7. Sport & Fun
Aaron… Ainsi se nommait ce garçon qui n'avait pas ouvert la bouche du voyage. Kilian haussa les épaules et avança droit devant lui. L'air était frais. C'était le Jura. Deux semaines de vacances sportives, histoire de se vider la tête et de faire du bien au corps et à l'esprit. Le jeune garçon leva les yeux et aperçut une bannière tendue entre deux grands piquets. « Sport & Fun ». Kilian espéra que le camp serait moins ringard que le nom.
Le comité d'accueil le rassura sur ce point. Une bande d'animateurs, au nombre de neuf en comptant Fred, les attendait avec des boissons fraiches. Un barbecue avait été posé juste à côté et l'odeur grasse des saucisses s'en échappait jusqu'aux narines de notre blondinet. Il était déjà plus de treize heures, mais les adultes avaient bien calculé leur coup pour que les adolescents n'aient pas faim trop longtemps. Comme nombre de ses camarades, Kilian s'assit sur son sac pour déguster le hot-dog que lui tendait une belle animatrice aux cheveux châtains et bouclés. Son nom était écrit sur son t-shirt, « Samantha ». Tout en croquant dans son sandwich chaud, il observa les alentours. Le camp était divisé en deux parties. À gauche et à droite juste après l'entrée se trouvaient des mobil-homes hébergeant les douches et les sanitaires. À gauche pour les garçons et à droite pour les filles comme l'indiquait un panneau. Suivaient en rang d'oignons des bâtisses du même genre, au nombre de quatre à chaque fois. Sur la première qu'il pouvait voir à sa gauche, il lisait en grand sur la porte « Dortoir G4 ». En face, on trouvait le dortoir F4, et entre les deux, un drapeau de ralliement. Kilian, loin d'être stupide, comprit tout de suite qu'il avait affaire aux logements pour les jeunes vacanciers. Il avait aussi noté que derrière chaque groupement, on trouvait un cinquième mobil-home légèrement plus grand, sans doute réservé aux animateurs. Enfin, tout en face de lui, juste après les dortoirs, il aperçut un réfectoire tout simplement immense, ainsi que deux chemins de terre de chaque côté. L'un partait vers le nord-ouest, l'autre vers le nord-est.
Fred prit la parole :
« Bienvenue à Sport & Fun, le camp de vos vacances les jeunes. Vous êtes quatre-vingts. Quarante filles et quarante garçons, tous âgés de treize à quinze ans. Reprenez bien des forces, vous allez en avoir besoin vu ce qu'on vous a préparé pour ces deux semaines. Moi c'est Fred et je suis le directeur de cette colo.
Comme vous le savez déjà, nous sommes dans le Jura, à proximité de Vevy. Ceux qui sont déjà venus l'année dernière connaissent bien le coin, on a tout à proximité. Via Ferrata, canyoning, escalade, lac… on vous a préparé plein d'activités différentes, vous n'allez pas vous ennuyer une seule seconde. Tous les après-midi, par groupe de vingt, dix filles et dix garçons, vous aurez droit à une activité particulière. Le matin, c'est sport à la carte dans le camp. Dans le car, on vous a normalement distribué une petite pochette. Vous y trouverez la liste des sports disponibles et le plan, n'hésitez pas à le regarder quand vous aurez cinq minutes. En attendant, je vous laisse manger, et je vous dis à tout à l'heure, après le dessert, pour vous présenter l'équipe et vous affecter à vos groupes. »
Kilian croqua à nouveau dans sa pitance. Ce n'était pas mauvais du tout. Le pain était frais, la saucisse goûtue et le tout arrosé généreusement de Ketchup. Suivant les conseils de Fred, il ouvrit son sac et en sortit la carte du campement.
La zone des dortoirs, des douches et du réfectoire qu'il avait déjà parcourue longuement des yeux occupait un tiers de l'espace. Les deux chemins qu'il avait aperçus longeaient la forêt quelques dizaines de mètres et donnaient sur deux espaces d'équipements sportifs. Au nord-ouest on trouvait différents terrains. En bas à gauche, six courts de tennis. Juste à côté à droite, couvrant la même surface, deux terrains de basket et deux de volley. Enfin, un peu plus loin, on trouvait deux terrains de foot, dont l'un était aussi équipé pour les matchs de rugby. En prenant un chemin situé juste à droite, on pouvait rejoindre la zone nord-est, comprenant dans sa partie haute un gymnase aménagé permettant de s'adonner aux joies du ping-pong, du badminton, du handball et de la danse sportive. Plus bas, un complexe aquatique composé d'un bassin sportif, d'un bassin ludique - comprenant lui-même un toboggan - et de plusieurs plongeoirs. Enfin, dans un renfoncement était aménagé de quoi découvrir le tir à l'arc.
