59 - La cachette secrète d'Aaron

Les cours venaient donc de se terminer ce vendredi soir et les vacances de Noël commençaient à peine. La veille de la fête de la nativité était prévue, d'après tous les calendriers, pour le mardi suivant. Que ce soit pour la famille d'Aaron ou pour celle de Kilian, la première semaine des congés ne verrait pas le moindre déplacement. Pour préparer leur exposé, les deux garçons avaient donc plusieurs jours devant eux. Ils décidèrent de se revoir le dimanche matin.

À la différence de la semaine précédente, le jeune brun n'avait pas le vaste appartement pour lui et ses animaux. Sa sœur, enfermée dans sa chambre, et sa mère étaient toutes les deux présentes.

« Bonjour, je suis Catherine, la maman d'Aaron. Tu dois être Kilian ? Mon fils m'a beaucoup parlé de toi ! Il t'a rencontré au camp cet été, c'est bien ça ? Le jour de la rentrée, quand il a découvert que vous étiez dans la même classe, il était tout fou, je n'avais jamais vu ça ! Je vois avec plaisir que vous êtes devenus bons amis ! Pourtant, avec Aaron, c'est souvent compliqué. Il est tellement fragile, il a souvent du mal à se faire des copains ! Merci à toi de veiller sur lui ! Et tu restes manger ce midi hein ? J'ai fait du gigot, c'est le plat préféré de mon bichon. À chaque fois que j'en fais, il sautille partout dans la maison ! »

« Maman, arrête, là ! »

Pour la première fois, Kilian sentait son camarade véritablement gêné. Il ne l'avait jamais vu rougir à ce point. Aaron était en train de se décomposer sur place, tournant la tête pour qu'on ne puisse pas se rendre compte de l'état presque comique de son visage.

En réalité, ils étaient tous les deux en train de prendre une couleur écarlate. Le blondinet avait particulièrement honte d'apprendre que toute la famille du jeune brun avait connaissance de son existence depuis cet été, alors que lui n'avait jamais vraiment parlé de son tourmenteur, ni à ses parents, ni à son frère. Ce que racontait cette femme dans la quarantaine, fardée de maquillage et habillée des vêtements les plus chics et chers qui soient, était particulièrement dérangeant. Avec son air de maman poule, gentille et intentionnée, elle semblait aimer sincèrement son fils. Et pourtant, on pouvait deviner à son regard que ce n'était qu'un jeu d'apparence. Elle était une femme de la haute, libre, indépendante et puissante. Une croqueuse d'hommes et de diamants, et de l'avis de la jeune génération, une parfaite milf. Pour Kilian, cela ne faisait aucun doute. Si après toutes ses pérégrinations, il n'arrivait pas à avoir le fils, cela ne l'aurait pas dérangé d'essayer la mère. Son jeune âge le ramena à la triste réalité. Elle était inaccessible. Il ne mangerait pas de la bourgeoise ce midi, tout juste devrait-il se contenter de son petit merle. En tant que canari, cela n'était pas vraiment dérangeant.

« Elle est cool ta daronne ! »

« Ouais, façon de voir les choses hein. Je n'ai jamais manqué de rien, elle s'est toujours bien occupée de moi, elle m'a toujours traité comme un enfant-roi et elle s'entend super bien avec mon vieux, surtout quand ils vont ensemble aux "soirées masquées de l'ambassadeur" si tu vois ce que je veux dire. Un couple uni autant qu'immoral, c'est ce qui fait leur force et la durabilité de leur couple. Mais putain, des fois, j'aimerais bien qu'elle soit sincère, ou qu'à défaut, elle arrête de se comporter comme une conne. Elle me fait honte là ! Je suis plus son bichon quoi, faut qu'elle me lâche et qu'elle arrête de me couver comme ça. Nan mais, toi qui veilles sur moi, c'est le monde à l'envers ! Elle a rien compris ! »

Le blondinet fit la moue. Ce n'était pas tout à fait faux, mais quand même, Aaron n'était pas obligé de le souligner. S'il ne considérait pas comme « humiliant » d'être toujours protégé et défendu par sa petite panthère, Kilian restait un mâle avec toute sa fierté. Il ne fallait pas non plus que cet état de fait soit trop visible. Si Aaron était Bagheera, il n'était pas du tout question pour Kilian d'endosser le rôle de Mowgli sans rien dire. Il le lui signala en lui prenant la main et en le regardant de longues secondes, d'un air sévère, dans le fond des yeux avant d'enfin se mettre enfin au travail.

