81. Moi, Kilian
Voilà mon histoire, celle de mes quatorze ans, l'année qui a changé ma vie. Que de chemin parcouru depuis l'été dernier, n'est-ce pas ? Je me revois encore tel que j'étais, naïf, un peu niais même, complètement désintéressé de l'amour et particulièrement effrayé par la « chose ».
Je viens enfin de terminer les épreuves du brevet, mais je suis sûr que je l'aurai. Je pense choper une note excellente en math et l'aide d'Aaron m'a été des plus précieuses en histoire. Ce qui est vraiment important, c'est que j'ai été accepté dans le même lycée que mon frère et ça, ça me rend vraiment heureux. Il s'agit du lycée Voltaire, juste en face du collège du même nom. À un moment, ils avaient comme projet de le baptiser Rousseau, ça aurait été marrant. En tout cas, je ne vais pas être trop dépaysé, je risque même de retrouver certains profs. Et heureusement, mes deux meilleurs amis, Martin et Yun-ah, sont aussi du voyage. Ceux qui vont me manquer, ce sont surtout la Stricker et ses crises de colère et certains camarades, mais bon, je sais que je resterai en contact avec ceux que j'apprécie le plus. Pour la surveillante générale, je sais que vous devez me prendre pour un fou, mais je lui suis reconnaissant. Son intransigeance et sa dureté cachent un cœur en or. Ce ne sont pas forcément les plus « méchants » qui sont les plus mauvais. Parfois, certains adultes agissent pour notre bien, même s'il leur arrive de commettre des maladresses. Mais elle, elle a reconnu les siennes et nous a protégés. Ça, ça n'a pas de prix.
Hier, c'était l'anniversaire d'Aaron. Je le lui ai souhaité, naturellement. En plus d'un petit cadeau que je lui ai envoyé par la poste, je lui ai offert une nuit blanche de discussion. Une chance qu'on était samedi. Par webcam, on a fait les cons jusqu'à pas d'heure. D'ailleurs, Cédric m'engueule un peu, il trouve que je passe trop de temps à parler avec mon sucre d'orge au lieu de bosser. Enfin là, maintenant, je m'en fous, c'est les vacances, je vais en profiter.
Après avoir lu sa lettre, vous imaginez bien que j'ai beaucoup pleuré. Vous me connaissez maintenant non ? J'ai beau avoir pris quelques centimètres et un peu de maturité, je suis toujours à fleur de peau et un rien me fait chialer. Elle était tellement belle que j'ai dû la lire une centaine de fois et je n'en suis toujours pas rassasié.
Je ne le considère plus comme mon petit copain. La distance empêche toute relation suivie. C'est ridicule de s'accrocher comme ça et de s'interdire toutes sortes de choses. D'ailleurs, je dois bien vous avouer qu'à l'escrime, on a vu arriver quelques nouvelles et nouveaux pour l'année prochaine qui m'ont l'air très sympathiques. Je ne m'interdis rien et c'est grâce à lui si je peux me permettre d'espérer vivre pleinement sans retenue !
Mais ne vous leurrez pas, je l'aime plus que tout au monde. Je n'ai pas peur de m'amuser un peu à côté, mais mon cœur lui appartient pleinement. Je sais très bien ce qu'il se passera la prochaine fois que je le verrai et j'attends ça avec impatience. Ce genre de choses, je ne le ferai qu'avec lui, et il m'a promis la même chose de son côté. C'est idiot mais on est un peu un couple libre à distance. Libéré du poids des mots, on s'aime toujours autant, si ce n'est plus.
Je lui dois tellement. Il a su me rendre heureux alors que ma famille partait en vrille et il m'a appris à m'accepter moi-même et à accepter mon corps. Ne rigolez pas, ce n'est pas rien. Avant lui, je n'avais aucune pudeur car je refusais de me voir comme autre chose qu'un petit enfant. Il m'a montré l'homme en moi, l'adolescent qui grandissait, capable de vibrer et de partager des moments d'intense plaisir. Je vous souhaite la même chose, il n'y a rien de plus merveilleux qu'un câlin quand il est partagé avec l'élu de votre cœur. Et là, je dois l'avouer, je commence à être grave en manque de nos petits jeux. Enfin, il m'a promis la totale dès qu'on se verrait. Il ne va pas être déçu, car moi aussi je vais bien m'occuper de lui. Lui faire plaisir est tellement bon !