Kilian était bluffé par la richesse des équipements présents et se considérait particulièrement chanceux d'être là. Avoir un père cadre dans une grande structure avait du bon. Cela permettait de profiter du comité d'entreprise et d'avantages non négligeables. Il lui en aurait presque pardonné la dispute de la veille. Le jouvenceau reprit une bouchée de son repas et leva la tête pour observer les autres membres du camp. Un groupe s'était déjà formé à côté de lui, sans doute composé « d'anciens » de l'année dernière, heureux de se retrouver là. Juste à côté, trois filles avaient fait connaissance et semblaient bien rigoler en pointant discrètement du doigt plusieurs garçons assis ici et là. À quelques mètres à peine, il reconnut Aaron. Etrangement, ce dernier n'était pas seul. Un autre garçon, très grand et sec lui faisait la conversation et les deux semblaient rire de bon cœur. Cela irrita quelque peu Kilian qui se sentit vexé. Pour ne pas y penser, il avala ce qu'il lui restait entre les mains.
« Pour le dessert, c'est gâteau au chocolat »
Samantha, la monitrice, lui tendit une part dans une assiette en carton. Kilian porta la pâtisserie à ses lèvres, croqua une bouchée et repartit dans ses pensées. Deux semaines loin de son escrime, loin de son lit adoré, loin de son pote Martin qui devrait finir leur nouveau jeu vidéo tout seul et puis surtout, loin de ses parents, ce qui ne lui posait aucun problème, mais aussi loin de son frère, ce qui lui en posait déjà un peu plus. C'était la première fois qu'il partait en vacances sans Cédric ou sans son ami aux cheveux roux. C'était surtout la première fois qu'il partait en vacances tout seul. Il ne pouvait pas s'empêcher d'angoisser un peu. « Ce qui ferait plaisir à mon frère, c'est que je m'amuse et que je trouve une copine », pensa-t-il. Du coup, il retourna la tête vers le groupe des trois pimbêches. Elles semblaient détestables avec leurs faux airs de princesses, leurs cheveux bien coiffés, leurs fringues de marque et leurs maquillages à rendre jalouses les plus grandes professionnelles du bois de Boulogne. Perdu dans ses pensées, il ne se rendit pas compte que Fred, le directeur de la colo, avait commencé à présenter l'équipe d'animateurs. Il ne sentit pas non plus la main qui se posa sur son épaule.
« Si tu n'en veux plus, j'peux avoir ton reste de gâteau ? »
Kilian se retourna d'un coup sec. Une petite boule humaine se tenait devant lui.
« Heu, nan, je vais le manger là » répondit-il d'un air gêné.
« Bah, pas grave ! Moi c'est Jules, et toi ? »
« Euh…Kilian, mais tu peux m'appeler Kil… »
Kilian n'en revenait pas. Le jeune garçon qui se tenait à côté de lui était le portrait craché de Martin, avec quelques kilos de trop. Même peau blanchâtre pleine de tâches de rousseur, même petit nez un peu rond, mêmes joues roses, et surtout, mêmes cheveux d'un roux éclatant. « J'dois avoir un truc, j'attire les roux » pensa-t-il les yeux écarquillés. En tout cas, une chose semblait certaine. Ce jeune Jules n'était pas là de son propre chef. Il n'avait rien d'un sportif et semblait avoir été poussé dans ce camp par des parents inquiets pour l'embonpoint de leur rejeton.
Fred, le directeur de la colo, interrompit leur discussion :
« Eh, les deux là. Si je vous dérange, il faut me le dire… »
« Pardon m'sieur » répondirent en cœur les garçons.
« Bref, comme je le disais, l'organisation du camp est simple. Vous avez huit dortoirs, vous êtes dix par dortoir. Ils sont numérotés de un à quatre côté garçons, et la même chose côté filles. Chaque groupe de dix est sous la responsabilité d'un animateur. Le matin, petit-déjeuner à huit heures au réfectoire. À partir de neuf heures, sport libre parmi toutes les activités du camp. Vous devez juste vous inscrire auprès de Julie la veille au soir pour choisir ce que vous voulez faire. »
Une petite brune, qui devait être Julie, secoua la main en l'air afin que tout le monde puisse la repérer.
« À midi, douche pour tout le monde. À midi trente, déjeuner dans le réfectoire. À treize heures trente précises, tout le monde devant son point de ralliement. Vous l'aurez compris, les garçons du dortoir G1 seront avec les filles du dortoir F1 et ainsi de suite pour faire des groupes de vingt. Ce sont vos groupes d'activités externes. Vous allez faire un roulement pendant ces deux semaines afin que tout le monde puisse passer par chaque activité. Le détail des après-midi sera affiché dans votre chambrée. Ensuite, pour finir vos journées, douche, dîner à dix-neuf heures trente et veillée de vingt-et-une heures à vingt-deux heures trente, puis enfin, tout le monde au lit. On va maintenant vous assigner vos dortoirs. On commence par le G4. Vous serez sous la responsabilité de Basile. Basile, à toi la parole. »
« Merci Fred. Moi c'est Basile donc. Dès que vous entendez votre nom, vous venez vous mettre juste derrière moi. Bref, on commence. Jules Schneider ? »
« Ah, c'est moi ! »
Afin de se frayer un passage vers le moniteur, le jeune garçon roux bouscula sans faire exprès Kilian, qui fit tomber par terre ce qui lui restait de gâteau. Ce dernier ramassa ce qu'il put et sembla attristé par ce sombre gâchis. Pendant qu'il s'affairait à nettoyer les miettes, Basile continua d'appeler plusieurs noms. Le grand châtain sec qui discutait avec Aaron fut appelé en quatrième. Kilian découvrit ainsi qu'il se prénommait Thomas. Ce fut en huitième que le blondinet entendit son nom.
