52. L'anniversaire de Matthieu

Après sa punition, Kilian passa sa dernière après-midi de novembre à l'escrime, puis, vers dix-huit heures, il courut chez lui pour se préparer. La soirée d'anniversaire de Matthieu commençait à dix-neuf heures et finissait au retour de ses parents, à vingt-trois heures trente. Comme le délégué habitait à deux rues de là, il avait été convenu que le blondinet irait et rentrerait seul, avec l'obligation d'être de retour chez lui au plus tard à vingt-trois heures quarante-cinq, sans quoi il subirait les foudres de son père.

Tout dégoulinant de sueur après ses efforts sportifs, Kilian prit une longue douche tiède. L'hiver approchait et s'il n'était plus question de risquer d'attraper froid à cause de son goût pour l'eau glacée, il se refusait toujours à tout excès de chaleur. Il aimait que le jet frisquet fortifie son jeune corps d'adolescent. S'il voulait avoir chaud, il n'avait qu'à courir.

Puis il coiffa méticuleusement sa crinière blonde. Il était allé chez le coiffeur quelques jours auparavant, mais ne s'était fait couper que deux ou trois centimètres. Il ne voulait pas que son cou se retrouve dénudé. Il aimait trop ses petites bouclettes pour accepter de les voir disparaitre.

Au niveau des vêtements, il resta fidèle à lui-même. Un jean bleu ciel, des converses rouges et une chemise verte à la coupe des plus « minet » dont il laissait ouverts trois boutons au niveau du col. En se regardant dans la glace, il se trouvait presque sexy. Le tigron devenait un vrai mâle, et cela ne lui déplaisait pas.

Son frère lui ayant enseigné le principe du quart d'heure de politesse, il arriva chez son camarade à dix-neuf heures quinze précises. Les jeunes collégiens ignorant bien souvent les règles de bienséance, beaucoup de jeunes voraces s'étaient déjà jetés sur le buffet froid et les jus de fruits posés sur la grande table du salon, en attendant l'arrivée imminente des pizzas.

Matthieu vivait avec ses parents, son chat et sa petite sœur de trois ans sa cadette dans un luxueux appartement de cent soixante-cinq mètres carrés sur un seul niveau, dont le salon-salle à manger monopolisait plus du tiers de l'espace. C'était dans la grande pièce à vivre qu'avait lieu la soirée. Presque tous les élèves de la classe étaient là, ainsi que quelques rares amis en dehors du collège. Ce n'était pas que le délégué n'avait pas de vie sociale à l'extérieur de l'établissement Voltaire, c'est juste qu'il veillait toujours à ce que personne ne s'ennuie et préférait donc ne pas trop mélanger des personnes qui ne se connaissaient pas. Cette fête était avant tout pour ses camarades de classe, il en avait déjà prévu une autre plus tard dans l'année pour ses autres connaissances.

Kilian, dès son arrivée, se vit gratifié par son hôte d'une bise inattendue. En temps normal, aucun garçon ne se permettait ce genre de familiarité au collège. « Non, parce que quand même, ça fait un peu tapette hein, et que devant les filles et les copains, ça l'fait pas ! » Cela surprit et gêna légèrement le blondinet qui répondit cependant lui aussi par un discret baiser.

« Salut Kil, on n'attendait plus que toi ! Mes parents viennent de partir, et normalement, mon cousin va arriver avec de l'alcool. Mais faudra tout virer avant que mes vieux ne rentrent hein ! J'risque gros si on se fait prendre ! »

L'adolescent passa timidement le palier et chercha du regard ses amis. Près du buffet, il aperçut Martin dans une chemisette rayée qui faisait ressortir ses nombreuses taches de rousseur sur les bras. Juste à côté de lui, Yun-ah portait la couleur du deuil. T-shirt noir à manches longues, jean noir, chaussures noires, cheveux noirs et surtout, regard noir. Même si elle avait reçu en bonne et due forme les excuses qu'elle réclamait avec acharnement, elle avait la rancune tenace et comptait bien le faire comprendre à ses camarades.