L'espoir qui m'anime, c'est de savoir qu'un jour, nous pourrons vivre l'un avec l'autre. Mais en attendant le moment où nous serons enfin réunis, nous avons fait le choix de vivre notre histoire d'amour par instants fugaces et de nous autoriser d'autres aventures l'un et l'autre en dehors. Restera toujours la promesse de se voir aussi souvent que possible et de toujours chercher à se retrouver.
En attendant, on passe notre temps à se parler. Comme l'avait prévu Cédric, le fait d'être séparé fait qu'on a plein de choses à se dire et on en profite bien. Même à distance, il va continuer à me filer un coup de main dans mes matières un peu faibles, et je me suis mis au piano aussi, je le bosse chez ma tante Suzanne qui en a un. J'ai hâte de lui montrer mes progrès, à Aaron, même si je sais que je n'atteindrai sans doute jamais son niveau. Je m'en fiche, des fois le soir, il me joue un petit morceau à la caméra pour m'aider à m'endormir. La technologie est quand même merveilleuse !
Si je pense à lui ? Toujours bien sûr ! Hein ? Dans ces moments-là ? Quelle question ! Cela fait longtemps qu'il a remplacé mes anges et je n'en ressens aucune honte. Mes fantasmes sont peu de choses à côté des folies que nous avons faites ensemble. Disons juste que mes quelques plaisirs solitaires sont juste des entraînements en prévision du prochain match que nous jouerons ensemble.
Avec un peu de chance, il sera de retour en première à Voltaire. Il négocie ardemment avec des cousins pour l'hébergement et avec son père sur le principe. Sinon, on attendra un petit peu. On a la vie devant nous pour se retrouver !
En fait, je ne sais pas de quoi demain sera fait et je m'en fiche. Seul reste mon amour pour Aaron, que rien ni personne n'effacera. Cette histoire, cette aventure, elle fera toujours partie de moi et je suis heureux de l'avoir vécue tout autant que je suis fier de ce que j'ai assumé.
Entre filles et garçons, j'ai décidé de ne préjuger de rien. Je verrai bien ce que l'avenir me réserve. Si un jour j'ai la possibilité d'être avec lui, je n'hésiterai pas. Jamais je n'abandonnerai cette idée et ce désir. En attendant, je vais profiter de la vie. Avec lui à chaque fois que je pourrai le voir, avec les autres aussi si mon cœur me le dicte. Je me suis trop demandé ce que j'aimais. La réponse est évidente : j'aime vivre. Je me battrai pour vivre ma vie sans personne pour me juger. Aucune étiquette sur le front ne me déterminera. Je me moque des intolérants. Non, en fait, je les plains. Eux n'ont sans doute jamais connu un amour aussi intense que le mien. Derrière leurs insultes, il y a souvent de la peine.
Bon, naturellement, ça serait mentir que de dire que je suis sur un petit nuage. Vous avez été témoins de mes galères. J'ai souffert autant que j'ai aimé pendant cette année de troisième, c'est dire. Le plus dur aura sans doute été d'apprendre la vérité sur les conditions de ma naissance. Je ne m'en suis toujours pas complètement remis. Après quelques recherches, j'ai fini par découvrir ce que tout le monde savait déjà et que vous avez sans doute compris vous aussi. Mon père biologique est bien Bruno, mon « parrain », l'homme qui a trahi son meilleur ami en sautant ma mère sous mes yeux le jour de mes dix ans, chose qu'il faisait en réalité depuis plus d'une décennie. J'ai ses iris et ses cheveux, mais c'est tout. Il n'est pas mon père. Celui que j'ai décidé d'appeler « papa », c'est François, l'homme qui m'a élevé, qui m'a donné son nom et qui m'aime. C'est lui mon vrai père et il le restera toujours.
Bien sûr, je lui en veux pour tout le mal qu'il a pu me faire, pour son intransigeance ainsi que pour la façon dont il a rejeté ma sexualité et dont il m'a repoussé. Mais son affection pour moi est sincère. Depuis quelques semaines, il a changé, il essaie vraiment de se racheter. Je retrouve peu à peu l'homme qu'il était quand j'étais en primaire. Gentil, souriant et attentionné. Il a même proposé de m'accompagner à Paris pour les championnats de France d'escrime dans ma catégorie d'âge. Cela faisait des années qu'il n'avait pas assisté à un de mes matchs ! Même si je ne remporte pas le titre, je m'en fiche, sa présence à mes côtés est la plus belle des récompenses. Mais je ne peux pas décevoir mon club et Jean-Pierre, alors la semaine prochaine, je vais la passer à la salle d'armes pour m'entrainer. J'ai peu de chances de gagner la compèt, le niveau national est vraiment relevé, mais on s'est mis d'accord pour viser au moins un top cinq. Je peux vraiment y croire. Pierre, mon Némésis, sera aussi du voyage, on représente tous les deux notre région. Il a hâte d'en découdre et moi aussi. Depuis notre dernier affrontement, on est restés en contact et on a décidé de s'entrainer ensemble une ou deux fois avant la compétition qui approche à grands pas. Il est vraiment sympa et talentueux, je crois qu'en procédant ainsi, on pourra s'améliorer tous les deux.