« Kilian Juhel ? »
Kilian était un prénom d'origine celtique, tout comme Cédric d'ailleurs. Et pour cause, leur grand-père paternel était breton de naissance. Même si toute sa famille avait déménagé aux abords du Rhône bien avant la naissance des deux frères, elle n'en restait pas moins fière de ses origines. En plus d'un nom de famille armoricain, François avait tenu à transmettre à ses enfants des prénoms conformes à l'histoire familiale.
À l'appel de son nom, le garçon se leva, tira son sac derrière lui et se plaça machinalement à côté de Jules. Fataliste, Kilian pensa que c'était son destin de bien s'entendre avec les garçons roux et ne chercha pas à le fuir. Cela le rassura quelque peu de finir dans le même groupe qu'une personne à qui il avait déjà adressé la parole, même si c'était pour se faire taxer son dessert.
« Au moins, je ne serai pas avec l'autre abruti du car » pensa-t-il.
« Aaron Arié ? »
Kilian se prit la tête entre les mains. Une fois de plus, il avait pensé trop vite.
Aaron s'avança tranquillement, une main dans la poche, l'autre tirant son sac derrière lui. En passant devant Jules et Kilian, il lâcha discrètement avec un grand sourire « Un blond et un roux, vous allez bien ensemble… », avant de rejoindre son pote Thomas.
Kilian eut un mouvement de recul. Il ne s'attendait pas du tout à ce qu'on lui lance ainsi une telle pique. Même s'il était habitué à ce genre de plaisanterie au collège, lui et Martin étant assez inséparables, il considérait comme particulièrement improbable le fait de s'assortir convenablement à un de ses camarades de jeu.
« Quel con ce mec ! », lâcha Jules, dont les joues étaient passées de blanches à rouges de colère.
« Tu le connais ? », demanda Kilian.
« Ouais. C'est un gros con, il était déjà là l'année dernière, mais il n'était pas dans mon groupe. Il a eu des problèmes relationnels avec des mecs plus grands que lui. La tige, là, à côté, Thomas je crois qu'il s'appelle, c'était un peu son toutou l'année dernière. Il le suivait et lui obéissait comme un p'tit chien. »
Kilian était sincèrement étonné parce qu'il venait d'entendre. Il se sentait étranger dans un monde qui n'était pas le sien. Il se demandait d'ailleurs ce qui le surprenait le plus. Qu'Aaron, qui semblait si désagréable et renfermé sur lui-même puisse s'être fait des copains ? Qu'il avait choisi de revenir dans ce camp alors que les choses s'étaient mal passées l'année dernière ? À moins que ce ne fût le fait que Jules, malgré ses kilos en trop, n'en était pas à son premier camp « Sport & Fun » …
Les moniteurs, eux, avaient continué de faire l'appel et étaient passés au dortoir F4, à savoir celui des filles qui partageraient les mêmes activités que Kilian. Leur monitrice attitrée n'était autre que Samantha, la jeune femme qui lui avait servi son déjeuner quelques minutes plus tôt. Kilian observait attentivement les demoiselles qu'il serait amené à côtoyer. Par chance, aucune des gamines qu'il avait observées plus tôt ne semblait faire partie de l'aventure. Malheureusement, les neuf premières à avoir été appelées étaient assez communes et ne lui évoquaient strictement rien. L'adolescent se disait qu'il serait décidément bien dur de répondre aux attentes de son grand frère et de trouver une copine pendant ce camp. Et malheureusement, il ne semblait pas y avoir beaucoup de chiens ni de koalas non plus, pensa-t-il amusé.
« Léna Bradford ? »
Une jeune fille discrète sortit de la foule en manquant de trébucher. Elle faisait quelques centimètres de moins que Kilian mais possédait des cheveux longs qui lui tombaient jusque dans le bas du dos encore plus blonds que les siens. Une frange bien taillée s'arrêtait juste au-dessus de grandes lunettes à la monture noire qui laissaient ressortir des yeux d'un vert d'émeraude, d'une couleur proche de ceux du jeune vacancier. Son nez était délicat et surplombait des lèvres dont la finesse n'avait d'égale que l'éclat brillant. Des fossettes se dessinaient aux creux de ses joues. Elle portait un t-shirt bleu ciel bariolé de vert. Elle serrait de ses mains douces, terminées par de délicats ongles taillés en amande, les manches trop longues de son vêtement. Les premiers signes de l'adolescence pointaient déjà. On pouvait deviner sous ses habits quelques formes qui indiquaient qu'elle n'était déjà plus une enfant.
En passant, elle tourna la tête vers Kilian. Elle affichait un sourire naturel éblouissant. Sa peau semblait douce comme le miel. Les rayons du soleil se reflétaient dans ses cheveux. Elle était belle.
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