Sur le balcon, les fraicheurs prenaient l'air, s'échangeant une misérable clope de bec en bec. Elles détestaient le tabac, le goût était atroce et la fumée les faisait tousser. Mais elles n'avaient pas le choix. Tous les lycéens branchés fument, c'est bien connu. Elles devaient donc se préparer pour l'année prochaine quand enfin elles seraient grandes. Kilian trouvait leur attitude aussi stupide qu'utopique. On voyait bien à leur regard bovin que le lycée n'était pas fait pour elles. Il n'avait rien contre les esthéticiennes ni contre les coiffeuses, mais il avait bien du mal à imaginer Magali ailleurs qu'en CAP à se refaire les ongles. Comprendre qu'il serait probablement séparé à la rentrée prochaine de cette bande de greluches à laquelle il s'était quand même attaché - comme certains fermiers peuvent s'attacher à des animaux destinés à l'abattoir - lui serra le cœur. L'espace de trois secondes. Le temps qu'il lui fallut pour poser ses yeux sur Alice.

Sa petite copine était là, simplement vêtue d'un chemisier blanc et d'un pantalon foncé du plus bel effet. Kilian soupira, un sourire aux lèvres. Malgré tout ce qui pouvait se passer, il se sentait chanceux d'avoir une telle petite copine. Elle était gentille avec lui, et intentionnée surtout. Il n'en demandait pas plus. Passant derrière elle, il lui huma les cheveux délicatement. Elle sentait la rose, l'orange et le pamplemousse. Il eut l'irrésistible envie de la serrer dans ses bras, mais elle ne lui en laissa pas le temps. La collégienne agrippa la main de son amoureux et le traina à l'écart dans le couloir.

À l'abri des regards indiscrets, tout en le maintenant contre le mur, elle jeta ses lèvres contre celle du bel adolescent. Kilian s'était habitué à ces baisers inopinés. Il savait qu'à n'importe quel moment, il pouvait se voir obligé de combler sa douce. Il faisait ses embrassades comme d'autres font leurs gammes. Son quotidien se résumait presque à bisous, boulot, dodo. Cela lui faisait plaisir, mais il ne vibrait pas autant qu'il l'aurait voulu.

De retour dans la grande pièce où se tenait la fête, le blondinet se rendit compte que Matthieu avait tenu parole. Son cousin n'était pas revenu qu'avec des pizzas. Il y avait bien de la bière pour tout le monde, une bouteille de vodka et une de whisky. Des étudiants auraient bien rigolé devant l'offre rachitique pour plus d'une vingtaine de personnes. Mais pour de jeunes collégiens, il y avait là de quoi expérimenter sans le moindre problème leur première biture express. Kilian attrapa une Despé et but une gorgée en grimaçant. Il n'aimait vraiment pas ça, mais il n'avait pas le choix, il fallait faire comme les autres. Ce qui le saoulait le plus, ce n'était pas l'alcool, c'était le fait de devoir se conformer au jeu stupide de l'apparence qui faisait autorité à son âge. De toute manière, il ne comptait pas boire plus que ce qu'il avait en main. Le goût était tellement mauvais qu'une seule bouteille lui ferait la soirée.

Tous les jeunes convives ne pensaient pas comme lui. Yun-ah attaqua directement son expérimentation à la vodka-orange. Elle n'avait jamais bu d'alcool avant, mais bon, c'était sa période des premières fois. Premières règles, première fois qu'elle n'était pas première de sa classe, premier bisou avec un garçon, premier râteau... Il fallait arroser ça avec sa première cuite, c'était bien légitime. Et même Martin n'arrivait pas à lui faire entendre raison.

Mais ce soir là, elle n'était pas la seule à avoir décidé de se faire du mal. La légende veut que l'alcool désinhibe. Quand on n'est pas très bien dans sa peau et fortement frustré, cela peut avoir des effets perturbants. Adrien vivait très mal le fait, à quatorze ans, de n'avoir jamais eu de petite copine là où Aaron sortait avec toutes les gonzesses de la classe. Et être collé en permanence par Victor, un véritable repoussoir à filles, n'aidait pas du tout. Il avait beau être craint et respecté par ses camarades, son comportement des plus détestables lui avait causé bon nombre d'inimitiés dans le collège, ce qui rendait d'autant plus difficile l'exercice déjà fastidieux de la drague. Une bière dans le ventre et un verre de whisky-coca à la main, il se mit à draguer lourdement toutes les jouvencelles qui s'approchaient à moins d'un mètre de lui. En parfait jardinier qui voulait absolument rouler des pelles, il collectionnait les râteaux.