Du côté de ma mère, c'est toujours aussi tendu. Ni moi ni Cédric n'avons encore fait le choix de lui pardonner. Il faudrait au moins qu'elle s'en veuille pour ça. Mais j'ai bon espoir qu'elle change et qu'enfin nous puissions nous reparler. Ma tante, qui est aussi sa sœur, a réussi à la raisonner et à la convaincre de suivre une cure de sevrage dans un institut spécialisé. C'est une nouvelle extraordinaire. On espère tous qu'elle redeviendra la femme qu'elle était avant ma naissance et qu'une nouvelle vie sera possible, même si rien ne pourra jamais réparer les assiettes brisées qui ont si souvent jonché le sol de ma maison.
Pour mon frère, les choses se passent enfin bien. Il faut le dire, il le mérite. Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu. Il est mon ange gardien et sans ses nombreuses interventions, je crois bien que je n'aurais jamais pu être heureux. Avec Sandra, son couple est de plus en plus fort et solide, si bien qu'après son bac l'année prochaine, ils pensent poursuivre leurs études ensemble à l'étranger. C'est super non ? Je suis tellement content pour lui ! Moi, je serai en première, j'aurai l'âge qu'il avait cette année. Je devrais être capable de me débrouiller seul. Enfin, je l'espère. C'est ça de grandir aussi, il faut devenir responsable. Mais avec un tel modèle, je ne pense pas pouvoir échouer.
Martin et Yun-ah se sont vraiment trouvés. C'est vraiment étrange, personne ne les imaginait ensemble, et pourtant, ils sont vraiment mignons l'un avec l'autre. Surtout, ils se connaissent par cœur, donc pas de mauvaise surprise à l'horizon. On verra combien de temps ça dure. Je ne crois pas que leurs sentiments soient aussi forts que les miens pour ma petite panthère, c'est juste impossible. Mais quand même, c'est super de les voir ensemble, tout comme c'est adorable de voir Matthys avec Alice.
Alice... Je lui ai fait de la peine et j'en suis désolé. Elle m'aimait sincèrement, mais je n'étais pas fait pour elle. C'est une fille vraiment bien et elle mérite qu'on s'occupe d'elle. Matty a beau être un peu particulier, il est vraiment sympa quand on le connait. Je regrette vraiment mon attitude à son égard, ainsi que celle de toute la classe en quatrième. Il faut mettre ça sur le compte de l'effet mouton et de l'immaturité d'un groupe décérébré.
Depuis que Matthieu a fait son coming-out, il a encore plus de succès auprès des filles, le pauvre. Il ne sait plus où donner de la tête et cherche toujours le garçon qui pourra le faire vibrer. Quand, après l'épreuve de français au brevet, je lui ai avoué pour rire tout ce qu'on avait fait avec mon amoureux, il était vert de jalousie. Il essaye même de me draguer maintenant qu'Aaron n'est plus là. Mais même si mon Aachou à la crème m'a autorisé ce genre d'aventures, il faut avouer quelque chose. Matthieu n'est pas du tout mon type de gonzesse. Rho, c'est vrai, je suis un peu taquin, il est vraiment mignon, mais il ne tient pas la comparaison avec le garçon le plus beau de la terre, celui-là même qui vient de m'envoyer par SMS une photo de lui avec son chien Mistral qui me fait coucou de la patte.
Voilà, je crois que je vous ai tout dit. C'était l'histoire de mes quatorze ans. Et maintenant que j'en ai quinze, c'est un nouveau chapitre qui s'ouvre et je suis impatient de voir ce que le destin me réserve.
Qui j'aime, cela n'a aucune importance tant que mes sentiments sont sincères. La seule chose dont je suis sûr, c'est que je n'aimerai jamais personne plus qu'Aaron, et que je ferai tout pour être avec lui. On se reverra bientôt, très bientôt, plus tôt que vous ne l'imaginez !
Merci à vous pour avoir partagé avec moi certains de ces moments. Soyez heureux.
Kilian
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