L'exposé avançait rapidement, sans accroc ni anicroche. L'un et l'autre des deux élèves avaient fait les recherches nécessaires et ils n'avaient plus qu'à mettre en commun. La présentation durerait entre vingt et trente minutes, ils avaient préparé de quoi parler mais aussi des documents à montrer à leurs camarades. Avec un tel sérieux, ils étaient presque sûrs d'obtenir une bonne note.

Le midi, Kilian put se rendre compte que Catherine n'avait pas menti. Elle était bien la reine du gigot-patates. Les deux garçons s'en donnèrent à cœur joie. Du plat normalement prévu pour tout un régiment, il ne resta rien à la fin d'un repas particulièrement animé et agréable. Tout juste fallait-il signaler l'attitude singulièrement brutale et déplacée de Judith, la sœur d'Aaron. Cette dernière, depuis toujours renfermée sur elle-même, n'ouvrit la bouche qu'à une seule occasion : critiquer son jeune frère trop bruyant, arrogant et frimeur à ses yeux. Ce qu'elle lui reprochait vraiment, c'était qu'il avait quatorze ans. Malheureusement, ce n'est pas le genre de maladie dont on guérit du jour au lendemain. Il faut en général un peu plus de temps.

« Dis Kil, ça te dirait de venir te promener en forêt avec moi cette aprèm' ? Comme on a fini de bosser, ça pourrait être sympa ! Mistral a besoin de se dégourdir les pattes ! »

Alors qu'il engloutissait son dessert, un délicieux gâteau aux fruits rouges et au chocolat blanc, Kilian acquiesça.

« Moui, chi tu veux ! »

Après tout, il n'avait rien à faire de prévu pour cette après-midi et trouvait plutôt sympathique et de bonne compagnie le chien de son camarade, un magnifique Kuvasz aussi joueur qu'affectueux au pelage d'un blanc éclatant. Il avait rarement rencontré un « vent froid » aussi chaleureux.

Le bois n'était pas très loin, à à peine dix minutes à pied. Plusieurs chemins étaient offerts aux promeneurs. Kilian les connaissait tous par cœur. Accompagné d'Aaron et de Mistral, il profitait des lueurs de l'après-midi avant que le soleil se couche. Il était quatorze heures, et en plein décembre, il ne leur restait que quelques heures devant eux. Alors que l'air se rafraichissait rapidement et qu'ils s'approchaient d'un croisement, le brunet tira sa petite victime préférée par la manche et l'emmena en dehors des sentiers balisés.

« On va où, là ? », demanda timidement le blondinet.

« Suis-moi ! Tu vas voir, ça va te plaire ! On va à ma cachette secrète ! »

Le jeune blond obéit sans trop réfléchir, intrigué par cette proposition. Le chien, lui, n'hésita pas une seule seconde. Il connaissait la route et s'amusait à courir seul, sans but, devant les deux garçonnets. À l'abri des regards indiscrets, Kilian, qui avait de plus en plus froid, saisit la main d'Aaron et la serra fortement. Certes, les jeunes gens de son âge ne se tenaient plus la main depuis la fin du primaire, mais à ce moment précis, il n'y pensait plus. Il ne faisait que ce dont il avait envie, sans que personne ne puisse empêcher ce flirt innocent. Le brunet ne le repoussa pas, au contraire. Alors qu'ils marchaient depuis plus de cinq minutes, Aaron ramassa plusieurs morceaux de bois sec au plus grand étonnement de son camarade. Puis enfin, ils arrivèrent à la destination secrète.

Une vieille cabane de chasseurs se tenait là, bien que la traque d'animaux sauvages fût interdite dans ce bois limitrophe d'une ville depuis des décennies. Malgré son âge, elle paraissait bien entretenue. La peinture semblait avoir été refaite deux ou trois étés plus tôt. Elle était construite d'un beau bois recouvert d'un enduit solide et isolant. Perdue au milieu des arbres, Kilian n'avait jamais vu cette bâtisse et en ignorait l'existence. Il écarquilla les yeux tandis qu'Aaron sortait les clés des trois gros cadenas de sa poche.

« J'ai toujours eu de la famille dans la région. Cet abri appartient à mon oncle. Il est fan de pêche. Avec mes cousins, il entretient ce truc et ils viennent souvent l'été. T'as un petit lac juste derrière, ils en profitent. Les gens ne viennent jamais jusqu'ici car il n'y a pas de chemin, donc c'est peinard. Et comme Tonton m'aime bien, j'ai eu le droit à un double des clés ! Viens, entre ! »

L'intérieur était sobre mais accueillant. Un matelas, d'épaisses couvertures, une chaise et un vieux poêle à bois. Pas de quoi vivre, mais au moins de quoi survivre sans le moindre problème. Kilian était subjugué. Aaron assurait comme jamais. Il comprit, en voyant ce dernier mettre en route le vieux chauffage, l'intérêt de ramasser du bois mort. Très vite, l'atmosphère devint supportable. La chaleur du timide feu ainsi que les épaisses couvertures ne suffisaient cependant pas à réchauffer complètement les deux garçons. Collés l'un à l'autre sur le matelas tandis que Mistral tenait la garde devant la porte, ils discutèrent de tout et de rien. De leurs familles respectives, du collège, des autres et d'eux-mêmes.