Un garçon, cependant, semblait plus sage que d'habitude. Tranquillement posé sur le canapé à discuter avec un Matthys des plus mal à l'aise en société, Aaron était resplendissant dans sa chemise grise brillante, dont les manches étaient machinalement relevées et dont le col ouvert était délicatement entouré par une cravate desserrée noire au format ultra slim. Pour compléter le tableau, il portait un pantalon de la même couleur du plus bel effet, un gilet très léger, tenu par deux simples boutons, à la coupe élancée et géométrique et des chaussures assorties finement cirées. Enfin, un chapeau léger finissait de lui donner un style purement dandy. Le jeune brun semblait tout droit sorti d'un défilé de la fashion week, le style en plus. Si Kilian était particulièrement fier de son style minet, que son frère trouvait de son côté un peu efféminé, il était bien loin d'avoir la classe comme Aaron, de loin le plus élégant de tous les garçons invités ce soir là. Même, le blondinet ne put s'empêcher de penser qu'ainsi vêtu, son camarade allait faire craquer toutes les filles. Voire même pas que les filles. Alors qu'il tenait à son bras sa promise, se rendre compte qu'il en pinçait presque plus pour Aaron que pour sa copine le fit se sentir mal à l'aise comme jamais. « Ce ne sont que des vêtements, je suis juste jaloux de ses fringues », pensa-t-il très fort comme pour se convaincre lui-même que l'évidence était fausse.

La soirée se déroulait paisiblement. Plus le temps passait, plus Yun-ah était ridicule. À vingt-et-une heures, elle était joyeuse. À vingt-deux heures, elle ne savait plus comment elle s'appelait. À vingt-trois heures, elle se découvrit l'alcool méchant. C'était le moment des slows. Kilian avait passé la fête collé à Alice sans parler à personne d'autre. Il voulait tellement bien faire ! La danse qu'ils partagèrent était langoureuse. Les mains accrochées à la taille de sa partenaire, il la serrait contre lui, jusqu'à sentir sa poitrine ferme contre son torse. Il n'y avait pas à dire, s'il trouvait particulièrement stupide et ridicule de devoir danser en marchant comme un pingouin, il adorait sentir le corps de celle qu'il aimait contre le sien. Surtout quand Alice l'autorisait à avoir les mains baladeuses. Ce soir-là, il oublia ses principes et remisa sa naïveté au placard. Si ses paumes étaient fermement accrochés à la hanche de la belle, les doigts, eux, descendaient bien plus bas. Se comporter en petit coquin était loin d'être désagréable. Kilian se découvrit presque une nouvelle passion.

Tout aurait été parfait si la jeune Coréenne, fortement perturbée par ce qu'elle avait ingurgité n'avait pas décidé à ce moment précis de faire sa crise. Une crise de colère, une crise de jalousie, une crise d'un peu tout et surtout de n'importe quoi. Elle traita Matthieu de mauvais délégué, Aaron de connard sans cœur, Magali de petite conne décérébrée – ce qui n'était pas forcément très éloigné de la réalité –, Adrien de beau gosse – ce qui pour le coup était très éloigné de la réalité – et Alice de pute aguicheuse. Mais celui qui prit le plus cher fut sans conteste Kilian, qui fut traité de faux frère, de lâche, de dragueur et de salaud avant qu'elle ne se jette sur lui pour l'embrasser.

« Y a pas de raison hein, Aaron a dragué Alice puis te l'a refilée, donc s'il m'a draguée, c'est bien pour que tu me récupères aussi non ? »

Yun-ah ne se rendait pas compte de ce qu'elle disait. Heureusement d'ailleurs, sans quoi elle ne se serait jamais pardonné son comportement. Elle ignorait qu'elle ne tenait pas l'alcool. C'était la toute première fois qu'elle buvait. Elle ne pouvait pas savoir.

