9. Coup de fil, après un week-end au camp

Le dimanche était une journée complètement libre à l'intérieur du camp. Les premières activités à l'extérieur ne débutaient que le lundi après-midi.

Kilian en avait profité pour tester plusieurs sports qu'il connaissait mal, entrainant ce pauvre Jules dans son sillage. Ce dernier aurait sans doute préféré poser ses fesses grassouillettes à côté de la piscine pour profiter des rayons du soleil jurassien, mais Kilian avait un petit quelque chose, une sorte de dynamisme et d'entrain contagieux qui l'avaient poussé à le suivre tout au long de la journée.

Après avoir sué sang et eau, Kilian s'était précipité aux douches dans les premiers. Non pas qu'il désirait profiter de l'eau chaude tant qu'il y en avait - c'était plutôt l'inverse -, il voulait juste avoir assez de temps avant le diner pour téléphoner à son frère à qui il avait promis de donner des nouvelles et à qui il n'avait pas parlé depuis la veille au matin.

« Allo ? Ced ? C'est Kilian ! »

« Kili ! Comment tu vas, p'tit frère ? Tu as fait bon voyage ? Raconte ? »

Cédric ne le laissait pas transparaitre dans sa voix, mais il n'avait pas quitté son téléphone d'une semelle durant tout le week-end, pour ne surtout pas manquer le moment où son cadet daignerait enfin l'appeler.

« Ouais, super bien passé ! Bon, dans le car, ch'uis tombé sur un gros con qui ne m'a pas adressé la parole du trajet, mais je me suis tout de suite fait des potes, donc ça va, c'est frais ! »

Attendri par ce vocabulaire aussi jeune qu'insupportablement crétin, l'ainé sourit puis enchaina :

« Ah ah ah, et ils sont comment tes nouveaux potes ? »

« Bah ils sont sympas ! Il y a Jacques, il m'a mis ma raclée au tennis, et puis Marc, on a fait un match de rugby cette après-midi, on était dans la même équipe. On s'amusait à plaquer les autres ! On était la défense infranchissable ! »

Cédric se délectait de ce récit fait de rencontres fortuites et de petits moments racontés de manière théâtrale. C'était niais, mais c'était la niaiserie de son frère, il la trouvait donc particulièrement touchante.

« Oh, et puis, j'me suis fait un bon pote dans ma chambre, Jules, tu devineras jamais… »

« Quoi donc, Kili ? », demanda le lycéen, qui ne cherchait même pas à réfléchir à ce sujet.

« Il est roux ! Encore plus roux que Martin ! Je sais pas, j'dois avoir un truc, on m'a jeté un sort à la naissance. Ou alors c'est mon destin, je sais pas, j'peux pas m'empêcher de sympathiser avec les roux ! »

« Fais gaffe Kili, si tu continues comme ça, tu vas finir avec un roux, marié et tout, tu ne vas même pas t'en rendre compte »

Cédric aimait taquiner son petit frère. Il n'y avait aucune méchanceté là dedans, c'était un jeu entre eux deux. Kilian tendait des perches en espérant secrètement que son frangin les attrape, ce qui arrivait très souvent.

« Rhooo, une rousse alors ! »

L'adolescent candide prenait un véritable plaisir à se faire charrier par son grand frère. Les autres garçons présents dans la chambre n'entendaient pas le sujet de la conversation, mais tous fixaient le jeune garçon pour ne rien manquer de ses mimiques et de ses sourires. Il faisait le spectacle à lui tout seul. Même Thomas semblait attendri par la scène, ce qui avait pour effet de le rendre encore plus aigri et méchant que d'habitude.

« Ah ? Une rousse ? Parce que tu en as trouvé une dans le camp ? Tu me caches un truc Kilian ? »

La joute amicale continuait de plus belle.

« Naaan, pas une rousse ! »

« Pas une rousse ? Alors quoi donc, un petit Koala grassouillet ? »

Kilian s'esclaffa tandis que ses joues se coloraient de rouge. La discussion qu'il avait eue avec son frère quelques jours plus tôt en faisant les magasins était encore bien ancrée dans son esprit.