Kilian frissonnait. Ce n'était pas tant les faibles températures que la situation qui le faisait trembler. Son camarade s'en rendit rapidement compte :

« Si tu as froid, j'ai une solution, mais ça ne va pas te plaire. Fous-toi en calbut ! »

Le bel éphèbe aux doigts frigorifiés s'étonna de cette demande particulièrement irrationnelle. Il ne manquait plus que ça ! C'était bien l'heure des bizutages !

« Nan mais ça va pas la tête ? Tu veux vraiment que je me caille les miches ? Enfin c'est stupide quoi ! Et merde, j'ai pas envie de me foutre à poil devant toi ! »

« En calbut j'ai dit, pas à poil ! Et puis tu m'excuses hein, mais je connais personne au collège qui n'ait jamais vu ton zboub. T'as quand même la réputation d'être un putain d'exhibitionniste ! Même moi cet été, je devais me cacher les yeux pour ne pas le voir ! Même si je ne me suis jamais caché les yeux, en fait... »

Tandis qu'il parlait, Aaron montrait l'exemple. En moins de dix secondes, il ne restait plus sur lui que son boxer et ses chaussettes noires. Et comme Kilian, rougissant de gêne, ne semblait pas vouloir obtempérer, ce fut le jeune brun qui s'occupa de l'effeuiller avant de se coller à lui sous les épaisses couvertures. Serrant le dos de son petit apollon contre son torse et repliant ses bras autour de ce petit corps doux et finement musclé, Aaron lui expliqua les raisons de sa démarche.

« Voilà, là on est bien pour discuter ! On va se réchauffer mutuellement, avec les couvs et le poêle, t'en fais pas, dans cinq minutes, tu vas me supplier de te lâcher tellement tu auras chaud. »

Le jeune garçon avait raison, à un détail près. Kilian avait beau avoir à présent du mal à respirer à cause de la chaleur, il n'était pas question pour lui de demander à Aaron de le lâcher. Au contraire, saisissant ses mains de ses doigts élancés et sans même s'en rendre compte, il indiquait par de légers gestes au brunet quelles zones du ventre et du torse il avait le droit de caresser. La honte avait laissé la place à la sérénité. Il se sentait bien. Même s'il ne le voyait pas, il ne pensait qu'à une chose, la beauté d'Aaron. Le savoir si près de lui dans un appareil aussi simple faisait tambouriner son petit cœur. Les caresses douces et les bisous dans le cou le faisaient littéralement exploser. Il ressentait les frissons sillonner son organisme et cela le grisait. Le sang parcourait son corps à toute allure. Tout son corps.

« Coquin ! »

Passant la tête sous l'épaisse couverture, Aaron avait aperçu la légère bosse qui venait de pointer sous le slip de Kilian. Ce dernier, honteux, se cacha les yeux au fond de ses mains.

« Chut ! »

Il ne voulait pas se mettre dans cet état. C'était juste la nature, il n'y pouvait rien. Il avait à ses côtés un Aaron quasi nu qui collait son torse imberbe contre son dos, tout en caressant son ventre avec ses douces mains de pianiste. Comment pouvait-il une seule seconde résister aux réactions spontanées de son propre corps ?

« Kilian, et si tu me laissais caresser ce que je veux au lieu de guider mes mains ? Fais-moi confiance ! J'vais te montrer un jeu que tu vas aimer ! »

Le blondinet ferma profondément les yeux et plongea sa tête face au matelas. Il suffoquait presque. La proposition, bien que sous-entendue, était beaucoup trop directe pour lui. Pire, il se sentit tiraillé entre ce que son âme lui commandait de répondre et ce que le reste de son anatomie le poussait à accepter. Ce jeu dont parlait Aaron, il ne le connaissait que trop bien pour l'avoir expérimenté, ces derniers jours, quasiment tous les soirs, seul dans son lit. C'était un jeu solitaire. Mais à la différence de la majorité des amusements qui se pratiquent d'ordinaire sans assistance, ce divertissement est connu pour être tellement plus savoureux quand il se vit à deux. La rumeur veut que de nombreux jeunes de leur âge l'aient déjà expérimenté à plusieurs, un soir ou une après-midi, sans que cela n'ait le moindre sens affectif. Juste une découverte de soi et de son corps. De la curiosité partagée, un simple entrainement avant les choses sérieuses. Mais personne ne le dit jamais. C'est, de l'adolescence, un des plus grands secrets. Un secret que l'humanité considère comme un des tabous les plus ultimes.