Kilian se dégagea aussi vite que possible de l'étreinte surprise. L'état de sa camarade le peinait jusqu'aux larmes. C'était insupportable de voir sa meilleure amie, la fille la plus intelligente et cultivée de la classe, donner une leçon de connerie à Magali et à sa bande. Tandis que Matthieu et Martin, dépités, l'emmenaient dans une chambre à l'écart et qu'Aaron s'était isolé pour passer un coup de fil, Adrien eut la brillante idée de rajouter son grain de sel à ce qui venait de se passer. Bien que lui aussi fortement atteint par les vapeurs d'alcool, il avait cependant gardé ce qu'il fallait de lucidité pour maintenir et contrôler son penchant naturel à faire des crasses.

« Kilian, tu me déçois. Tromper ton sale roux avec Alice, c'était déjà moche, mais en plus, le trahir en draguant la Coréenne, c'est vraiment dégueulasse. Pauvre Martin, maintenant que tu ne veux plus de lui, il va être obligé de se toucher la bite tout seul. »

C'était méchant, gratuit, ignoble. Adrien savait très bien ce qu'il faisait. Il savait que l'alcool était une excuse à tout. Il pourrait très bien nier dès le lendemain en prétextant qu'il ne se souvenait de rien et que s'il avait dit ça, c'était purement à cause de l'effet enivrant de la boisson, qu'il n'en pensait pas un mot et qu'il était désolé. Cela lui permettait sur le moment de profiter de la colère du blondinet. Une douce colère qui le galvanisait. Kilian était facilement manipulable, il suffisait de taper juste où il fallait pour le faire craquer. S'en prendre à ses amis, c'était presque trop facile. Protégé par Victor et vu ce qui venait de se passer avec Yun-ah, il ne craignait même pas que le blondinet lui saute dessus.

De son côté, Kilian renifla bruyamment et tâcha tant bien que mal de cacher ses larmes. Il était à deux doigts d'exploser, il ne le fallait pas. Il savait qu'après les quatre heures de colle de ce matin, s'il osait déclencher une bagarre chez un de ses camarades, son père l'étriperait sur place et même Cédric ne pourrait rien y faire. Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait, mais Adrien n'en valait pas la peine. Il le savait, il valait mieux encaisser et se retenir. Au fond de lui, il regretta presque qu'Aaron ne soit pas là pour le défendre. Le jeune brun n'avait-il pas promis qu'il le protégerait si quelqu'un lui faisait du mal ? C'était bien le moment de tenir parole.

Il fut exaucé. Aaron avait raccroché son téléphone et se tenait fièrement à côté de lui. Trop perturbé par ce qui venait de se passer, Kilian ne l'avait pas vu rappliquer.

« Ta gueule Adrien, t'es qu'une merde. Joue pas les mecs bourrés, t'as fait semblant de picoler toute la soirée, faut arrêter de prendre les gens pour des cons. T'es juste aigri et jaloux, c'est pitoyable. Tu t'en prends à Kilian car lui, il a une copine. Toi, t'es tellement une merde qu'à part Victor, t'as pas une fille ni un mec qui veuille de toi. Tu peux le charrier avec Martin, mais aux yeux de tous, les pédés, ici, c'est vous deux. Enfin, quoique, je dis ça, mais je suis même pas sûr qu'avec ta tronche, tu arriverais à choper un mec ! »

Le jeune brun était fidèle à lui-même. Le corps droit, le menton levé et le regard fier, il défiait son interlocuteur. Pour son rival, c'était insupportable. Aaron était une épine dans le pied dont il n'arrivait pas à se débarrasser. Cette pièce rapportée n'avait pas fait que le battre en classe, il avait aussi détruit d'un coup de pied tout ce qu'il avait mis tant de temps à construire. Entre eux, ce n'était pas de l'inimitié, c'était de la haine.

« Ah ouais ? Et tu crois que toi, le tombeur de gonzesses, tu serais capable d'emballer un mec ? Fais pas le fier Aaron, les gens te détestent tout autant que moi. Je suis pas le seul à avoir une étiquette « connard » sur le front. T'as fait le malin avec trois filles, mais plus une ne veut de toi maintenant. Et pas un garçon non plus, malgré le fait que tu sois une tante refoulée. Si t'es si malin, allez, montre moi que j'ai tort, j'te parie que tu es incapable d'embrasser un mec ! Sale hypocrite. »

Le problème avec l'alcool, c'est que même quand on n'est pas à proprement parler bourré, il attaque méchamment les neurones. Adrien ne savait plus trop ce qu'il racontait et Aaron, qui n'en était pas à sa première bière, était bien moins réfléchi qu'à l'accoutumée. Le tyran avait utilisé le mot interdit, celui là même qui avait le pouvoir de faire perdre toutes ses facultés intellectuelles au garçon le plus intelligent de la classe.