« T'es trop bête Cédric, franchement… Nan, pas du tout… Mais pour être honnête avec mon grand frère adoré, j'dois avouer que je ne suis pas du tout insensible au charme d'une certaine fille… »

Ce n'était pas tout à fait faux même si ce n'était pas tout à fait vrai non plus. Oui, Léna avait tapé dans l'œil du jeune garçon. Elle l'intriguait. De tout le week-end, il ne l'avait pas quittée des yeux. Il avait même pu échanger quelques balles et quelques mots avec elle lors d'un court match de ping-pong. Elle n'avait pas une taille mannequin, elle ne portait pas des habits de marque et ne se recouvrait pas le visage de fard et de mascara. Elle était naturelle et c'est ce qui la rendait belle. Sa voix était douce et mélodieuse et elle se permettait même le luxe d'être sympathique, ce qui pour Kilian était un changement radical par rapport à ses camarades de chambrée. Mais il n'arrivait pas à mettre des mots sur ses sentiments. Il ne savait pas pourquoi il s'intéressait à cette fille. Il ne voulait même pas savoir, il préférait de loin son rôle d'observateur passif à ce rôle plus actif qui lui tendait les bras. Kilian ne se sentait pas encore prêt à avoir de vrais sentiments, même si quelque chose vibrait dans sa poitrine et dans sa tête.

Mais au téléphone avec Cédric, il ne put s'empêcher de rouler des mécaniques. Il ne voulait pas décevoir son frère, il voulait lui montrer que lui aussi était capable de plaire et de s'intéresser à l'autre sexe.

« Oh, raconte ! »

L'ainé était surpris. Sincèrement surpris. Jusqu'à présent, son cadet n'avait montré qu'un intérêt limité pour « les choses de la vie ». Il se doutait que Kilian en rajoutait pour se donner un rôle. Mais l'entendre parler de la sorte le réjouissait.

« Elle s'appelle Léna, elle a les cheveux longs, des lunettes qui lui vont trop bien, un sourire à tomber par terre, et elle est trop sympa ! »

Kilian n'avait parlé que quelques secondes en l'espace de deux jours à cette étrange créature, mais ça lui avait été suffisant pour déterminer avec précision son degré de sympathie.

« Ah ouais, et donc elle te plait ? »

« Bah ouais ! Normal quoi ! »

« Et toi tu lui plais ? »

Le blondinet ne s'attendait pas à cette question. Il baragouina :

« Baaah…. J'sais pas, enfin p'têt, enfin… J'lui ai pas demandé quoi… »

Kilian était fidèle à lui-même. Si Cédric avait dû réécrire le dictionnaire, on aurait pu lire la définition suivant à la page de « flegme » : « Flegme. Action de garder son calme, de rester impassible en toute occasion. Activité favorite du Kilian après l'escrime et la sieste. »

« T'es trop fort Kili, tu changeras jamais… Bon, j'espère que tu vas réussir à conclure hein ! C'est l'honneur de notre famille qui est en jeu ! »

Pour Cédric, cette famille avait perdu son honneur il y avait déjà bien longtemps. Ce sentiment s'était égaré au milieu des colères, des mensonges et des bouteilles d'alcool. Il ne croyait pas un traitre mot de ce qu'il racontait. Il s'en foutait complètement de l'honneur de sa famille et voulait juste que son frère soit bien dans sa peau d'adolescent.

« T'es trop bête Cédric, franchement… »

Le ton était quelque peu réprobateur, mais Kilian adorait la « bêtise » de son frère. Il ne s'en serait passé pour rien au monde.

