enfin, avec ma femme, on s'est dit qu'un ado aurait plus de chances que nous... tu ne crois pas ? »

Oui, bien sûr. Kilian en était persuadé. Lui-même, cela avait toujours été auprès de son frère ou d'amis tels que Martin et Gabriel qu'il avait pu s'ouvrir et vaincre ses démons. Alors s'il pouvait aider ce gosse dont il n'avait que de bons souvenirs, il n'allait pas se gêner, même si sa stratégie fut d'immédiatement user de sa légèreté légendaire en criant à travers les escaliers.

« Une Playstation ? Avec Cédric, on a commencé avec la Play 3 ! Ah nan mais faut me montrer ça ! Eh, Benjamin, t'as pas un vieux Fifa que j't'éclate ? À chaque fois que j'te mets un but, on fait un exo. Et si c'est toi qui marques, on en fait deux, pour te punir d'être meilleurs que moi. Ça t'va ? »

Après avoir chaleureusement salué Elsa qui en profita, de sa cuisine, pour l'inviter à rester diner, l'adolescent rejoignit Benjamin qui attendait les jambes croisées devant sa console. Sans un mot, l'élève humilia le maitre par quatre buts à zéro, ce qui lui permit de finir la soirée avec une totale maitrise de la géométrie des droites sécantes. Lors des exercices, il ne parlait que pour répondre aux questions scolaires que le lycéen lui posait ou pour exprimer ses problèmes de compréhension face à certains théorèmes tarabiscotés. Mais à chaque fois que Kilian essayait d'aborder un autre sujet, ses seules réactions furent de longs silences et quelques onomatopées du type « bof » ou « mouais », ce qui poussa le blondinet à simuler un début de crise de larmes en se tapant la tête contre la table sur laquelle ils travaillaient. Jusqu'à ce que le miracle se fasse, au moment où il commençait vraiment à perdre patience.

« Mais quand même, tu peux bien me dire si tu as un copine ! Moi, j't'ai avoué que j'avais un mec et un chien, et j't'ai même montré leur photo ! Mon Aaron à moi, le plus beau du monde, et t'as même pas réagi ! Putain, quand on joue, t'es pas coincé des doigts à c'que j'sache... J'suis pas ton père ! T'es pas obligé d'avoir peur de moi, j'suis de ton côté hein ! Non ? »

À cette ultime et sans-doute vaine tentative, Benjamin lâcha sa première réponse articulée en se retenant de rire.

« J'trouve ton chien plus beau qu'ton mec, en fait... »

Bon, ce petit con ne devait pas être homosexuel, songea Kilian en le regardant avec des yeux vexés. Non, parce que là, l'adolescent ne savait pas exactement s'il devait fracasser la tête de l'insolent contre le mur pour avoir osé critiquer le garçon le plus merveilleux de l'univers ou lui montrer d'autres photos de Patapouf, son chien adoré à lui, histoire de profiter de ce début de conversation tant attendu pour dérider l'élève quasi-muet. Au bout de cinq bonnes secondes d'intense réflexion, Kilian décida d'appliquer la sentence qui lui semblait la plus adéquate : la mise à mort d'une tronche boudeuse par des guilis jusqu'à ce que fou rire s'ensuive. C'était la peine qu'avaient toujours choisi Martin et Gabriel en sixième et en cinquième quand lui-même faisait la tête, par exemple comme à chaque fois que la cantine servait des petits pois. Dieu qu'il détestait les petits pois ! Et qu'est-ce qu'il aimait les chatouilles ! Du coup, rien ne le rendait plus heureux à l'époque que de découvrir que ces saloperies vertes étaient au menu. Cela annonçait toujours un enchainement logique des évènements qui se concluait toujours par lui se roulant sur le sol de la cour en suppliant ses tortionnaires d'arrêter de le torturer, ou alors de continuer moins fort.

Sur Benjamin, la méthode fonctionna très bien. Complètement hilare, le collégien eut même l'outrecuidance de se défendre à l'aide de son oreiller et de retourner ses propres phalanges contre son agresseur en criant que, franchement, son mec était vraiment trop moche. C'était comme s'il avait envie d'empêcher à tout prix la fin prématurée de cet affrontement. Et passant leur tête à travers le montant de la porte de leur fils, Laurent et Elsa durent se frotter les yeux pour s'assurer qu'ils ne rêvaient pas. Et pourtant, le spectacle de leur fils plus joyeux que jamais complètement emmêlé dans les bras d'un blondinet qui jouait là une drôle de partition était particulièrement étrange. Une seule interrogation restait : devaient-ils s'en réjouir ou avoir peur ?

« Il va nous le rendre pédé ! J'te l'avais dit, c'était le risque ! Regarde, il est en train de le tirer par le caleçon pour l'empêcher de fuir... Et tout à l'heure, Benjam s'est vengé en lui faisant un baiser baveux dans le cou... Nan mais il est en train de nous l'rendre pédé ! Je te le jure... »

« Oui, mais il sourit, quand même... Ce n'est pas rien... Cela faisait trois mois que ça n'était pas arrivé... Bon, LES AFFREUX, À TABLE ! Ça va refroidir... »

Lors du diner qui suivit et que Kilian accepta avec enthousiasme, Benjamin retrouva son mutisme, à cela près qu'il abreuva discrètement son jeune professeurs de SMS pour commenter tout ce qui passait dans son assiette. Le lycéen, lui, rassura les parents sur les problèmes scolaires de leur fils : même si ses notes ne remontaient pas tout de suite, il y avait de l'espoir. Il fallait juste travailler sérieusement, et il restait naturellement à leur disposition le temps qu'il fallait, proposition qui fut chaleureusement acceptée.

Au moment de partir, Laurent glissa un petit billet dans la main du blondin en le remerciant pour ses efforts et son aide, puis lui souhaita une bonne semaine.

« À lundi prochain ! »

Ravi de sa soirée, Kilian rentra chez lui en courant. Il avait tant de choses à raconter à son homme qu'il ne pouvait pas se permettre de perdre une seule seconde en chemin ! Mais alors qu'il était enfin de retour dans sa chambre, son brunet lui imposa d'abord de finir tous ses devoirs avant d'accepter la moindre conversation. En ronchonnant, le lionceau s'exécuta. Une fois ses obligations scolaires remplies, il se laissa tomber à la renverse sur son lit, avec juste assez de force pour raconter sa soirée et conclure, en baillant les yeux déjà fermés, par la petite idée qui avait germé dans son esprit.

« Nan mais Benjamin, faut absolument que tu le foutes dans ton roman... Ça rajouterait de la choupinétude, tes lectrices vont adorer... Et que serait un héros sans son apprenti, hein ? T'y as pensé à ça ? Pfff, J'suis sûr que tu n'y as même pas pensé ! »

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