« Tenu, j'vais embrasser un mec, s'il n'y a que ça qui puisse te faire bander. Par contre, après, toi, soit tu roules une pelle à Victor en compensation, soit tu t'écrases jusqu'à la fin de l'année. »

Dans l'assistance, les murmures se firent insistants. Tous les jeunes gens présents chuchotaient à propos de ce défi fou qu'avait accepté Aaron. Et surtout de la compensation qu'il avait demandée. À vrai dire, personne n'imaginait Adrien capable d'embrasser Victor. L'homophobie latente des deux garçons était bien trop importante pour les pousser à cela. Mais l'idée même de voir la terreur se faire rabattre le caquet par Aaron ne déplaisait pas à grand monde. Déjà, la majorité des présents encourageaient le jeune brun. Il faut bien avouer que l'alcool motive bien des spectateurs.

De son côté, Kilian rougissait. La situation le gênait plus que de raison. Bien sûr, l'éventualité qu'Adrien soit forcé de la fermer jusqu'à la fin de l'année lui plaisait énormément, surtout après ce qu'il venait de lui balancer à la figure. Mais pour cela, Aaron devait embrasser un mec avant la fin de la soirée. Le blondinet n'était pas stupide, il savait que, si son camarade passait bien à l'acte, il y avait de fortes chances pour que ça soit lui la victime. Il ne voyait de toute manière pas qui d'autre Aaron pouvait emballer. Même si cette éventualité le terrifiait, surtout à cause de la réaction imprévisible des autres, il était presque résigné. S'il devait passer à la casserole pour le bien commun, alors il accepterait de se sacrifier. Il était sûr qu'Alice comprendrait, et puis, il ne ferait que subir, si on l'emmerdait avec ça par la suite, il aurait tout le loisir de dire après coup qu'il n'était pas du tout d'accord.

Comme pour se donner du courage, Aaron se servit un grand verre rempli à moitié de jus d'oranges et à moitié du fond de la bouteille de vodka. Il but son breuvage cul sec puis, en prenant l'air d'un aventurier qui s'avançait vers l'inconnu pour défricher de nouvelles terres cultivables pour le genre humain, il lâcha :

« Bon, quand faut y aller, faut y aller. Pardon les filles, je vous aime, mais je n'ai pas le choix, je dois me sacrifier pour vous ! Je meurs en martyr ! Souhaitez-moi bonne chance ! »

Déjà toutes craquaient. Le collégien leur dédiait son acte de bravoure, ce qui n'était pas rien, et l'imaginer embrasser un autre garçon avait pour certaines d'entre elles quelques choses d'excitant. La mode de certains mangas immoraux à destination des jeunes demoiselles en fleur était passée par là.

Kilian serrait les poings en attendant son heure. Son souffle était lourd et saccadé à cause du stress engendré. C'était vraiment une foutue soirée. Ce fut à ce moment que Matthieu revint de la chambre où il avait déposé la pauvre Yun-ah. Il n'avait pas suivi ce qui s'était passé et trouvait des plus étranges le comportement des ses camarades. C'était comme si tous attendaient quelque chose sans que personne ne dise rien.