« Et sinon, t'as pu mettre ton beau jogging vert ? »

« Naaan, pas encore ! Attends, j'le garde pour de grandes occasions ! Demain aprèm, mon groupe et celui de Léna, on fait du rafting ! Je vais le mettre ! Avec les reflets fluo, c'est sûr qu'elle va pas me rater ! »

Cédric ne pouvait pas s'empêcher de penser que l'insouciance de son frère allait finir par le mettre sur la paille. On n'avait pas idée de mettre des fringues neuves pour faire une activité sportive dans des torrents. Il espérait fortement que les moniteurs auraient la bonne idée d'empêcher Kilian de se jeter à l'eau tout habillé. Il se rassura en se disant qu'après tout, le rafting ne se pratiquait pas en jogging mais en combinaison de plongée, et qu'il y avait donc au final peu de risque que Kilian détruise ses nouvelles fringues…

« C'est cool ça, j'espère que tu me raconteras ! »

« Ouais, promis ! Bon, et toi, ça c'est bien passé Cédric ? Tu racontes quoi ? »

« Oh, bah nickel hein, j'ai passé mon dimanche avec ma copine, comme d'hab. On s'est promené au bord du Rhône, c'était sympa. »

Si Kilian était rassuré voire joyeux en apprenant que tout allait bien au niveau affectif, quelque chose de plus profond le préoccupait. Habilement, il posa la question qui le taraudait vraiment :

« Cool, et sinon, les parents sont sages ? »

« Bah écoute, ça va hein, ils se tiennent bien, pas de problème à l'horizon ! J'te l'aurais dit sinon ! »

Cédric parlait. Cédric mentait. Si la météo indiquait 34° et un ciel bleu azur, le week-end avait été particulièrement orageux.

La présence de Kilian jouait le rôle de résistance dans le caractère particulièrement électrique de François. Son jeune fils était ce qui l'empêchait de dépasser les bornes. Mais Kilian à plus de trois heures de route, c'était un boulevard qui s'était ouvert. La soirée du samedi fut le théâtre d'une scène de dispute mémorable entre lui et Marie. Il lui reprochait de le tromper et de ne pas s'occuper de ses enfants. Elle lui reprochait de n'avoir jamais eu la moindre considération ou affection pour elle. Les deux avaient raison. Mais qui de l'œuf ou de la poule est venu en premier, c'est l'éternelle question. En guise de réponse, la vaisselle avait volé, les insultes avaient fusé et les larmes avaient coulé. Marie était une fois de plus allée se réfugier chez son amant. Ce qui différait de d'habitude, c'est qu'elle n'avait pas attendu que son époux soit en voyage d'affaires pour abandonner le nid familial.

Cédric avait assisté impuissant aux cris et aux pleurs. Lui-même avait fini par craquer dans les bras de Sandra. Elle n'avait posé aucune question. Elle avait déjà tout compris. Une seule chose avait soulagé sa peine… Le fait que Kilian n'ait pas assisté à ça. Cédric n'aimait pas mentir à son frère. S'il le faisait, c'était par amour, pour le protéger, pour le préserver.

Mais Kilian ne connaissait que trop bien son ainé. Il était capable de repérer le moindre changement de ton, le moindre trémolo dans la voix. Il avait tout de suite compris. Après tout, il s'en doutait, il connaissait ses parents. Une larme coula sur sa joue. Il n'insista pas auprès de Cédric. Il était déjà en retard pour le souper. Il préférait largement le mensonge à la vérité.

« Bon, j'te laisse Ced, faut que j'aille manger. Il y a Jules qui m'attend. J'ai pas intérêt à traîner, sinon, ce vorace serait capable de me piquer mon dessert ! Bisous ! »

« Ok, bisous Kili, bon appétit ! »

Kilian verrouilla son téléphone portable. D'une main, il le jeta au fond de son sac. De l'autre, il s'essuya les yeux. Puis il se rua vers la porte.

Dans la chambre, si tous s'étaient amusés des mimiques et des sourires du jeune garçon aux cheveux flavescents, un seul avait prêté attention à son changement d'attitude à la fin de la conversation et à ce léger geste de la main venue sécher des yeux un peu trop humides.

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