82. Épilogue - Un nouvel été
« Debout mon poussin, il est l'heure d'te lever, je dois te déposer au lieu de rendez-vous pour ton camp de vacances, n'oublie pas ! »
Patricia se comportait comme une mère aimante avec Arthur, son grand ado un peu bêta de quatorze ans. Le jeune garçon était une véritable crème à vivre, mais il avait aussi un peu trop abusé des friandises pendant l'année scolaire. Une maman se doit toujours de faire les meilleurs choix pour sa progéniture. Même s'il était bien dur pour elle de se séparer de son bout de chou l'espace de deux semaines, c'était pour son bien.
Elle avait vu la brochure chez une de ses amies qui y avait envoyé son fils les deux années précédentes et qui lui en avait dit le plus grand bien. « Sport & Fun », un nom assez ridicule mais des activités de grande qualité et surtout, en extérieur. C'était tout ce qu'il fallait à Arthur pour se refaire une santé.
« Maman, je dors ! »
Le nez collé dans son oreiller, le jouvenceau ne l'entendait pas de cette oreille. Il voulait encore en profiter un petit peu. La grasse matinée est si agréable et le sport si fatigant. Ne voulant pas céder devant ce caprice, Patricia fit ce qu'elle faisait chaque fois que son garçon faisait sa crise d'adolescence. Elle lui passa la main délicatement dans sa belle chevelure d'un roux vif.
« Allez mon poil de carotte, viens prendre ton petit déjeuner ! »
Après de longues tractations, un bain fumant et un copieux petit déjeuner, Arthur était enfin prêt. Vers les dix heures, ils arrivèrent au point de rendez-vous où les attendait un moniteur baraqué.
« Salut, moi c'est Basile, c'est moi qui suis en charge de cette colonie. Comme tu peux le voir à mon accent, je viens du Québec. Tu peux me donner ton prénom ? »
Le jeune garçon tendit la main et répondit en souriant :
« Moi, c'est Arthur, et comme vous pouvez le voir à mon accent, je ne viens pas du Québec, mais je respecte hein ! Mais si ça ne vous gêne pas, j'aimerais bien que vous me le rendiez après, mon prénom, du coup ! »
Le charme de l'adolescent résidait en partie dans son humour. En partie seulement, car il fallait bien avouer que, dès qu'il manquait de sommeil, le niveau de ses blagues tombait malheureusement assez bas.
« T'es un rigolo toi ! Ça m'en rappelle un autre, tiens. Allez, monte dans le bus ! »
« Occupez-vous bien de lui, si jamais il y a un problème, il a un tube de Ventoline dans son sac ! »
Patricia ne pouvait s'empêcher de jouer les mamans poules, au grand désarroi de son garçon qui n'était ni un poulet ni un œuf.
« M'man, ça va là, tu me prends pour un gosse ? Et je suis pas asthmatique, je fais de l'allergie mais c'est pas grave non plus, je vais pas mourir ! »
Le regard grave, Arthur grimpa dans le car qui, avec ses deux niveaux, paraissait particulièrement spacieux. Sans même réfléchir, il monta à l'étage et trouva une place inoccupée à côté d'un adolescent qui regardait par la fenêtre. Tourné vers la vitre et masqué par des lunettes de soleil, son visage n'était pas des plus visibles. Il portait une casquette, un t-shirt bleu ciel et possédait de magnifiques cheveux noirs. D'apparence, il semblait avoir quatorze ans, peut-être un peu plus mais à peine. La finesse de ses doigts était impressionnante, tout autant que son mauvais caractère.
« Tu vas me regarder longtemps comme ça le roux ? Pose ton cul au lieu de me fixer avec tes yeux de merlan frit ! J'te vois dans le reflet, c'est désagréable ! »
Sans un bruit, Arthur s'assit et passa toute la durée du long trajet avec sa console portable dans les mains. Son voisin, dont le prénom l'indifférait, lui paraissait anormalement asocial, mais il ne voulait pas en rajouter de peur de causer une inutile dispute.
Une fois arrivé devant l'entrée du camp en plein Jura, le jeune adolescent sentit la fraicheur du vent sur sa nuque. C'était agréable, sans doute plus que les deux semaines de torture qui l'attendaient. Au moins espérait-il se débarrasser de son léger embonpoint. Avec un peu de chance, la nourriture serait dégueulasse, ce qui l'aiderait à enfin faire le régime qu'il n'avait jamais pu se résoudre à débuter. Une bannière tendue entre deux piquets affichait le nom de ce centre, qui était tout aussi ringard que sur la brochure. Arthur se dit qu'il n'était sans doute pas le premier vacancier à constater cette horreur.