Avant même que le délégué n'ait le temps de comprendre ce qui se passait, Aaron lui agrippa le cou, le regarda dans les yeux et lâcha, un énorme sourire sur le visage, un sonore « Désolé Matthieu ! » puis se jeta sur ses lèvres. Il n'y avait pas à dire, le jeune brun savait y faire. La pelle qu'il lui roulait était mémorable et galvanisait l'assistance. Tout en lui caressant le visage, il plongeait sa langue dans la bouche de son camarade qui se laissait faire sans réagir. La scène semblait tout droit sortie d'un film ou d'une cérémonie américaine de remise de prix. Le baiser n'était pas sincère, mais il était bouillant autant que passionné. La majorité des collégiens, légèrement enivrés, applaudirent le spectacle. Adrien grimaça tandis qu'Aaron lui jetait des regards provocants, tout en s'appliquant à étouffer son partenaire du soir. Kilian, lui, se décomposa sur place sans que personne n'y prête attention. Un sentiment désagréable de rage, de jalousie, de colère et de tristesse l'envahit. Il ne contrôlait plus sa propre pensée. Une petite voix dans sa tête hurlait « Ça aurait dû être moi là ! C'est moi qu'il aurait dû embrasser ! Moi ! Pas lui, moi ! ». Il se força à retenir une lourde gouttelette sous ses paupières tant la scène le dégoutait. Il trouvait ça abject. Pas seulement le baiser, cet échange de salive sans le moindre sentiment qui lui donnait envie de vomir, mais aussi et surtout l'attitude de ses camarades qui encourageaient bruyamment Aaron au lieu de le stopper. Sous son crâne, les mots tambourinaient sans vouloir sortir. « Mais fermez-là putain, c'est dégueulasse ! L'encouragez pas bordel ! Arrêtez, s'il vous plait quoi ! » Il était au bord des larmes, et ce ne fut que lorsque le jeune brun croisa son regard et se rendit compte de son état délabré que l'embrassade prit enfin fin.

« Aaron, Pédé ! Vous avez vu, tous ? Aaron est une tafiole ! Sale pédale ! »

Adrien avait beau être dégouté par la scène qui venait de se dérouler sous ses yeux, il se devait de profiter de la situation. Aaron avait plongé tête la première dans son piège, il fallait l'achever. Sauf qu'à part Victor, qui insultait lui aussi copieusement le jeune garçon, personne ne le suivait. L'assistance avait choisi son camp. Aaron n'était pas un pédé, il était le héros de la soirée. Sous les applaudissements, il rétorqua à son adversaire :

« Calme-toi Adrien, c'est toi qui voulais voir deux mecs s'embrasser. Assume tes fantasmes, je suis sûr que ça t'a fait bander en plus. Cherche pas à faire ton malin, tout le monde a pigé que tu ne valais rien. Donc maintenant, soit tu embrasses ton petit copain en public, soit tu t'écrases. »

Le jeune garçon chercha à répliquer, mais déjà tout le monde criait « Écrase-toi ! Écrase-toi ! ». La défaite était amère, il était K.O debout, la classe entière l'avait abandonné, lui, le tyran qui avait régné sur ses sujets pendant plus de trois ans. Il était maintenant déchu. Le roi est mort, vive le roi, Aaron était le nouveau monarque des 3ème3. N'ayant pas d'autres armes que la violence, Adrien se jeta sur celui qui venait de le faire chuter. Mais la bataille ne fut pas longue, à peine s'étaient-ils échangé quelques coups que deux policiers en uniforme les séparaient.

« Ça suffit les jeunes là ! On a reçu un coup de fil des voisins pour tapage nocturne, donc vous allez baisser la musique et vous allez éviter de vous battre. Vous avez quel âge ? Quatorze ? Quinze ans ? Putain de jeunesse, à peine ado et déjà ça picole, et les parents ne sont même pas là ! Société de merde ! »

La présence des deux gardiens de la paix jeta un vent glacial dans l'appartement. Reprenant ses esprits, Matthieu convia tout le monde à partir. Il était déjà vingt-trois heures trente et il devait faire disparaitre toute trace d'alcool avant le retour de ses parents. Et surtout, il devait supplier les deux policiers pour éviter qu'ils ne fassent un rapport à ses géniteurs. Il avait beau être pourri gâté depuis la naissance, il savait qu'il aurait bien du mal à éviter une méchante punition si ses vieux apprenaient le déroulement de la soirée.