Kilian chancelait. Son esprit ne le voulait pas mais son corps le désirait. Une seule chose le retenait vraiment. Une chose qui le faisait pleurer des larmes sincères.

« Je sais pas... J'ai peur moi. T'as fait trop de mal aux autres, je ne veux pas être ta Magali, ton Alice ou ta Yun-ah. Tu leur as fait du mal. Et en sortant avec elles, tu m'en as fait aussi. Je ne veux plus ça. Si tu veux que je me laisse faire, alors il y a une condition. Promets-moi que, tant que j'accepterai d'être ton jouet, tu ne sortiras avec aucune fille et que tu ne les blesseras plus comme tu l'as fait au premier trimestre. Promets-le ! Tant que tu tiendras parole, je te laisserai faire ! »

C'était un sacrifice. L'honneur était sauf. Il offrait sa chair et son âme à Aaron en échange de la certitude que ce dernier ne ferait plus de mal à la charmante gent féminine. Il n'y avait rien de honteux, il n'était rien d'autre qu'une victime consentante pour le bien de tous. Cette pirouette lui permit de se sentir de nouveau apaisé. Tandis que son magnifique amant baissait d'un étage, il entendit un simple mot réconfortant au creux de son oreille.

« Promis ! »

Les caresses étaient incroyablement douces. Sans à-coup, sans violence et sans vulgarité. Pour Kilian, cela n'était en rien comparable avec ce qu'il avait connu. Qu'un ange lui fasse ce genre de chose lui permettait de ne pas s'obliger à penser à ses propres séraphins. Il en arriva au point merveilleux où le vide se fit dans son esprit. L'espace de quelques minutes, il ne pensa à rien, ce qui lui fit le plus grand bien. Oubliés le froid de l'hiver, la méchanceté ambiante, les disputes, les messes basses, et les autres tracas du quotidien. Ce n'était qu'un jeu, mais quel jeu ! Il n'en avait jamais connu de plus agréable. C'était tout son corps sans exception qui frémissait de bonheur. Aaron était la douceur même, incarnée, à tel point que Kilian eut presque l'impression que son camarade avait fait ça toute sa vie. Quel expert ! Il n'oubliait rien. Aux caresses agréables de l'entre-jambes s'ajoutaient des dizaines de bisous sur la joue, dans le cou et sur le haut du dos. Le garçon aux cheveux ondulés à la couleur du soleil n'avait plus froid. Son corps était chaud et brulant. Il se sentait incroyablement serein. Jusqu'au moment du gémissement final, celui qui indiquait que la messe était dite et qu'il finirait probablement en enfer, si jamais cet endroit existait bien ! Mais si Aaron était le diable en personne, alors les limbes seraient son paradis.

Sur le chemin de retour, tandis que le chien Mistral courait toujours sans but, Kilian agrippa fortement le bras de son brunet. Il était mort de honte. Il avait trouvé particulièrement humiliant de voir Aaron nettoyer avec un mouchoir ses saletés sur le matelas. Ce dernier n'était pas de cet avis. Lui était radieux. Un sourire magnifique sur le visage, il lui avait exprimé d'un magnifique bisou sur la joue à quel point il avait été heureux de lui avoir apporté un peu de réconfort. Ni l'un ni l'autre n'avaient pourtant envie de parler. Pour dire quoi ? Les gestes sont parfois bien plus forts que les mots. Ce qui s'était passé cette après-midi de décembre entre eux, personne n'aurait jamais à le savoir. C'était leur secret, leur histoire, leur petit plaisir coupable. L'un et l'autre s'y étaient parfaitement retrouvés, ils avaient tous les deux eu l'impression de donner autant que de recevoir, chacun jouant son rôle de la manière la plus naturelle qui soit.

Alors que le soleil se couchait, ils partagèrent les écouteurs d'Aaron, marchant au grè du vent, de la musique classique plein les oreilles.

« Avoue quand même que le classique et le chant choral, ça a une autre gueule que le Rap et le R&B, non ? C'est important d'aimer ce qui est beau dans la vie ! Ce n'est pas pour rien que je craque pour toi ! Si tu veux Kil, j'te filerai ma playlist, pour les fois où tu seras triste ! »

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