Neuf animateurs, en comptant Basile, formaient le comité de bienvenue et distribuaient des boissons fraiches aux nouveaux arrivants à côté d'un barbecue sur lequel cuisaient des saucisses pleines de graisse. La cure d'amincissement commençait bien mal ! Mais comme il était l'heure de manger, cela tombait à pic. Arthur se posa sur son sac et se mit à avaler de manière gloutonne le hot-dog qu'une certaine animatrice lui avait tendu. Sur ses vêtements, elle portait une étiquette marquée « Julie », ce qui devait vraisemblablement être son prénom.
Le camp semblait plutôt vaste avec ses nombreux mobil-homes qui servaient de dortoirs, de sanitaires et de cantine. Alors qu'Arthur terminait à l'instant son sandwich encore chaud, il entendit Basile prendre la parole :
« Bienvenue à Sport & Fun, le camp de vos vacances, les jeunes ! Quarante filles et quarante garçons entre treize et quinze ans, je suis sûr que vous allez adorer votre séjour ! Je me présente, je m'appelle Basile, certains me connaissent déjà vu que j'étais animateur les années précédentes. J'ai pris un peu de galon et je suis maintenant le directeur de cette colo, l'ancien ayant pris sa retraite anticipée suite à une grave dépression l'année dernière ! Je rigole, il va bien, mais maintenant, c'est moi qui fais la loi ici ! »
Le discours à l'accent prononcé n'était pas des plus intéressants. Arthur préférait regarder autour de lui à quel type de camarades il aurait affaire pendant son séjour. Pas très loin, il aperçut l'inconnu du car, entouré de deux jeunes de son âge. Un grand pas très beau avec un appareil dentaire à faire trembler de peur la créature de Frankenstein elle-même ainsi qu'un petit garçon frêle aux cheveux blonds platine assez courts qui souriait sans décrocher un mot. Ils semblaient se connaitre et heureux de se retrouver. Voir ce garçon arrogant s'amuser ainsi était particulièrement frustrant pour Arthur. Avant même le début des festivités, il avait l'impression d'être exclu et baragouinait seul dans son coin.
« Pour le dessert, c'est tarte à la fraise ! »
Julie, la monitrice, lui tendit une part dans une petite assiette cartonnée. L'adolescent avala une bouchée. Les fruits étaient un peu acides et la pâte molle, mais c'était mangeable. Il se replongea dans ses pensées. Deux semaines, c'était quand même particulièrement long. Il ne s'imaginait pas survivre sans son ordinateur ni sans sa nouvelle console Nintendo sur laquelle il s'amusait comme un petit fou avec le huitième opus d'un jeu de course coloré et rempli de bananes et autres carapaces. Et puis, il y avait les copains aussi, et les filles bien sûr. Arthur n'était pas une gravure de mode, mais son côté rondouillard sympa lui avait permis de se créer bien des amitiés. Il savait comment on drague. Une grande sœur et un grand frère lui avaient donné tous les conseils qu'il fallait. En bon poulet à sa maman, il n'avait pas manqué de remarquer qu'à Sport & Fun, ce n'était pas la volaille qui manquait. Plusieurs filles rigolaient en regardant dans sa direction, dont une qui avait les cheveux longs et bouclés et qui affichait un sourire magnifique. Il en était sûr, son côté un peu gauche était une arme au service de sa virilité, tout allait bien se passer.
« Dis, si tu n'en veux plus, je peux terminer ta part de tarte ? »
Arthur se retourna d'un seul coup. Un jeune garçon blond se tenait assis juste derrière lui. Avec ses cheveux ondulés qui lui tombaient avec légèreté sur la nuque, ses yeux d'un vert éblouissant, sa peau douce et sa gueule d'ange, cet adolescent magnifique le laissa sans voix. Avant même que le rouquin n'eût le temps de répondre, son interlocuteur lui avait pris des mains ce qu'il lui restait de dessert et l'avait englouti.