Dans la rue, Kilian marchait laconiquement à côté d'Aaron sans un mot. Ils allaient dans la même direction. C'était fortuit. Après plusieurs longues secondes dans le silence, Kilian osa une première remarque :

« Une chance que les flics soient arrivés, ça aurait pu mal finir sinon... Merci les voisins ! »

« Ce ne sont pas les voisins qui ont appelé les flics. Matthieu avait prévenu tout l'immeuble et on ne faisait pas tant de bruit que ça. C'est moi qui ai téléphoné, quand j'ai vu l'état de Yun-ah. Même si j'ai été salaud avec elle, je la respecte et je l'aime bien. Ça m'a brisé le cœur de la voir comme ça. Je voulais être sûr que la soirée s'arrête au plus vite pour éviter que ça ne dégénère. Après, c'est sûr qu'ils sont arrivés au bon moment ! »

Le blondinet était choqué d'entendre cela. C'était donc ça qu'il faisait au téléphone quand Adrien l'emmerdait ! Nonchalamment, il s'adossa au mur et s'esclaffa. Les deux garçons étaient seuls dans la rue noire. Très vite, les rires laissèrent la place aux larmes et les larmes aux sanglots. Kilian pleurait, gémissait, hurlait même.

« Pourquoi tu l'as embrassé lui ? Pourquoi tu m'as pas embrassé moi ? Pour faire chier Adrien, tu sais très bien que je t'aurais laissé faire ! Alors pourquoi Matthieu ? Pourquoi t'es comme ça ? Je te suffis pas c'est ça ? T'as besoin d'autres jouets ? Cet été, quand tu m'as roulé une pelle, c'était pareil pour toi ? Un simple jeu ? »

Le visage de Kilian était des plus torturés. Après quelques secondes de silence pour reprendre sa respiration, il conclut en pleurnichant :

« Tu me dégoutes, putain ! »

La peine du garçon aux yeux verts rougis par la tristesse était sincère. Il ne s'entendait même pas parler, il ne se rendait même pas compte qu'il était en train de faire une crise de jalousie à son camarade. Il n'avait pas conscience de son état. Aaron, lui, réalisait pleinement. S'approchant de son blondinet, il l'enlaça et le serra fortement contre lui, et lui chuchota à l'oreille quelques mots réconfortants.

« Il y a trois raisons pour lesquelles je ne t'ai pas embrassé. La première, c'est que je savais que Matthieu se laisserait faire. Au cas où tu n'l'aurais pas remarqué, c'est un tel foc qu'il aurait sa place sur un bateau du Vendée Globe. C'est pas pour rien qu'il plait autant aux filles, elles craquent toutes pour les gays. Il assume pas, mais putain, c'est cramé ! Vu comme il passe son temps à reluquer ton cul, ça je peux te l'affirmer, y a pas plus pédé que lui dans la classe. Du coup, c'était sûr qu'avec lui, je me prendrais pas une gifle dans la tronche. »

Kilian, malgré quelques doutes, était bien trop innocent pour remarquer de telles choses. Ce que disait Aaron le surprenait, mais après coup, c'était quand même évident. Il s'en voulait presque d'avoir été si naïf à propos de son camarade. Mais apprendre l'homosexualité de Matthieu n'apaisait pas du tout ses larmes. Le brunet continua son explication.

« Ensuite, je crois que tu as une petite copine. Donc t'embrasser alors que t'es en couple, c'est pas super glorieux. Enfin tu me diras, je l'ai bien fait cet été, mais la différence, c'est que là, Alice regardait. J'ai été assez salaud avec toi tu crois pas ? »

À la différence du précédent, cet argument fit mouche. Kilian renifla bruyamment et tenta de calmer ses sanglots. Il n'y avait pas pensé plus que ça sur le moment. Pour la bonne cause, il pensait que sa copine serait d'accord. En fait, il n'imaginait juste pas qu'Aaron puisse y penser. Entendre cela lui fit plaisir et le réchauffa tout autant que l'étreinte de son camarade, qui terminait son discours :

« Enfin, la raison pour laquelle je ne t'ai pas embrassé toi, c'est parce que si je l'avais fait, Adrien s'en serait pris à toi. Et ça, c'est hors de question. Je ne le laisserai pas te faire du mal, je te le promets ! »

En entendant cela, les larmes se remirent à couler. Mais ce n'était plus des larmes de tristesse ou de rage, c'était autre chose. Kilian ne savait pas ce qui les provoquait et il s'en foutait. Tandis qu'Aaron le serrait toujours fortement contre lui, il lui rendit son étreinte. Tant pis s'il arrivait dix minutes en retard chez lui et s'il se faisait engueuler par son père, rien au monde n'aurait pu à cet instant lui faire lâcher son Aaron.

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