« Salut, moi, c'est Kilian, mais tous mes potes m'appellent Kil. T'es nouveau ici ? Je me souviens pas t'avoir vu l'année dernière ! Excuse-moi pour la tarte, je crevais la dalle. Comme on était chez des amis pas loin, je ne suis pas venu en car, mon père m'a accompagné en voiture. Je viens juste d'arriver, trop tard pour les hot-dogs. Le gros Basile va me le payer ! »
Gêné, le jeune garçon aux cheveux orange répondit :
« Heu, oui, je suis nouveau, enfin, c'est la première fois que je viens. Moi c'est Arthur. Mais, juste, pourquoi tu t'es adressé directement à moi si tu connais d'autres gens ici ? »
En rigolant, Kilian répondit :
« Oh, c'est un peu capilotracté, au sens propre comme au sens figuré, j'dois dire. Dès que j'ai vu ta tignasse, j'ai eu envie de te parler. Ne cherche pas à comprendre pourquoi, c'est un peu un réflexe chez moi ! Et puis, tu me faisais de la peine tout seul là, à regarder les filles d'un air timide ! »
Même si l'air timoré était tout à fait volontaire, Arthur s'étonna que son petit manège ait été percé à jour aussi rapidement. En regardant droit dans les yeux celui qui semblait avoir un peu d'expérience dans ce camp, il lui demanda :
« Tu crois que j'ai une chance ? Je veux dire, trouver une petite copine ici ? »
Se passant la langue sur la lèvre haute pour s'empêcher de rigoler, le blondinet répondit :
« Bah, moi, j'ai rencontré l'amour dans ce camp l'année dernière. Bon, on n'est pas tout en fait en couple... Enfin, on l'est sans l'être quoi, c'est un peu compliqué à expliquer ! En fait, on s'aime sincèrement tous les deux, mais comme la distance nous a un peu séparés, on a décidé de ne pas se prendre la tête avec ça. Par contre, dès qu'on se voit, on se saute dessus. En gros, on vit une vraie histoire d'amour par intermittence. C'est assez spécial, mais l'important, c'est juste la sincérité de nos sentiments. Je te souhaite de tomber amoureux comme moi, y a rien de mieux ! Enfin un conseil, ne t'aventure jamais derrière les douches le soir, c'est notre espace réservé et je compte bien qu'il le reste ! Et tu risquerais d'être choqué si tu voyais ce qu'on a prévu d'y faire cet été !»
Les yeux écarquillés, Arthur regardait ce drôle de phénomène. À l'entendre, il n'y avait aucun doute possible, la douce moitié de son camarade était elle aussi dans le camp.
« Tu me la présenteras ? »
Kilian explosa de rire sans que son camarade ne comprenne pourquoi.
« Oui oui, bien sûr, c'est prévu, on va pas se cacher hein ! Mais tu risques d'être surpris ! »
Basile, le directeur de la colo, interrompit leur discussion :
« Kilian, bon retour parmi nous, je vois que tu n'as pas perdu de ton éclat et de ta verve. Maintenant, sois gentil et tais-toi ou je t'enferme dans ton bungalow. Bref, comme je le disais à tout le monde, je vais faire l'appel. On commence par le groupe G4, quand vous entendez votre patronyme, vous venez vous mettre derrière moi !»
Le moniteur commença à appeler sa liste de noms tandis que les deux garçons chuchotaient des critiques douces-amères à propos de ce canadien imposant.
« Kilian Juhel ! »
Se levant brusquement, le blondinet s'avança joyeusement puis lâcha :
« Chouette, le G4, comme l'année dernière ! »
Basile continuait d'appeler les jeunes vacanciers. Arrivé au huitième de sa liste, il annonça à claire et intelligible voix :
« Arthur Garnaud ? »
À l'appel de son nom, l'adolescent se leva, tira son sac derrière lui et se plaça machinalement à côté de Kilian. Avec un peu de fatalité, il s'était résolu à sympathiser avec la première personne qui lui avait agréablement adressé la parole. « Au moins, je ne serai pas avec l'autre abruti du car » pensa-t-il secrètement.
« Aaron Arié ? »
Arthur plongea son visage au fond de ses mains en voyant arriver de manière nonchalante le brun qui l'avait chahuté un peu plus tôt. Saloperie d'ironie qui le poursuivait partout. En passant devant eux et sans s'arrêter, Aaron lâcha une petite pique :
« Un blond et un roux ? Vous allez bien ensemble ! »
Arthur eu un mouvement de recul. Il ne s'attendait pas à ce genre de blagues particulièrement stupides et dépassées. Comme si les choses fonctionnaient comme ça ! Les joues rouges de colère, il lâcha en direction de son nouvel ami :
« Putain, mais c'est qui ce mec ? Tu le connais ? »
Avec un sourire jusqu'aux oreilles, le cœur battant à cent à l'heure, l'amour transpirant sur son visage et de la tendresse plein les yeux, Kilian répondit avec sa voix pleine de joie et d'ironie:
« C''est un con, un très gros con ! »
Fin
« ... Et accessoirement, mon petit Koala. »
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